On avait prévu dans notre modeste budget de rapporter un tapis. Pas un Rabat, mais un tapis berbère tout simple, dans des tons chauds et familiers en accord avec notre mobilier et notre décoration intérieure. Notre vieux kilim était fatigué et c'était l'occasion de joindre l'utile à l'agréable. Isabelle avait une idée très précise de ce qu'elle voulait rapporter. .
Passé la tenture de l'entrée, les grandes salles voûtées et spacieuses étaient bien là toutes tendues de pourpre et de garance. Une femme accroupie travaillait sur un métier à chaînes verticales. Un vendeur affable s'est rué sur nous, bras ouverts. . Je suis allé paresser sur une banquette recouverte de laine écarlate.
Marchander est de tradition au Maroc. S'en abstenir décevrait le vendeur et vous priverait d'un plaisir rare. Le nôtre ne l'a pas été. Au fur et à mesure des négociations, il perdait de sa superbe. Rabat, Glaoua, Chichaouas, Marmoucha et autres Beni Yahia s'empilaient sans que ma femme ne cille à la vu d'un article séduisant. Il y en avait de toutes les tailles, tous les styles et tous les prix. Isabelle n'en avait rien à battre des étiquettes bleues, vertes et jaunes qui définissent la qualité du tissage et le nombre de nœuds au mètre carré. La rectitude des motifs et des bordures du tapis importaient moins que le prix demandé. Le véritable coup de cœur tardait à venir. Isabelle arpentait le magasin à la recherche de l'objet rare poursuivi par le vendeur. Il dépliait tapis sur tapis et le verdict de Danielle tombait sans attendre : trop grand, trop coloré, trop cher. Le type s'arrachait les cheveux et mordait sa moustache. Plusieurs fois Isabelle a laissé tombé. Je me levais pour la suivre et le vendeur nous rattrapait à la sortie. A la troisième ou quatrième tentative de fuite, on ne s'est même plus levé de la banquette, car, nous savions pertinemment qu'il allait revenir à la charge avec de nouveaux modèles. On faisait maintenant dans le non étiqueté.
- Pour trouver moins cher, faudra aller acheter le tapis chez Conforama! ironisa le vendeur.
Isabelle rétorqua qu'elle aurait au moins l'avantage de s'épargner le transport.
- Elle est dure, ta gazelle, me confia-t-il en faisant le tour de la banquette avant de filer au fond du magasin puiser dans la réserve.
Il en revint chargés d'une dizaine de tapis de tailles acceptables et au prix doux pour notre bourse. Pour les plus grands, il conseillait tout simplement de les couper aux ciseaux.
Je trouvais le jeu amusant et instructif et suivait avec jubilation les opérations depuis le début. .
Isabelle et le vendeur ont trouvé un compromis acceptable sur un modèle de dimension bâtarde qu'il nous faudrait réduire sur la longueur en le pliant sans dénaturer les motifs rectilignes. Ils se sont déplacés à l'écart des indiscrets pour débattre. Un factotum, sûr de la vente, empaquetait déjà la marchandise. Le vendeur inscrivait des prix. Isabelle en prenait lecture, hochait du chef et ne lâchait pas le bout. Elle souhaitait régler en Carte Bleue sans frais. Le vendeur descendit encore son prix mais réclama un backchich en liquide qu'il lui demanda de garder sous silence.
Ils conclurent le marché en se tapant dans les mains. .
Tout le monde avait l'air de se réjouir de cette heureuse conclusion. J'en étais ému aux larmes. Selon la coutume, on salua l'événement par un verre de thé à la menthe.
La correction veut que l'on ne refuse jamais un verre de thé. A la rigueur au troisième on peut s'abstenir sans passer pour un pas poli. S'il est bouillant, il est chaudement recommandé, je ne sais pas trop pourquoi, de ne pas souffler dessus, mais d'ouvrir son pliant et de prendre son mal en patience en jouant au jacquet. Je n'ai pas eu besoin d'attendre le troisième verre, j'ai déjà bien eu du mal à en avoir un, tiède, que j'ai séché vite fait sur le comptoir.
Je ne crois pas à la malhonnêteté foncière des artisans des souks. Ils gonflent les prix, ce qui me semble de bonne guerre dans un pays qui vit essentiellement du tourisme. Libre à chacun de se plier aux règles de jeu de ce type de négoce, où à mon sens personne ne sortait perdant. Nous ramenions un tapis du Maroc, qui correspondait à nos goûts, au prix que nous nous étions fixé. Tout le monde y avait trouvé son compte, et je n'avais pas le sentiment d'être roulé, même s'il est probable qu'avec un Smith & Wesson en main on serait reparti avec un Rabat et la caisse.
1 commentaire:
Vos photos sont remarquables !
Il faut absolument que vous ouvriez un compte FLICKR.
C'est gratuit et trés agréable.
Mon Antoine reçoit de trés nombreux commentaires et c'est trés gratifiant !
sophie (des grigris)
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