vendredi 30 novembre 2012

Charles Dickens 1812-1870




                                            

 

Petits et grands installez-vous bien confortablement dans un fauteuil douillet, munissez-vous d’un bon livre et commencez le grand voyage que vous propose Dickens l’enchanteur..


Charles Dickens, l’un des plus grands écrivains victorien, est aujourd’hui une référence bien qu’il ne soit plus aussi lu qu’il a pu l’être au 19ème siècle. 2012 célèbre les 200 ans de la naissance de l’auteur d’Oliver Twist et de David Copperfield. Un auteur qui par son talent a transcendé son époque, sa langue et sa culture.


On ne peut d’ailleurs vraiment se rendre compte du succès de Dickens auprès de ses contemporains sans citer cette anecdote : Lors de la dernière livraison du roman "Le magasin d'antiquités (1841) en fascicule tirée à 100.000 exemplaires, (soit un exemplaire par groupe de dix familles pour une lecture publique), l’acheminement des exemplaires pour les lecteurs d’outre-Atlantique se fit par bateau. Au débarcadère de New-York des centaines de lecteurs s’étaient massés dans l’attente de la livraison de l’épilogue. Tandis que le bateau s’amarrait, certains lecteurs impatients ne purent s’empêcher de crier : « Est-ce que la petite Nell est morte ? »

Si grande est la célébrité de Dickens que les gens courent dans la rue, le dépassent et font demi-tour pour le croiser. Sa seconde tournée outre-Atlantique, en 1868, est un triomphe. Le Parlement et la vieille église de Boston sont repeints en rose, et les rues de la ville balayées deux fois en son honneur.



 


Issu d'une famille peu fortunée, Charles Dickens est né à Landport, petit faubourg de Portsmouth au sud de l’Angleterre, le 7 février 1812. Son père est alors chargé de faire la paye des équipages de la Navy. En 1815, la famille Dickens déménagea à Londres, puis à Chatham en 1817. En 1822, la famille revient à Londres et s'installe à Camden Town.





 


Il fait son entrée dans ce qui va devenir son royaume et s’installe avec sa famille à Bayham Street dans le quartier semi-rural et tranquille de Camden Town. Là, on trouve des prés peuplés de moutons et de vaches. La route menant de Camden Town au hameau de Kentish Town passe à travers champs, sans éclairage public, peu propice aux agissements des voleurs de grand chemin. « Il reçut dès le début de sa vie à Bayham Street, ses premières impressions sur cette lutte contre la pauvreté qui ne se manifeste nulle part de façon aussi éclatante que dans les rues ordinaires d’un banal faubourg de Londres » écrira son ami et biographe John Forster.





                                                                          Bayham Street

 


A cette époque Londres ressemble étrangement à celui de la fin du XVIIIème siècle. La ville n’a pas encore connu les grandes et nombreuses transformations de l’ère victorienne. Trafalgar Square n’est que l’emplacement d’une vieille auberge. Haymarket, le marché au foin, est le point de rencontre de fermiers apportant leurs produits à vendre. Il n’existe pas d’omnibus et Londres retentit du bruit des carrioles, des charrettes, des voitures de place, des fiacres et des vieilles diligences à quatre chevaux. Les rues sont le spectacle des combats de chiens et de coqs. Il y a le pilori et de nombreuses pendaisons publiques. Les rues à l’hygiène urbain des plus sommaires, grouillent de tavernes et de gargotes.


Le pont de Londres vu par Gustave Doré




En 1824, le père de Charles Dickens est mis en prison pour dette, à une époque où, au seuil de sa treizième année, le jeune Dickens, qui n’a pas fréquenté l’école depuis plusieurs mois, est employé chez un cousin fabricant de cirage. Dickens restera à jamais marqué par le souvenir humiliant de cette époque de désespoir. Le petit garçon parcours cinq miles pour aller à son lieu de travail et en revenir. Les trajets à pieds, la marche au hasard occupent une grande partie des années londoniennes du jeune Dickens. Il erre ainsi dans les rues absolument seul, observant sans cesse combien «majestueux et mystérieux» tout parait être. Même dans sa situation d’enfant perdu et solitaire il est inspiré par une solide foi dans le caractère merveilleux de chaque chose.





Prison vue par Gustave Doré


 


Le quartier entourant la fabrique de cirage – le Strand, Covent Garden, le pont de Blackfriards et le vieux pont de Londres lui deviennent rapidement familiers. Il découvre le long de la Tamise «une vielle maison branlante, délabrée donnant naturellement sur le fleuve et littéralement infestée de rats. Ses salles aux murs couverts de boiseries, ses parquets et ses escaliers pourrissants et les vieux rats gris qui grouillaient dans les caves, et le bruit de leurs petits cris grinçants et de leur galopades quand ils montaient l’escalier à n’importe qu’elle heure, et la saleté et la décomposition, tout cela surgit devant moi.» Cette antique maison le hanta. Elle devint la maison croulante de Nicolas Nickleby, « la maison à l’escalier obscure et boiteux » de Fagin dans Olivier Twist.



 

 

Sur son trajet quotidien surgissent dans la vie matinale de la cité, les employés et les garçons de bureau, les apprentis balaient les boutiques et arrosent les trottoirs, les domestiques et les enfants envahissent les boulangeries, les diligences rapides accomplissent leurs parcours réguliers. Entourés des cris de Londres clamés par tous ses vendeurs de petits commerces, il croise les bonimenteurs ambulants, les marchandes de quatre-saisons, les vendeurs de pommes de terre au four, de séneçon, de pâtés, de râpe à muscade, de colliers pour chiens, de lacets, d’allumettes chimiques et de peignes et de rhubarbe, les voleurs à la tire, les acrobates, les chanteurs noirs de sérénade. Il côtoie la pauvreté, la saleté, la crasse. Le brouillard, la brume, la fièvre, la folie.



illustration de Gustave Doré


Il finit par connaître la ville et ses habitudes en son ensemble. Les grandes artères bénéficient alors d’un nouvel éclairage au gaz. La flamme s’intensifie puis faiblie, jetant une lueur tremblotante sur les rues et prête aux maisons et aux piétons une qualité légèrement irréelle, théâtrale même. Parcourant ainsi ces rues, observant les passants, il crée des histoires tirées de sa propre détresse.

Illustration de Gustave Doré


Illustration de Gustave Doré



A son contact permanent Dickens peut imiter le bas peuple des rues de Londres dans toutes ses variantes, qu’il s’agisse du simples flâneurs, de marchandes de fruits et de légumes, ou de n’importe quoi.


Certains endroits vus par lui, s’imprègnent de sombres mystères où d’étrange enchantements. Ainsi la prison de Newgate, devant laquelle il passe souvent et qui exhibe les corps des condamnés récemment pendus. Un lieu de crime et de châtiment. Les prisons, les exécutions. Des monstres créés par la fange et qui en émergent doucement pour former les composantes de son imagination.


illustration de Gustave Doré 


La vie nocturne aussi le fascine. Il est particulièrement frappé par le monde de Seven Dials « Quelles visions désordonnées de prodiges de perversité, de dénuement et de mendicité ce quartier faisait-il surgir sur moi » .



illustration de Gustave Doré

Londres où les rues sont le lieu d’éclosion de la maladie et de toutes les formes de licence sexuelle. Les impasses et les buissons servent de water-closets; les rapports sexuels en pleine rues avec des prostitués ne sont pas rares et il suffit de lire des rapports de premières mains sur les débits de boissons et les quartiers « populaires » pour se rendre compte que de tous les divertissements offerts aux indigents, seul la sexualité était gratuite et constituait l’unique plaisir des pauvres.


Et tout en marchant, Dickens rumine et ses ruminations deviendront des impressions. Il méditera sur la misère vivant côte à côte avec le gaspillage. En vagabondant, il s’identifie aux êtres qu’il observe. Son génie réside dans une sympathie imaginative aussi puissante que le monde l’accable.


Les personnages de ses romans paraissent aussi fortement enracinés dans la ville que s’ils avaient été créés par elle, comme si les ténèbres de Londres s’étaient condensées pour se transformer en minuscule silhouettes vagabondes.




Jusqu'à 12 ans, il eut une enfance heureuse. Quand il eut 12 ans, il subit un traumatisme qui devait le hanter pour le reste de sa vie. Son père fut jeté en prison pour dettes, Charles connut l'horreur de la pauvreté, découvrit, pour l’avoir vécu, le sort terrible des enfants qui travaillaient dans les fabriques. Cette expérience personnelle lui permit d'écrire sur les pauvres et les malheureux avec tant de vérité que ses récits dramatiques touchèrent le coeur de millions de lecteurs. Grâce à cela, Dickens, le romancier le plus populaire de son temps, eu une influence déterminante sur les réformes sociales qui furent accomplies dans l'Angleterre victorienne. Après la libération de son père, ses souffrances ne s'arrêtèrent pas immédiatement. Il dut travailler encore plus de dix mois à la fabrique avant de pouvoir retourner à l'école. Son père prit toutes les dispositions nécessaires pour délivrer Charles de ses obligations mais, au grand effarement du jeune garçon, sa mère n'admit qu'à contrecoeur qu'il quitte son emploi rémunéré.





 



Dickens ne pardonna jamais à sa mère d'avoir essayé de le faire rester à la fabrique, et plus tard, la prit comme modèle pour la mère stupide et vaniteuse de son roman, Nicolas Nickleby. Charles fut ensuite envoyé trois ans dans une école publique avant de trouver un autre emploi, cette fois comme employé dans une étude d'avocats. Ce travail était ennuyeux, aussi Dickens se fit rapporteur à la Chambre des communes comme sténographe. A l'âge de 23 ans, il était devenu un journaliste connu et fut engagé par un quotidien, le Morning Herald. C'est un peu avant d'obtenir ce nouveau poste que Dickens commença à écrire de la fiction. En 1833, Dickens n’est encore qu’un petit journalise inconnu et besogneux. Il a écrit de temps à autre, pour son plaisir personnel de petits récits humoristiques, des esquisses de personnages et de lieux recueillies dans un carnet depuis son plus jeune âge. Il dépose l’un d’eux dans la boite aux lettres du Monthly Magazine à Fleet Street. Et lorsqu’en décembre il achète un exemplaire de la dernière livraison de ce périodique et y trouve imprimé son récit. Ce n’est pas la fortune assurée, puisque le directeur ne rétribue pas ses collaborateurs. Ceci dit il sollicite de nouveaux textes de la même plume et au même tarif. Dickens fournit cinq récits en 1834 et un conte en janvier 1835.





                                                       Illustration pour les esquisses de Boz





Finalement rémunéré, il en publie auprès de différents magazines plus d’une cinquantaine. En octobre 1835 un éditeur lui propose d’acheter le copyright des esquisses et récits qu’il avait fait paraître depuis deux dans divers périodiques pour les publier en deux volumes, illustrées par George Cruikshank.


Ces deux volumes paraissent en février 1836 réunis sous le titre "Sketches by Boz" Esquisses de Boz.



Dans la tradition des essayistes du XVIIIe siècle, ces « Esquisses » nous révèlent que Dickens fut un observateur original de la vie londonienne dont il décrit les aspects pathétiques ou grotesques dans des tableaux colorés et précis de la vie quotidienne. Ses contemporains apprécient autant que la vivacité de son style sa capacité d’enregistrement de la vie du peuple. Dickens découvre ainsi son grand sujet dans les scènes de foule, dans la rue, dans la vie des gens exceptionnellement liés les uns aux autres, pour le meilleur ou pour le pire et qui font partie de la ville surgissant comme une hallucination au milieu de ces premières esquisses. Les esquisses de Boz, dans sa version définitive publiée en 1839, contient cinquante-six morceaux, regroupés en quatre sections et subdivisés en chapitres : "Notre paroisse ", "Scènes", "Personnages" et "Récits".



Illustration pour les esquisses de Boz




Si ces textes de jeunesse sont marqués par l’inexpérience de leur auteur, John Forster ami et biographe de Charles Dickens affirme à propos des Esquisses de Boz qu’elles formaient « un livre qui aurait résisté à l’épreuve du temps même s’il n’y en avait pas eu d’autres ! » il ajoute que son auteur a nettement sous-estimé son premier livre en refusant d’y reconnaître les « premières manifestations vigoureuses de son génie », la drôlerie, la perception des caractères, l’observation des détails, la vérité du tableau, du sentiment, du pathétique et l’aisance de conduite de la description ou du récit. En outre le livre contient à l'état embryonnaire toute l'œuvre future de Dickens : comédie, sentiment, respect pour la vitalité des personnages, pour stupides ou limités qu'ils soient, don admirable des transformations linguistiques frappantes, notion d'un déterminisme social irrésistible par lequel le milieu urbain cause le triste sort des malheureux qui y vivent.




La parution en fascicule des aventures de Monsieur Pickwick

Les esquisses de Boz eut un succès immédiat.  La grande vogue est la publication de planches accompagnée d’un texte. Robert Seymour est l’un des plus réputés illustrateurs de l’époque. Sur une série de planches concernant les aventures burlesques de membres d'un "Nemrod Club" il demande à Dickens de les accompagner d’un texte humoristique. Dickens se paye le luxe de dire oui mais en faisant à la direction la proposition inverse : j'écris, et Seymour illustre. C'était en 1836, Charles Dickens avait vingt-quatre ans.
 C'est ainsi qu'apparu sous forme de feuilletons sur 20 mois, les Aventures de M. Pickwick.

 


Ce « roman » est un récit satirique des aventures d’un personnage naïf, mythomane et mégalomane, de son domestique Sam Weller et du club d'excentriques qui les entourent.






                                                             Illustration pour Mr Pickwick




La carrière de Dickens est lancée. Après les humoristiques « Aventures de M. Pickwick, Dickens » persista dans la voie romanesque avec « Oliver Twist » en 1838 et « Nicolas Nickleby » en 1839.






                                                    Illustration pour Nicolas Nickleby




Ces sortes de contes, bâtis autour d'un personnage central souvent autobiographique, mettent déjà au jour certains aspects de l'exploitation des plus faibles, et tout particulièrement des enfants. Avec « le Magasin d'antiquités » en 1840, c'est encore le destin tragique d'une fillette qui permet à l'auteur de dénoncer avec compassion le caractère définitivement inhumain du monde industriel.






                                                       Illustration pour Oliver Twist






Dickens parvient aussi à approfondir son analyse sociale et psychologique. Parmi ces oeuvres, « Dombey et fils » publié en 1848 est un portrait acide de cette bourgeoisie dont la fortune s'est bâtie sur l'industrie. Mais il faut surtout retenir son oeuvre majeure, « David Copperfield » publié en 1849. Ce récit autobiographique qui montre le Londres laborieux et misérable vu par les yeux d'un enfant, reste le plus célèbre et le plus lu des romans de Dickens.








                                             Illustration pour David Copperfield




Son humour et sa gentillesse lui valaient une grande popularité. Homme sincère, d'une grande humanité, il profita de son immense célébrité, sans jamais devenir prétentieux.

 


Dickens était également directeur d'une compagnie théâtrale qui joua devant la reine Victoria en 1851. Cependant, tous ses succès ne purent jamais compenser le traumatisme initial de son enfance, ni ses problèmes privés. Sa passion pour une jeune actrice, Ellen Ternan, le conduisit à quitter son épouse et leurs dix enfants en 1858.



                                     Illustration pour le mystère d'Edwin Drood


Charles Dickens faisait régulièrement des conférences où il lisait avec passion et énergie ses oeuvres, ce qui affaiblira son état de santé. Epuisé, il se retire à la campagne en 1870 pour ce qui devait être son dernier roman « le Mystère d'Edwin Drood ». Surmené, il mourut le 9 juin d'une apoplexie laissant le mystère irrésolu. La mort de Dickens attrista le monde entier qui aimait et admirait son génie de romancier. Le poète américain Henry Longfellow écrivit : « Je n'ai jamais vu mort d'écrivain causé une telle affliction... Le pays tout entier est en deuil. » Il est enterré au coin des écrivains dans la Cathédrale de Westminster.

                                             Westminster, le coin des poètes


Aujourd'hui, les livres de Dickens font partis de ceux les plus traduits au monde (en 68 langues) et passionnent encore des millions de lecteurs.


Charles Dickens 



Oliver Twist, Le livre de poche, Folio
Contes de Noël, Folio
Les grandes espérance, Folio
David Copperfield, Livre de Poche, Folio
Temps difficiles, Folio
Esquisses de Boz, editions de l'ombre.
Un conte de deux villes, Folio

L'intégrale de l'oeuvre romanesque de Dickens est éditée dans la collection La Pléiade chez Gallimard.

- Souvenirs intimes de David Copperfiel, les Grandes espérances.
- Les papiers posthumes du Pickwick Club, Oliver Twist.
- La maison d'Apre-vent, Récits pour Noël et autres.
- Esquisses de Boz, Martin Chuzzlewit.
- L'ami commun, le mystère d'Edwin Drood.
- La vie et les aventures de Nicholas Nickleby, Livres de Noël.
- Dossier de la maison Dombey et fils, Temps difficiles.
- Le magasin d'antiquité, Banabé Rudge.
- La petite Dorrit, Un conte des deux villes.



jeudi 29 novembre 2012

Tout va bien se passer !

Marcel Duchamp : Fontaine; 1917



Au rez-de-chaussée de là ou je travaille nous avons deux cabinets d’aisance, autrement dit des WC. Un gars, une fille. Ouais, on a préféré opter pour la parité plutôt que la mixité. Mais on avance vers la mixité. Les chiottes des filles sont autant dégueulasses que ceusses des garçons. C’est une grande victoire sociale. Bon alors deux chiottes. Dans les chiottes des garçons, il y a deux urinoirs Marcel Duchamp à l’air libre et deux cuvettes Jacob Delafon en local clos.
Déjà, je ne comprends pas pourquoi les Marcel Duchamp sont côte à côte dans un angle. Parce-que en général il n’y a pas de service de proximité. Quand un type entre dans les toilettes et que tu es déjà au Marcel, c’est rare qu’il vienne se coller pas loin pour tailler une bavette. Où alors, c’est qu’il me connaît depuis des lustres et qu’il craint d’avoir à me serrer la main avant que j’ai eu le temps de me les laver. Prudent, le mec. Moi aussi, d’ailleurs. Parce qu’il y en a qui confonde tes mains et un essuie main. Vous suivez ? J’espère parce que moi, je me comprends. Pis quand t’es au Marcel, t’aimes bien rester seul avec toi-même, des fois que le gêneur jetterait un coup d’œil par-dessus ton épaule pour mettre à jour sa fiche de statistique pour compléter ton dossier Edwige.
S’enfermer dans les WC reste donc toujours associé à un grand moment d’angoisse et de solitude. Si sans méfiance on s’aventure seul et avec détermination en local aveugle on peut avoir bien des surprises. D’emblée rien qu’à l’odeur tu cherches s’il n’y a un rat mort en putréfaction qui flotte dans la cuvette. Et à la place du rat, tu découvres les traces de pneus d’un trente tonnes accidenté avec remorque sur une route verglacé. Et ça fait peur, les routes verglacées avec un trente tonnes fracassé dessus De plus, s t’as pas mis ton gilet fluorescent et installé de triangle, ça craint. Avant qu’on te verbalise, tu rebrousses chemin fissa. C’est le fissa justement qu’attendait Dugenoux pour lui aussi s’aventurer en Terra Incognita pour y faire comme toi son caca. Et Dugenoux, lui aussi, sent le rat crevé à plein nez et à son regard de maloude, tu subodores qu’il te prend illico expresso pour l’assassin du dit rat crevé. Alors tu t’enfermes, les larmes aux yeux, pour faire bien comprendre à Dugenoux ben que non, c’est pas toi qui sors des chiottes mais qu’en dépit du rat crevé, tel Indiana Jones tu affrontes le danger. Et en plus tu gueules à travers la porte « Ah les salauds ! Pourrait nettoyer après avoir chié, quand même ! » question de bien insister sur le « Putinssapumécépamoikéféssa ». Bref t’es dos à la porte avec devant toi les dégâts du trente tonnes avec remorque pas évacué. Ce n’est pas ta première scène de crime, mais t’as toujours autant de mal à t’y habitué. Surtout à cause de l’odeur. Alors tu vitupères, tu invectives, tu te courrouces le couscous quand tu constates en plus du trente tonnes avec remorque que le voleur de brosse à dents de cheval à encore frappé. Alors là c’est l’ostéoporose. En fin de compte tu as dit entre tes dents : « c’est le pot aux roses » mais tu l’as fait glisser tellement vite entre tes lèvres que tout le monde à compris autre chose, même moi, et on se demandait ce que l’ostéoporose venait faire dans ton histoire. Tu hésites entre gerber ou pleurer. Les deux peut-être ! Tu te contentes de respirer bien fort. « Mais qu’est-ce qu’il en foute, bordel, des brosses à dents de cheval ? » tu te dis. Parce-que toi, ça te viendrait pas à l’idée d’aller la chourer cette putain de brosse à dents de cheval, vu que tu en as besoin pour évacuer les déchets du trente tonnes et de sa remorque. Ben, y en à si. Et ce n’est pas discret comme truc une brosse à dents de cheval. « Komenkifon ? » tu gémis. Tu comprends mieux maintenant l’expression : « l’avoir dans le cul la balayette » parce qu’il n’y a pas d’autre moyen pour sortir l’objet du larcin. Et faut se la mettre profond parce qu’elles sont en alu avec protection pour la garde comme sur les épées suivi d’un manche. Faut être vicieux quand même pour s’enfiler trente centimètres d’alu dans le rectum avec la garde et le manche. Ça laisse même rêveur sur les prouesses du genre humain. Encore un truc qui restera dans les annales genre livre des records.
Le monde n’a pas fini de te surprendre et on finit par se faire à tout. Mais tu n’as pas que ça à foutre à rester dos collé au mur de la porte. Tu as du boulot ! Pis faut te faire une raison, après Dugenoux, il y’ en aura un autre et encore un autre et encore un autre. Tu ne vas tout de même pas rester planté là toute la sainte journée à gémir accablé par le doute, la culpabilité et la honte ? Faut y aller, mon petit bonhomme. Faut te forcer ! Alors c’est là que tu prouves que le genre humain est plein d’ingéniosité. Tu te démerdes comme tu peux, et nous ne dévoilerons pas comment tu t’y ais pris pour nettoyer la cuvette. Tu conserves ça pour le brevet du concours Lépine. Et tu as bien raison, ami. A chacun son truc et son mérite. Ca y est, c’est propre. Tu respires. Tu vas pouvoir enfin vaquer à tes petites affaires. Alors tu tombes culottes et vrac tu te retrouves avec tes chevilles à hauteur des oreilles. Tes Chaussettes sont bonnes pour la poubelle et tes chaussures mériteraient bien un petit coup de brosse. Mais ce n’est pas le plus grave. La cuvette est froide et surtout profonde. Tu sens même le contact de l’eau sur tes fesses blêmes chairdepoulisées. Tu as beau onduler du pelvis tel Elvis, la position inconfortable de ton bassin t’empêche tous mouvements. Toute ta personne t’enjoints à appeler au secours pour qu’on t’extirpe de la cuvette. Mais tu es accablé de honte rien qu’à l’idée d’être délivrée dans un tel appareil. Alors tu fermes ta gueule. Dans le cul la balayette, O.K. mais l’abattant ! Comment font-ils pour l’abattant ? C’est pas le genre dégonflable, ni pliable un abattant. Faut être équipé au moins d’un sac de sport. Et aller aux chiottes avec son sac de sport ça passe pas inaperçu quand même. Tu médites sur la chose. Et c’est là qu’on frappe à ta porte. Tu regardes vite fait ta montre. A cette heure là ce ne peut pas être le facteur où les éboueurs pour les étrennes. T’es obligé de prendre ton courage à deux mains : « Céki ? » - « C.H.S.C.T ! » hurle quelqu’un derrière la lourde. Tu tends la main pour déverrouiller et ouvrir la porte avec la pointe du pied. Alors les membres du C.H.S.C.T font irruption en brandissant leur badge : « Dont’ Move ! Contrôle des lunettes ! Contrôle des balayettes et du papier toilette ! Et toi, t’es comme un con, coincé dans la cuvette, les pantalons sur les genoux et les bras en l’air pour éviter de te faire descendre. Une bavure dans les chiottes, tu connais. « Pourvu qu’il n’arrive rien » tu souffles. Tu penses à Kafka. Tu penses à la Métamorphose du même Kafka. Tu penses « j’irais faire Kafka sur vos tombes ! » Tu ne sais plus. Cool, man. Tout va bien se passer. Cool, tout va bien se passer…..

vendredi 23 novembre 2012

Barbara : La grande dame brune


Image du Blog lameretlamour.centerblog.net


"La grande dame Brune et moi" par Papou
Une rencontre
C’était une époque où nous n’avions pas grand chose et vivions d’encore moins. Le dimanche nous nous levions tôt, prendre le bateau et traverser le rade et le goulet de Brest jusqu’à Camaret. Quel que soit le temps, la journée s’écoulait à regarder la mer. Une heure avant le dernier passage, nous partagions une crêpe en guise de repas du soir. L’amour ne nous coûtait guère, bien moins que les livres de poche que nous lisions au lit pour nous garantir un peu du froid. Seul un poste à transistors nous reliait encore au monde. Partager nos joies avec nos proches demandait de descendre armés de pièces dans une cabine au coin de la rue pour téléphoner, en attendant des jours meilleurs afin de remonter en train à la capitale y passer quelques jours. C’est dire si les nouvelles technologies ne nous encombraient guère. Nous ne nous en portions que mieux. On nous avait prêté un magnéto à bandes, avec pour seule et unique bande l’intégrale Barbara de 1962 à 1970. Ainsi s’est écoulée notre vie un an durant en compagnie de la dame brune.

Et je souviens de Barbara quand la pluie battait le carreau. Je me souviens de cette voix claire, émouvante, fragile et forte qui montait crescendo en dedans de nous. Je me souviens ce piano noir, imaginé longtemps dans un coin de la pièce avec la belle dame brune qui jouait et pleurait la vie tout pour nous des heures durant. Barbara. La dame brune. Le piano noir. Inoubliables. Je me souviens : « Je ne suis pas une grande dame de la chanson. Je ne suis pas une tulipe noire. Je ne suis pas poète. Je ne suis pas un oiseau de proie. Je ne suis pas désespérée du matin au soir. Je ne suis pas une mante religieuse. Je ne suis pas dans les tentures noires. Je ne suis pas une intellectuelle. Je ne suis pas une héroïne. Je suis une femme qui chante.»

Il pleuvait sans cesse sur Brest. Je me souviens de Barbara. Et chaque fois que je l’écoute, la même émotion m’étreint. Je me souviens de cette ville si triste ou une brise de mer nous assaillait soudain, et le froid nous prenait en traversant Recouvrance où pourtant nous étions heureux.



Un rendez-vous

Lors de notre retour à Paris nous sommes allés voir Barbara. La chose avait été promise de longue date et la table retenue depuis maintenant trois semaines. Elle aimait Barbara et je ne demandais qu’à partager sa passion. Comme je n’avais pas un fifrelin et portait des sapes de loqueteux, j’ai traîné ma peine boulevard Barbès. Les vitrines affichaient slogans accrocheurs et prix modiques. Le chevron me semblait indémodable. Je me suis laissé tenté par un costume de couleur indéterminé dont le vendeur, à l’humour pince sans rire, m’affirma qu’il m’allait à ravir. Les affaires allaient-elles donc si mal pour qu’il se montre aussi obséquieux à mon égard ? Le pantalon tirebouchonnait et le rendu arrière de la veste baillait de façon disgracieuse quand je la fermais. Seul avantage en sa faveur : le prix. Je cédais donc à l’appel des sirènes, complétais ma garde robe d’une chemise pastel, déjà froissée d’impatience, et m’acquittais de mes achats.

Les retouches n’y changèrent rien. «Costard Pochon, t’as l’air d’un con.» Un slogan qui tient toujours ses promesses. En dépit du repassage à sec, un mauvais lainage reste un mauvais lainage. Un mauvais lainage qui pochait désespérément aux coudes et aux genoux. A moins des rester en permanence debout les bras ballants. Et encore. Les accessoires outranciers ajoutaient au ridicule. Mon double manquait cruellement d’élégance. Il ne manquait plus qu’une mauvaise eau de toilette pour rajouter une touche de mauvais goût. J’y remédiais derechef. Parfait.

Il pleuvait ce soir là. Nous sommes descendu à la station Palais Royal et avons rejoins l’avenue de l’Opéra. C’était la première fois que je me rendais à un dîner spectacle. Elle aussi. Dès le seuil franchi, le premier passage obligé fut le vestiaire. Parmi les manteaux chics et sombres, nous laissâmes son manteau clair, ma serpillière, et un parapluie que personne ne nous volerait jamais. La salle était petite. Elle pouvait accueillir tout au plus une centaine de personnes. Deux longues tables dressées sur les côtés la rétrécissaient encore plus. A voir ces femmes en lamés et ces hommes en smoking j’ai senti que je n’étais pas à ma place mais il était trop tard pour reculer. Bien entendu il n’y avait qu’une table au centre et ce fut la notre. A notre entrée les regards se sont portés sur nous. Nous faisions sensation. Certainement la couleur poireau pomme de terre de mon costume Pochon, ma chemise poussin albinos, ma cravate et ma pochette aussi cramoisi que ma gueule, le tout assorti aux chaussettes. Avec les pochons aux genoux, mon pantalon avait bien perdu dix centimètres de longueur, juste question de laisser admirer la qualité du fil d’Ecosse de mes chaussettes agonisantes sur mes chevilles. Mon portefeuille faisait sailli dans ma poche. Sans compter celles du pantalon bourrées d’accessoires tels des bajoues de hamster. La grande classe. Elle me précédait en robe claire à godets et chaussée de bottes blanches. Aidée par un bellâtre qui ne nous quitta plus de la soirée elle s’assit à ma gauche tandis que je me jetais sous ma chaise question de tenter de passer inaperçu. Rien n’y fit. Bien heureusement rapidement les habitués nous oublièrent. Sauf le bellâtre toujours disposé à nous rendre service. M’allumer ma clope, me servir du vin, lui servir de l’eau, nous couper la viande, m’essuyer la bouche, me faire les ongles. Nous foutre la paix, non. Il était payé pour nous faire chier et je dois admettre qu’il fit bien son boulot. Rien à lui reprocher. Il faisait chaud. Nous prime un rafraîchissement au prix d’un réfrigérateur. La soirée s’annonçait belle. Je la voyais heureuse. Je l’étais donc aussi. Nous étions très bien placé. Sans avoir le bras long, je reste assuré qu’en le tendant bien, je pouvais griffer le vernis du piano du bout de ma fourchette. Je ne m’y suis pas aventuré. C’était juste question de dire.

En première partie, nous eûmes droit à Yvan Dautin et Pierre Vassiliu. De quoi attaquer les entrées et le plat, une volaille aux cerises pas vraiment morte que ma fourchette chatouillait de temps à autre pour la faire rire. Je rangeais mon mikado en os sur le bord de l’assiette, suçait les cerises et épongeais la sauce. Rien d’extraordinaire à faire à la maison mais à un dîner spectacle, cela restait une autre affaire. Ah! il devait bien se marrer le bellâtre à me voir tel un bretteur en découdre avec la volaille pas morte.

A l’issu du combat, Vassiliu retourna dans sa loge. J’abandonnais la dure en cuisse. Nous fîmes une pause. Faute de clopes, je commandais un paquet au prix d’une cartouche. Radical contre le cancer du poumon. On amena alors le dessert. Un truc indéfinissable avec des pailles des parasols des cerises, du citron, des fruits confits et de la chantilly. Un objet d’art, quoi ! C’est à ce moment que nous sommes retrouvés dans le noir une fraction de secondes jusqu’à la venue de la longue dame brune. Sous les applaudissements, elle s’est installée au piano à un vol de pintade de mon assiette. Elle s’est mise à chanter. Normal, elle était là pour cela et on était venu pour. Au prix ou je payais il aurait plus manqué qu’elle nous fasse des ombres chinoises ou un numéro de prestidigitatrice. C’est vrai qu’on était prêt aussi. Pas la peine de brailler et taper comme un sourd sur son piano. J’entendais parfaitement bien. J’ai même failli m’esbigner un œil avec ma petite cuiller. Comment, je respecte rien. Barbara, d’accord ! Faire plaisir, d’accord ! Mais ce sont mes oreilles et mon pognon, tout de même. Pis je sortais de deux années de désert culturel. Tout ça pour apprendre qu’il pleuvait sur Nantes, avouez qu’une fiche météo m’aurait suffi. Pourtant, je dois sincèrement avouer que je me laissais rapidement gagner par le charme de la grande dame brune. je dois même reconnaître que je fus littéralement sous le choc avec une Barbara intime et possédée. C’est bien simple, je n’avais d’yeux que pour elle. Je mangeais mes clopes, fumait ma chantilly. Ecrasais ma clope dans la chantilly. Embrassait le bellâtre. Le grand jeu. Et quand j’aime, je ne compte pas. A l’entracte, je commandais un alcool au prix d’une distillerie que je consommais d’une glotte gustative jusqu’au final explosif.

A la fin des applaudissements, alors que la longue dame brune disparaissait dans une brume légère derrière le rideau rouge, que les lumières étaient encore tamisées, le bellâtre qui ne perdait jamais une occasion de rire me glissa discrètement la note qu’éclairait la lueur vacillante d’une maigre bougie en fin de vie. Je m’y attendais, mais quand même. Ma pâleur fut mise sur le compte de l’émotion. Voir Barbara, manger un pintadeau aux cerises et mourir. Mon CCP aurait été du plus mauvais effet. De toutes les façons, il ne s’en serait pas remis. Je réglais rubis sur l’ongle, faute de monnaie, laissait un pourboire royal et nous filâmes rejoindre la cohue aux vestiaires récupérer son manteau et ma guenille. Toujours faute de monnaie, je réglais gracieusement le vestiaire sans pouvoir conserver en souvenir les cintres en plaqué or. Paris est certes trop petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour. Mais la banlieue est lointaine pour ceux qui à pied doivent rentrer se coucher. Le taxi de rigueur, je ne vis pas un brin de la route, l’œil rivé sur le compteur qui avalait mes derniers francs. Je la laissais à sa porte dans la froidure d’un matin de décembre. Elle me proposa fort gentiment de conserver le taxi jusque chez moi. Je doutais que le prix de la course ne dépasse pas les cinquante centimes qui me restaient en poche. Je n’en fit donc rien. D’ailleurs, rentrez à pied me ferait le plus grand bien. Et puis c’était encore gratuit. Alors, autant que j’en profite.

Sous l’autoroute à hauteur du carrefour de Rosny une meute me tomba dessus à bras raccourcis. Je pus constater la mauvaise tenue du costard Pochon et de ma serpillière secoués l’un et l’autre avec ma pomme dedans en compote. Dans le flou de bougé qui s’ensuivit je pus quand même reconnaître un des membres de la bande scolarisé avec moi du CP jusqu’en classe de Fin d’études orientées. Le conseiller d’orientation ne s’était pas trompé. Rien à en tirer. Hormis cinquante centimes, une montre au bracelet fatiguée, mon paquet de clopes au prix d’une cartouche et quelques appels au secours laissés sans réponse, rapidement réprimés par quelques gifles musclées. Ma connaissance mit fin à l’altercation. J’y laissais quelques coutures, mes cinquante centimes et mes clopes. Lessivé je gagnais ma tanière bien décidé à hiberner derechef. De toutes les façons, je n’avais plus un centime, plus de clopes ni de costard. Restait du bleu à l’âme et l’inoubliable Barbara. De quoi occuper une vie. Barbara ne m'a plus quitté.

mercredi 14 novembre 2012

Dickens et le crime


Illustration pour Oliver Twist



En cette année 2012 qui marque le bicentenaire de la naissance de Charles Dickens, la Bibliothèque des littératures policières rend hommage au plus grand romancier anglais en proposant une conférence sur « Dickens et le crime ».

Le crime est une réalité omniprésente chez Dickens, aussi bien dans son œuvre de journaliste que dans son œuvre de fiction – surtout si l’on prend le mot « crime » dans son acception anglaise qui englobe toute une gamme d’activités portant atteinte à la société, allant du simple délit à des gestes aussi graves que le meurtre.
On s’interrogera sur l’origine possible de cet intérêt pour le crime, les criminels et les prisons. L’expérience personnelle y a sans doute sa part, mais c’est aussi une réaction à un phénomène de société qui touche spécialement l’Angleterre victorienne.
Enfin, on s’intéressera au traitement littéraire du thème, notamment dans trois romans représentatifs à cet égard : « Oliver Twist », « La Maison d’Âpre-Vent » et « Les Grandes espérances ».

Le conférencier, Alain Jumeau, professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne, est spécialiste du roman britannique du XIXe siècle, auquel il a consacré de nombreuses études et traductions.



Samedi 1 décembre 2012 à partir de 16h
Samedi 1 décembre 2012 à partir de 16h

Bibliothèque des littératures policières (BiLiPo)
48 rue Cardinal Lemoine, 75005 PARIS