jeudi 25 février 2010

Alain, mon poulos.

Je devais avoir à peu près cette trombine à l'époque où je l'ai connu sans me rappeler très exactement la date. Nous ne nous sommes pas quittés pendant des années. Plus de quarante ans ont passés. A chaque évocation d'une part de mon adolescence, son image refait surface. Et souvent je me suis demandé ce qu'il était devenu. J'ai tapé bien des fois son nom sur le clavier de mon ordinateur sans résultats probants ou associés à des résultats fantaisistes. J'ai même fait une recherche négative par l'intermédiaire des pages blanches dans tous les départements limitrophes de Paris. Etait-il sur liste rouge ? Etait-il parti s'installer en province ? j'ai même pensé avec tristesse à l'irrémédiable.
A la création de ce blog, lors de l'écriture de billets propres à mon adolescence, son ombre est venue amicalement se pencher souvent sur mon épaule. Il reconnaitrait surement certaines anecdotes et des disques que nous avons partagés. Il a accompagné bien des jours de tristesse et de joie. Puis nos vies se sont séparées, allez savoir pourquoi. Et puis qu'importe, nous ne nous devions rien si ce n'est de petits instants de bonheur partagés. C'était déjà beaucoup.
Son nom s'est inscrit automatiquement sous mes doigts l'autre jour. Magie du net. Hasard ou coincidence. D'une piste à l'autre j'ai retrouvé sa trace. Le CEC Georges Elie à Bondy fut le révélateur.
Le lien ténu de notre jeunesse ne tient maintenant qu'à ces dix chiffres qu'il m'a communiqué. Je dois l'appeler. Je me sens comme un enfant étouffé par l'émotion.

Les naufragés du Fol espoir

Le grand foyer du théâtre, où la troupe accueille toujours le public une heure avant la représentation, est en voie de transformation complète. Les frises de bouddhas méditatifs ont laissé place à une imagerie début de XXe siècle, droit sortie des gros volumes de cuir rouge des Voyages extraordinaires de Jules Verne aux éditions Hetzel. Au mur, les affiches promettent "de l'aventure, de l'inconnu, du danger, de l'amour...". Ariane Mnouchkine a fêté en 2009 ses 70 ans et les 45 ans de sa compagnie. Son Théâtre du Soleil est la troupe française la plus connue dans le monde. Ses créations mythiques, de 1789 aux Ephémères, en passant par L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, sont entrées dans l'histoire du théâtre. Mais, à chaque nouveau spectacle, Mnouchkine la flamboyante recommence tout, réinvente tout, et surprend. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle intrigue, avec cette nouvelle création intitulée Les Naufragés du fol espoir. "Eh oui, après Les Ephémères, j'étais partie pour refaire un cycle Shakespeare, s'amuse-t-elle. J'avais surtout envie de monter Macbeth, pour des raisons politiques évidentes, et très contemporaines. Mais je me suis rendu compte que pour parler vraiment d'aujourd'hui, j'étais obligée de tordre Shakespeare : le monde politique actuel, quels que soient sa férocité, son cynisme, n'est pas celui de Macbeth. Et je suis tombée sur ce roman méconnu de Jules Verne. C'était exactement la fable qu'il nous fallait, pour travailler sur un certain sentiment du présent : ce désenchantement prophétique qui semble devenu le seul horizon." Ce mystérieux roman posthume de l'auteur de Vingt Mille Lieues sous les mers, terminé et publié par son fils en 1909 sous le titre Les Naufragés du "Jonathan", conte l'histoire de migrants - ouvriers, artisans, entrepreneurs, intellectuels... - qui partent pour l'Afrique, et échouent sur une île après le naufrage de leur bateau. Pour Ariane Mnouchkine, la fable offrait l'occasion de repartir d'une époque de "fol espoir", ce tournant du XIXe et du XXe siècle "où tout s'invente, dans une formidable croyance dans le progrès : l'électricité, le téléphone, le cinéma, les avions, les sous-marins, Freud, Marx... Tout est là pour que le monde devienne tel qu'il pourrait être, et ce n'est pas le cas. Ce formidable espoir subit un premier coup d'arrêt avec la guerre de 14-18, qui ouvre la porte du désenchantement. J'ai eu envie de nous plonger juste avant ce coup d'arrêt, pour voir ce qui pourrait être retenté aujourd'hui." Ariane Mnouchkine a demandé à Hélène Cixous, compagne de route du Théâtre du Soleil depuis Norodom Sihanouk et L'Indiade, dans les années 1980, d'adapter la fable pour le théâtre. La troupe, parallèlement, a inventé une "histoire dans l'histoire" au gré des improvisations menées sur le plateau. La fable, très fidèle à Jules Verne sur le fond, se réinvente avec de nouveaux personnages. Mais la directrice du Théâtre du Soleil assume entièrement la dimension de roman d'aventures de ces Naufragés. Plus que jamais, Ariane Mnouchkine, qui a toujours gardé inscrite au fronton de son théâtre la devise de la République française, "Liberté, Egalité, Fraternité", veut créer un spectacle populaire "et joyeux ! De cette gaieté dont Ninon de Lenclos disait qu'"elle donne de la force"". "Pourquoi ne pas refourbir les armes de l'idéal ?, conclut une Mnouchkine chez qui rien, même la morosité ambiante, ne semble pouvoir entamer l'ardeur à combattre et à créer. Cette fameuse devise "Liberté, Egalité, Fraternité", est-ce que c'est vraiment moisi ? On essaye de nous le faire croire. Et on rit d'un rire destructeur. Mais il y a aussi un autre rire, rénovateur, revivifiant. Ce serait bien que nous arrivions à redonner de la fraîcheur à certains mots, à certains désirs, à certains rêves." "Les Naufragés du fol espoir (Aurores)", une création collective du Théâtre du Soleil, mi-écrite par Hélène Cixous, d'après Jules Verne. Mise en scène : Ariane Mnouchkine. Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ-de-Manoeuvre, Paris-12e. Mo Château-de-Vincennes, puis navette. Tél. : 01-43-74-24-08. Mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30, samedi à 14 heures et 20 heures, dimanche à 13 heures, jusqu'en juin. De 14 € à 25 €. Durée : 4 heures, avec un entracte.

mardi 23 février 2010

Jacques Higelin : Coup de foudre

On danse beaucoup sur ces nouveaux titres réunis sous le titre "Coup de foudre". C’est sans doute parce qu’ici l’idée, d’emblée, a été de monter un groupe, LE Band, et d’enregistrer en studio comme en "live". Ce studio, un immense grenier ouvert, se prête à merveille à ce genre d’approche très 70’s où les musiciens enregistraient ensemble et pas les uns après les autres comme souvent maintenant. "Jacques s’est retrouvé très libre, donc, comme il l’est sur scène et on a construit ensemble, autour de ses musiques et de ses mots", déclarent ses réalisateurs, Rodolphe Burger et Dominique Mahut. Cela supposait d’être entouré de très bons musiciens : Geoffrey Burton, Alberto Malo, Erik Truffaz, Marcello Giuliani, Julien Perraudeau… "Avec eux se sont construits douze vaisseaux autour de Jacques. Mille tours de manège enchanté, le réel et son double : sans filet, à fond, en joies." Musicien éclectique, Jacques Higelin est capable de passer du piano à l’accordéon, de l’harmonica à la guitare… Le titre Alertez les bébés, issu de l’album du même nom (1976), donne toute l’étendue de son talent : dix minutes et huit secondes avec pour seuls instruments sa voix déchirée et son piano. Un morceau à mi-chemin entre le blues et le rock.
Da la belle ouvrage pour cet éternel gamin de 70 ans.
Jacques Higelin - Coup de foudre - Interview envoyé par SFRmusic. - Regardez la dernière sélection musicale.

dimanche 21 février 2010

Charles Dickens par Peter Ackroyd

Quelle monumentale biographie que celle de Charles Dickens par Peter Ackroyd, traduite par l'un de ses grands spécialistes, Sylvère Monod. Une biographie en ma possession depuis sa parution et dont j'avais tourjours remis la lecture à plus tard de peur de m'encombrer de cette vie exceptionnelle au format et au poids d'un dictionnaire encyclopédique. Le métro ou l'autobus aurait été prohibé et la digestion contrarié par le poids du volume sur l'estomac. Puis je me suis lancé. Et avec quel bonheur. "Le grand Charles était petit, fluet, «beau comme un papillon», selon Thackeray, son rival. Les yeux perçants, portant bijoux et se recoiffant dans les dîners; obsédé par les questions matérielles, mais philanthrope; excursionniste casse-cou, marcheur impénitent; remarquable journaliste, acteur consommé et le plus brillant lecteur de son siècle: tels sont quelques-uns des traits de l'aîné des romanciers victoriens, Dickens, peint par Peter Ackroyd. Liqueur forte, à consommer frappée, un livre étincelant et épais de l'été - est dû à un bourreau de travail, un peu médium comme son modèle, et à son héroïque traducteur.
Seul l'écrivain anglais, âgé de 40 ans, qui larde ses ouvrages d'une science du passé à faire pâlir un chartiste, l'auteur du «Testament d'Oscar Wilde» et de «Chatterton» pouvait hisser la biographie à ce degré de perfection. Sans non plus être effrayé par la monumentale carrière d'un génie hors normes, au caractère «disparate», que ne cessa d'inspirer le monde environnant et dont l'oeuvre parvint en retour à «le changer et à le récrire».Le levain qui fait monter la pâte de ces trente-cinq chapitres (et sept interludes) est bien l'osmose continuelle entre un homme et son temps. Observateur minutieux, doué, de surcroît, d'une mémoire d'éléphant, Dickens «récupère» toutes les impressions vécues. Il les étire, parfois à des années de distance, les décloisonne de livre en livre, au point que Chesterton a pu parler à son endroit de «production continue». Peter Ackroyd organise cette nuée de «bagatelles» en un tissu serré, trame sociale intriquée dans l'expérience d'un écrivain dont les prémonitions finiront souvent par se concrétiser. Après l'intrusion de la vie dans l'art, ce dernier prendra sa revanche et commencera à affecter la vie du romancier «en une fécondation croisée».Un père sous les verrous pour dettes et le labeur à 8 ans dans l'entrepôt de cirage où il colle des étiquettes: rien, jamais, n'exorcisera l'enfance douloureuse de celui qui naquit en 1812. Mêlés aux hallucinants rapports d'hygiène de l'époque, les fantômes du passé inclineront Dickens à une compassion active envers les indigents et irrigueront son oeuvre dès «Olivier Twist». Nous le suivons, reporter débutant, dans ses enquêtes chez les mineurs de Cornouailles ou les écoliers affamés du Yorkshire. Celui que Trollope surnomme par dérision «Mr Sentiment populaire» se montre capable de fondre en larmes au discours de Daniel O'Connell sur les souffrances des paysans d'Irlande. Généreux à l'égard des prostituées repenties, il vilipende les lois de son pays, visite les pénitenciers et s'intéresse aux criminels.Il est joyeux, pétri d'humour et «frais comme un concombre» devant le succès, qui ne traîne pas. A 24 ans, ses «Picwick Papers» provoquent un tel engouement que l'on vend des chapeaux et des habits Pickwick: déjà les «produits dérivés»! Sur les quais du port de New York, la foule demande aux arrivants: «La petite Nell est-elle morte?», tandis que O'Connell, qui ne le sait que trop, jette son exemplaire du «Magasin d'antiquités» par la fenêtre d'un train en s'écriant: «Il n'aurait pas dû la tuer!» Si grande est sa célébrité que les gens courent dans la rue, le dépassent et font demi-tour pour le croiser. Sa seconde tournée outre-Atlantique, en 1868, est un triomphe. Le Parlement et la vieille église de Boston sont repeints en rose, et les rues de la ville balayées deux fois en son honneur. En arrivant à son hôtel, Dickens se contentera de dire: «Me voilà!»
"Le voilà, en effet, ressuscité sous la plume frémissante de Peter Ackroyd. Prêt à exécuter des culbutes «si on lui donnait seulement trois yards carrés de tapis», comédien forçant le trait et un peu m'as-tu-vu dans ses vêtements criards. Aussi mondain que travailleur, il reçoit, aime jouer au volant, boire du punch au lait et danser la matelote. Excellent journaliste et «mauvais rédacteur en chef», prodigieux rewriter pour «Household Words» et, plus tard, «All The Year Round», feuilles qu'il a créées et couvre d'une variété ahurissante d'articles. Entre ses feuilletons, qu'il refond pour leur publication en romans, la direction de ses journaux et une femme prétendument maussade qui lui a donné dix enfants, la pression est telle qu'il atteint le «point d'ébullition» et doit abattre 30 kilomètres de marche «de peur d'exploser». C'est un tourbillon, un ogre, dont l'imagination colonise les rues de Londres (qui nous en parlera mieux que l'auteur de «L'Architecte assassin»?), les scènes de cimetière ou de la Morgue de Paris, les exécutions capitales qu'il ne manquerait pas pour un empire. Son entrain ne cède que devant la critique lorsqu'elle se montre sévère. Mais il se reprend. Au cours d'une promenade avec Andersen, il trace quelques caractères dans la poussière, avant de les effacer du pied: «Cela, c'est la critique!»«Mis en fuite par le destin» qui assombrit sa vie menacée d'une grave dégénérescence vasculaire, Dickens se bat comme un lion blessé. Rien de plus pathétique que l'évolution du cérémonial des lectures publiques, qui le conduisent au surmenage et à la mort. Commencées à Birmingham en 1853, devant les «travailleurs», elles symbolisent l'harmonie nationale pour l'écrivain couvert d'applaudissements qui fait rire et pleurer des salles entières. Seul, s'avançant sur la scène d'un pas décisif, derrière un pupitre éclairé par une batterie de tuyaux de gaz, Dickens sonde son autorité et sa notoriété dans les yeux des auditeurs. Il entame alors les extraits de ses romans, qu'il a travaillés des centaines d'heures devant sa glace et couverts d'annotations en marge: «soupirs», «gémissements» ou «voix sourde». L'intérêt financier n'empêche pas le dernier voyage américain de se muer en calvaire: en dépit de l'enflure de son pied, il est aussi incapable de se reposer que de s'arrêter de respirer. «Je vais me déchirer et me démolir», souffle-t-il à un ami lors de son ultime représentation, qu'il achève le visage couvert de larmes. Il trouve encore le courage de commencer «Le Mystère d'Edwin Drood», qui nous livre quelques-unes de ses plus belles pages, et de s'entretenir, debout, avec la reine Victoria. Une attaque le foudroie sans qu'il se soit octroyé la moindre trêve. Il fera une unique apparition dans un rêve de Peter Ackroyd: «A ce moment, pour la première fois, il me regarda en face. Et quand il sourit, je sus vraiment qu'il s'agissait de Charles Dickens et que, d'une certaine manière, il n'était pas mort.»
Charles Dickens, par Peter Ackroyd. Trad. par Sylvère Monod. Stock (d'occasion seulement)

samedi 20 février 2010

We're Only In it for the money, Frank Zappa (1968)

45t et 33t ont accompagné enfance et adolescence à un rythme effréné. Souvent le pire a frôlé le meilleur. Les choix faits s’associent toujours à une époque, un lieu, une personne, un événement. Ils restent tapis dans un recoin de la mémoire. Une discussion, un air de radio, un souvenir, ouvrent la boîte et ravivent la nostalgie. Je n’ai pas toujours aimé Bach et l’Opéra, loin s’en faut. Il y a eu un avant pas toujours recommandable mais qui fut le mien. Je ne regrette absolument rien de mes choix d’antan et personne ne brûlera ma mémoire. Je vous la livre en vrac.
En 1968, le monde est devenu officiellement Hippie, ce qui déplait fortement à Frank Zappa et son groupe, les Mothers Of Invention. Celui-ci, trouvant qu'il ne s'agit de rien de plus qu'une révolution d'étudiants bourgeois sous fond de drogue va critiquer ce mouvement en un album de Pop comme il s'en faisait à l'époque.Avec la pochette qui parodie le Sgt Pepper's des Beatles jusque dans les moindres détails, l'accoutrement du groupe (tous sont habillés en robe ou en peignoir), Zappa ne fait pas dans la demi-mesure. Ajoutez à cela les paroles férocement cyniques envers les hippies. Un album traité sous le signe de l'ironie donc, mais Zappa ne délaisse pas la forme au fond, les chansons de l'album sont des merveilles de Pop, et Zappa prouve encore une fois qu'il ne peut qu'être pris au sérieux tant le travail est bien fait. Il suffit d'écouter "What's The Ugliest Part Of Your Body" pour en venir au Beatles, les paroles révélant du pur génie cynique comme seul Zappa savait en écrire. Voilà donc un des albums à retenir de Zappa, qui a su dès le début de sa carrière pourtant très prolifique se montrer le parfait analyste de la société occidentale, et surtout le parfait porte-parole de tous ceux pour qui le mouvement hippie n'était qu'une mode devenue ce qu'on appellerait aujourd'hui Fashion, mot qui colle très bien à ce que Zappa voulait représenter avec cet album, qu'il faut savoir écouter plusieurs fois et passer outre les voix 'à l'hélium' pour apprécier pleinement la richesse intemporelle de cet album.

vendredi 19 février 2010

Abbey Road à vendre

Histoire d'un mythe.
Cette photo a fait le tour du monde. La traversée d'Abbey Road par John Lennon, Ringo Starr, Paul McCartney et George Harrison a été immortalisée par le photographe Iian MacMillan le 8 août 1969. L'image fera la couverture du dernier album des Fab' Four qui portera le nom de cette rue située dans le quartier de St John's Wood à Londres. Le cliché alimentera aussi les rumeurs sur la mort du bassiste du groupe, Paul McCartney.
Pour comprendre, retour en 1966. Le 9 novembre, Paul McCartney sort des studios d'enregistrements d'Abbey Road et enfourche son cyclomoteur. Quelques minutes plus tard, l'accident se produit.
Le Beatles s'en sort indemne, mais cette version ne convainc pas tout le monde. La rumeur est lancée: Paul McCartney est mort et les Beatles ont engagé un sosie. Tout, depuis, est prétexte à imaginer le bassiste mort et enterré. Dans la chanson Strawberry Fields Forever, John Lennon prononcerait "I burried Paul". Le chanteur affirmera en fait y susurrer..."Cranberry Sauce". Sur la pochette de l'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, Paul porte un badge "OPD". Les fans y lisent "Officially Pronounced dead".
La photographie d'Abbey Road fournit des détails aux paranos de tout poil. Paul McCartney est pieds-nus, comme les personnes enterrées en Inde. Le bassiste est précédé de Ringo Starr, tout de noir vêtu, couleur du deuil en occident. En début de file, John Lennon est habillé en blanc, couleur de la mort en orient. Enfin George Harrison ferme la marche, en jean, comme s'il s'était chargé de la mise en terre...
Mais ce n'est pas tout. A l'arrière plan, une voiture est immatriculée LMW 28 IF. Les fans comprennent "Living McCartney Would be 28 If...", soit, "Vivant Paul McCartney aurait 28 ans si...". Enfin, le dernier signe, Paul McCartney n'est plus le même. Gaucher en temps normal, il tient sa cigarette de la main droite sur la célèbre image.
A l'époque, le Beatle prend l'histoire avec humour. En 1993, il décide de mettre fin à toute cette rumeur une bonne fois pour toute. En couverture de son album concert Paul is live, l'image du chanteur est apposée sur le même passage piéton que la photo de 1969. Cette fois, dans le fond, une voiture est immatriculée "51 IS". Paul est bien vivant et fête ses 51 ans!

C'était il y a quarante ans et les fans du monde entier se sont retrouvés l'été dernier pour fêter l'événement.

Hélas, la rue Abbey Road et les studios mythiques sont aujourd'hui à vendre. EMI, la compagnie propriétaire, n’a pas commenté l’information dévoilé par un quotidien économique. Cependant, assure celui-ci, cinq personnes proches du dossier lui ont dit que la maison de disques avait démarché des acheteurs potentiels pour les studios. Le journal avance un prix possible de «plusieurs dizaines de millions de livres». Il n’était pas clair encore si EMI vendrait la marque Abbey Road avec les studios, mais, selon un avocat spécialisé dans les médias cité par le FT, «la marque vaut plus que le bâtiment, et quiconque voudra les studios voudra aussi leur nom». EMI avait acheté l’immeuble du 3 Abbey Road, dans le nord-ouest de Londres, pour 100.000 livres en 1929. Pendant la guerre, le studio avait servi à l’enregistrement de discours de propagande par le gouvernement et à la BBC. Puis les Beatles l’avaient utilisé de 1962 à 1969, jusqu’à baptiser de son nom leur ultime album. Pink Floyd, rappelle le journal, y a aussi enregistré Dark Side of the Moon. Une telle vente pourrait redonner un peu d’allant aux finances d’EMI.

jeudi 18 février 2010

Censure.

C'est ironique, quand on est un artiste chinois, d'être censuré en France pour subversion politique. Critiquer Hu Jintao à Pékin, c'est possible. Mais Nicolas Sarkozy à Paris, ça non, c'est interdit. L'artiste Siu Lan Ko, 33 ans, en a fait les frais. Son installation a été décrochée en toute hâte de la façade des Beaux-Arts de Paris à la demande de son directeur Henry-Claude Cousseau, alors qu'elle était prévue depuis longtemps dans le cadre de l'exposition Week-end de sept jours. L'œuvre a été jugée trop provocante. Attention, âmes sensibles, nous allons en dévoiler le contenu : Siu Lan Ko a écrit (ô sacrilège) les mots « Travailler », « Gagner », « Plus », « Moins », sur de grandes banderoles noires. C'est tout ? Oui, c'est tout. Juste une référence au slogan bien connu du président français. Son projet peut sembler gratuit, or il est en totale cohérence avec sa démarche artistique : Siu Lan Ko travaille sur les slogans, interroge leur sens, les manipule et les détourne…– Elle a longtemps travaillé au Tibet pour des ONG. Une jeune femme passionnée par les signes, les idéogrammes chinois, les slogans de propagande. Ce qui est paradoxal, c'est qu'elle expose assez facilement à Pékin, où son talent est reconnu, et son travail globalement toléré par les autorités. Mais à Paris, niet.

mercredi 17 février 2010

Lorsque papa dansait...


Je me souviens enfant, le soleil de septembre flottait encore dans l’air comme un parfum de vacances. Le dimanche, papa sortait l’automobile et nous montions en famille jusqu’à Montfermeil prendre le café chez des amis de mes parents. Je restais à jouer en les attendant dans le jardin pavillonnaire. En fin d’après-midi la chaleur tombait et nous gagnions à l’ombre des arbres les berges de l’étang des sept-îles. Je ne manquais jamais d’y faire de la balançoire puis papa nous emmenait faire une partie de canotage. Nous faisions une halte sur l’une des petites îles et paressions dans l’herbe au soleil. J’étais attendri par le bruissement des feuilles, le pépiement des oiseaux, le clapotis de l’eau sur les pontons, les voix des canoteurs, les rires des enfants et le plongeon du bois des rames dans l’onde glauque. Juste après notre retour et l’accostage final je restais un temps à regarder les derniers canoteurs partir puis disparaître derrière les lourds branchages inclinés dans l’eau.
Peu après, nous allions à la guinguette ou je restais seul à la table en buvant un jus de fruits tandis que mes parents dansaient sur la piste. Mes parents étaient bons danseurs. Quand ils étaient jeunes, cette occupation ne coûtait guère et ils en avaient usés abondamment. Puis mes deux aînés étaient arrivés et depuis lors ils ne leurs restaient que ces petits moments de fin d’été ou mon père entraînait ma mère sur la piste et la faisait virevolter autours de lui comme dans un songe sans fin. Et le monde tournait, tournait, tournait, autour d’eux sous les pas de mon père aux souliers cirés. Ces petits moments de bonheur faisaient briller la prunelle de ses yeux noirs. Ils le rendaient heureux. Les danseurs ont arr^tés de danser depuis. Les canots ont été remisés. Les sept-îles asséchées pour y construire un centre commercial. C’était en 1966.
« Lorsque apparaissent les premiers supermarchés, au début des années 60, la France ne compte que 200 kilomètres d'autoroutes, un morceau de périphérique parisien, aucune autre rocade, pas le moin­dre rond-point. » « Le Moyen Age a eu ses villes fortifiées et ses cathédrales, le XIXe siècle ses boulevards et ses lycées. Nous avons nos hangars commerciaux et nos lotissements. Les pare-brise de nos voitures sont des écrans de télévision, et nos villes ressemblent à une soirée sur TF1 : un long tunnel de publicité suivi d'une émission guimauve Elle a été peu visitée par le roman, le documentaire ou la fiction pour raconter l'ennui qui suinte des quartiers pavillonnaires..

mardi 16 février 2010

Froid de gueux.


Ce jour là, il faisait un froid de gueux. Vous allez me dire, en ce moment il fait un froid de gueux tous les jours mais qu’importe le jour puisque je vous dis particulièrement ce jour-là et que je le sais puisque j’étais dessous. Comment ai-je fait pour remonter la rue Eugénie Cotton sans me casser la gueule et rester à agonir dans le froid ? La chose ne fut pas aisée avec une couche verglacée recouverte de neige. Sortir la main de ma poche et composer le code d’accès fut la grande affaire de ma vie. Il y eut une légère accalmie dans l’ascenseur jusqu’au dixième. Quand Yann à ouvert sa porte j’ai entendu souffler les bourrasques glacées. Il faut dire que son immeuble est particulièrement bien exposé. Les bourrasques s’infiltrent en hurlant par les bouches d’aérations. Yann a bien essayé de les boucher. Mais le scotch s’est déchiré en autant de lambeaux qui claquaient au vent tels des étendards. Il a fini par s’abstenir. La nuit était claire. Au dehors la vue était bien dégagée. On voyait des gens emportés par les bourrasques tels des fétus de paille qui gesticulaient en tout sens comme pour nous avertir d’un danger imminent. Je me suis éloigné de la fenêtre par crainte que l’un d’eux ne vienne s’écraser contre les vitres. On n’est jamais trop prudent.
Pour couvrir le bruit du blizzard, Yann a mis un peu de musique. Du jazz éthiopien. L’ambiance s’est réchauffée avec du Bordeaux et des ravioles à la crème. J’étais bien avec mon garçon. Et dans ces cas là le temps passe vite. Trop peut-être. Dehors soufflait le Simoun et des dromadaires voletaient devant les fenêtres.
Il a fallu nous jeter dehors. Le Simoun était tombé. Et à nouveau dans le froid, descendre dangereusement la rue Eugénie Cotton et continuer à vivre. Ce que nous avons fait jusqu’à l’ancienne Sous station électrique Voltaire.
Pour l’histoire du lieu « construite en 1908 elle appartient à une série de neuf "sous-stations" créées par la compagnie parisienne de distribution d'électricité et est édifiée sur un terrain presque rectangulaire de 600 m² présentant un linéaire de 19m sur l'avenue. La façade du hall des machines est composée de pans de verre divisés par quatre profilés en acier riveté, en trois hautes baies à arc en plein cintre. La baie centrale comporte un grand portail à deux battants. L'ensemble est encadré par deux tourelles identiques en briques silico-calcaire, correspondant l'une à l'escalier et l'autre au monte-charge. La façade manifeste ainsi l'affectation fonctionnelle de l'édifice et la puissance des machines qu'il héberge. Bien conservée, elle est tout à fait représentative d'un ensemble de sous-stations des années 1900, construites sur le modèle conçu par Friesé pour tenir compte du développement très rapide des besoins en électricité. » Et toc !
Depuis c’est devenu un collectif d’artistes. Et ce soir Yann me convie à un spectacle de théâtre militant. J’ai eu un peu peur. Déjà le froid, le lieu, l’adjectif. J’ai connu cela il y a déjà bien longtemps le théâtre militant. Je me souviens d’une représentation d’une pièce de Brecht, découpée en mini tableaux ou, à chaque tombé de rideau et le passage d’un comédien armé d’un grand panneau annonçait le tableau suivan. A chacun de ces passages, disparaissait une poignée de spectateurs sous le regard médusé du porte enseigne. Au tableau neuf, nous nous sommes tous rués en courant vers la sortie. Dans le hall d’entrée le régisseur, les bras écartés, tentait d’endiguer le flot de la foule : « Attendez ! Mais attendez, ce n’est pas fini ! » braillait le pauvre homme. « Mais, pourquoi ? » et certains avouer : « parce-que c’est nul et c’est chiant ! » Coup de grâce.
Coup de grâce. Alors j’attends. La salle était comble. 50 personnes. Visiblement j’étais le plus vieux. Un vieux au troisième rang de face, le cul entre deux chaises. J’ai tout pris en pleine gueule comme des schnarpels sur le front de la Somme. Depuis me voilà défiguré comme Lette le héros de la pièce. « Lette, ingénieur productif, spécialiste des systèmes électriques de sécurité, fait une terrible découverte : il est apparemment d'une indicible laideur. Pourquoi ne le lui a-t-on jamais dit jusque-là ? Pourquoi est-ce précisément à son chef de lui mettre le nez sur cette réalité lorsqu'il est question d'être envoyé à un congrès au cours duquel Lette voulait enfin présenter sa toute dernière invention ? Au bout du compte, c'est un collègue peu apprécié qui s'y rend et récolte des lauriers qu'il ne mérite pas. Quand il l'interroge, l'épouse de Lette doit elle aussi reconnaître que le visage de son mari a toujours été " catastrophique ", mais qu'elle l'aime tout de même. La décision de subir une opération de chirurgie esthétique est vite prise. La renaissance insoupçonnée de Lette en irrésistible Adonis en fait vite un homme célèbre. Son chirurgien le commercialise comme visage idéal et source de profit, son patron utilise sa beauté comme appât pour les grandes actionnaires solvables. Lette s'entoure de groupies. Mais la gloire ne dure pas longtemps. La valeur de Lette sur le marché s'effondre rapidement au moment où il se retrouve face à plusieurs répliques de lui-même. La surabondance de son sex-appeal dépasse aussi son épouse. La division de Lette en deux personnages progresse inexorablement. La comédie méchante et amère de Marius von Mayenburg pousse au grotesque le phénomène répandu de l'aliénation physique, offrant ainsi une sorte de miroir de la vanité. La distribution multiple prévue par l'auteur donne le jour à la structure dramaturgique ahurissante de cette satire sociale. »
Avec mon cul entre deux chaises pas moyen de me trisser. Et puis, je suis invité. Cela ne se fait pas. La salle réagit bien à cette « lecture » car les quatre comédiens autour d’une table lisent le texte. Je ne suis qu’une grosse oreille. A ma droite un gars exulte de joie et ricane grassement à chaque propos ironique. Certainement l’auteur ou un membre de sa famille délégué sur place. Eugène à ma gauche me souffle dans l’oreille qu’il a déjà un peu traité le sujet dans le Rhinocéros. La lecture n’a duré qu’une heure. Pourtant j’ai l’impression d’être là depuis beaucoup plus longtemps. Je ne demande qu’a être évacué vers un hôpital de campagne.
Nous fendons la foule vers la sortie. Il fait toujours un froid de gueux. J’ose avouer à Yann que la pièce, bon, bof, depuis Ionesco et le théâtre de l’absurde. Enfin juste question de dire quelque chose avant qu’il ne me gifle en pleine rue, moi, son propre père, un blessé de guerre sur le front de la Somme. Mon seul vrai réconfort : sa présence rare. Nous nous sommes quitté à République. Dans ma besace, j’avais le disque de jazz éthiopien à apprendre avant la semaine prochaine. Pourvu que je sois à la hauteur sur ce coup là. J'ai peur que non.

lundi 15 février 2010

On en reparle bientôt.

Mulatu Astatké
Banlieues Bleues 27 ème festival 12 mars au 16 avril 2010 "Le goût des chemins nouveaux, le vif désir de l’inouï" : le jazz, ça commence d’abord par là, disent Philippe Carles et Jean-Louis Comolli. Les artistes qui participent à l’édition 2010 de Banlieues Bleues, tous sans exception, sont engagés dans l’exacte même direction : celle d’une musique véritablement nouvelle, c’est-à-dire constamment ouverte "aux beautés sans nom du hasard".Hasard de l’improvisation en temps réel, fascinante sous la « Conduction » de Butch Morris qui sculpte en direct une musique inouïe, vertigineuse dans les recherches de George Lewis sur les systèmes aléatoires et interactifs, risquée et forte en sensations avec les souffles lyriques d’Archie Shepp, David Murray, Denis Colin, Julien Lourau, Soweto Kinch, ou les embardées sonores des Soul Rebels, de Médéric Collignon, Mike Reed, Anthony Coleman, Rétroviseur...Beautés troublantes de nouveaux mélanges aux formes et couleurs imprévisibles : Ilhan Ersahin Istanbul Sessions, Ballaké Sissoko et Vincent Segal, les Gnawas du Maroc avec Joachim Kühn ou François Méchali... Heureuses rencontres qui ne se font jamais tout à fait par hasard : Salis-Angeli-Drake, Mulatu Astatké & The Heliocentrics, Braka et Carlo Mombelli, les Triaboliques, Omar Sosa et le NDR Big Band, ou bien cette joute franco-britannique à La Dynamo de Banlieues Bleues.La voix humaine se retrouve en figure de proue de cette édition, comme sur l’image de l’affiche. Et les chanteurs sont souvent des chanteuses, honneur aux femmes pour une première fois si nombreuses : Buika, Cristina Zavalloni, Omara Portuondo, Rokia Traoré, Sandra Nkaké, Nathalie Natiembé, leurs robes chargées de la noblesse du monde, même si le monde souffre, car ces chants ne sont pas seulement d’amour.La voix se pare de toute les puissances poétiques, celles de Roy Nathanson, d’un autre poète à New York, Garcia Lorca chanté par Benat Achiary, de Nougaro, d’Aznavour, de Farka Touré, où encore, en clôture de festival, du duende des deux plus grands cantaors du flamenco actuel, Miguel Poveda et Enrique Morente.Les voix des jeunes acteurs de LA comédie musicale sur les débuts du jazz Ain’t Misbehavin’ se gorgent d’énergie -il en fallait pour vivre à Harlem dans les années trente. Pétillants sous les costumes et les crinolines, ces adolescents de la Nouvelle-Orléans et de La Courneuve pourront s’abandonner au rire et à la danse, après avoir formidablement travaillé pour réaliser une si belle aventure, comme beaucoup d’autres menées par les actions musicales de Banlieues Bleues. Comme le son de la trompette de Jacques Coursil ou les cordes du violoncelle de Didier Petit, le hasard ne tient qu’à un fil, ou deux. C’est là toute sa beauté, et sa fragilité, celles aussi de la musique quand elle n’est pas une marchandise, de l’art et de la culture en ces temps dits modernes. Xavier LemettreDirecteur de Banlieues Bleues

samedi 13 février 2010

Emily Loizeau : Pays sauvage

Avec Pays sauvage, elle arpente toujours les contrées visitées par Lewis Carroll, Bob Dylan ou Tom Waits, dont elle dit s'inspirer, mais semble plus apaisée. « Sur L'Autre Bout du mondeplanait la mort de mon père, souligne Emily Loizeau. Aujourd'hui, le deuil est fait. J'ai envie de vie. » Et cela s'entend dans sa musique et dans ses mots, qui ­tirent leur force des voyages imaginaires ou réels qu'entreprend la jeune femme. « J'aime les contes, j'aime leur poésie, leur façon de parler de choses intimes à travers le voile des histoires, explique-t-elle. Parler de soi dans une chanson est très étrange. On s'y livre et on s'y cache en même temps. »
poétique, drôle, enchanteresse et fiere de l'être, elle impose son univers rare.

vendredi 12 février 2010

Elliott Erwitt jusqu'au 4 avril à la MEP

La Maison européenne de la photographie consacre une rétrospective au photographe américain Elliott Erwitt jusqu'au 4 avril2010.
L'artiste, photographe de Magnum connu pour ses drôles de chiens, a choisi lui-même les photos qui sont exposées: Personal Best (le meilleur de moi-même) rassemble en quelque sorte ses propres coups de coeur au sein de son oeuvre.130 images, pour la plupart issues de son travail personnel et non de commandes commerciales, sont exposées à la MEP.
Les thèmes sont variés. Il y a, bien sûr, les chiens: souvent petits et attendrissants de ridicule photographiés à leur niveau, c'est-à-dire au ras du bitume.L'humour est souvent là dans ses images: un Christ en croix à côté d'un grand panneau de pub pour Pepsi (Argentine, 2001), une petite fille au Met qui pose à côté d'un alignement de sphinx. Erwitt aime les musées, et s'amuse de leur public, comme d'un groupe d'hommes, au Prado, devant la Maja nue de Goya, alors que celle qui est habillé n'attire qu'une femme.Les points de vue sont souvent originaux: un mannequin dans une vitrine semble regarder la femme qui passe dans la rue, un enfant derrière une vitre fêlée suscite un malaise.
Outre les célébrités (le Che, Jacqueline Kennedy à l'enterrement de John Kennedy), les chiens et les enfants, Elliott Erwitt aime la mer, et l'homme tout petit à côté. Il s'intéresse aussi à la nudité: la photo d'un groupe d'artistes nus dessinant un modèle habillé est hilarante, comme celle d'un candidat à Mr and Mrs Nude California, tentant de convaincre le jury, habillé, de ce concours de beauté nue.Fils d'émigrés russes, Elliott Erwitt est né en 1928 à Paris et a passé son enfance en France et en Italie. En 1939, sa famille a émigré aux Etats-Unis, d'abord à New York puis à Los Angeles où il a étudié la photographie. Il a commencé par travailler dans un laboratoire commercial puis est parti en 1949 pour l'Europe où il a vraiment débuté sa carrière professionnelle.A New York, au début des années 50, sa rencontre avec Edward Steichen et Robert Capa a été capitale. C'est à cette époque qu'il est devenu membre de l'agence Magnum Photos.Elliott Erwitt a travaillé pour la revue Life et participé à la célèbre exposition The Family of man au Musée d'art moderne de New York en 1955. Depuis plus de cinquante ans, ses reportages et ses illustrations ont paru dans des publications du monde entier. Dans les années 70, il s'est mis également à réaliser des documentaires et des programmes comiques pour la télévision. Depuis les années 90, il continue à mener une vie professionnelle très variée.

jeudi 11 février 2010

Salauds de pauvres !

« Ce n’est pas possible qu’on fasse subir de telles choses à des hommes ! » déclare Hama en reposant le communiqué. Hani et Mohamed opinent du chef en larmes auprès de leur compagnon après ce qu’ils viennent d’apprendre. Voire même, ils ont honte d’être clandestins. Ils ont beau être jeunes, avoir des tennis troués, vivre dehors dans le froid, avoir lâchés leur vie, leur famille, leurs amis, leur pays, quelle importance en regard de ce que subissent les autres à cause d’eux. Oui, clandestins ils sont, clandestins ils ont vécus, clandestins ils se sont fait chopés, c'est la loi du clandestin d'être expulsé. Jusque là rien à dire.
Mais ce qu’il y a de pire c’est ce qu’ils font subir aux forces de l’ordre chargées de les reconduire. Déjà très joueurs de nature, les clandestins se cachent pour ne pas se faire prendre, courent très très vite pour les mêmes raisons, se débattent avec fougue, mordent, (juste pour ceux non équipés d'une muselière), insultent des fonctionnaires, (incapables de comprendre une langue étrangère par manque de formation), et en profitent pour piquer une montre ou une gourmette, et va réclamer ta montre ou ta gourmette en afghan après si tu l’oses. Pis qu'est ce qu'il va en faire de la gourmette à Maurice. C'est bien pour faire chier.
Impensable dans un pays comme le nôtre. Et ce n’est pas tout. Il est vrai que parfois les aléas de la vie vous conduisent à pratiquer des métiers qui génèrent bien des traumatismes comme policier par exemple. Mais le traumatisme à aussi ses limites. Passés les bornes, y a plus de limites et nous disons stop ! Par exemple ces salariés de l’Unesi, Union Nationale d’Escorte, chargée de pratiquer « les reconduites aux frontières » prennent l’avion parfois plusieurs fois par semaine, mais ne sont pourtant pas employés par les compagnies aériennes. Ils subissent de nombreux décalages horaires et des surexpositions à des rayons dangereux qui ne sont pas sans conséquence sur le cerveau, quand ils en possèdent un. Ils risquent de nombreux accidents vasculaires, troubles du sommeil, troubles intestinaux, fatigue excessive, stress, déficit des fonctions cognitives. Un document adressé au ministère fait état de nombreux cas victimes de malaises. « Régulièrement, certains d’entre nous ne peuvent plus voler. Le plus souvent, à la suite à des otites barotraumatiques, c’est-à-dire liées aux différences de pression, ou alors en raison de tympans percés.» Sans compter, pour ces policiers le traumatisme d’avoir à lutter contre les clandestins qui se débattent lors de l’embarquement et susceptibles de les blesser, voire piquer leur montre durant le vol. Ces cent soixante-cinq fonctionnaires de l’Unesi, souhaiteraient que leurs conditions de travail soient calquées sur celles des PNC, les personnels navigants de cabine qui officient dans les avions de ligne. « Certains collègues peuvent voler plus de quatre-vingt-quinze heures par mois, le maximum autorisé par la loi », détaille Nicolas Berger, conseiller technique du syndicat, qui fut lui-même « escorteur » pendant douze ans. Un aller-retour vers Lagos, au Nigeria, s’effectue ainsi en vingt-deux heures vingt. C’est encore inférieur à un aller-retour Paris-Santa-Cruz, en Bolivie, avec escales à Amsterdam et Lima (Pérou), qui peut ainsi durer près de quarante-sept heures. Quand les fonctionnaires n’effectuent pas un « découcher », c’est-à-dire un repos sur place. Les hommes de l’Unesi ne disposent pas des mêmes temps de pause que les personnels volant sur long-courrier. « Au regard de l’administration, on ne récupère pas autant d’heures qu’on le devrait, reprend Nicolas Berger. L’Etat considère ces policiers comme de simples voyageurs, comme s’ils partaient pour un séminaire professionnel.»
Franchement, c’est dégueulasse. Que fait Eric Besson ? Que fait la police ?

mercredi 10 février 2010

Magnolia de Paul Thomas Anderson

Sur Arte le 10 février à 20h30.
« Si un jour vous vous amusez à cueillir des fleurs de magnolias, vous remarquerez qu'elles comportent exactement neuf pétales. Des pétales qui se superposent un peu, beaucoup, qui se caressent ou qui se froissent, mais qui perdurent, soudées à une même tige. Les neufs personnages du film éponyme sont un peu de cette espèce, âmes perdues dans un Los Angeles un jour de pluie, fuyant un passé qui ne cesse des les hanter. Magnolia est un film mosaïque où chaque personnage se trouve lié à un autre qui lui même est lié à un troisième et ainsi de suite. C'est une oeuvre qui fonctionne par croisements, rapprochements, éloignements. C'est une oeuvre débordante de vie, la vie dans ses instants les plus durs, dans ses quelques minutes de quiétude, la vie dans tous ses états. » »Le film s'étale sur une longue journée qui débute par un grand soleil, puis le ciel se couvre, puis la pluie glaciale finit par s'abattre sur Los Angeles. Une journée où les choses vont basculer, où les coïncidences vont s'enchaîner inéluctablement. Mettre en scène et monter trois heures d'un tel film constitue un véritable défi. Anderson le relève haut la main, sans réussir à éviter quelques problèmes de narration qui peuvent rendre le film obscure par instants. Mais qu'importe, c'est un vrai moment de cinéma, un cinéma dont on ressort changé et perturbé. Magnolia c'est une vague un peu trop violente qui vous emporte dans des profondeurs abyssales pour vous laissez, haletant, sur un bout de plage. » « La mise en scène de Paul.Thomas.Anderson. a tout du virtuose confirmé. Son cadre est proche de ses personnages, il les colle pour nous faire ressentir au plus près toutes les émotions qu'ils traversent.. Trois heures peuvent sembler bien longues pour ces histoires de famille, pour dépeindre et repeindre des relations pourries par le manque de communication, par la télévision et par la drogue. Nous en sommes loin.. Magnolia est porté par des acteurs tous excellents.Cette vision kaléidoscopique de la vie s'achève sur un ultime coup de théâtre qui vous laissera sans voix. Un grand film qui traite avec gravité mais non sans humour d'une chose qui n'a jamais été très simple : les relations entre individus dans l'adversité, la maladie, l'amour, la mort. »

mardi 9 février 2010

LE MOCHE de Marius Von Mayenburg

les 8, 9, 10, 11 février à 20h30 et le 9 février également à 17h00 Avec Serge BIAVAN, Sinan BERTRAND, Paul MOULIN, Maïa SANDOZ. Lecture dirigée par Maïa SANDOZ Traduction Hélène MAULER et René ZAHND Sons Christophe DANVIN Lumières Bruno BRINAS Monsieur Lette, inventif ingénieur pour des systèmes de sécurité électrique, découvre quelque chose d’affreux : il serait effroyablement laid. Cette pièce à double-fond est une fulminante comédie de quiproquo sur l'identité, l'attrait et la relativité du succès. La distribution multiple prévue par l'auteur donne le jour à la structure dramaturgique ahurissante de cette satire sociale. durée : 1h entrée libre, RESERVATION impérative : lemoche@ymail.com Contact pro : Audren BURLET 06 73 04 17 77 La Générale 14 avenue Parmentier 75011 PARIS, Métro Voltaire

lundi 8 février 2010

Agnès Jaoui : Mon pays

Il y a les pays réels que l’on ne choisit pas, ceux où l’on naît, grandit et s’éteint, entités aux limites physiques bien définies, au poids historique incontestable et aux identités plus ou moins affirmées. Et puis il y a les pays imaginaires et mouvants que l’on crée au dedans de soi, et qui se transforment au gré des valeurs, des passions et des goûts qui en redessinent sans cesse les limites. Agnès Jaoui connaît la chanson. La comédienne-scénariste-réalisatrice a appris dès quinze ans le chant classique, puis baroque. Soprano dramatique, elle a l’oreille nomade et le goût latino : boléro et bossa, fado et flamenco rythment en scène et en studio sa passion-chanson. Premières amours, amour toujours. Après le succès de Canta, le deuxième album d’Agnès Jaoui s’intitule Dans Mon Pays. A nouveau réalisé par Vincent Segal et interprété en espagnol et portugais, cet album comporte également deux chansons en français et des duos avec les artistes Bonga et Camané et avec les musiciens Roberto Gonzales Hurtado, Dimas md et Antoine "Tato" Garcia, et marque une nouvelle étape dans cette volonté de connecter des univers voisins – son et flamenco, bossa et fado, salsa et samba. Un beau voyage.

samedi 6 février 2010

Costard Pochon t'as l'air d'un con



La chose avait été promise de longue date et la table retenue depuis maintenant trois semaines., Elle aimait Barbara et je ne demandais qu’à partager sa passion. J’ai traîné ma peine boulevard Barbès. Les vitrines affichaient des slogans accrocheurs et des prix modiques. Le chevron me semblait indémodable. Je me suis laissé tenté par un costume de couleur indéterminé dont le vendeur, à l’humour pince sans rire, m’affirma qu’il m’allait à ravir. Les affaires allaient-elles donc si mal pour qu’il se montre aussi obséquieux à mon égard ? Le pantalon tirebouchonnait et le rendu arrière de la veste baillai de façon disgracieuse quand je la fermais. Seul avantage en sa faveur le prix. Je cédais donc à l’appel des sirènes, complétais ma garde robe d’une chemise pastel, déjà froissée d’impatience, et m’acquittais de mes achats.
Les retouches n’y changèrent rien. « Costard Pochon, t’as l’air d’un con. » Un slogan qui tient toujours ses promesses. En dépit du repassage à sec, un mauvais lainage reste un mauvais lainage. Un mauvais lainage qui pochait désespérément aux coudes et aux genoux. A moins des rester en permanence debout les bras ballants. Et encore. Les accessoires outranciers ajoutaient au ridicule. Mon double manquait cruellement d’élégance. Il ne manquait plus qu’une mauvaise eau de toilette pour rajouter une touche de mauvais goût. J’y remédiais derechef. Parfait.
Il pleuvait ce soir là. Nous sommes descendu à la station Palais Royal et avons rejoins l’avenue de l’Opéra. C’était la première fois que je me rendais à un dîner spectacle. Elle aussi. Dès le seuil franchi, le premier passage obligé fut le vestiaire. Parmi les manteaux chics et sombres, nous laissâmes son manteau clair, ma serpillière, et un parapluie que personne ne nous volerait jamais.La salle était petite. Elle pouvait accueillir tout au plus une centaine de personnes. Deux longues tables dressées sur les côtés la rétrécissaient encore plus. A voir ces femmes en lamés et ces hommes en smoking j’ai senti que je n’étais pas à ma place mais il était trop tard pour reculer. Bien entendu il n’y avait qu’une table au centre et ce fut la notre. A notre entrée les regards se sont portés sur nous. Nous faisions sensation. Certainement la couleur poireau pomme de terre de mon costume Pochon, ma chemise poussin albinos, ma cravate et ma pochette aussi cramoisi que ma gueule, le tout assorti aux chaussettes. Avec les pochons aux genoux, mon pantalon avait bien perdu dix centimètres de longueur, juste question de laisser admirer la qualité du fil d’Ecosse de mes chaussettes agonisantes sur mes chevilles. Mon portefeuille faisait sailli dans ma poche. Sans compter celles du pantalon bourrées d’accessoires tels des bajoues de hamster. La grande classe. Elle me précédait en robe claire à godets et chaussée de bottes blanches. Aidée par un bellâtre qui ne nous quitta plus de la soirée elle s’assit à ma gauche tandis que je me jetais sous ma chaise question de tenter de passer inaperçu. Rien n’y fit. Bien heureusement rapidement les habitués nous oublièrent. Sauf le bellâtre toujours disposé à nous rendre service. M’allumer ma clope, me servir du vin, lui servir de l’eau, nous couper la viande, m’essuyer la bouche, me faire les ongles. Nous foutre la paix, non. Il était payé pour nous faire chier et je dois admettre qu’il fit bien son boulot. Rien à reprocher.Il faisait chaud. Nous prime un rafraîchissement au prix d’un réfrigérateur. La soirée s’annonçait belle. Je la voyais heureuse. Je l’étais donc aussi. Nous étions très bien placé. Sans avoir le bras long, je reste assuré qu’en le tendant bien, je pouvais griffer le vernis du piano du bout de ma fourchette. Je ne m’y suis pas aventuré. C’était juste question de dire.
En première partie, nous eûmes droit à Yvan Dautin et Pierre Vassiliu. De quoi attaquer les entrées et le plat, une volaille aux cerises pas vraiment morte que ma fourchette chatouillait de temps à autre pour la faire rire. Je rangeais mon mikado en os sur le bord de l’assiette, suçait les cerises et épongeais la sauce. Rien d’extraordinaire à faire à la maison mais à un dîner spectacle, cela restait une autre affaire. Ah! il devait bien se marrer le bellâtre à me voir tel un bretteur en découdre avec la volaille pas morte.
A l’issu du combat, Vassiliu retourna dans sa loge. J’abandonnais la dure en cuisse. Nous fîmes une pause. Faute de clopes, je commandais un paquet au prix d’une cartouche. Radical contre le cancer du poumon. On amena alors le dessert. Un truc indéfinissable avec des pailles des parasols des cerises, du citron, des fruits confits et de la chantilly. Un objet d’art, quoi ! C’est à ce moment que nous sommes retrouvés dans le noir une fraction de secondes jusqu’à la venue de la longue dame brune. Sous les applaudissements, elle s’est installé au piano à un vol de pintade de mon assiette. Elle s’est mise à chanter. Normal, elle était là pour cela et on était venu pour. Au prix ou je payais il aurait plus manqué qu’elle nous fasse des ombres chinoises ou un numéro de prestidigitatrice. C’est vrai qu’on était prêt aussi. Pas la peine de brailler et taper comme un sourd sur son piano. J’entendais parfaitement bien. J’ai même failli m’esbigner un oeil avec ma petite cuiller. Comment, je respecte rien. Barbara, d’accord ! Faire plaisir, d’accord ! Mais ce sont mes oreilles et mon pognon, tout de même. Pis je sortais de deux années de désert culturel. Tout ça pour apprendre qu’il pleuvait sur Nantes, avouez qu’une fiche météo m’aurait suffi. Pourtant, je dois sincèrement avouer que je me laissais rapidement gagner par le charme de la grande dame brune. je dois même reconnaître que je fus littéralement sous le choc avec une Barbara intime et possédée. C’est bien simple, je n’avais d’yeux que pour elle. Je mangeais mes clopes, fumait ma chantilly. Ecrasais ma clope dans la chantilly. Embrassait le bellâtre. Le grand jeu. Et quand j’aime, je ne compte pas. A l’entracte, je commandais un alcool au prix d’une distillerie que je consommais d’une glotte gustative jusqu’au final explosif.
A la fin des applaudissements, alors que la longue dame brune disparaissait dans une brume légère derrière le rideau rouge, que les lumières étaient encore tamisées, le bellâtre qui ne perdait jamais une occasion de rire me glissa discrètement la note qu’éclairait la lueur vacillante d’une maigre bougie en fin de vie. Je m’y attendais, mais quand même. Ma pâleur fut mise sur le compte de l’émotion. Voir Barbara, manger un pintadeau aux cerises et mourir. Mon CCP aurait été du plus mauvais effet. De toutes les façons, il ne s’en serait pas remis. Je réglais rubis sur l’ongle, faute de monnaie, laissait un pourboire royal et nous filâmes rejoindre la cohue aux vestiaires récupérer son manteau et ma guenille. Toujours faute de monnaie, je réglais gracieusement le vestiaire sans pouvoir conserver en souvenir les cintres en plaqué or. Paris est certes trop petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour. Mais la banlieue est lointaine pour ceux qui à pied doivent rentrer se coucher. Le taxi de rigueur, je ne vis pas un brin de la route, l’œil rivé sur le compteur qui avalait mes derniers francs. Je la laissais à sa porte dans la froidure d’un matin de décembre. Elle me proposa fort gentiment de conserver le taxi jusque chez moi. Je doutais que le prix de la course ne dépasse pas les cinquante centimes qui me restaient en poche. Je n’en fit donc rien. D’ailleurs, rentrez à pied me ferait le plus grand bien. Et puis c’était encore gratuit. Alors, autant que j’en profite.
Sous l’autoroute à hauteur du carrefour de Rosny une meute me tomba dessus à bras raccourcis. Je pus constater la mauvaise tenue du costard Pochon et de ma serpillière secoués l’un et l’autre avec ma pomme dedans en compote. Dans le flou de bougé qui s’ensuivit je pus quand même reconnaître un des membres de la bande scolarisé avec moi du CP jusqu’en classe de Fin d’études orientées. Le conseiller d’orientation ne s’était pas trompé. Rien à en tirer. Hormis cinquante centimes, une montre au bracelet fatiguée, mon paquet de clopes au prix d’une cartouche et quelques appels au secours laissés sans réponse, rapidement réprimés par quelques gifles musclées. Ma connaissance mit fin à l’altercation. J’y laissais quelques coutures, mes cinquante centimes et mes clopes. Lessivé je gagnais ma tanière bien décidé à hiberner derechef. De toutes les façons, je n’avais plus un centime, plus de clopes ni de costard. Restait du bleu à l’âme et l’inoubliable Barbara. De quoi occuper une vie.

vendredi 5 février 2010

Izis : Paris des rêves

Né en 1911 en Lituanie, Israël Bidermanas apprend le métier de photographe dans son village dès 1924. Jusque 1930, il photographie la vie quotidienne de ses compatriotes puis arrive à Paris en 1931 où il est employé dans un studio dont il est ensuite gérant. En 1944, il est réfugié à Limoges et porte le pseudonyme d’Izis qu’il gardera par la suite. Engagé dans les F.F.I., il fait les portraits des résistants du Maquis de Grammont. De retour à Paris, il rencontre les photographes Sougez, Brassaï, Laure Albin-Guillot et présente sa première exposition à la Galerie La Boétie en 1946. Il devient reporter à Paris-Match en 1949 et sa collaboration au magazine durera 20 ans. Il réalise de nombreux portraits d’artistes, Colette, Camus, Breton, Eluard, Aragon, …En 1950 paraît son premier livre, Paris des Rêves, préfacé par Jean Cocteau. Puis il publie en 1951 Le Charme de Londres avec les textes de Prévert. De nombreux reportages se succèdent jusque 1969 : l’œuvre de Chagall au plafond de l’Opéra, le cirque et la Foire du Trône, l’Abbé Pierre, l’Algérie, Lourdes, Charlie Chaplin,…Il publie, toujours avec son ami Prévert, Le Cirque d’Izis en 1965 et Paris des Poètes en 1977 qui sera son dernier livre. Il est l’invité d’honneur des Rencontres Photographiques d’Arles en 1978 et expose à cette occasion au Musée Réattu. Il décède à Paris en 1980.
Exposition à l'Hôtel de ville de Paris du 20 janvier au 29 mai 2010
Même s'il expose au Moma de New York, en 1951, avec Doisneau, Cartier Bresson, Brassaï et Willy Ronis, Izis, reste un des cinq photographes humanistes, le moins montré. Né en Lituanie, exilé par choix à paris, collaborateur à Paris Match pendant des années, Izis a fait de Paris, la cible de son oeil de rêveur et de poète. L'exposition de la mairie de paris, lui rend un hommage inédit, présentant l'ensemble de son travail depuis ses début de photographe artisan, travailleur clandestin dans un Paris en crise puis phototographe reconnu de Paris Match, jusqu'à sa mort en 1980. Manuel Bidermanas, son fils, photographe lui même et Armelle Canitrot, critique, tous deux commissaires de cette exposition, nous font découvrir le photographe qui fut l'ami de Jacques Prévert ou de Max Chagall, qui voulu être peintre et qui trouva dans la photographie la meilleure expression de son âme vagabonde, rêveuse et ultra sensible.

jeudi 4 février 2010

Jamie Cullum, The Poursuit

A 30 ans, avec quatre albums à son actif, Jamie Cullum a décidé de prendre un virage musical en proposant un opus à la fois jazz et étonnamment pop. Un album aux sonorités éclectiques, mais toujours avec sa légendaire touche jazzy et son désormais célèbre jeu au piano, comme le prouvent les titres "Just One Of Those Things", "If I Ruled The World" ou encore "You And Me Are Gone" et "I Think, I Love", dignes des grands classiques du genre. Bien décidé à élargir son univers musical, le chanteur s'essaie également à la pop avec "I'm All Over It", ou encore avec l'envoûtant "Wheels" et la très surprenante reprise du tube de la chanteuse Rihanna, "Don't Stop The Music". Jamie Cullum signe ici un album surprenant, qui devrait élargir encore davantage son public mais l'éloigne, hélas, de la scène jazz.

mercredi 3 février 2010

Michael Bublé : Crazy Love

Les vieux de la vieille auront du mal à l’admettre, mais force est de constater que le crooner canadien Michael Bublé a de moins en moins à envier à ses maîtres, Sinatra en tête. Sur scène, on jurerait voir un membre moderne du Rat Pack et en studio, où, comme par hasard, il a travaillé cette fois avec l’orchestre qui l’accompagne en spectacle, Bublé n’a peur de rien. A notre connaissance, il est le seul de sa génération qui, en 2009, peut s’attaquer à Georgia sans que Ray Charles se retourne dans sa tombe. Pareillement, lorsqu’il fait sienne Cry Me A River, on a le sentiment que même la grande Julie London serait fière de lui. Avec son jazz vocal calibré pour l’happy hour et, pourquoi pas, tous les autres moments d’une journée idéale, Bublé fait des miracles lorsqu’il habille, façon 50’s, cette All I Do Is Dream Of You qui date des années 30. Parce que le temps n’est pas son problème, il intègre également avec aisance à son répertoire la pourtant typée Crazy Love (de Van Morrison), qui donne son titre à un album tout feu tout strass. Bien décidé à ne plus rien se refuser, Bublé ose même un duo avec Sharon Jones sur Baby (You’ve Got What It Takes), chanson qui va comme un bas de soie à l’actrice aux courbes de rêve et aux instincts basiques.

mardi 2 février 2010

Les Enfants du Paradis




Voilà un film qui est l’expression même du cinéma. Un film ou rien n’existe et tout est vrai. Un film aux décors fabuleux d’Alexandre Trauner qui m’a fait aimer et donner envie de chercher le Paris populaire et disparu d’avant le Second Empire, puis celui d’après, qui embrase tout un siècle jusqu’au crépuscule du XXème, de « Hôtel du Nord » à « Autour de minuit » en passant par les « Portes de la nuit ». Le Paris des petites lueurs de Ménilmontant que montrent Garance à Baptiste, là où les gens s’endorment et s’éveillent avec chacun cette lueur qui s’allume et s’éteint. Ce Paris trop petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour.


  Alexandre Trauner

Voila un film qui m’a fait dévorer la littérature du XIXème siècle. Voila un film où se croisent vies vécues et vies rêvées à travers les dialogues à l’instar des décors : somptueux, réalistes et poétiques du grand Jacques Prévert.
« Un rideau de théâtre rapiécé, sali, usé, abîmé par le temps. On entend frapper "les trois coups" et le rideau se lève, découvrant un coin du ciel de Paris avec ses nuages calmes et gris... Nous sommes en 1827 ou 1828, peu importe »
La caméra qui suit la foule sur le boulevard du crime, passe les haltérophiles, les funambules et les singes. C’est la vie grouillante et populeuse qui se touche sur le boulevard du Crime. Le boulevard du Crime : surnom donné au XIXe siècle au boulevard du Temple, en raison des nombreux crimes qui étaient représentés chaque soir dans les mélodrames de ses théâtres. Parmi les voleurs et les bateleurs, s'épanouit l'amour entre Garance et le mime Deburau. Autour d'eux se croisent d'autres destins, celui de Lacenaire le dandy assassin qui tue le conte de Montray protecteur de Garance et celui de Frédérick Lemaître dont l'unique passion reste le théâtre.

Jacques Prévert

Des théâtres du boulevard du crime ne restent que les Folies-Concertantes puis Folies-Nouvelles qui demeurent actuellement sous le nom de Théâtre Déjazet. Pour les autres Théâtre de l'Ambigu (qui brûle en 1826), le Théâtre-Lyrique, le Cirque-Olympique, les Folies-Dramatiques, la Gaîté, les Délassements-Comiques, le Théâtre des Pygmées, le Petit-Lazari et de nombreux autres cabarets et café-concert sans oublier les Funambules, ces théâtres étaient situés sur la partie Est du boulevard ont été détruits à la réorganisation de Paris par Haussmann en 1862.
Les Funambules. C’est là où s’opposent deux familles jusqu’à se battre devant son public. On se cache et l’on montre, même quand on ne montre rien d’autre que la vie, la vie du public. Le directeur des Funambules : « La comédie ? La comédie ? Mais mon pauvre ami, vous vous trompez de théâtre ! Ici, on ne joue pas ! Nous n’avons pas le droit de jouer la comédie! Nous devons entrer sur scène en marchant sur les mains. Et pourquoi ? Parce qu’on nous aime ! Et pourquoi ? Parce qu’on nous craint ! Si on jouait la comédie, ici, ils n’auraient plus qu’à mettre la clé sous la porte, les autres, les grands, les nobles théâtres. Chez eux, le public s’ennuie à crever ! Leurs pièces de musée, leurs tragédies, leurs péplums. Ils s’égosillent sans bouger. Tandis qu’ici, aux Funambules, c’est vivant, ça saute, ça remue! La vie quoi ! Apparition. Disparition. Exactement comme dans la vie. Pan ! La savate ! Comme dans la vie ! Et quel public ! Il est pauvre, bien sûr, mais il est en or mon public. Tenez ! Regardez-les ! Là-haut au paradis ! »



Et sous nos yeux d’enfants ébahis on voit naître le jeune Frédérick Lemaître, le lion dramatique du boulevard, : « Quand je joue, je suis éperdument amoureux et quand le rideau tombe, le public s’en va avec mon amour. Vous comprenez, je lui en fais cadeau au public, de mon amour. Il est bien content et moi aussi. Je redeviens sage, calme, libre. Tranquille comme Baptiste ». Opposé à Baptiste, Jean-Baptiste Debureau, une autre célébrité du boulevard. L’on assiste aux amours contrariés de Nathalie pour Baptiste qui n’a n’à d’yeux que pour Garance aux relations sulfureuses en la personne de Lacenaire et Avril.
Lacenaire… Ecrivain public le jour et malfrat la nuit. Lui, se cache en lui, là où les autres ont voulu qu’il se cache : « Quand j’étais enfant, j’étais déjà plus lucide, plus intelligent que les autres. Ils ne me l’ont pas pardonné ! Ils voulaient que je sois comme eux. Levez la tête Pierre-François ! Regardez-moi ! Baissez les yeux ! Et ils m’ont meublé l’esprit de force avec de vieux livres. Tant de poussière dans une tête d’enfant…Ma mère, qui préférait mon imbécile de frère, et mon directeur de conscience me répétaient sans cesse : ‘Vous êtes trop fier, mon cher. Il faut rentrer en vous-même’. Alors, je suis rentré en moi-même. Je n’ai jamais pu en sortir. Les imprudents ! Me laisser seul avec moi-même ! Et ils me défendaient les mauvaises fréquentations. Quelle inconséquence ! N’aimer personne. Être seul. N’être aimé de personne. Être libre ! »



Tournée sous l'Occupation, en 1943, sortie en 1945, cette magnifique fresque historique occupe une place très particulière dans le cœur des cinéphiles. Est-ce dû à la magie des acteurs (Pierre Brasseur en séducteur invétéré, Jean-Louis Barrault en soupirant transi d'amour, et bien sûr Arletty, en amoureuse libre et innocente) ? à la beauté des décors d'Alexandre Trauner, qui reconstituent le Paris du boulevard du Crime, haut lieu du théâtre populaire sous Louis-Philippe ? au miracle des dialogues de Jacques Prévert : "Paris est tout petit pour ceux qui s'aiment comme nous d'un aussi grand amour" ? Allez savoir à quoi tient un tel prodige… En se plaçant davantage sous le signe du romantisme que de la vérité historique, ce film traverse le temps, miraculeusement préservé des critiques dont il peut faire l'objet. Car l'équipe de Marcel Carné n'avait au fond qu'un seul objectif : glorifier l'amour, à travers le personnage mythique de Garance. Le sommet du tandem Carné/Prévert (Drôle de drame, Les Visiteurs du soir, Quai des Brumes).

lundi 1 février 2010

Emily Loizeau : Pays sauvage

Avec Pays sauvage, elle arpente toujours les contrées visitées par Lewis Carroll, Bob Dylan ou Tom Waits, dont elle dit s'inspirer, mais semble plus apaisée. « Sur L'Autre Bout du mondeplanait la mort de mon père, souligne Emily Loizeau. Aujourd'hui, le deuil est fait. J'ai envie de vie. » Et cela s'entend dans sa musique et dans ses mots, qui ­tirent leur force des voyages imaginaires ou réels qu'entreprend la jeune femme. « J'aime les contes, j'aime leur poésie, leur façon de parler de choses intimes à travers le voile des histoires, explique-t-elle. Parler de soi dans une chanson est très étrange. On s'y livre et on s'y cache en même temps. »
Poétique, drôle, enchanteresse et fiere de l'être, elle impose son univers. Rare.

Emily Loizeau : Pays sauvage

Avec Pays sauvage, elle arpente toujours les contrées visitées par Lewis Carroll, Bob Dylan ou Tom Waits, dont elle dit s'inspirer, mais semble plus apaisée. « Sur L'Autre Bout du monde planait la mort de mon père, souligne Emily Loizeau. Aujourd'hui, le deuil est fait. J'ai envie de vie. » Et cela s'entend dans sa musique et dans ses mots, qui ­tirent leur force des voyages imaginaires ou réels qu'entreprend la jeune femme. « J'aime les contes, j'aime leur poésie, leur façon de parler de choses intimes à travers le voile des histoires, explique-t-elle. Parler de soi dans une chanson est très étrange. On s'y livre et on s'y cache en même temps. » Poétique, drôle, enchanteresse et fiere de l'être, elle impose son univers. Rare.

Le Boulevard du Crime et Les Enfants du Paradis


Le Boulevard du Crime décor d'Alexandre Trauner


"Entrez, entrez mesdames et messieurs il n'y en aura pas pour tout le monde !" Mais qu'est-ce qu'il a le quidam à harranguer la foule qui se draîne sur le boulevard ? Prenez un boulevard, justement, parisien de surcroit, à cheval sur deux arrondissements. Suivez son ancien tracé le long de l'enceinte de Charles V. En 1661 Louis XIV fit combler, puis planter d'arbres le fossé, de la Porte-Saint-Antoine à celle du Temple. Il porte depuis le nom de l'enclos des Templiers qui y avaient établi leur congrégation. Sur cette promenade offerte affluèrent bientôt petits rentiers du Marais et peuple du faubourg. Avec les promeneurs accoururent les bateleurs, paradeurs, montreurs de marionnettes, mimes et autres menus amuseurs, lesquels faisaient concurrence au seul théâtre autorisé à l'époque, le Théâtre-Français futur Comédie Française sise Place du Palais Royal.
Le temps marcha et avec lui le goût du public. Alors sur notre boulevard on y monta des théâtres. Aaaaah ! Les théâtres ! Je vois votre œil qui s’allume. On peut y lire tous les drames et mélodrames du répertoire. Vers 1760, un arlequin fameux comblait chaque soir la salle de son théâtre des Grands Danseurs, le premier du boulevard. A deux pas, disons un jet de pierre une autre baraque dit Théâtre des Associés, puis une troisième à savoir l'Ambigu-Comique virent le jour. Faut vous dire que les gens sortaient en ce temps là. Les rues étaient noires de monde et ils voulaient tous de la nouveauté. Aaaaah ! la nouveauté ! « C’est vieux comme le monde, la nouveauté ! »
Après l’ambigu, suivirent le Théâtre-Lyrique, le Cirque-Olympique, les Folies-Dramatiques, la Gaîté, les Funambules, les Délassements-Comiques, le Théâtre des Associés, le Théâtre des Pygmées, le Petit-Lazari, et de nombreux cabarets et café-concerts. C’est qu’il y avait du monde, en ce temps là sur la partie est de notre boulevard pour assister comme vous à la représentation.
Alors, dépêchez-vous messieurs, mesdames, prenez vos billets, C’est la dernière ! Après tout va disparaître lors de la réorganisation de Paris par le baron en 1862. Lors du percement de la place de la République, situées sur le trottoir opposé aux travaux, seules les Folies-Mayer rebaptisées Concertantes puis Nouvelles échappèrent à la folie générale tout en n’en gardant que le nom les Folies-Nouvelles, notez la majuscule, et demeurent actuellement sous le nom de Théâtre Déjazet. Mais qu’est-ce qu’un théâtre sans acteurs ? Eh bien, mesdames et messieurs, Je ne vous en offre pas un, mais deux.


Frédérick Lemaitre

Le premier Victor Hugo vit en lui l’acteur de génie. Il commence véritablement sa carrière d'acteur sur notre « boulevard du crime » dans des mélodrames. Lemaître, après des études au Conservatoire, se choisit le prénom de scène « Frédérick ». Refusé dans un premier temps à l’Odéon, il signe un engagement aux Variétés-Amusantes pour une pièce à trois acteurs, Pyrame et Thysbé. Il y jouait le rôle du lion. Et il rugit bien. Mais il crée notamment le personnage inspiré du bandit Robert Macaire dans l’Auberge des Adrets. Je vous laisse à penser si le public apprit le chemin des Folies-Dramatiques. Lorsque la popularité du drame romantique commença à décroître, il entra au Boulevard où il connut un succès durable, ce qui lui valut le surnom de « Talma des boulevards ».


Une fois qu’il avait traité les spectateurs d’imbéciles, le directeur exigea qu’il s’excuse, ce qu’il fit en ces termes plus qu’ambigus : « Messieurs, je vous ai appelés imbéciles ; c’est vrai. Je vous fais mes excuses ; j’ai tort. Je ne le referai plus ; je le regrette. »

Le mime Debureau par Nadar

Le second est un mime. Le plus grands des pierrots. Son père est né en 1761 à Amiens dans une vieille famille picarde. Tisserand de son métier, il vient à Paris pour y devenir danseur de corde. Il part ensuite pour Mayence, où il s'engage dans le régiment d'infanterie du maréchal Michael Wallis. Sa carrière militaire le mène en Bohême où il vit pendant treize ans. Il s'installe dans le ville de Kolin et épouse en secondes noces la servante Katerina Kralova qui lui donnera, en 1796, le fils Jean-Gaspard. En 1816, Michel Bertrand, directeur du Théâtre des Funambules, remarque le spectacle d'acrobatie des Debureau dans une cour de la rue Saint-Maur, à Paris, et engage sans hésiter la famille au grand complet. Trois ans plus tard, Jean-Gaspard Debureau remplace au pied levé le Pierrot en titre du théâtre qu'on vient de congédier; il connaît un succès immédiat. Cet heureux hasard décide de la longue carrière d'un pierrot entré dans la légende. "


Lacenaire

Ajoutez-y un coquin, un dénommé Lacenaire : né à Lyon, en 1803, exécuté en 1836, enfance malheureuse, blessure du collège, rejet de la religion puis de la société tout entière ; déserteur et faussaire, voleur puis assassin. Après un double assassinat minable il est dénoncé par ses complices alors qu'il séjournait à Chalon-sur-Saône. Il transforme son procès en tribune théâtrale et sa prison en salon. Il écrit Mémoires, révélations et poésie. Lors de son exécution Lacenaire déclare : « J'arrive à la mort par une mauvaise route, j'y monte par un escalier… ». Selon une autre version, exécuté un lundi, il aurait déclaré : « Voilà une semaine qui commence mal. » La guillotine qui pourtant vient de couper la tête d'Avril s'enraye. Lacenaire tourne la tête et fait face à la lame que l'aide du bourreau Sanson fait tomber. Comme la monarchie de Juillet s'inquiète du courant de sympathie qui monte dans l'opinion autour de cet assassin atypique, la Gazette des tribunaux, journal officiel, écrit, contre toute vérité, que le coupable « n'a pas su affronter l'échafaud sans trembler ».
Lacenaire, c’est aussi le déchaînement dans l’ordre des faits d’une volonté de subversion qui n’avait pu investir le champ des formes poétiques : plutôt que de décrire, tel Balzac avec Vautrin, le type du criminel romantique, Lacenaire, dans un même geste le réalise dans le vécu comme dans la littérature. Et, à ce titre, Lacenaire paraît anticiper la célèbre définition d’André Breton : “l’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard dans la foule.”
Prenez l’essentiel de ce qui précède : un boulevard, un théâtre, un acteur, un mime et un criminel. Ajoutez-y le talent d’un scénariste : Jacques Prévert, d’un décorateur Alexandre Trauner et d’un cinéaste Marcel Carné, et cela vous donnera l’un des plus grands films du cinéma français : Les Enfants du Paradis.
Paris, début du XIXème siècle. Sur le bou­le­vard du crime (sur­nom donné à l'époque au bou­le­vard du Temple), trois hommes sou­pirent pour la belle Ga­rance (Ar­let­ty). Le pre­mier, Bap­tiste De­bu­rau (Jean-​Louis Bar­rault), est un jeune mime ta­len­tueux mais ti­mide. Le deuxième, Fré­dé­rick Le­maître (Pierre Bras­seur), est un ac­teur de théâtre aussi am­bi­tieux qu'en­thou­siaste. Quant au troi­sième, il s'agit du cri­mi­nel Pierre Fran­çois La­ce­naire (Mar­cel Her­rand), dandy et as­sas­sin...




Les enfants du Paradis a été tourné du­rant l'Oc­cu­pa­tion : une épreuve in­con­tes­ta­ble­ment re­torse à franchir, lorsque l'on sait notamment que le chef dé­co­ra­teur Alexandre Trau­ner était juif et de­vait tra­vailler dans la clan­des­ti­ni­té. Par ailleurs, la lé­gis­la­tion ap­pli­quée aux films du­rant cette pé­riode leur in­ter­di­sait de durer plus de 100 mi­nutes ; afin d'at­teindre les 3 heures né­ces­saires à leur œuvre, Carné et Pré­vert durent donc ruser en dé­cou­pant l'his­toire en deux époques, res­pec­ti­ve­ment in­ti­tu­lées Le bou­le­vard du crime et L'homme blanc. Au bout du compte, le film sor­ti­ra en mars 1945, au len­de­main de la Li­bé­ra­tion.