samedi 31 janvier 2009

François par Béranger 2

L'ascension sociale de mon père me permet de faire mes humanités. Il en éprouve sans doute plus de fierté que moi, qui ne réalise que bien plus tard - à l'époque où je me confronte au monde ouvrier - quelle chance c'est d'avoir un bagage. D'être instruit. D'avoir en poche quelques armes culturelles, la tête bien faite.
Mon père est un autodidacte. On le mit sur le tas à douze ans, après le Certificat. La jeunesse de mon père est un roman de Zola. Sa mère, ouvrière chez Coty à Suresnes, prit ses trois mômes sous son bras et planta là son mari, pour cause d'enfer alcoolique. C'était la Belle Epoque de l'Absinthe. Mon père devint ainsi chef de famille à quinze ans. De 45 à 51 ou 52, il est élu député d'un département où l'a parachuté une grande formation politique. C'est un orateur de talent : il fait vibrer les foules des réunions électorales et réduit ses contradicteurs au silence. Je suis, debout sur ma chaise, un de ses fidèles supporters. Il abandonne la politique quand les alliances qu'on lui propose lui semblent trop puantes. J'ai une grande admiration pour la manière dont il a mené sa vie; pour ses prises de position; pour ses luttes; pour sa dignité, son dévouement; pour la façon dont il s'est élevé tout seul, sans renier quelques idées fortes auxquelles il croit, jusqu'à renoncer à une carrière. Et une grande tendresse aussi. Pendant l'Occupation, les écoles Primaires manquent d'instituteurs. C'est ma mère qui m'apprend à lire assez tôt, vers quatre ou cinq ans, selon la vieille méthode éprouvée. Je lis en quelques mois.
La lecture restera ma passion. Plus tard, je fais connaissance avec l'Ecole Primaire où, pour la première fois, je suis confronté à toutes sortes de gamins de tous les milieux : j'en garde un souvenir de violence et de vulgarité, comme plus tard à l'armée. J'ai tendance à comprendre assez vite, et à trouver qu'on pourrait avaler le programme de deux ans en trois trimestres... Pour cette raison je m'installe confortablement dans une honorable moyenne, à égale distance du vedettariat des premiers et de la honte des cancres du classement. J'ai la paix... Le latin, le grec, les langues vivantes, la physique et la chimie, l'histoire et la géographie sont l'ordinaire de ma scolarité, comme celui de tous les fils de bourgeois de l'époque. Ma préférence va à la rédaction d'abord, puis à la dissertation. Je suis moins attiré par les sciences. Les matières artistiques comme le dessin ou la musique me passionnent. Matières, hélas, déjà complètement sacrifiées par l'Enseignement... Me ressouvenant de ces années, je crois que je devins assez bon dans les matières où les profs l'étaient. J'en eus quelques-uns d'excellents. De l'importance de la qualité de l'enseignement et des enseignants...Rencontrant de bons profs de math ou de physique, j'aurais pu faire un ingénieur passable. Les sujets scientifiques me passionnent. Plus tard, je fis un technicien acceptable, quoique nonchalant. En première, dans un lycée à Paris, me vient l'idée saugrenue que l'enseignement est une chose bien fade, sans intérêt, qu'il faut envoyer tout ça aux orties pour se colleter avec la vraie vie. Mes parents en sont tristes, mais respectent mon choix. Ainsi, en septembre 54, je deviens ouvrier chez Renault. Mon père, après ses députations, y est retourné aussi ! Mais cette fois à la Direction Générale, chargé des relations avec les parlements... (en 36, il y était ouvrier tourneur...).
C'est insolite et original de travailler en usine et d'avoir fait du grec et du latin. Les prolos et fils de prolos n'y comprennent pas grand-chose : qu'est ce que je fous là ? C'est difficile de leur répondre : comment leur expliquer que je veux vivre autre chose, à eux pour qui lycées et universités sont un monde inaccessible. Assez vite je me rends compte qu'on ne se prolétarise pas comme ça, et que la culture, l'enseignement reçus, font une sacrée différence dans l'appréhension du quotidien. Chez des copains de travail intelligents, mais dont les qualités resteront toujours en friche, je découvre l'injustice fondamentale de la naissance, pérennisée par la société. L'usine c'est bien joli, mais ça abrutit vite... On cherche à compenser, naturellement, dans les temps libres. J'habite dans le onzième, à Paris, et je rencontre une bande de mon âge lassée du ronron dogmatique des Mouvements de Jeunesse. Avec eux, issus d'horizons divers – jeunes communistes, scouts de France, inorganisés, orphelins juifs en rupture de ban - on fonde une bande informelle qui se transforme vite en troupe de théâtre-amateur : La Roulotte.
Mime, danses folkloriques, marionnettes, chant, théâtre, deviennent l'essentiel de tous nos loisirs. Notre public, nos publics, seront généralement des défavorisés : enfants délinquants, prisonniers, malades dans les hôpitaux, sans doute parce que certains d'entre nous gardent des attaches avec leurs activités antérieures. Je deviens ainsi comédien et chanteur. Je compose mes premières chansons, façon folklo. J'imite Félix Leclerc, le premier avec Stéphane Goldman à chanter avec une guitare. Pendant les vacances d'été on s'organise des voyages en Europe dans un vieux car poussif. On joue la comédie et on chante partout où ça nous chante. C'est la belle vie. Et, ma foi, je me vois bien devenir professionnel... Mais l'Histoire en décide autrement.

vendredi 30 janvier 2009

Cul, Bite, Couilles...

Ma mère avait raison. Compte tenu du nombre de visiteurs chaque jour dans mon slip, je fais bien d’en changer régulièrement. Enfant, une des règles majeures de mon éducation était de changer de slip quotidiennement « au cas ou ». Le « au cas ou » entendait qu’en cas d’accident corporel, l’arrivée aux urgences ne couvre pas de honte ma mère si d’aventure mon slip était sale. Qu’importe la gravité tout tenait dans la propreté. L’important était surtout de ne pas ruiner ses efforts en se faisant écraser à hauteur du bassin par un trente tonnes. - « Dites donc, madame, c’est à vous le gosse qui va décéder au bloc ? » - « Oui, pourquoi ? » - « Ben, faudra voir à voir à lui apprendre à changer de slip, parce que là c’est un rien douteux ! Ici c’est un hôpital, madame, pas une laverie automatique ! » Et ma mère de fondre en larmes, non pas parce que j’allais mourir, mais parce qu’elle se pissait dessus de honte d’avoir pour gosse un saligaud. - « Pardon, maman, ce n’est pas ma faute, mais celle du camion. » Aurais-je lâché dans un râle avant de succomber. Pour se calmer les nerfs, je reste assuré que m mère aurait giflé le cadavre du pas propre.
Tout cela pour dire que je m’interroge sur le nombre de visiteurs sur mon blog, si d’aventure je n’avais pas publié un billet sur le slip kangourou, illustré par une image Google d’un slip du même nom. Je me rends compte que toute la force tient dans l’âme même de ce slip. Encore reste-il à définir si les slips ont une âme. Je me pencherai sur cette question théologique un peu plus tard. Pour l’heure je m’interroge sur les préoccupations de mes rares lecteurs qui passent en coup de vent dans mon slip sur mon blog après avoir consulté les moteurs de recherches Google avec les mots : Slip kangourou. Remarquez ça marche aussi avec « photo de nus » aussi ou « spécial nu » à propos de numéros de périodique photo traitant du sujet. « Galette de merde au cul » est plus rare mais j’ai eu un lecteur après cette recherche. Avec Chattes rasées et Chattes poilus je vais certainement recruter chez les amateurs de carrelage et de moquette. Anus, bite, cul, couilles, fellation, sodomie. Tiens là je tiens un potentiel énorme de lecteurs en devenir. Un peu comme la presse pro-gouvernementale, faut faire un peu la pute pour avoir des lecteurs.

jeudi 29 janvier 2009

Ulysse a bien du pot !

Refusant de se boucher les oreilles avec de la cire, notre Ulysse des temps modernes est irrémédiablement attiré par le chant des sirènes. Un congé sabbatique durement négocié en poche, il nous quitte donc le 31 janvier pour un périple de six mois autour de la planète. Mais il connaît ses classiques. Six mois, c’est parfois dix ans. Alors il part avec sa Pénélope, question de ne pas avoir a se chicorer la gueule avec les voisins au retour. Départ donc le 31 janvier pour retour prévu en août 2009. Un voyage de 46 000 km en avion, 10 000 en train et 3000 en voiture.
Paris
Chili (Santiago du Chili)
Ile de Pâques
Nouvelle Zélande
Australie
Tasmanie
Bali
Java
Singapour
Malaisie
Thaïlande
Cambodge
Vietnam
Chine (du Yunnam à Pékin) Paris
Vous pourrez suivre leur voyage en utilisant le lien
Bon vent, bonne route et prenez soin de vous.....

François par Béranger 1

Je suis né, je mourirai La formule est commode : elle permet de faire la plus courte bio du monde ! Cette citation, d'une rédaction d'un élève de primaire, résume en quelle estime je tiens ce qu'on appelle, pompeusement, la bio d'un chanteur. Ça commence mal ! Je veux bien que la biographie d'un auteur dont l’œuvre est conséquente soit un outil de premier ordre. Il n'est pas indifférent de savoir, par exemple, que le beau-père de Baudelaire, le Commandant Aupick, était une ordure de première classe. L'existence de ce militaire a probablement influencé durablement l'enfance et l'adolescence du petit Charles, puis son oeuvre. Pour être clair, disons qu'une biographie n'a d'intérêt que si l'œuvre de l 'auteur est signifiante. Mon oeuvre est-elle signifiante ? Je n'en sais rien. Ce que je sais, en revanche, c'est que la bio d'un chanteur doit faire 25 lignes maximum pour être lue en diagonale par des présentateurs pressés, ou des journalistes en mal de copie. Ce qu'on lira ici ne répond pas à cet impératif. Je m'en tiendrai donc, pour les gens pressés, à la citation du début : je suis né je mourirai Dans les pages qui suivent on s'étonnera, peut-être, de ne trouver aucune allusion à ma vie privée... Ou si peu. C'est que, justement, elle est privée. Mais qu'on se rassure : j'en ai bien une ! Celles et ceux qui la partagent n'en prendront pas ombrage : ils savent ce que je pense de ceux qui étalent ça au grand jour. Mais sans elles et sans eux, toute cette histoire n'aurait pas existé. Evidemment. MES JEUNES ANNEES... Béranger est mon vrai nom. Béranger, François, Marie. Mes frères et soeur se prénomment aussi Marie : notre mère a une particulière dévotion pour la Sainte Vierge. Je suis né en 1937. En août, pendant les chaleurs. Par hasard dans un village du Loiret, près de Montargis où mourut Aristide Bruant... Je n'ai pas d'admiration particulière pour le chansonnier montmartrois : l'origine de sa fortune reste un mystère. Le fait est qu'il acheta le château du coin sur le tard et qu'il y finit ses jours en hobereau. Après avoir fait l'essentiel de sa célébrité grâce aux voyous et aux prolos, engueulant les bourgeois venus s'encanailler dans son cabaret. C'est louche. Bref, il fit de belles chansons sur les pauvres. Mais peut-on être un grand artiste et un salaud ? Sans doute, oui. Quant à l'autre, le grand Béranger, ce n'est pas mon parent. Je trouve le personnage sympathique, mais l'œuvre assez rasoir. Du courage dans les convictions, jusqu'à la prison. Un vrai chansonnier quoi ! Et quelle célébrité de son vivant ! Mais, bon, Bruant, Béranger, c'est drôle. (?) Par hasard, disais-je, mon lieu de naissance. J'aurais dû dire nécessité : mes parents mariés un an avant, en plein Front Populaire, n'ont pas de logement on disait logement chez les pauvres, appartement chez les riches). Mon père travaille chez Renault, à Billancourt. Militant syndicaliste. Sa jeune femme, pendant les grèves, lui passe des sandwichs à travers les grilles. C'est l'époque des dures bagarres et des grands espoirs. Ma maman enceinte et sans logement passe donc les derniers mois de sa grossesse chez ses parents (mécanicien en cycles et couturière). Je ne suis jamais retourné dans ce village mais j'ai écrit une chanson où il est dit que ce doit être bien d'être de quelque part, d'avoir un pays, d'en partir, d'y revenir. Nostalgie des racines. J'ai vécu dans beaucoup de lieux, à la ville, à la campagne. Mais je suis de nulle part. J'ai des souvenirs très précis de ma petite enfance. Mes parents sont étonnés, à qui je raconte des détails infimes de la vie quotidienne. Les premiers congés-payés en vélo; le camping sous la tente fabriquée par ma mère; le vieux chanteur des rues, avec une moustache blanche, qui passait tous les samedis, et dont l'unique répertoire était Le temps des cerises. Je suis un bébé plutôt calme. Pendant que ma mère se tue la santé sur sa machine à coudre Singer à pédale (confection en série payée à la pièce), je joue pendant des heures à sortir du buffet, puis à ranger, le service à café en porcelaine, sans jamais rien casser. Les jouets m'ennuient. D'ailleurs ils sont rares. J'ai toujours préféré les objets qu'on utilise dans leur fonction première. Par exemple une bouteille de porto-pied de lampe ou un vieux pneu transformé en puits, me font braire. On habite Suresnes dans une pièce-cuisine au rez-de-chaussée. De la fenêtre on voit le train de banlieue. Ma mère me prend dans ses bras et on fait au-revoir de la main à mon père qui part à l'usine, dans son train, avec sa musette et sa gamelle. J'aime les trains. Beaucoup moins les banlieues et les villes en général. Mon père mobilisé. L'odeur et le tissus qui pique des uniformes de soldat. Les godasses à clous de l'Armée Française, leur odeur de graisse, et... les bandes molletières ! Ah ! La bande molletière ! Je n'en ai jamais porté, mais elle symbolise pour moi l'inesthétique, l'inutilité, la volonté qu'a l'armée de rendre le troufion ridicule. Comment voulez-vous qu'on gagne un guerre en emmaillotant ainsi les mollets du soldat de ces bandes informes et molles qui glissent, bouchonnent, s'emmêlent et font trébucher. Mon père démobilisé, commence une grande errance, au hasard des activités paternelles. Sans transition on passe d'un logement de prolo à un hôtel particulier de Boulogne, sur les bords de la Seine, où mon père dirige un Centre de Jeunesse. On est aux premières loges pour assister au bombardement des usines Renault par les Anglais. Quel beau feu d'artifice ! La gravité du bilan - 500 morts, 1500 blessés - ne me fait ni chaud ni froid. Je râle car il faut descendre aux abris. Le château mitoyen est la résidence du gouverneur militaire allemand. Perché sur une échelle appuyée au mur, je regarde pendant des heures le défilé des uniformes de l'armée occupante. Ils sont très forts en matière d'uniformes. Ça rutile et ça brille. Dans les rues, autour du château, leurs soldats exécutent des relèves de la garde impeccables, en chantant. Les gens sont très impressionnés par les chants de l'armée allemande : c'est juste et c'est à plusieurs voix. Ma mère chante. Elle est couturière. C'est de famille et de tradition. Elle chante les tubes de l'époque : Eliane Célis, Damia, Fréhel, Trénet, Jean Sablon, Jean Lumière. Mon père chante aussi et fait chanter : dans les Auberges de Jeunesse, dans les mouvements de jeunes en général, on a exhumé la vieille chanson française. Mon enfance est pleine de chansons. Ces dix premières années sont, comme pour beaucoup de gens je suppose, une sorte de paradis perdu dont je n'ai pris conscience que tardivement. La magie de l'enfance... J'ai raconté ça, au travers de quelques souvenirs précis, dans une chanson que personne ne connaît (!) :"Au Paradis Perdu", enregistrée dans la tradition du tango, avec le Sexteto Major de Buenos-Aires. D'autres châteaux encore. A la campagne. Des vaches, des chevaux, des cochons et des poules. Les arbres et les patates qui poussent. La pêche dans les petites rivières. Aucune ville ne m'attirera jamais autant que ça. Dans notre dernière résidence mon père se cache des autorités allemandes. Il appartient à un réseau qui fait passer en Zone Sud (la fameuse Zone Nono!), sous de fausses identités, des enfants juifs échappés à la Rafle du Vel d'Hiv et, plus généralement, aux mesures anti-juives des paltoquets obscènes de Vichy. D'ailleurs on l'arrête un matin. Des nervis en manteau de cuir et chapeau mou, la nuque rasée, l'embarquent dans une Traction Avant Citroën. On le relâche le soir. Il fallait qu'il s'explique sur un point de détail ubuesque : pourquoi n'a-t-il pas fait coudre la francisque de Pétain dans le blanc du drapeau français... Affaire d'Etat! Mes parents ont senti le vent du boulet. Des images-souvenirs à foison : Bichette : la vieille jument réformée de la cavalerie, reconvertie en bête de trait. Je suis le seul à pouvoir encore la monter, sans doute à cause de mon faible poids. Je la sors en douce de l'écurie. Comme elle est grande, je la conduis près d'un mur en ruine pour l'escalader, et nous partons à l'aventure, à la terreur de ma mère. L'extrême douceur de cette bête avec moi, ne refusant aucune fantaisie d'itinéraires, sauf les chemins trop abrupts où, sans doute, je pourrais tomber. La débâcle d'une unité allemande : cachés sous les arbres pendant le jour pour échapper aux avions, ils repartent de nuit, abandonnant tout ce qui les encombre. Au matin, les sous-bois sont jonchés de matériels de toutes sortes : armes, munitions, uniformes, à la grande joie des gamins. C'est l'époque où il faut, quand on en a un, soigneusement cacher son vélo : les Allemands aiment beaucoup les vélos des civils... Les Allemands (les boches...) crèvent de faim. Ils ne sont pas les seuls, mais eux réquisitionnent. En tuant des porcs à coups de fusil, par exemple, sans les saigner aussitôt, ce qui rend la viande immangeable. Maigre consolation pour le métayer lésé qui regarde la scène derrière une haie..Le boche donc, pour améliorer l'ordinaire, pratique aussi la pêche à la grenade dans le canal ou l'étang. Sur les milliers de poissons ainsi tués en une seconde, il prélève quelques kilos et laisse pourrir le reste. Haine des autochtones privés de pêche et de poissons depuis des années. Les premiers hommes noirs (des nègres !) que je vois en vrai sont des soldats de l'Intendance de l'armée US, conduisant d'énormes GMC. Ils éventrent des sacs d'oranges avec leur poignard-baïonnette, et nous en lancent comme on lance une balle au base-ball. Ils rient, mais on trouve cettefaçon très agressive. Je mange, ainsi, ma première orange et la trouve très amère : j'ignore qu'il faut la peler. Ma mère en pleure... Les amerlocks (ou amerloques ?) mangent beaucoup de corned-beef contenu dans des boites de cinq ou dix kilos. Après ouverture de la boite on trouve dix à quinze centimètres de belle graisse blanche figée, qu'ils jettent aux orties. On va la ramasser pour la cuisine : la première depuis des années. L'alcool est le seul produit qui manque aux hommes noirs (aux hommes blancs aussi, sans doute). Pour s'en procurer ils donnent tout : cigarettes en cartouches, chocolats en plaques, essence en jerrycans, rations individuelles, vêtements militaires. Le pharmacien troque ainsi son stock d'Eau de Cologne rebaptisé gin. L'haleine américaine sent la lavande. L'Amérique c'est la profusion. La surprise. Comme celle de ces vieux fumeurs privés de tabac depuis quatre ans, fumant goulûment les premières Philip-Morris (celles des paquets kakis) et se retrouvant, assommés, le cul dans l'herbe : elles contiennent, parait-il, une dose d'opium. La magie d'une ration individuelle de l'armée américaine... Cette boite à chaussures en carton paraffiné, complètement étanche, et ses multiples enveloppes successives qu'il faut éplucher comme un oignon pour découvrir lentement les trésors qu'elle contient : cigarettes, Nescafé, sucre et lait en poudre, biscuits vitaminés, et merveille des merveilles, la petite boite ronde contenant l'alcool solidifié pour réchauffer la gamelle... La cruauté des Résistants de la Dernière Heure et leur justice expéditive sur des innocents. Quelques jeunes femmes nues, pitoyables, la tête rasée, poussées en avant par la populace. Mon regard d'enfant sur leur ventre. Assez vite, après avoir vu les gamins et les gamines de mon âge jouer à des jeux bizarres, généralement derrière des haies touffues ou dans les herbes hautes, je joue au docteur avec une cousine. C'est une patiente très patiente et consentante. J'en garde un souvenir de grande chaleur, comme si la fièvre m'avait pris brusquement, accompagnée d'une essoufflante tachycardie. Mais mon premier amour est Marie-Louise R., fille d'amis de mes parents, dont les nattes blondes et les taches de rousseur me font défaillir. Sa petite robe en Vichy. La chaîne d'or à son cou avec une médaille de Sainte Thérèse. Bien sûr, je n'ai jamais osé jouer au docteur avec elle, et elle n'a jamais su ma passion.
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mercredi 28 janvier 2009

Le syndrome de Roncevaux

Depuis quelque temps j’ai constaté quelques troubles auditifs, notamment une corne de brume, permanente et lointaine, au creux de mon oreille droite comme si une flottille de caboteurs rentraient au port un jour de brouillard. J’ai donc consulté. Les mains moites, installé dans le fauteuil, l’aveuglante lumière de la frontale, dont se ceignit l’autorhinolaryngologiste, me plongea en état d’hypnose. Je glissai mes pieds sous la barre circulaire du fauteuil afin de lui permettre une approche confortable. Sur ses injonctions je tirai une langue chargée qu’il saisit et maintint sortie. Cette position incommode, m’interdisait toute protestation. Il m’avait bien en main. Je crispai mes orteils au point de pouvoir chausser trois pointures en dessous. A l’aide d’un abaisse-langue, il dégagea ma gorge. L’angoisse était à son comble. Je n’en montrai rien. J’avais tout simplement le trou du cul complètement ratatiné. Rien de grave. Je respirais par la bouche tel un phoque. Ma coopération à l’examen était des plus honorables. Hélas, il ne s’en contenta pas. La luette dans sa ligne de mire, il me réclama un khêêêêêêê! Auquel je ne pus répondre que par une plainte de lavabo en détresse. « - Détendez-vous » me susurra-t-il. Le contact rugueux de l’abaisse-langue se fit plus pressant. Le khêêêêêê! exigé, se transforma en grognements suivis de borborygmes divers et variés. Il lui était recommandé d'échanger sa blouse blanche contre un suroît et un ciré. Je n’allais pas tarder à régurgiter mon gratin dauphinois s'il continuait à s’acharner ainsi sur ma modeste personne. Nous nous octroyâmes une pause. J’écrasai deux larmes et avalai un verre d’eau. L’examen transita sur l’oreille droite, la malade. J'en avais le pavillon cramoisi. Il perçait la brume de son poinçon lumineux. Tout était calme dans le petit port de pêche de St Pierre et Miquelon. Nous sommes sortis faire une petite promenade en mer. - « Effectivement.. ». Son commentaire ne me dit rien qui vaille. Je ne le laissai pas achever son diagnostic et lâchais un « Ah! » tonitruant et bondis du fauteuil. Dans ma précipitation, j’en oubliai la barre circulaire. J'embarquai le praticien dans un corps à corps endiablé et lui arrachai au passage la lampe frontale. Une fois remis de nos émotions, il me signifia que je n’avais strictement rien. Donc ce bourdonnement interne n’était qu’une rumeur. Je demandais si le simple fait d’avoir passer quatre ans dans la marine pouvait avoir un rapport avec la corne de brume ? « Pourquoi pas le syndrome de Roncevaux !» rétorqua t-il, imperturbable. - « C’est grave ? » j’ai couiné. « Non, mais ça vous coûtera soixante euros, que vous voudrez bien régler à ma secrétaire» souffla t-il de façon presque inaudible. – « Soixante euros ! Vous avez dit soixante euros ? ». Il opina du chef. – « Vous voyez, vous allez déjà mieux. »

vendredi 23 janvier 2009

Robert Frank un regard étranger

« On doit à Robert Frank d’avoir associé et fait dialoguer photographie et poésie, littérature et peinture, initiant un langage qui affirme sa subjectivité tout en intégrant l’héritage de la photographie documentaire. » Au Jeu de Paume à Paris, du 20 janvier au 22 mars, l’exposition “Robert Frank, Un regard étranger” présente l’intégrale des photographies de la série “Les Américains” de 1953, le fond provenant de la collection de la Maison européenne de la photographie. Mais si Frank a fait “Les Américains”, il n’a jamais fait “Les Parisiens”. Au tout début des années 1950, alors qu’il était déjà installé à New York, il a réalisé des images de Paris avec un œil aiguisé par son éloignement. Une deuxième partie de l’exposition est dédiée aux photographies réalisées dans ce Paris des années 40 et du début des années 50. Au sein de l'exposition, seront présentés le premier film de Robert Frank, Pull My Daisy (1959) et son dernier film True Story (2004). La majeure partie de ses films sera également programmée à l'auditorium pendant toute la durée de l'exposition.
Robert Frank, Un regard étranger; musée du Jeu de Paume;
20 janvier au 22 mars 2009.

l'An 01 1/5

En pensant à François Béranger, il m’est revenu en mémoire qu’il avait composé la musique de l’An 01 un film de 1973, réalisé par Jacques Doillon, Alain Resnais, Jean Rouch et Gébé, adapté de la bande dessinée de ce dernier.
Le film narre un abandon utopique, consensuel et festif de l'économie de marché et du productivisme. La population décide d'un certain nombre de résolutions dont la première est « On arrête tout » et la deuxième « Après un temps d'arrêt total, ne seront ranimés - avec réticence - que les services et les productions dont le manque se révélera intolérable. Probablement : l'eau pour boire, l'électricité pour lire le soir, la TSF pour dire "Ce n'est pas la fin du monde, c'est l'an 01, et maintenant une page de Mécanique céleste" ». L'entrée en vigueur de ces résolutions correspond au premier jour d'une ère nouvelle, l'An 01.L’An 01 est emblématique de la contestation des années 1970 et aborde des thèmes aussi variés que l'écologie, la négation de l'autorité, l'amour libre, la vie en communauté, le rejet de la propriété privée et du travail.

jeudi 22 janvier 2009

Clystère et boule de gomme.



Je suis habité perpétuellement par le doute et l’angoisse. Cette angoisse associée aux autres n’est pas pour arranger mon système digestif bien mal en point. Car L’appareil digestif, du pharynx à l’anus, n’est qu’un long muscle en mouvement perpétuel. Et moi, ce mouvement perpétuel à l'intérieur de moi-même me perturbe.
Je suis donc allé recensé l’ensemble de mes troubles à un gastro-entérologue des plus attentifs. Installé sur sa table de consultation, il m'a ensuite ausculté l'abdomen, son regard translucide et clinicien, axé sur un point fixe. Sa forte respiration, accompagnée de marmonnements, inquiéta fort l’égrotant qu’il malaxait avec bienveillance. Il s’arracha à l'étreinte qui nous unissait et me demanda de relever mes genoux vers le menton. Son regard rivé au mien, comme celui d’un torero lors d’une mise à mort. Ce regard inquiétant, inquisiteur, fouillait mes pensées de façon impudique, s’insinuait en moi de même que son index en mon fondement. j'ai suffoqué. Il va sans dire qu'avec un toucher rectal de cette qualité, les yeux dans les yeux, il devait posséder un sacré chapelet de prostates à son actif.
Juste pour me rassurer, il m’a conseillé de procéder à une endoscopie, bien entendu sous anesthésie générale, de l’œsophage, de l’estomac, du rectum et du sigmoïde. Heureux d’apprendre que cette portion illo-pelvienne du colon en amont du rectum s’appelait ainsi, je me pliai à son jugement, songeant toutefois que toutes ces caméras en direct dans mon organisme, allaient me stresser comme un invité surprise à Taratata. Elles partiraient à l’assaut de l’inconnu en ce gouffre anatomique et établiraient leur jonction à Promontoire point, comme le firent l’Union Pacifique et la Central Pacifique le 10 mai 1869. Un microscopique gastro-entérologue équipé d’une lampe frontale, effectuerait lui-même les sondages, se mettrait en orbite autour de ma prostate, deviendrait mon petit satellite. Peut-être y découvrirait-on des gravures rupestres. Peut-être finirais-je classé au muséum d’histoire naturelle.
 La préparation à l’examen endoscopique nécessite d'ingurgiter deux litres d’une solution absolument imbuvable. Le lavage colique fut précédé de ballonnements surprenants. J’avais presque doublé de volume et souffrais d'épouvantables nausées de femme enceinte. Et vint la colique. Irrépressible. Frénétique. 
A la clinique, entouré de toute l'équipe du docteur, l'anesthésiste et deux assistants tout sourire, le gastro-entérologue est arrivé, cordial et rassurant. Il a levé l’index et je me suis endormi, pour me réveiller sur un chariot, recouvert d’un drap. En levant la tête, je voyais mes pieds blancs et nus qui dépassaient. Je me situais à l’angle d’une pièce, dont j’étais séparé par un paravent de toile écrue. J’ai fermé les yeux de douleur. J’avais les viscères crispés et une pantagruélique envie de péter. L’exploration des sondes avait été facilitée par insufflation d’air dans le bide. Ma femme allait être obligée de me ramener en me tenant au bout d’une ficelle. J’ai tenté une élimination assourdie de l'hélium de mon petit zeppelin incorporé. Le résultat fut peu probant. Quelqu’un toussa. Toussa et péta. Péta et toussa. Je n’en suis pas sûr. Ce qui l'était, c’est que je n'étais pas seul.
- « Vous voila réveillé, monsieur Untel. Vous allez bien...? Non, non! Ne vous levez pas tout de suite. Attendez encore un peu. Reposez-vous quelques minutes. Quand vous sentirez un peu mieux, vous pourrez vous habiller et partir. Quelqu’un va venir vous chercher, j'espère ? Votre feuille de maladie est à l’accueil. »
L'infirmière était partie. J’avais soif et la bouche pâteuse. Il n’y avait pas d’eau et je cherchai en vain une sonnette pour prévenir de mon réveil. Au terme de quelques minutes, monsieur Untel s’est habillé. J’ai discerné son ombre à travers le paravent. Je grattai la toile mais il ne m’entendit pas ou ne fit pas attention à moi. Je ne pouvais pas parler sans craindre une éruption. Ma respiration semblait alimenter mon aérostat. Je me suis cramponné sur les bords du chariot. Dans moins d’une minute j’allais flotter dans cette salle de repos, recouvert de mon drap, comme un personnage d’une toile de Magritte. Traverser la clinique et m'échapper par la première fenêtre ouverte. Je n'étais pas certain de pouvoir diriger l’engin, de naviguer à la seule propulsion de cet insolite carburant. L’horreur serait que je me vide d’un coup. Un exercice de haute voltige parfaitement incontrôlable. Mon corps qui tourbillonne dans les airs, fait des loopings, des vrilles, des piqués pour, à bout de course, s'écraser contre un mur à trois cents à l’heure. J'étais épouvanté de finir comme Aerton Sena.
Je n'étais pas le seul à avoir certaines dispositions pour les émanations orales du bas ventre. L’orage grondait. Les claquettes de l'infirmière résonnèrent sur le linoléum et on pria monsieur Machin de se préparer.
Mais, putain, combien étions-nous en cette salle de réveil, à respirer nos pestilences, à mettre en péril l’équilibre climatique ? Une véritable escadrille dont un membre, nouvellement promu, atterrit sur son petit chariot à côté de moi. J’ai attrapé l'infirmière au vol. Avant qu’elle ne déclame quoi que ce soit, je lui ai intimé l’ordre de se taire, en lui décochant un sourire assassin modèle 1952 modifié 2009, répertorié dans mon manuel de pilotage. Certain de ne plus être dénoncé par mon ange gardien, je me suis résolument laisser aller.

mardi 20 janvier 2009

Comment immigrer en France en 20 leçons

En ce jour mémorable ou tout le monde se mobilise pour l’arrivée du premier président noir à la tête des Etats-Unis, une petite fille congolaise de 12 ans, est retenue en zone d'attente à l'aéroport d'Orly depuis le 15 janvier après avoir quitté le Congo où sa mère est décédée pour retrouver son père en France. Le Réseau Education sans Frontières (RESF) avait appelé à "la libération" de la fillette dans un communiqué diffusé lundi. Selon RESF, les deux demandes de visa faites par le père de la fillette pour le rejoigne en France avaient été rejetées et sa fille placée en zone d'attente à son arrivée à Orly. Selon la préfecture, la petite fille était arrivée en France sans papiers d'admission en bonne et due forme et a été placée par la police aux frontières en zone d'attente. Un juge des libertés et de la détention a prolongé lundi matin son maintien en zone d'attente. "Le préfet l'a fait libérer dès qu'il l'a su" et que le père, en situation régulière en France, a pu fournir les documents établissant qu’elle était bien sa fille. La place d'une enfant de 12 ans est à l'école, pas en prison administrative.
Durant son long temps d’attente à Roissy, je ne sais si cette jeune fille à eu le temps de lire le petit livre de Luc Bassong, habilement déguisé en roman picaresque : « Coment immigrer en France en 20 leçons ». Comme le dit son auteur Luc Bassong, par la voix d’Isaac son héros : « La France souhaite accueillir de nouveaux immigrés (...) mais pas n'importe quelle catégorie ».Roublard et obstiné, ce Pied Nickelé moderne connaît sur le bout des doigts la rhétorique sarkozyste. Comme tout le monde, il sait que le temps est fini où l'Hexagone avait besoin de recruter des "bras" pour la guerre - les fameux "tirailleurs sénégalais", utilisés pour les guerres de 1914-1918 et de 1939-1945 -, puis, plus tard, pour ses usines et ses chantiers. A présent, « la France veut des cerveaux »... A travers les tribulations d'Isaac, marié et père de deux enfants, mais que taraude un irrépressible désir d'Europe, ce sont les espérances brisées et les rêves de départ de tout un peuple, celui des classes moyennes paupérisées des grandes villes africaines, que raconte Luc Bassong, lui-même "fils d'immigrés". Avec « Comment immigrer en France en 20 leçons », la tragédie prend les allures d'une farce. Et tout le monde en prend pour son grade. Les Français, bien sûr, et notamment les fonctionnaires de l'ambassade, dont le portrait, plus vrai que nature, donne envie de rire autant que de pleurer..."Quand le malheur frappe à ta porte, tu as intérêt à savoir sauter par la fenêtre", conclut le jeune héros, qui finira, après moult mésaventures, par arriver en France. Happy end ? Pas du tout. La fin du récit est amère et le malheur sans fin. C'est la seule morale de cette fable impertinente et crue.
Luc Bassong "Commment immigrer en France en 20 leçons" Max Milo (2006)

lundi 19 janvier 2009

Blague Carambar (1)


Leyssonesse est une contrée aussi improbable et dangereuse que Les Carpathesse. C’est une région si sauvage et désolée que je ne sais si des gens parviennent à y vivre en toutes quiétudes. Traverser dans la brume les nombreuses forêts ou sévissent loups, vampires et Goupils me glace le sang. Hélas, il paraît que désormais le vampire aime glaces et sorbets. C’est bien ma veine. Depuis ma fenêtre, j’ai donc tendu l’ouïe façon d’ouïr si la voix du loup se faisait entendre jusque ici. Chants, aboiements, grognements et gémissement forment un répertoire tellement riche chez cet animal, qu’il me transmet stress, tremblements et claquements de dents. Je n’ai entendu que le chant mélodieux, chargé de poésie assassine, des automobilistes et les lamentations des cyclistes agonisants sur le bas côté de la route. Tout allait bien. La voie était libre.
Nous avons donc usé un petit bout de vie chez les Goupil. Les Goupil sont des cousins de ma femme. Par conséquent, filialement ce sont aussi les miens. Les Goupil habitent une maison avec des carambars géants collés au plafond, loin très loin dans une forêt profonde de Leyssonesse. Ils appellent cela des poutres apparentes. Mais moi je vois bien que ce ne sont que des carambars géants. Il ne faut pas me prendre pour plus ballot que je ne suis. Quand je dis des carambars géants collés au plafond, c’est sans le papier d’emballage, bien entendu. Stéphane, le petit Goupil, collecte les points carambar. Au bout de dix millions de point carambar, il aura un ballon de foot en les retournant avec un chèque de 55 euros plus le coût du port. Il ne vous a pas échappé, qu'en cette saison, la nuit tombe vite. Alors, on a eu beau partir avant la tombée de la nuit, patatras, elle nous est tombée dessus sans prévenir. Après la Porte d’Italie c’est devenu la grande aventure. Isabelle, ma femme, dotée de Gilbert Montagné et Stevie Wonder comme copilotes ne se sentait pas très bien secondée. On la comprend. Faut avouer aussi, que chaque fois que nous nous rendons chez les Goupil nous nous perdons. En général on rate la route d’Orléans et de Rungis pour filer résolument vers l’inconnu. Notre escapade du soir n’a pas échappé à cette règle immuable. Le chef de meute des Goupil a eu beau s’égosiller que « putain, bordel, c’est quand-même pas difficile de prendre l’A6a/E50 puis rejoindre A6b/E50 en suivant le panneau Orly, Evry, Lyon qui t’amène à l’A10 Palaiseau, Etampes, Bordeaux, Nantes, Massy, Longjumeau avant de retrouver la N20 vers Orléans…. » ben nous on se perd quand-même, un point (carambar) c’est tout. Ce qui fait que Le Chemin de la Ville du bois et la route des Templiers qui passe par le rond-point des Bourguignons qui mène à Montlhéry…ben on ne l’a pas trouvée. On s’est retrouvé à Fleury Mérogis. Isabelle voulait qu’on demande. A qui ? Il n’y avait personne hormis peut-être le psychopathe en cavale de Prison Break. « Pardon monsieur, la route de Monfion sur Ogre, c’est par où ? » – « Descend d’ta bagnole, connard, où je m’occupe de ton fion avec mes amis et collègues ! » Déjà que j’avais un rendez-vous chez le gastro la semaine prochaine, je n’ai pas voulu tenter le Diable avec une bande de repris de justesse. Alors on a roulé sur la Grand rue de Fleury, pris l’avenue Jacques Duclos et, arrivés à la Place Saint-Exupéry, continués sur l'Avenue du Régiment Normandie-Niémen avant d’appeler mon cousin. « Putain, mais vous êtes où ? » Mon pauvre Goupil, si nous le savions, crois-tu que nous t’appellerions à l’aide, me suis lancé in petto. La route était vide. Les hangars à notre droite, sombres et menaçants. Pour ma part, je croyais bien me souvenir d’un Eléphant Bleu dans le coin mais je me suis abstenu de tout commentaire source évidente d’ennui. « De toutes façons, vous n’êtes plus très loin. »
Leyssonesse me fait peur. Je n’y suis jamais allé que de nuit et en hiver lorsque les éclairages publics inondent d’une lueur blafarde des rues mortes. On entendait gémir le vent. Des ululements pas très chouettes. Des boules de feu sur l’asphalte avec des rappeurs dedans qui niquaient ma mère et le faisaient savoir à qui voulait bien l’entendre. Puis le silence oppressant. Et à nouveau des boules de feu avec encore de rappeurs à la sexualité débridée. Il y eut soudain un coup tapé au carreau. Un cri. Peut-être le mien ! Et Goupil chef de meute était là devant nous avec son fusil, ses snow boots et sa peau d’opossum crânement posé sur le chef. Mine de rien, le Goupil chef de meute, ben il est fort. Très fort. On l’a congratulé. On l’a embrassé. Ah ! bon Dieu, qu’il avait fière allure le Goupil chef de meute quand il nous a retrouvés vivants et conduits jusqu’à sa maison de Monfion sur Ogre dans une des sombres forêts de l’Eyssonesse….

samedi 17 janvier 2009

Julien Clerc au Casino de Paris

Julien Clerc a posé ses valises dans cette splendide salle à l’ancienne du Casino de Paris pour y fêter ses quarante ans de carrière. Nous sommes allés lui rendre visite avant qu’il ne parte en tournée. En première partie la ravissante Coralie Clément que j’avais découvert en 2001 avec le bel album « Salle des pas perdus » est venue nous enchanter avec de belles petites histoires d’amours susurrés d’une voix tendre et sensuelle.
Puis ce fut le beau retour de l’élégant et séduisant sexagénaire dont je craignais qu’il ne fasse une part trop belle à son dernier album "Où s'en vont les avions ?", réalisé par Benjamin Biola. Il n’en fut rien. Un Julien Clerc à nouveau chic et classe à pris le relai de Coralie et alors, comme l’a écrit Véronique Montaigne dans le Monde.fr du 9 janvier, ce fut une « Bonne surprise, très bonne surprise : Julien Clerc, que l'on aurait pu craindre à court d'imagination, après toutes ces années, revient en scène le cœur ouvert, séduisant comme jamais, costume noir et chemise blanche, classe, très classe. Programmé au Casinode Paris jusqu'au 18 janvier, le chanteur confirme sa capacité à distraire avec élégance et qualité, en vingt-sept chansons précieusement choisies. » « Le récital est construit au millimètre, de Où s'en vont les avions ?, titre de son album paru en 2008, à Hair, dont il a créé la version française il y a bientôt quarante ans au Théâtre de la Porte-Saint-Martin à Paris. La salle, qui chante Let the Sunshine In, avec une foi hippie intacte sous les cheveux blanchissants, est debout. » (…) « C'est avec un subtil classicisme que Clerc développe avec aisance, veste sur l'épaule, salle fredonnante : "Tes paupières de fièvre/Sont à moi, sont à moi/Tes frayeurs, tes rêves/Sont à moi, sont à moi, sont à moi/Jaloux/Oui jaloux/Jaloux et jaloux de tout. » : chanson de velours, écrite pour lui en 1978 par Etienne Roda-Gill l'auteur fétiche, mort en 2004 et toujours le chouchou des fans de Julien Clerc, ceux que Roda dénommait le "club des patineurs". Excellent mélodiste, compositeur de toutes ses chansons, Clerc s'est souvent incliné devant le talent de ses paroliers, qu'il cite par ordre alphabétique en début de récital, tant chacun d'entre eux est important. » « De ces compagnons, il raconte des anecdotes en scène, des scènes fondatrices de ses débuts, quand, en 1967, il "auditionne" devant Bob Socquet directeur artistique chez Pathé-Marconi, tandis que ses deux copains "écrivants", Roda-Gil et Maurice Vallet, dit Momo, attendent au bistrot. Passé par un traitement antituberculeux très dopant, dit encore Julien Clerc, "Momo" écrit l'improbable Ivanovitch à la sortie du sanatorium, premier tube, avec La Cavalerie (1968), texte délirant de Roda-Gil. » « La justesse inconstante est celle que l'on connaît au chanteur depuis toujours. La voix est toujours forte, ample. Les chansons d'hier s'insèrent dans les plus nouvelles, sans effort, sans placage » (…) Cette (belle) imbrication s'appuie sur quatre jeunes musiciens (...) qui jouent chacun de tout : guitares, batterie, trompette, claviers, mélodica, banjo, choeurs... Ce montage inédit, une très bonne idée, laisse à Julien Clerc, le plus souvent au piano, la totale maîtrise du parcours. Sa capacité à zapper sans qu'on n'y voie goutte de la pure mélancolie aux joies créoles (Mélissa, David Mc Neil, 1985), son don de marier le populaire à l'hermétique, l'accessoire au politique, étonne toujours. »

jeudi 15 janvier 2009

Oliver Twist (1948) David Lean

J’ai noté avec plaisir que la période de Noël a été propice à la diffusion d’Olivier Twist dans deux adaptations différentes : l’une de 2007 émanant de la télévision britannique, l’autre de 2005 signé par l'auteur de Tess Roman Polanski. Ce dernier a disposé pour ce faire d’un budget conséquent et offre une version soignée avec des décors londoniens très fouillés, de jolies images d'Epinal dans les plans de campagne, lumières d'intérieurs louches très étudiées etc. mais son adaptation du roman de Charles Dickens reste mièvre et académique. Pas de lecture, pas de discours, pas de réécriture. En se voulant strictement fidèle, jusqu'au costume du moindre petit figurant, jusqu'aux accessoires les plus minuscules comme la tabatière en forme de cercueil du croque-mort, par exemple, il n'apporte rien au livre, voire même l'amoindrit. Soyons honnête, le film n’est pas désagréable et j'y ai pris du plaisir à sa lecture , mais tout reste trop propre dans ce film pour être vraiment passionnant. Seuls les bas-fonds de Londres ne s’en tirent pas trop mal mais auraient certainement gagné à être plus impurs. Pour ma part, parmi les nombreuses réalisations du roman, je retiendrai la puissante adaptation de David Lean en 1948 avec Alec Guiness dans le rôle de Fagin. L’histoire est poignante, la réalisation sans failles. Ce film garde toute sa force après plus de 50 ans. On est en plein réalisme populaire, avec une dramaturgie remarquable que n’aurait pas désavoué Charles Dickens lui-même. Contrairement à la trop fade et policée ouverture du film de Polanski, celle de David Lean est quant à elle magistrale. Voici le premier chapitre du roman dans sa traduction d’Alfred Girardin en 1837 et ce qu’en a tiré pour le cinéma David Lean.
« Parmi les divers monuments publics qui font l'orgueil d'une ville dont, par prudence, je tairai le nom, et à laquelle je ne veux pas donner un nom imaginaire, il en est un commun à la plupart des villes grandes ou petites : c'est le dépôt de mendicité. Un jour, dont il n'est pas nécessaire de préciser la date, d'autant plus qu'elle n'est d'aucune importance pour le lecteur, naquit dans ce dépôt de mendicité le petit mortel dont on a vu le nom en tête de ce chapitre. Longtemps après que le chirurgien des pauvres de la paroisse l'eut introduit dans ce monde de douleur, on doutait encore si le pauvre enfant vivrait assez pour porter un nom quelconque : s'il eût succombé, il est plus que probable que ces mémoires n'eussent jamais paru, ou bien, ne contenant que quelques pages, ils auraient eu l'inestimable mérite d'être le modèle de biographie le plus concis et le plus exact qu'aucune époque ou aucun pays n’ait jamais produit. Quoique je sois peu disposé à soutenir que ce soit pour un homme une faveur extraordinaire de la fortune, que de naître dans un dépôt de mendicité, je dois pourtant dire que, dans la circonstance actuelle, c'était ce qui pouvait arriver de plus heureux à Olivier Twist : le fait est qu'on eut beaucoup de peine à décider Olivier à remplir ses fonctions respiratoires, exercice fatigant, mais que l'habitude a rendu nécessaire au bien-être de notre existence ; pendant quelque temps il resta étendu sur un petit matelas de laine grossière, faisant des efforts pour respirer, balança pour ainsi dire entre la vie et la mort, et penchant davantage vers cette dernière. Si pendant ce court espace de temps Olivier eût été entouré d'aïeules empressées, de tantes inquiètes, de nourrices expérimentées et de médecins d'une profonde sagesse, il eût infailliblement péri en un instant ; mais comme il n'y avait là personne, sauf une pauvre vieille femme, qui n'y voyait guère par suite d'une double ration de bière, et un chirurgien payé à l'année pour cette besogne, Olivier et la nature luttèrent seul à seul. Le résultat fut qu'après quelques efforts, Olivier respira, éternua, et donna avis aux habitants du dépôt, de la nouvelle charge qui allait peser sur la paroisse, en poussant un cri aussi perçant qu'on pouvait l'attendre d'un enfant mâle qui n'était en possession que depuis trois minutes et demie de ce don utile qu'on appelle la voix. Au moment où Olivier donnait cette première preuve de la force et de la liberté de ses poumons, la petite couverture rapiécée jetée négligemment sur le lit de fer s'agita doucement. La figure pâle d'une jeune femme se souleva péniblement sur l'oreiller, et une voix faible articula avec difficulté ces mots : " Que je vois mon enfant avant de mourir ! " Le chirurgien était assis devant le feu, se chauffant et se frottant les mains tour à tour. À la voix de la jeune femme il se leva, et s'approchant du lit, il dit avec plus de douceur qu'on n'en eût pu attendre de son ministère : " Oh ! il ne faut pas encore parler de mourir. - Oh ! non, que Dieu la bénisse, la pauvre chère femme, dit la garde en remettant bien vite dans sa poche une bouteille dont elle venait de déguster le contenu avec une évidente satisfaction ; quand elle aura vécu aussi longtemps que moi, monsieur, qu'elle aura eu treize enfants et en aura perdu onze, puisque je n'en ai plus que deux qui sont avec moi au dépôt, elle pensera autrement. Voyons, songez au bonheur d'être mère, avec ce cher petit agneau. " Il est probable que cette perspective consolante de bonheur maternel ne produisit pas beaucoup d'effet. La malade secoua tristement la tête et tendit les mains vers l'enfant. Le chirurgien le lui mit dans les bras ; elle appliqua avec tendresse sur le front de l'enfant ses lèvres pâles et froides ; puis elle passa ses mains sur son propre visage, elle jeta autour d'elle un regard égaré, frissonna, retomba sur son lit, et mourut ; on lui frotta la poitrine, les mains, les tempes ; mais le sang était glacé pour toujours : on lui parlait d'espoir et de secours ; mais elle en avait été si longtemps privée, qu'il n'en était plus question. " C'est fini, madame Thingummy, dit enfin le chirurgien. - Ah ! pauvre femme, c'est bien vrai, dit la garde en ramassant la bouchon de la bouteille verte, qui était tombé sur le lit tandis qu'elle se baissait pour prendre l'enfant. Pauvre femme ! - Il est inutile de m'envoyer chercher si l'enfant crie, dit le chirurgien d'un air délibéré ; il est probable qu'il ne sera pas bien tranquille. Dans ce cas donnez-lui un peu de gruau. " Il mit son chapeau, et en gagnant la porte il s'arrêta près du lit et ajouta : " C'était une jolie fille, ma foi ; d'où venait-elle ? - On l'a amenée ici hier soir, répondit la vieille femme, par ordre de l'inspecteur ; on l'a trouvée gisant dans la rue ; elle avait fait un assez long trajet, car ses chaussures étaient en lambeaux ; mais d'où venait-elle, où allait-elle ? nul ne le sait. " Le chirurgien se pencha sur le corps, et soulevant la main gauche de la défunte : " Toujours la vieille histoire, dit-il en hochant la tête ; elle n'a pas d'alliance… Allons ! bonsoir. " Le docteur s'en alla dîner, et la garde, ayant encore une fois porté la bouteille à ses lèvres, s'assit sur une chaise basse devant le feu, et se mit à habiller l'enfant. Quel exemple frappant de l'influence du vêtement offrit alors le petit Olivier Twist ! Enveloppé dans la couverture qui jusqu'alors était son seul vêtement, il pouvait être fils d'un grand seigneur ou d'un mendiant : Il eût été difficile pour l'étranger le plus présomptueux de lui assigner un rang dans la société ; mais quand il fut enveloppé dans la vieille robe de calicot, jaunie à cet usage, il fut marqué et étiqueté, et se trouva, tout d'un coup à sa place : l'enfant de la paroisse, l'orphelin de l'hospice, le souffre-douleur affamé, destiné aux coups et aux mauvais traitements, au mépris de tout le monde, à la pitié de personne. Olivier criait de toute sa force. S'il eût pu savoir qu'il était orphelin, abandonné à la tendre compassion des marguilliers et des inspecteurs, peut-être eût-il crié encore plus fort. »
Voici maintenant l'ouverture du film de Roman Polanski. La version en est espagnole mais l'image en elle-même suffit à illustrer mon propos quant à la différence flagrante d'écriture cinématographique.

mercredi 14 janvier 2009

Mon ami 2/2

Un petit malien, un petit malien
qu’on aime d'amour tendre,
Va quitter la France
Nous laissant penauds.
Un petit malien, un petit malien
Qu’on aime d'amour tendre,
Va prendre l’avion
Là-haut tout là-haut.
Là-haut, tout là-haut,
Perdu aux creux des nuages
Il regarde en bas voir
Ses amis de passage.
Et il trouve dans ce curieux paysage
Des blancs sur du blanc,
Il trouve ça marrant,
Trop rafraîchissant…
Un petit malien, un petit malien,
qu’on aime d'amour tendre,
Se tire de France pour aller au chaud.
Un petit malien, un petit malien,
Qu’on aime d'amour tendre,
Après tant d’errance
File tout de go !
Car comme tout Malien
Il veut que vienne l'orage,
Qui apporterait du ciel
Bien plus qu'un message.
Qui pourrait d'un coup
Changer au cours du voyage,
La paille en travail,
Plein de victuailles, Une mouche en cheval.
Un petit malien, un petit malien,
qu’on aime d'amour tendre,
Va quitter la France,
Nous laissant penauds.
Un petit malien, un petit malien,
Qu’on aime d'amour tendre,
Fais un bon voyage
Peut-être à bientôt.
D'après Julette GRECO

dimanche 11 janvier 2009

Mon ami. 1/2

Se connaître à peine et s’aimer déjà. En près de vingt cinq ans nous ne nous sommes jamais vus qu’en un seul et même endroit. Celui ou nous travaillions. Jamais ailleurs. Moi à mon poste de travail et lui, comme tant d’autres était venu de loin pour y faire le ménage et vider ma poubelle. Rien de bien extraordinaire en sorte. Mais comme nous étions amenés à nous fréquenter aussi souvent que possible sous les néons, nos regards se sont souris et nos mains ont fini par se serrer.
Originaire d’un pays de culture orale et par essence l’homme étant doué de parole, nous avons donc communiqué. Mon ami est timide et réservé Au début, c’est entendu, bien des banalités furent échangées. Respectueux aussi. Trop peut-être. Question de culture. Puis un matin a commencé le voyage. Un voyage extraordinaire comme les Mille et une nuits sans sextant de poche, ni carte, ni boussole. Sous les néons, doucement, j’ai pris pied sur les rives du fleuve Niger à écouter le clapot de l’eau et les mille bruits de la nature comme un nouveau Mungo Park.
Mon ami ne sait ni lire ni écrire le français, et c’est entouré de milliers de livres dont il nettoyait les étagères qu’il fut en quelque sorte mon griot. Et j’écoutais ce sage raconter son là-bas le pays, le village, sa maman, sa famille, ses amis, son cheval avec ses beaux mots chargés de soleil et de poésie. Avec sa langue il faisait défiler tous les plus beaux paysages du Mali que je pouvais admirer dans la prunelle de ses yeux. J’y voyais la beauté, la luxuriance et parfois l’âpreté de la terre tant aimée, la sécheresse et ce puits, dont nous parlions souvent, qu’il a rêvé longtemps avant d’enfin le construire sou après sou. Songez un peu en prenant un bain combien il lui a fallu de sacrifice et de poubelles vidées pour que naisse ce puits dans un petit village du Mali ? Sa maman fut la première à bénéficier de l’eau courante. Le jour où il m’apprit la nouvelle, l’émotion nous a gagné tous les deux.
Il y a deux ans j’avais préparé une sélection discographique et un dossier sur les cinquante ans de la Soul et des labels Stax et Motown. Mon fils m’avait dégotté quelques pépites musicales en réédition ainsi que des illustrations de pochettes d’albums originaux. En voyant les photos toute la jeunesse de mon ami lui est remontée à la figure comme une bouffée de chaleur. Il avait eu tous les vinyles présentés et bien des dizaines d’autres encore, ainsi que la collection complète des disques de James Brown. Une sacrée mine d’or rangée dans une immense valise, prêtée un jour à je ne sais qui et qui n’est jamais revenue de voyage. Faut dire aussi, une valise. C’était prédestiné. Mais bon. Alors il me parla d’ici, quand il était jeune homme avec ses potes en coiffure afro et costard à pantalons pat’déph à écumer les boîtes au rythme de la Soul. I feel good ! La classe, man ! Ouais, la classe ! Et mon ami en riait la paume sur son front chauve car depuis bien sûr il y avait eu la femme et les enfants, l’éducation, le mélange des cultures, sa vie déchirée en deux et l’attente, cette longue et interminable attente du retour enfin au pays. Et puis les jambes rétives à force de les trainer sur les sols à pousser la machine à cirer, les reins cassées à vider les poubelles, les kilomètres d’un site à l’autre lors de gros déménagements, lui, toujours disponible donc toujours sollicité avec dans sa besace, en remontant son col par grand froid, les souvenirs tenaces d’une jeunesse perdue et d’une vie passée loin du Mali. Il faut manger ! dit-il. Il sait de quoi il parle avec neuf bouches à nourrir. Il faut être respectueux ! dit toujours mon ami. Et toujours mon ami a fait ce qu’on lui a demandé pour éviter bien des déboires aux siens. Bien éduquer ses enfants aussi, dans le respect du pays d’accueil et le respect des traditions familiales. Mais les enfants sont d’ici. Pour eux le Mali c’est loin. Un pays aussi inconnu que sa langue le Bambara. Pour l’heure leur vie est en France, pays qui les a vus naitre et grandir, avec son lot d’habitude, d'amitiés et d'amours. Alors dans les regrets et la solitude de mon ami je tente de le rassurer. Je lui dis qu’avec le temps ses enfants finiront bien par renouer avec leurs racines! Déjà ses ainés sont allés au Mali connaître leur grand-mère. De magnifiques retrouvailles qui les ont transformés. Je veux bien le croire. Alors pour quoi les autres ne finirait-ils pas par faire de même ? Inch'allah ! Répond mon ami.
Et puis ce qui pèse aussi, ce sont les copains de jeunesse partis. Ces déracinés du même bateau vers « Bako » nom bambara qui signifie "l'autre rive", comme le film éponyme de la fin des années 70, ce bouleversant voyage vers la lumière qui se transforme en voyage au bout de la nuit. Bako-la France, Bako-Pigalle, Bako-Belleville et Bako-la morgue. Mon ami et moi l’avons vu en son temps et nous en parlons de temps à autre comme une référence. Les amis sont partis, donc. Qu’importe comment. Ils ne sont plus. C’est la vie ! dit mon ami. Et quand en poussant sa bécane pour lustrer le linoléum de la bibliothèque nous écoutons du James Brown, cette musique finissait toujours par lui tirer malgré lui des larmes en souvenir des temps anciens et des Bako sur l’autre rive maintenant éternelle. Un jour il a eu cette extrême gentillesse d’apporter avec lui un album de photos que nous avons feuilleté ensemble. Présentés avec une grande pudeur par mon ami, ces déracinés étaient passés me dire bonjour. Je leur en serais éternellement reconnaissant.
Mon ami va partir lui aussi. Le temps de régler ses affaires et les dernières formalités avant de prendre l’avion sans force ni contrainte.
Vendredi dernier il à réunis quelques amis pour un pot d’adieu. J’ai été très touché que pour l’occasion viennent pratiquement tous ses enfants et petits-enfants. Sa fille ainée a lu un petit mot puis il a essayé de nous dire avec sa poésie à lui tout le bien qu’il pensait de nous. Tout le bien qu’il pensait de cette terre d’accueil sur laquelle il a passé plus de quarante ans de sa vie. Mais les mots passaient mal, se sont voilés dans sa bouche devenue amère et son regard s’est noyé de larmes.
Un proverbe malien dit « Quand un griot meurt, c’est une bibliothèque qui part en flammes ».
Mon ami s’en va. Mon griot part au pays des griots. Me reste son amitié et sa photo. Peut-être qu’un jour j’irais moi aussi sur les rives du fleuve Mali rendre visite à mon ami.
Qui sait. Inch'allah !

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vendredi 9 janvier 2009

Creuse (3)

Figée de froid au sortir de la nuit, l’année s’est levée sur un monde magique et merveilleux.
Comme pour conjurer le mauvais sort, les esprits chagrins fermèrent en hâte portes et fenêtres et ravivèrent une flambée de bois mort. Rien n’y fit. Ce matin-là on n’y voyait goutte. De spectrales frondaisons se dessinaient dans l’opacité du jour. Essuyant le carreau, je discernais quelques mésanges à la recherche de pitance dans les mangeoires du jardin. J’allais au bûcher chercher de quoi nourrir l’âtre. J’humais l’air de ses mille senteurs glacées autant enivrantes que indéfinissables.
Après un copieux petit déjeuner, déchirant de mon corps l’enveloppante brume je m’y suis enfoncé comme dans un rêve d’enfant. Devant-moi le chemin s’ouvrait tardivement sur une féerie énigmatique d’ombres hiératiques. A l’enchantement des yeux fouillant tout ce mystère s’ajoutait celui d’entendre le gai clapotis des ruisseaux et cascades ou le murmure plaintifs des ruisselets dans les blanches prairies. Mon esprit fatigué aspirait à une profonde détente et en marchant dans ces blanches solitudes, j’y ai enfin trouvé le repos.
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