lundi 21 novembre 2022
jeudi 17 novembre 2022
Des Lilas à Belleville, Edyy Mitchell & Ralph Meyer
Paris, années cinquante.
P'tit Claude a 14 ans. Trop grand pour être encore un enfant, trop petit pour être vraiment un adulte. Pour un peu, il serait nostalgique de sa jeunesse...
Ce mercredi de septembre, P'tit Claude s'ennuie. Ce sont les vacances, il n'a rien à faire. Il zone dans le Paris populaire, celui de Belleville et de la Place des Fêtes. Il traîne du côté des « fortifs », là où vivent ceux que la société rejette. Il s'arrête devant les cinémas et les kiosques à journaux, où s'empilent tous ces illustrés qui le font rêver.
Un jour, un certain Pépé leur propose, à lui et à son copain Marcel, de « croquer » sur son prochain coup. Rien à craindre, que du pognon facile à gagner, promet Pépé. Avec cet argent, Claude pourra s'offrir un électrophone et un costard. Peut-être même une moto. Et séduire les filles, enfin...
On ne présente plus Eddy Mitchell, Claude Moine, de son vrai nom. « Monsieur Eddy » raconte sa jeunesse de titi parisien. Le texte est agrémenté d'illustrations de Ralph Meyer qui dépeint avec tendresse les déambulations de P'tit Claude. Enfant de l'est de Paris également, le dessinateur d'Undertaker délaisse le temps d'un livre les plaines du Far-west pour explorer celles du 19e arrondissement parisien. Lesquelles ne sont pas forcément moins exotiques ni moins dangereuses !
lundi 7 novembre 2022
Rosa Bonheur, musée d'Orsay jusqu'au 15 janvier 2023
À l’occasion du bicentenaire de la naissance de l’artiste peintre Rosa Bonheur (1822-1899) à Bordeaux, le musée des Beaux-Arts de sa ville natale et le musée d’Orsay à Paris, présentent une importante rétrospective de son œuvre. Véritable icône de l’émancipation des femmes, Rosa Bonheur est une artiste hors norme, novatrice et inspirante. Elle plaça le monde vivant au cœur de son travail et de son existence et s’engagea pour la reconnaissance des animaux dans leur singularité.
Cette exposition permet de (re)découvrir la puissance et la richesse de son œuvre, en rassemblant et choisissant dans l’immense corpus de l’artiste une sélection exigeante d’environ 200 œuvres, comprenant des peintures, œuvres graphiques, sculptures, ou photographies issues des plus prestigieuses collections publiques et privées d’Europe et des États-Unis.
Par sa grande maîtrise technique, elle a su restituer avec perfection l’anatomie ainsi que la psychologie animales en exprimant dans ses œuvres leur vitalité et leur « âme ».
Célébrée dès son vivant des deux côtés de l’Atlantique, Rosa Bonheur su s’associer aux marchands et collectionneurs les plus éminents de son temps pour dominer le marché de l’art et conquérir son indépendance financière et morale. Elle fut la première femme artiste à recevoir la Légion d’honneur, et donc perçue comme un modèle à suivre dans la quête d’indépendance des femmes, et des artistes plus particulièrement.
mercredi 19 octobre 2022
Jean Teulé est mort !
source Libération
L’écrivain français et auteur de bande dessinée français Jean Teulé est mort jeudi. L’auteur de l’Œil de Pâques (1992), Balade pour un père oublié (1995), Darling (1998) a succombé à un arrêt cardio-respiratoire a confirmé, auprès de RTL, son éditrice historique Betty Mialet. «Betty Mialet et Bernard Barrault ont l’immense tristesse de devoir confirmer que leur auteur Jean Teulé aurait succombé hier soir, 18 octobre, à un arrêt cardiaque», écrivaient quelques heures plus tard les éditions Mialet-Barrault dans un communiqué.
Jean Teulé est mort à son domicile à Paris, a précisé une source policière. Selon les premiers éléments de l’enquête, le décès pourrait être lié à une intoxication alimentaire à l’issue d’un repas dans un restaurant, une hypothèse qui devra encore être confirmée. Il vivait depuis 1998 avec sa compagne, l’actrice Miou-Miou.
La télévision lui a assuré une certaine renommée auprès du grand public, d’abord au côté de Bernard Rapp dans l’émission l’Assiette anglaise, puis sur Canal + qu’il rejoint en 1994. Il a fait partie de l’aventure de «Nulle part ailleurs» en tant que chroniqueur. Il était aussi le compagnon de Miou-Miou depuis 1998.
Jean Teulé a remporté des récompenses originales comme le prix Trop Virilo 2015 avec Héloïse, ouille !, sur l’histoire d’amour avec Abélard, ou le prix Maison de la presse 2008 avec le Montespan, sur le mari Madame de Montespan, la maîtresse de Louis XIV.
L’élite littéraire parisienne a toujours considéré son œuvre avec distance, de même que lui ne prétendait pas en faire partie. «Je ne lis pas de romans. Je n’en lisais pas avant d’écrire, et je n’en lis toujours pas. […] Je n’ai pas envie que ça me coupe les pattes, et de me dire : s’il y a des mecs qui écrivent comme ça, c’est pas la peine que je prenne un crayon», disait-il sur France Inter en 2019.
Né le 26 février 1953 à Saint-Lô, ville normande sortie en ruines de la Seconde Guerre mondiale, Jean Teulé a d’abord été un élève médiocre en banlieue parisienne. Il était arrivé aux grands poètes non grâce à un professeur de lettres, mais par un disque. «C’est comme ça que j’ai découvert Rimbaud et Verlaine, et je suis tombé dedans grâce à [Léo] Ferré qui a chanté ça extraordinairement bien», racontait-il. «Moi aussi j’avais envie de faire mon boulot de passeur, et c’est ce qui s’est passé. Plein d’adolescents m’ont dit que sans moi ils n’auraient pas connu ces trois types-là».
Il est ensuite entré dans le monde de la culture via la bande dessinée alternative. Il est l’un des dessinateurs du magazine l’Echo des savanes de 1978 à 1983, puis il publie ses propres albums, à commencer par Bloody Mary en 1983. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Jean Teulé avait notamment reçu en 1990 un prix spécial du jury au festival d’Angoulême pour «sa contribution exceptionnelle au renouvellement du genre de la bande dessinée».
lundi 17 octobre 2022
Annie Ernaux la grande librairie
Annie Ernaux a été l'invitée exceptionnelle de ce numéro de "La Grande Librairie" à l'occasion de la parution, le 5 mai, de son livre "Le Jeune Homme", aux éditions Gallimard, ainsi que de la sortie du "Cahier de l'Herne" qui lui est consacré.
Lors de cette conversation en tête-à-tête avec François Busnel, l'auteure revient sur son parcours d'écrivain, son rapport à la littérature et aux mots. Annie Ernaux évoque également ses goûts littéraires, ses inspirations et aspirations et ses engagements pour la cause des femmes.
lundi 10 octobre 2022
Annie Ernaux
L’attribution du prix Nobel de littérature à Annie Ernaux a fait l’effet d’une véritable tempête. Si, à l’instar de l’académie suédoise, le monde entier salue chez la romancière française son sens aigu de l’observation sociale ainsi que la mémoire interpersonnelle que son écriture, à l’unisson d’une société qu’elle traverse, sait porter, l’accueil en France se montre nettement plus mitigé. Agité, il se révèle profondément divisé, clivé, fêlé. Comme si, plus largement, l’annonce de la distinction d’Annie Ernaux rejouait toutes les fractures littéraires, nationales et politiques qui, depuis bientôt quelques courtes années, agitent le débat public et dont, à son corps défendant, Annie Ernaux serait, depuis la littérature même, l’incarnation la plus accomplie : à la fois le symbole patent et le symptôme latent.(...)
(...)Rarement, en effet, on a pu assister à
un tel déchaînement de haine à l’égard d’une autrice qui, pourtant,
depuis l’attribution du prix Renaudot pour La Place en 1984,
jouit d’une vaillante reconnaissance critique et d’un plein succès
public que chacune de ses parutions successives depuis lors reconduit
avec une remarquable constance. Avant la haine, tout
semblait avoir débuté sous les meilleurs auspices : à l’annonce du prix,
ce fut fêtes, éloges et réjouissances, notamment sur les réseaux
sociaux. (...)
(...) Cependant, cette bonne nouvelle ne dura qu’un temps – très bref car, assez vite, politique atrabilaire des réseaux sociaux oblige, les diatribes et autres discours insultants et infondés commencèrent à se succéder tour à tour ou conjointement pour venir déplorer cette horreur ou plutôt ce Nobel comme contresens littéraire majeur qui revenait à couronner celle qui ne devrait pas l’être. Une violence inouïe, aux allures de cabale calomnieuse, commença dès lors à se déchaîner. On entendit tout et surtout, comme toujours sur les réseaux sociaux, absolument n’importe quoi : Annie Ernaux, antisémite. Annie Ernaux, racialiste. Annie Ernaux, séparatiste. Annie Ernaux, islamiste. Et même, surprise suprême, Annie Ernaux, pédophile. C’était le grand chelem de la Réaction qui se dévidait là : le débat public convertissait alors le discours positivement épidictique attendu autour de l’écrivaine en négativité polémique terrassante. À vrai dire, de manière paradoxale mais hautement violente, on ne parlait plus pour ce prix Nobel de littérature de littérature elle-même. C’est comme si ce Nobel d’Annie Ernaux était une littérature sans littérature : une monstruosité.
Par exemple la revue Inferno publie au sein d'un article sur Annie Ernaux : "Décidément, cette « académie » de vieilles huiles rances a franchi un pas de plus dans l’absurdité et l’indécence. Oser nobéliser une écrivaillonne si franco-française et si autocentrée sur sa médiocre personne relève d’un non-sens absolu, au vu de ce qui devrait normalement conduire les Nobel à récompenser une pensée universaliste et un rayonnement universel, une invention créative et une révolution formelle en profondeur de la littérature.
Donc en ce jour du 6 octobre 2022, notre chère académie s’est dépassée et a commis l’irréparable. Consacrer une aussi insignifiante greffière, totalement égotique, se rengorgeant de sa jeunesse misérable de pauvresse de bar-épicerie de province, est simplement surréaliste. En quoi Annie Ernaux est-elle universaliste ? En quoi ses écrits rétrécis et nombrilistes intéressent-ils l’humanité ? Quelles briques a t-elle apportées à la littérature française et mondiale ? De quel ciment a t-elle consolidé l’assise universelle de la littérature ?"
Pour ces détracteurs, tous plus virulents les uns que les autres, ce qui sans nul doute dépossédait le plus Annie Ernaux de la littérature, c’est le fait insurmontable d’être une autrice. D’ailleurs, de manière frappante, les annonces du prix dans les médias ne reprirent que trop peu ce qui faisait pourtant l’événement de l’événement, à savoir qu’il s’agissait de la première autrice française jamais couronnée par le Nobel fondé en 1901. Même France Inter, qui se donne tous les deux matins des allures progressistes et n’a pas d’ailleurs hésité à recevoir Annie Ernaux dans sa matinale de centre droit dès le vendredi, avait pourtant usé d’une formule très problématique en titrant : « Annie Ernaux, 16e auteur français à recevoir le Nobel ». Au-delà de ce qu’on veut croire être une simple maladresse témoignant néanmoins de la vivacité de l’habitus lexical patriarcal, c’est bien vite sous le presque unique vocable d’« hystéro-féministe » que le Nobel d’Ernaux fut dénigré avec insistance. Là encore, c’était comme si son Nobel était usurpé et se révélait être une imposture parce que c’est, avant tout, une femme qui écrit.
Dire du Nobel d’Annie Ernaux qu’il se voit rejeté parce que c’est une autrice qui est couronnée n’explique nullement un tel déchaînement de haines aussi diverses que variées. A l’évidence, quand Le Clézio et Modiano furent distingués, rien de tel ne se produisit.
jeudi 6 octobre 2022
Annie Ernaux prix Nobel de littérature 2022
l’écriture pour dire ce qu’est être une femme… À 82 ans, Annie Ernaux reste révoltée. Elle vient de recevoir le Prix Nobel de littérature 2022.
L'ensemble de son œuvre présenté ci dessous.
Les armoires vides 1974
Ce qu'ils disent ou rien 1977
" Ca ne vaut plus le coup d'avoir mes règles. Ma tante a dit : t'as perdu ta langue, Anne ? t'étais plus causante avant. C'est plutôt la leur de langue que j'ai perdue. Tout est désordre en moi, ça ne colle pas avec ce qu'ils disent ". Histoire d'une adolescente comme les autres, qui cherche à communiquer, à comprendre. Mais rien, dans le langage de ses parents, de l'étudiant qu'elle a rencontré, dans les mots des livres même, ne coïncide avec la réalité de ce qu'elle vit et elle se trouve renvoyée à la solitude.
La femme gelée 1981
Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un "cadre", mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée. C'est-à-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit être la condition "normale" d'une femme.
La Place 1983 Prix Renaudot
il n'est jamais entré dans un musée,
il ne lisait que Paris-Normandie et se servait toujours de son Opinel
pour manger. Ouvrier devenu petit commerçant, il espérait que sa
fille, grâce aux études, serait mieux que lui. Cette fille, Annie
Ernaux, refuse l'oubli des origines. Elle retrace la vie et la mort
de celui qui avait conquis sa petite " place au soleil ".
Et dévoile aussi la distance, douloureuse, survenue entre elle,
étudiante, et ce père aimé qui lui disait : " Les livres, la
musique, c'est bon pour toi.
Moi, je n'en ai pas besoin pour
vivre ". Ce récit dépouillé possède une dimension
universelle.
Une femme 1987
Annie Ernaux s'efforce ici de retrouver
les différents visages et la vie de sa mère, morte le 7 avril 1986,
au terme d'une maladie qui avait détruit sa mémoire et son
intégrité intellectuelle et physique. Elle, si active, si ouverte
au monde. Quête de l'existence d'une femme, ouvrière, puis
commerçante anxieuse de "tenir son rang" et d'apprendre.
Mise au jour, aussi, de l'évolution et de l'ambivalence des
sentiments d'une fille pour sa mère : amour, haine, tendresse,
culpabilité, et, pour finir, attachement viscéral à la vieille
femme diminuée.
"Je n'entendrai plus sa voix... J'ai perdu
le dernier lien avec le monde dont je suis issue."
Passion simple 1992
"A partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne me voir chez moi", A.E.
Journal du dehors 1993
"De 1985 à 1992, j'ai transcrit des scènes, des paroles, saisies dans le R. E. R., les hypermarchés, le centre commercial de la Ville Nouvelle, où je vis. Il me semble que je voulais ainsi retenir quelque chose de l'époque et des gens qu'on croise juste une fois, dont l'existence nous traverse en déclenchant du trouble, de la colère ou de la douleur." Annie Ernaux.
Je ne suis pas sortie de ma nuit 1997
Le honte 1997
J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année.
L'événement 2000
"Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse." Annie Ernaux
La vie extérieure 2000
Relisant ces pages, je m'aperçois que j'ai déjà oublié beaucoup de scènes et de faits. Il me semble même que ce n'est pas moi qui les ai transcrits. Ce sont comme des traces de temps et d'histoire, des fragments du texte que nous écrivons tous rien qu'en vivant. Pourtant, je sais aussi que dans les notations de cette vie extérieure, plus que dans un journal intime, se dessinent ma propre histoire et les figures de ma ressemblance.
Se perdre 2001
"[...] Je n'ai jamais rien su de
ses activités qui, officiellement, étaient d'ordre culturel. Je
m'étonne aujourd'hui de ne pas lui avoir posé plus de questions. Je
ne saurai jamais non plus ce que j'ai été pour lui. Son désir de
moi est la seule chose dont je sois assurée. C'était, dans tous les
sens du terme, l'amant de l'ombre. [...] J'ai conscience de publier
ce journal en raison d'une sorte de prescription intérieure, sans
souci de ce que lui, S., éprouvera.
À bon droit, il pourra
estimer qu'il s'agit d'un abus de pouvoir littéraire, voire d'une
trahison. Je conçois qu'il se défende par le rire ou le mépris,
"je ne la voyais que pour tirer mon coup". Je préférerais
qu'il accepte, même s'il ne le comprend pas, d'avoir été durant
des mois, à son insu, ce principe, merveilleux et terrifiant, de
désir, de mort et d'écriture." Annie Ernaux
l'occupation 2002
"J'avais quitté W. Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. À partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris." Annie Ernaux.
L'usage de la photo 2005 en collaboration avec Marc Marie
Souvent, depuis le début de notre relation, j'étais restée fascinée en découvrant au réveil la table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements emmêlés, jetés par terre n'importe où la veille au soir en faisant l'amour. C'était un paysage à chaque fois différent. Je me demande pourquoi l'idée de le photographier ne m'est pas venue plus tôt. Ni pourquoi je n'ai jamais proposé cela à aucun homme. Peut-être considérais-je qu'il y avait là quelque chose de vaguement honteux, ou d'indigne. En un sens, il était moins obscène pour moi de photographier le sexe de M. Peut-être aussi ne pouvais-je le faire qu'avec cet homme-là et qu'à cette période de ma vie.
Les années 2008 Prix Marguerite Duras, Prix François Mauriac
"La photo en noir et blanc d'une
petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En
fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes
robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le
rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant.
Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans
le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans
Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps
humiliant et sans importance de petite fille.
Au dos : août
1949, Sotteville-sur-Mer." Au travers de photos et de souvenirs
laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux
nous fait ressentir le passage des années, de l'après-guerre à
aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme
nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.
L'autre fille 2011
Mais même le silence contribue à
forger un récit qui donne des contours à cette petite fille morte.
Car forcément, elle joue un rôle dans l’identité de l’auteur.
Les quelques mots, terribles, prononcés par la mère ; des
photographies, une tombe, des objets, des murmures, un livret de
famille : ainsi se construit, dans le réel et dans l’imaginaire,
la fiction de cette « aînée » pour celle à qui l’on ne dit
rien.
Reste à savoir si la seconde fille, Annie, est autorisée
à devenir ce qu’elle devient par la mort de la première. Le
premier trio familial n'a disparu que pour se reformer à
l’identique, l’histoire et les enfances se répètent de manière
saisissante, mais une distance infranchissable sépare ces deux
filles. C’est en évaluant très exactement cette distance que
l’auteur trouve le sens du mystère qui lui a été confié un
dimanche de ses dix ans.
L'atelier noir 2011
Tous les livres que j'ai écrits ont
été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions
et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées. A
partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail
d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de
le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle
irrésolution entre des projets, entre des désirs.
Une sorte
d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond
à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre
que j'entrevois, au loin, dans la clarté. A. E. Parallèlement à
ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture ; une
sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre
une incursion rare de "l'autre côté" de l'oeuvre. Plongé
au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du
long dialogue de l'autrice avec elle-même : la pensée taillée au
couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement ; des
associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.
Pour
la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter
l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.
Retour à Yvetot 2013
Est-ce que, moi, la petite fille de
l'épicerie de la rue du Clos - des - Parts, immergée enfant et
adolescente dans une langue parlée populaire, un monde populaire. je
vais écrire, prendre mes modèles, dans la langue littéraire
acquise, apprise, la langue que j'enseigne puisque je suis devenue
professeur de lettres ? Est-ce que. sans me poser de questions, je
vais écrire dans la langue littéraire où je suis entrée par
effraction, " la langue de l'ennemi " comme disait Jean
Genet, entendez l'ennemi de ma classe sociale ? Comment puis-je
écrire, moi, en quelque sorte immigrée de l'intérieur ? Depuis le
début j'ai été prise dans une tension, un déchirement même,
entre la langue littéraire, celle que j'ai étudiée, aimée, et la
langue d'origine.
la langue de la maison, de mes parents, la
langue des dominés. celle dont j'ai eu honte ensuite mais qui
restera toujours en moi-même. Tout au fond la question est : comment
en écrivant, ne pas trahir le monde dont je suis issue ?
Regarde les lumières mon amour 2014
Souvent, j'ai été accablée par un sentiment d'impuissance et d'injustice en sortant de l'hypermarché. Pour autant, je n'ai jamais cessé de ressentir l'attractivité de ce lieu et de la vie collective, subtile, spécifique, qui s'y déroule.
Mémoire de fille 2016
"J'ai voulu l'oublier cette fille.
L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur
elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa
folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y
suis jamais parvenue." Annie Ernaux replonge dans l'été 1958,
celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans
l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son
corps et sur son existence durant deux années.
S'appuyant sur
des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres
écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu'elle a été
dans un va-et-vient entre hier et aujourd'hui.
Hôtel Casanova 2020
"J'ai retrouvé une lettre de P.
dans un dossier de factures datant des années quatre-vingt. Une
grande feuille blanche pliée en quatre, avec des taches de sperme
qui avaient jauni et durci le papier, lui donnant une contexture
transparente et granuleuse. Il y avait seulement écrit, en haut, à
droite, Paris, 11 mai 1984, 23 heures 20, vendredi. C'est tout ce
qu'il me reste de cet homme." Passion sensuelle, amour maternel
heurté, vertiges du transfuge, écriture-révolution, hommage à
Pierre Bourdieu.
En douze textes, composés entre 1984 et 2006,
ce recueil est une invitation à découvrir l'écriture rare d'Annie
Ernaux et à s'initier, pas à pas, à ses thèmes les plus
obsessionnels et fondateurs.
Le jeune homme 2022
En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la "fille scandaleuse" de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture. Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
Ecrire la vie 2011
"Ecrire n'est pas pour moi un
substitut de l'amour, mais quelque chose de plus que l'amour ou que
la vie". 15 janvier 1963 "Cette sensation terrible,
toujours, d'être à la recherche de l'écriture "inconnue",
comme cela m'arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois
le temps passer, nécessité d'écrire contre le temps, la
vieillesse". 3 août 1990 "Ecrire la vie. Non pas ma vie,
ni sa vie, ni même une vie.
La vie, avec ses contenus qui sont
les mêmes pour tous mais que l'on éprouve de façon individuelle :
le corps, l'éducation, l'appartenance et la condition sexuelles, la
trajectoire sociale, l'existence des autres, la maladie, le deuil. Je
n'ai pas cherché à m'écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me
suis servie d'elle, des événements, généralement ordinaires, qui
l'ont traversée, des situations et des sentiments qu'il m'a été
donné de connaître, comme d'une matière à explorer pour saisir et
mettre au jour quelque chose de l'ordre d'une vérité sensible".
es onze ouvrages sélectionnés pour ce volume, précédemment parus dans la « collection blanche », répondent à ce premier corpus dans un autre registre : le drame assumé, sinon exorcisé. « Écrire la vie » prend alors un autre sens : sans l’écriture qui livre le chemin d’une vie libre, il n’y aurait que souffrance, remords, accablement et refoulement. La passion de l’écriture se confond avec la passion de la vie, après l’avoir engendrée. Vivre et écrire ne font plus qu’un. Rien n’est banal, rien n’est dérisoire.
À ces onze romans s’ajoutent dix
textes brefs : tous sont de courts récits, des observations, des
réflexions sur l’écriture ou la lecture (à l’exception d’une
fiction, « Hôtel Casanova »).
mardi 31 mai 2022
Son oeil dans ma main, Algérie 1961-2019. Institut Monde Arabe jusqu'au 17 juillet
Le 5 juillet, l’Algérie fêtera les 60 ans de son indépendance. Pour l’occasion, la bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe a décidé de mettre en parallèle le regard de deux artistes : le photographe Raymond Depardon qui a shooté cette période charnière à Alger et à Évian (où les prémices des accords ont été établis) en 1961 et y est revenu en 2019, et l’auteur Kamel Daoud.
Entre Alger, Évian et Oran, des années 60 à 2019, cette exposition se divise en 3 parties et révèle plus de 80 clichés, un film et des textes inédits de Kamel Daoud sur le sujet.
Rendez-vous à la bibliothèque de l’Institut du Monde Arabe, du 8 février au 17 juillet 2022.
mardi 24 mai 2022
Allemagne années 20, jusqu'au 5 septembre au centre Pompidou
Cette exposition sur l’art et la culture de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité) en Allemagne est la première vue d’ensemble sur ce courant artistique en France. Outre la peinture et la photographie, le projet réunit l’architecture, le design, le cinéma, le théâtre, la littérature et la musique.
Métropole au cœur d’une Europe traversée de multiples crises, foyer choisi par tant d’artistes, Berlin est un carrefour où se croisent les enjeux géopolitiques et les nouvelles formes de la création, l’hospitalité envers les réfugiés et les mutations de l’urbanisme, les traces d’une histoire heurtée et l’expression des générations à venir. Croisant tous les arts et toutes les disciplines, dans des ambiances festives et sérieuses, « Berlin, nos années 20 » est une invitation à interroger ce qui fait battre le cœur de Berlin en ces nouvelles années vingt : sa place dans le monde, son univers littéraire ou théâtral, ou encore ses scènes électro ou queer…
Du rap de Yetundey au théâtre de Rimini Protokoll, de la parole de Thomas Ostermeier, Wolfgang Tillmans ou Tino Sehgal aux chorégraphies filmées par Meg Stuart sur les toits de Berlin, toutes les facettes de la ville se dévoilent en salle et dans le Forum, dans une scénographie originale conçue par le collectif berlinois Raumlabor (Lion d'or de la Biennale d'architecture de Venise 2021).
En invitant de grandes voix à raconter « leur » Berlin ; en conviant la Berlinale à prendre ses quartiers à Paris pour une édition spéciale de ce grand festival de cinéma, le Centre Pompidou, la Bibliothèque publique d’information (Bpi) et l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) ne vous convient pas seulement à découvrir celles et ceux qui font l’actualité de la capitale allemande : ils vous invitent à regarder le monde depuis cette ville hors-normes.
Il photographiait les paysans, les ouvriers, les femmes, les artistes… dans l’Allemagne du premier XXe siècle. Dans le cadre de l’événement “Allemagne/Années 1920/Nouvelle Objectivité/August Sander”, le centre Pompidou expose le travail de ce témoin essentiel des révolutions de son temps. À voir jusqu’au 5 septembre.
Près de 1 800 négatifs, 619 images, 45 portfolios et des centaines d’hommes, de femmes, d’enfants. Projet fou qu’Hommes du XXe siècle, « œuvre majeure de l’histoire de la photographie, traversée par les forces et les contradictions d’une Allemagne qui bascule dans le fascisme », analyse le conservateur Florian Ebner et cocommissaire de l’exposition qui lui est consacrée au Centre Pompidou. Son auteur ? Le grand portraitiste allemand August Sander (1876-1964). « On oublie souvent que c’était un photographe ambulant : toutes les fins de semaine, il arpentait la forêt du Westerwald, au sud de Cologne, à la recherche de personnes à photographier. » De la petite gitane au pâtissier, toute la société défile devant l’objectif d’August Sander. Son style ? Documentaire, à savoir des portraits archétypaux, pris selon un même protocole, mettant en avant non pas l’intériorité, mais les signes extérieurs des sujets photographiés, habit ou posture.