mercredi 19 octobre 2022

Jean Teulé est mort !

 

 

source Libération

L’écrivain français et auteur de bande dessinée français Jean Teulé est mort jeudi. L’auteur de l’Œil de Pâques (1992), Balade pour un père oublié (1995), Darling (1998) a succombé à un arrêt cardio-respiratoire a confirmé, auprès de RTL, son éditrice historique Betty Mialet. «Betty Mialet et Bernard Barrault ont l’immense tristesse de devoir confirmer que leur auteur Jean Teulé aurait succombé hier soir, 18 octobre, à un arrêt cardiaque», écrivaient quelques heures plus tard les éditions Mialet-Barrault dans un communiqué.

Jean Teulé est mort à son domicile à Paris, a précisé une source policière. Selon les premiers éléments de l’enquête, le décès pourrait être lié à une intoxication alimentaire à l’issue d’un repas dans un restaurant, une hypothèse qui devra encore être confirmée. Il vivait depuis 1998 avec sa compagne, l’actrice Miou-Miou.

La télévision lui a assuré une certaine renommée auprès du grand public, d’abord au côté de Bernard Rapp dans l’émission l’Assiette anglaise, puis sur Canal + qu’il rejoint en 1994. Il a fait partie de l’aventure de «Nulle part ailleurs» en tant que chroniqueur. Il était aussi le compagnon de Miou-Miou depuis 1998.


Jean Teulé a remporté des récompenses originales comme le prix Trop Virilo 2015 avec Héloïse, ouille !, sur l’histoire d’amour avec Abélard, ou le prix Maison de la presse 2008 avec le Montespan, sur le mari Madame de Montespan, la maîtresse de Louis XIV.

L’élite littéraire parisienne a toujours considéré son œuvre avec distance, de même que lui ne prétendait pas en faire partie. «Je ne lis pas de romans. Je n’en lisais pas avant d’écrire, et je n’en lis toujours pas. […] Je n’ai pas envie que ça me coupe les pattes, et de me dire : s’il y a des mecs qui écrivent comme ça, c’est pas la peine que je prenne un crayon», disait-il sur France Inter en 2019.

Né le 26 février 1953 à Saint-Lô, ville normande sortie en ruines de la Seconde Guerre mondiale, Jean Teulé a d’abord été un élève médiocre en banlieue parisienne. Il était arrivé aux grands poètes non grâce à un professeur de lettres, mais par un disque. «C’est comme ça que j’ai découvert Rimbaud et Verlaine, et je suis tombé dedans grâce à [Léo] Ferré qui a chanté ça extraordinairement bien», racontait-il. «Moi aussi j’avais envie de faire mon boulot de passeur, et c’est ce qui s’est passé. Plein d’adolescents m’ont dit que sans moi ils n’auraient pas connu ces trois types-là».

Il est ensuite entré dans le monde de la culture via la bande dessinée alternative. Il est l’un des dessinateurs du magazine l’Echo des savanes de 1978 à 1983, puis il publie ses propres albums, à commencer par Bloody Mary en 1983. Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, Jean Teulé avait notamment reçu en 1990 un prix spécial du jury au festival d’Angoulême pour «sa contribution exceptionnelle au renouvellement du genre de la bande dessinée».


lundi 17 octobre 2022

Annie Ernaux la grande librairie

 



lundi 10 octobre 2022

Annie Ernaux

 


    L’attribution du prix Nobel de littérature à Annie Ernaux a fait l’effet d’une véritable tempête. Si, à l’instar de l’académie suédoise, le monde entier salue chez la romancière française son sens aigu de l’observation sociale ainsi que la mémoire interpersonnelle que son écriture, à l’unisson d’une société qu’elle traverse, sait porter, l’accueil en France se montre nettement plus mitigé. Agité, il se révèle profondément divisé, clivé, fêlé. Comme si, plus largement, l’annonce de la distinction d’Annie Ernaux rejouait toutes les fractures littéraires, nationales et politiques qui, depuis bientôt quelques courtes années, agitent le débat public et dont, à son corps défendant, Annie Ernaux serait, depuis la littérature même, l’incarnation la plus accomplie : à la fois le symbole patent et le symptôme latent.(...)

(...)Rarement, en effet, on a pu assister à un tel déchaînement de haine à l’égard d’une autrice qui, pourtant, depuis l’attribution du prix Renaudot pour La Place en 1984, jouit d’une vaillante reconnaissance critique et d’un plein succès public que chacune de ses parutions successives depuis lors reconduit avec une remarquable constance. Avant la haine, tout semblait avoir débuté sous les meilleurs auspices : à l’annonce du prix, ce fut fêtes, éloges et réjouissances, notamment sur les réseaux sociaux. (...)

 

 (...) Cependant, cette bonne nouvelle ne dura qu’un temps – très bref car, assez vite, politique atrabilaire des réseaux sociaux oblige, les diatribes et autres discours insultants et infondés commencèrent à se succéder tour à tour ou conjointement pour venir déplorer cette horreur ou plutôt ce Nobel comme contresens littéraire majeur qui revenait à couronner celle qui ne devrait pas l’être. Une violence inouïe, aux allures de cabale calomnieuse, commença dès lors à se déchaîner. On entendit tout et surtout, comme toujours sur les réseaux sociaux, absolument n’importe quoi : Annie Ernaux, antisémite. Annie Ernaux, racialiste. Annie Ernaux, séparatiste. Annie Ernaux, islamiste. Et même, surprise suprême, Annie Ernaux, pédophile. C’était le grand chelem de la Réaction qui se dévidait là : le débat public convertissait alors le discours positivement épidictique attendu autour de l’écrivaine en négativité polémique terrassante. À vrai dire, de manière paradoxale mais hautement violente, on ne parlait plus pour ce prix Nobel de littérature de littérature elle-même. C’est comme si ce Nobel d’Annie Ernaux était une littérature sans littérature : une monstruosité.

 

 Par exemple la revue Inferno publie au sein d'un article sur Annie Ernaux : "Décidément, cette « académie » de vieilles huiles rances a franchi un pas de plus dans l’absurdité et l’indécence. Oser nobéliser une écrivaillonne si franco-française et si autocentrée sur sa médiocre personne relève d’un non-sens absolu, au vu de ce qui devrait normalement conduire les Nobel à récompenser une pensée universaliste et un rayonnement universel, une invention créative et une révolution formelle en profondeur de la littérature.

Donc en ce jour du 6 octobre 2022, notre chère académie s’est dépassée et a commis l’irréparable. Consacrer une aussi insignifiante greffière, totalement égotique, se rengorgeant de sa jeunesse misérable de pauvresse de bar-épicerie de province, est simplement surréaliste. En quoi Annie Ernaux est-elle universaliste ? En quoi ses écrits rétrécis et nombrilistes intéressent-ils l’humanité ? Quelles briques a t-elle apportées à la littérature française et mondiale ? De quel ciment a t-elle consolidé l’assise universelle de la littérature ?"

Pour ces détracteurs, tous plus virulents les uns que les autres, ce qui sans nul doute dépossédait le plus Annie Ernaux de la littérature, c’est le fait insurmontable d’être une autrice. D’ailleurs, de manière frappante, les annonces du prix dans les médias ne reprirent que trop peu ce qui faisait pourtant l’événement de l’événement, à savoir qu’il s’agissait de la première autrice française jamais couronnée par le Nobel fondé en 1901. Même France Inter, qui se donne tous les deux matins des allures progressistes et n’a pas d’ailleurs hésité à recevoir Annie Ernaux dans sa matinale de centre droit dès le vendredi, avait pourtant usé d’une formule très problématique en titrant : « Annie Ernaux, 16e auteur français à recevoir le Nobel ». Au-delà de ce qu’on veut croire être une simple maladresse témoignant néanmoins de la vivacité de l’habitus lexical patriarcal, c’est bien vite sous le presque unique vocable d’« hystéro-féministe » que le Nobel d’Ernaux fut dénigré avec insistance. Là encore, c’était comme si son Nobel était usurpé et se révélait être une imposture parce que c’est, avant tout, une femme qui écrit.

Dire du Nobel d’Annie Ernaux qu’il se voit rejeté parce que c’est une autrice qui est couronnée n’explique nullement un tel déchaînement de haines aussi diverses que variées. A l’évidence, quand Le Clézio et Modiano furent distingués, rien de tel ne se produisit.

 

 

 

 

 

jeudi 6 octobre 2022

Annie Ernaux prix Nobel de littérature 2022


 

 l’écriture pour dire ce qu’est être une femme… À 82 ans, Annie Ernaux reste révoltée.  Elle vient de recevoir le Prix Nobel de littérature 2022.

L'ensemble de son œuvre présenté ci dessous.


 

Les armoires vides 1974


"Ça suffit d'être une vicieuse, une cachottière, une fille poisseuse et lourde vis-à-vis des copines de classe, légères, libres, pures de leur existence... Fallait encore que je me mette à mépriser mes parents. Tous les péchés, tous les vices. Personne ne pense mal de son père ou de sa mère. Il n'y a que moi." Un roman âpre, pulpeux, celui d'une déchirure sociale, par l'auteur de La place. 
 
 


Ce qu'ils disent ou rien 1977


" Ca ne vaut plus le coup d'avoir mes règles. Ma tante a dit : t'as perdu ta langue, Anne ? t'étais plus causante avant. C'est plutôt la leur de langue que j'ai perdue. Tout est désordre en moi, ça ne colle pas avec ce qu'ils disent ". Histoire d'une adolescente comme les autres, qui cherche à communiquer, à comprendre. Mais rien, dans le langage de ses parents, de l'étudiant qu'elle a rencontré, dans les mots des livres même, ne coïncide avec la réalité de ce qu'elle vit et elle se trouve renvoyée à la solitude.


La femme gelée 1981

Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un "cadre", mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée. C'est-à-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit être la condition "normale" d'une femme.


La Place 1983 Prix Renaudot

il n'est jamais entré dans un musée, il ne lisait que Paris-Normandie et se servait toujours de son Opinel pour manger. Ouvrier devenu petit commerçant, il espérait que sa fille, grâce aux études, serait mieux que lui. Cette fille, Annie Ernaux, refuse l'oubli des origines. Elle retrace la vie et la mort de celui qui avait conquis sa petite " place au soleil ". Et dévoile aussi la distance, douloureuse, survenue entre elle, étudiante, et ce père aimé qui lui disait : " Les livres, la musique, c'est bon pour toi.
Moi, je n'en ai pas besoin pour vivre ". Ce récit dépouillé possède une dimension universelle.


Une femme 1987

Annie Ernaux s'efforce ici de retrouver les différents visages et la vie de sa mère, morte le 7 avril 1986, au terme d'une maladie qui avait détruit sa mémoire et son intégrité intellectuelle et physique. Elle, si active, si ouverte au monde. Quête de l'existence d'une femme, ouvrière, puis commerçante anxieuse de "tenir son rang" et d'apprendre. Mise au jour, aussi, de l'évolution et de l'ambivalence des sentiments d'une fille pour sa mère : amour, haine, tendresse, culpabilité, et, pour finir, attachement viscéral à la vieille femme diminuée.
"Je n'entendrai plus sa voix... J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue."



Passion simple 1992

"A partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne me voir chez moi", A.E. 

 

 


Journal du dehors 1993

"De 1985 à 1992, j'ai transcrit des scènes, des paroles, saisies dans le R. E. R., les hypermarchés, le centre commercial de la Ville Nouvelle, où je vis. Il me semble que je voulais ainsi retenir quelque chose de l'époque et des gens qu'on croise juste une fois, dont l'existence nous traverse en déclenchant du trouble, de la colère ou de la douleur." Annie Ernaux.


 

Je ne suis pas sortie de ma nuit 1997


"Ma mère a été atteinte de la maladie d'Alzheimer au début des années 80 et placée dans une maison de retraite. Quand je revenais de mes visites, il fallait que j'écrive sur elle, son corps, ses paroles, le lieu où elle se trouvait. Je ne savais pas que ce journal me conduirait vers sa mort, en 86." Annie Ernaux.


Le honte 1997


J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année.


L'événement 2000


"Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse." Annie Ernaux

La vie extérieure 2000


Relisant ces pages, je m'aperçois que j'ai déjà oublié beaucoup de scènes et de faits. Il me semble même que ce n'est pas moi qui les ai transcrits. Ce sont comme des traces de temps et d'histoire, des fragments du texte que nous écrivons tous rien qu'en vivant. Pourtant, je sais aussi que dans les notations de cette vie extérieure, plus que dans un journal intime, se dessinent ma propre histoire et les figures de ma ressemblance.

 

Se perdre 2001


"[...] Je n'ai jamais rien su de ses activités qui, officiellement, étaient d'ordre culturel. Je m'étonne aujourd'hui de ne pas lui avoir posé plus de questions. Je ne saurai jamais non plus ce que j'ai été pour lui. Son désir de moi est la seule chose dont je sois assurée. C'était, dans tous les sens du terme, l'amant de l'ombre. [...] J'ai conscience de publier ce journal en raison d'une sorte de prescription intérieure, sans souci de ce que lui, S., éprouvera.
À bon droit, il pourra estimer qu'il s'agit d'un abus de pouvoir littéraire, voire d'une trahison. Je conçois qu'il se défende par le rire ou le mépris, "je ne la voyais que pour tirer mon coup". Je préférerais qu'il accepte, même s'il ne le comprend pas, d'avoir été durant des mois, à son insu, ce principe, merveilleux et terrifiant, de désir, de mort et d'écriture." Annie Ernaux



l'occupation 2002


"J'avais quitté W. Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. À partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris." Annie Ernaux.



L'usage de la photo 2005 en collaboration avec Marc Marie


Souvent, depuis le début de notre relation, j'étais restée fascinée en découvrant au réveil la table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements emmêlés, jetés par terre n'importe où la veille au soir en faisant l'amour. C'était un paysage à chaque fois différent. Je me demande pourquoi l'idée de le photographier ne m'est pas venue plus tôt. Ni pourquoi je n'ai jamais proposé cela à aucun homme. Peut-être considérais-je qu'il y avait là quelque chose de vaguement honteux, ou d'indigne. En un sens, il était moins obscène pour moi de photographier le sexe de M. Peut-être aussi ne pouvais-je le faire qu'avec cet homme-là et qu'à cette période de ma vie.



Les années 2008 Prix Marguerite Duras, Prix François Mauriac


"La photo en noir et blanc d'une petite fille en maillot de bain foncé, sur une plage de galets. En fond, des falaises. Elle est assise sur un rocher plat, ses jambes robustes étendues bien droites devant elle, les bras en appui sur le rocher, les yeux fermés, la tête légèrement penchée, souriant. Une épaisse natte brune ramenée par-devant, l'autre laissée dans le dos. Tout révèle le désir de poser comme les stars dans Cinémonde ou la publicité d'Ambre Solaire, d'échapper à son corps humiliant et sans importance de petite fille.
Au dos : août 1949, Sotteville-sur-Mer." Au travers de photos et de souvenirs laissés par les événements, les mots et les choses, Annie Ernaux nous fait ressentir le passage des années, de l'après-guerre à aujourd'hui. En même temps, elle inscrit l'existence dans une forme nouvelle d'autobiographie, impersonnelle et collective.



L'autre fille 2011


Mais même le silence contribue à forger un récit qui donne des contours à cette petite fille morte. Car forcément, elle joue un rôle dans l’identité de l’auteur. Les quelques mots, terribles, prononcés par la mère ; des photographies, une tombe, des objets, des murmures, un livret de famille : ainsi se construit, dans le réel et dans l’imaginaire, la fiction de cette « aînée » pour celle à qui l’on ne dit rien.
Reste à savoir si la seconde fille, Annie, est autorisée à devenir ce qu’elle devient par la mort de la première. Le premier trio familial n'a disparu que pour se reformer à l’identique, l’histoire et les enfances se répètent de manière saisissante, mais une distance infranchissable sépare ces deux filles. C’est en évaluant très exactement cette distance que l’auteur trouve le sens du mystère qui lui a été confié un dimanche de ses dix ans.


L'atelier noir 2011


Tous les livres que j'ai écrits ont été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées. A partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle irrésolution entre des projets, entre des désirs.
Une sorte d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre que j'entrevois, au loin, dans la clarté. A. E. Parallèlement à ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture ; une sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre une incursion rare de "l'autre côté" de l'oeuvre. Plongé au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du long dialogue de l'autrice avec elle-même : la pensée taillée au couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement ; des associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.
Pour la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.



Retour à Yvetot 2013


Est-ce que, moi, la petite fille de l'épicerie de la rue du Clos - des - Parts, immergée enfant et adolescente dans une langue parlée populaire, un monde populaire. je vais écrire, prendre mes modèles, dans la langue littéraire acquise, apprise, la langue que j'enseigne puisque je suis devenue professeur de lettres ? Est-ce que. sans me poser de questions, je vais écrire dans la langue littéraire où je suis entrée par effraction, " la langue de l'ennemi " comme disait Jean Genet, entendez l'ennemi de ma classe sociale ? Comment puis-je écrire, moi, en quelque sorte immigrée de l'intérieur ? Depuis le début j'ai été prise dans une tension, un déchirement même, entre la langue littéraire, celle que j'ai étudiée, aimée, et la langue d'origine.
la langue de la maison, de mes parents, la langue des dominés. celle dont j'ai eu honte ensuite mais qui restera toujours en moi-même. Tout au fond la question est : comment en écrivant, ne pas trahir le monde dont je suis issue ?


Regarde les lumières mon amour 2014

Souvent, j'ai été accablée par un sentiment d'impuissance et d'injustice en sortant de l'hypermarché. Pour autant, je n'ai jamais cessé de ressentir l'attractivité de ce lieu et de la vie collective, subtile, spécifique, qui s'y déroule.



Mémoire de fille 2016


"J'ai voulu l'oublier cette fille. L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y suis jamais parvenue." Annie Ernaux replonge dans l'été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S'appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu'elle a été dans un va-et-vient entre hier et aujourd'hui.


Hôtel Casanova 2020


"J'ai retrouvé une lettre de P. dans un dossier de factures datant des années quatre-vingt. Une grande feuille blanche pliée en quatre, avec des taches de sperme qui avaient jauni et durci le papier, lui donnant une contexture transparente et granuleuse. Il y avait seulement écrit, en haut, à droite, Paris, 11 mai 1984, 23 heures 20, vendredi. C'est tout ce qu'il me reste de cet homme." Passion sensuelle, amour maternel heurté, vertiges du transfuge, écriture-révolution, hommage à Pierre Bourdieu.
En douze textes, composés entre 1984 et 2006, ce recueil est une invitation à découvrir l'écriture rare d'Annie Ernaux et à s'initier, pas à pas, à ses thèmes les plus obsessionnels et fondateurs.

Le jeune homme 2022

En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la "fille scandaleuse" de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture. Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.

Ecrire la vie 2011


"Ecrire n'est pas pour moi un substitut de l'amour, mais quelque chose de plus que l'amour ou que la vie". 15 janvier 1963 "Cette sensation terrible, toujours, d'être à la recherche de l'écriture "inconnue", comme cela m'arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois le temps passer, nécessité d'écrire contre le temps, la vieillesse". 3 août 1990 "Ecrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie.
La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l'on éprouve de façon individuelle : le corps, l'éducation, l'appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l'existence des autres, la maladie, le deuil. Je n'ai pas cherché à m'écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me suis servie d'elle, des événements, généralement ordinaires, qui l'ont traversée, des situations et des sentiments qu'il m'a été donné de connaître, comme d'une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l'ordre d'une vérité sensible".

es onze ouvrages sélectionnés pour ce volume, précédemment parus dans la « collection blanche », répondent à ce premier corpus dans un autre registre : le drame assumé, sinon exorcisé. « Écrire la vie » prend alors un autre sens : sans l’écriture qui livre le chemin d’une vie libre, il n’y aurait que souffrance, remords, accablement et refoulement. La passion de l’écriture se confond avec la passion de la vie, après l’avoir engendrée. Vivre et écrire ne font plus qu’un. Rien n’est banal, rien n’est dérisoire.


À ces onze romans s’ajoutent dix textes brefs : tous sont de courts récits, des observations, des réflexions sur l’écriture ou la lecture (à l’exception d’une fiction, « Hôtel Casanova »).