jeudi 19 février 2009

Esquisses de Boz 1

A cette époque Londres ressemble étrangement à celui de la fin du XVIIIème siècle. La ville n’a pas encore connu les grandes et nombreuses transformations de l’ère victorienne. Trafalgar Square n’est que l’emplacement d’une vieille auberge. Haymarket, le marché au foin, est le point de rencontre de fermiers apportant leurs produits à vendre. Il n’existe pas d’omnibus et Londres retentit du bruit des carrioles, des charrettes, des voitures de place, des fiacres et des vieilles diligences à quatre chevaux. Les rues sont le spectacle des combats de chiens et de coqs. Il y a le pilori et de nombreuses pendaisons publiques. Les rues à l’hygiène urbain des plus sommaires, grouillent de tavernes et de gargotes.
En 1823, C’est ce Londres qui s’offre aux yeux du jeune Charles Dickens. Il fait son entrée dans ce qui va devenir son royaume et s’installe avec sa famille à Bayham Street dans le quartier demi-rural et tranquille de Camden Town. Là, on trouve des prés peuplés de moutons et de vaches. La route menant de Camden Town au hameau de Kentish Town passe à travers champs, sans éclairage public, peu propice aux agissements des voleurs de grand chemin. « Il reçut dès le début de sa vie à Bayham Street, ses premières impressions sur cette lutte contre la pauvreté qui ne se manifeste nulle part de façon aussi éclatante que dans les rues ordinaires d’un banal faubourg de Londres » écrira son ami et biographe John Forster. En 1824, son père est mis en prison pour dette, à une époque où, au seuil de sa treizième année, le jeune Dickens, qui n’a pas fréquenté l’école depuis plusieurs mois, est employé chez un cousin fabricant de cirage. Dickens restera à jamais marqué par le souvenir humiliant de cette époque de désespoir. Le petit garçon parcours cinq miles pour aller à son lieu de travail et en revenir. Les trajets à pieds, la marche au hasard occupent une grande partie des années londoniennes du jeune Dickens. Il erre ainsi dans les rues absolument seul, observant sans cesse combien « majestueux et mystérieux » tout parait être. Même dans sa situation d’enfant perdu et solitaire il est inspiré par une solide foi dans le caractère merveilleux de chaque chose.
Le quartier entourant la fabrique de cirage – le Strand, Covent Garden, le pont de Blackfriards et le vieux pont de Londres lui deviennent rapidement familiers. Il découvre le long de la Tamise «une vielle maison branlante, délabrée donnant naturellement sur la fleuve et littéralement infestée de rats. Ses salles aux murs couverts de boiseries, ses parquets et ses escaliers pourrissants et les vieux rats gris qui grouillaient dans les caves, et le bruit de leurs petits cris grinçants et de leur galopades quand ils montaient l’escalier à n’importe qu’elle heure, et la saleté et la décomposition, tout cela surgit devant moi.» Cette antique maison le hanta. Elle devint la maison croulante de Nicolas Nickleby, « la maison à l’escalier obscure et boiteux » de Fagin dans Olivier Twist.

Sur son trajet quotidien surgissent dans la vie matinale de la cité, les employés et les garçons de bureau, les apprentis balaient les boutiques et arrosent les trottoirs, les domestiques et les enfants envahissent les boulangeries, les diligences rapides accomplissent leurs parcours réguliers. Entourés des cris de Londres clamés par tous ses vendeurs de petits commerces, il croise les bonimenteurs ambulants, les marchandes de quatre-saisons, les vendeurs de pommes de terre au four, de séneçon, de pâtés, de râpe à muscade, de colliers pour chiens, de lacets, d’allumettes chimiques et de peignes et de rhubarbe, les voleurs à la tire, les acrobates, les chanteurs noirs de sérénade. Il côtoie la pauvreté, la saleté, la crasse. Le brouillard, la brume, la fièvre, la folie.

Il finit par connaître la ville et ses habitudes en son ensemble. Les grandes artères bénéficient alors d’un nouvel éclairage au gaz. La flamme s’intensifie puis faiblie, jetant une lueur tremblotante sur les rues et prête aux maisons et aux piétons une qualité légèrement irréelle, théâtrale même. Parcourant ainsi ces rues, observant les passants, il crée des histoires tirées de sa propre détresse.

A son contact permanent Dickens peut imiter le bas peuple des rues de Londres dans toutes ses variantes, qu’il s’agisse du simples flâneurs, de marchandes de fruits et de légumes, ou de n’importe quoi.

Certains endroits vus par lui, s’imprègnent de sombres mystères où d’étrange enchantements. Ainsi la prison de Newgate, devant laquelle il passe souvent et qui exhibe les corps des condamnés récemment pendus. Un lieu de crime et de châtiment. Les prisons, les exécutions. Des monstres créés par la fange et qui en émergent doucement pour former les composantes de son imagination.

La vie nocturne aussi le fascine. Il est particulièrement frappé par le monde de Seven Dials « Quelles visions désordonnées de prodiges de perversité, de dénuement et de mendicité ce quartier faisait-il surgir sur moi »

Londres où les rues sont le lieu d’éclosion de la maladie et de toutes les formes de licence sexuelle. Les impasses et les buissons servent de water-closets; les rapports sexuels en pleine rues avec des prostitués ne sont pas rares et il suffit de lire des rapports de premières mains sur les débits de boissons et les quartiers « populaires » pour se rendre compte que de tous les divertissements offerts aux indigents, seul la sexualité était gratuite et constituait l’unique plaisir des pauvres.

Et tout en marchant, Dickens rumine et ses ruminations deviendront des impressions. Il méditera sur la misère vivant côte à côte avec le gaspillage. En vagabondant, il s’identifie aux êtres qu’il observe. Son génie réside dans une sympathie imaginative aussi puissante que le monde l’accable.

Les personnages de ses romans paraissent aussi fortement enracinés dans la ville que s’ils avaient été créés par elle, comme si les ténèbres de Londres s’étaient condensées pour se transformer en minuscule silhouettes vagabondes.

Esquisses de Boz 2

En 1833, Dickens n’est encore qu’un petit journalise inconnu et besogneux. Il a écrit de temps à autre, pour son plaisir personnel de petits récits humoristiques, des esquisses de personnages et de lieux recueillies dans un carnet depuis son plus jeune âge. Il dépose l’un d’eux dans la boite aux lettres du Monthly Magazine à Fleet Street. Et lorsqu’en décembre il achete un exemplaire de la dernière livraison de ce périodique et y trouve imprimé son récit. Ce n’est pas la fortune assurée, puisque le directeur ne rétribue pas ses collaborateurs. Ceci dit il sollicite de nouveaux textes de la même plume et au même tarif. Dickens fournit cinq récits en 1834 et un conte en janvier 1835.
Finalement rémunéré, il en publie auprès de différents magazines plus d’une cinquantaine. En octobre 1835 un éditeur lui propose d’acheter le copyright des esquisses et récits qu’il avait fait paraître depuis deux dans divers périodiques pour les publier en deux volumes, illustrées par George Cruikshank.
Ces deux volumes paraissent en février 1836.
Dans la tradition des essayistes du XVIIIe siècle, ces « Esquisses » nous révèlent que Dickens fut un observateur original de la vie londonienne dont il décrit les aspects pathétiques ou grotesques dans des tableaux colorés et précis de la vie quotidienne. Ses contemporains apprécient autant que la vivacité de son style sa capacité d’enregistrement de la vie du peuple. Dickens découvre ainsi son grand sujet dans les scènes de foule, dans la rue, dans la vie des gens exceptionnellement liés les uns aux autres, pour le meilleur ou pour le pire et qui font partie de la ville surgissant comme une hallucination au milieu de ces premières esquisses. Les esquisses de Boz, dans sa version définitive publiée en 1839, contient cinquante-six morceaux, regroupés en quatre sections et subdivisés en chapitres : "Notre paroisse ", "Scènes", "Personnages" et "Récits". Si ces textes de jeunesse sont marqués par l’inexpérience de leur auteur, John Forster ami et biographe de Charles Dickens affirme à propos des Esquisses de Boz qu’elles formaient « un livre qui aurait résisté à l’épreuve du temps même s’il n’y en avait pas eu d’autres ! » il ajoute que son auteur a nettement sous-estimé son premier livre en refusant d’y reconnaître les « premières manifestations vigoureuses de son génie », la drôlerie, la perception des caractères, l’observation des détails, la vérité du tableau, du sentiment, du pathétique et l’aisance de conduite de la description ou du récit. En outre le livre contient à l'état embryonnaire toute l'œuvre future de Dickens : comédie, sentiment, respect pour la vitalité des personnages, pour stupides ou limités qu'ils soient, don admirable des transformations linguistiques frappantes, notion d'un déterminisme social irrésistible par lequel le milieu urbain cause le triste sort des malheureux qui y vivent.

En France aucune édition intégrale n’avait jamais été publiée. Cette lacune a été réparée en 1986 avec la publication complète des Esquisses dans la collection de La Pléiade chez Gallimard.

Les éditions de l’Ombre en offre un recueil d’une douzaine tirée de la série des « Récits » moins intéressante à mes yeux que les somptueuses esquisses londoniennes véritable reflet de la vision de Londres du jeune Dickens, disponibles seulement en collection de la Pléiade.

mercredi 18 février 2009

Blague à Toto

Ce message est destiné à mes rares lecteurs qui vont avoir le courage de lire et écouter les Kindertotenlieder de Gustav Mahler interprêtées par Kathleen Ferrier qui suivent. Attention ! Si vous êtes suicidaire ou dépressif, abstenez-vous !

Kathleen Ferrier

« I would That my love , op 63 n°1 » de Felix Mendelssohn ouvre la projection du film « Le Goût des autres » d’Agnès Jaoui. ». Il est interprété par La contralto Kathleen Ferrier et la soprano Isobel Bailly. Suvront dans le films deux autres interpétations « Let us wander, not unseen » de Henry Purcell et « Spring is coming » de George Friederich Haendel.
Je suis immédiatement tombé sous le charme de Kahtleen Ferrier cette cantrice qui « faisait pleurer tout le monde. Les mélomanes, bien sûr, mais aussi son fan-club de jeunes filles, le premier du genre. Les musiciens et les plus grands chefs, à son contact, étaient émus aux larmes. Karajan, qui n'était pas un tendre, ne pouvait écouter cette contralto - la voix féminine la plus grave - sans être bouleversé. Elle-même, chavirée par sa propre voix, n'arrivait pas à finir certains airs! La cantatrice est née le 22 avril 1912, dans une petite ville industrielle du sombre Lancashire, au nord de l'Angleterre. Le père est directeur d'école et la mère vaque au foyer. Une sœur, Winifred, la suivra toute sa vie. Durant neuf ans, de 14 à 23 ans, elle est standardiste au central téléphonique de la Poste, sans espoir de promotion: elle a échoué au concours de recrutement pour l'horloge parlante. L'incroyable voix n'a pas passé le cap des éliminatoires! Pourtant, elle prend sa première leçon de chant en 1939, à 27 ans. Une hérésie en musique. Pendant la guerre, Kathleen Ferrier va chanter dans toute l'Angleterre. Elle écume chantiers et usines pour remonter le moral des troupes. Ce ne sont que logements glacés, correspondances de chemin de fer et pianos droits au son aigre. Mais son professeur a déniché l'organe du siècle. Miss Ferrier a une gorge d'une profondeur unique, une pomme pourrait s'y engouffrer. » « Londres 1942. C'est le début d'une carrière internationale, rapide et brillante comme une météorite, qui dure jusqu'à sa mort, en 1953. Kathleen trouve un répertoire taillé sur mesure: Brahms et Schumann, Bach et Haendel. Cette femme gaie et simple, aimable et aimée, était d'une incroyable énergie. Sa correspondance, survoltée comme celle d'une gamine, témoigne d'une insolence malicieuse. Elle aime Bach et le verlan. Ses lettres ne sont que contrepèteries, grivoiseries et jeux de mots. Elle signe Klever Kaff, «Cath la futée»! Futée, il faut l'être pour supporter l'aride discipline des répétitions, des concerts. En 1951, elle affronte le cancer et une radiothérapie épuisante. Elle continue de chanter, mais en 1953 elle se brise net le fémur en scène. Avec une injection de morphine, elle tient jusqu'au baisser de rideau. The show must go on. Kathleen Ferrier expire le 8 octobre 1953, en pleine trajectoire vertigineuse. Elle avait 41 ans. Ian Jack, directeur du magazine anglais Granta, signe une biographie à lire en une heure, pour écouter la grande Kathleen pendant des années. » Les trois morceaux utilisés dans le film « Le goût des autres » cités plus haut figurent dans un très bel enregistrement de la chanteuse où les Kindertotenlieder de Gustav Mahler tiennent une bonne place. Les Kindertotenlieder (Chants sur la mort des enfants) sont un cycle de cinq lieder pour voix et orchestre composé par Gustav Mahler de 1901 à 1904.
Kathleen Ferrier. Isobel Baillie . "Let Us wander not unseen" The Indian Queen. Purcell. Les poèmes des "Kindertotenlieder" sont des textes extraits du recueil de poèmes de Friedrich Rückert, écrits à la suite de la mort de ses deux enfants. Il faut avoir entendue Kathleen Ferrier dans cette musique sombre et funèbre. Il faut l'avoir écoutée dans les Kindertotenlieder (Chants pour des enfants morts) pour être saisie à jamais.

Die Kindertotenlieder 1

DIE KINDERTOTENLIEDER : (Chants pour un enfant mort )
Nun will die Sonn so hell aufgehn : Nun will die Sonn so hell aufgehn, als sei kein Unglück die Nacht geschehn. Das Unglück geschah nur mir allein, die Sonne, sie scheinet allgemein. Du musst nicht in dir verschränken, musst sie ins ewge Licht versenken. Ein Lämplein verlosch in meinem Zeit, Heil sei Freundenlicht der Welt !
A présent le soleil radieux va se lever comme si, la nuit, nul malheur n'avait frappé. Le malheur n'a frappé que moi seul, tandis que le soleil brille à la ronde. N'enferme pas la nuit en ton coeur, plonge-là dans la lumière éternelle. Une lampe s'est éteinte en ma demeure, gloire à la lumière, joie du monde !

Die Kindertotenlieder 2

Nun seh ich wohl, warum so dunkle Flammen : Nun seh ich wohl, warum so dunkle Flammenihr sprühtet mir in manchem Augenblicke, o Augen !Gleichsam, um voll in einem Blickezu drängen eure ganze Macht zusammen. Doch ahnt' ich nicht, weil Nebel mich umschwammen, gewoben vom verblendenden Geschike, dass sich der Strahl bereits zur Heimkehr schicke,dorthin, von wannen alle Strahlen stammen. Ihr wolltet mir mit eurem Leuchten sagen : Wir möchten nah dir bleiben gerne ! Doch ist uns das vom Schicksal abgeschlagen. Sieh uns nur an, denn bald sind wir dir ferne !Was dir nur Augen sind in diesen Tagen,in künftgen Nächten sind es dir nur Sterne. Je sais bien désormais pourquoi vos yeux lançaient souvent vers moi ces sombres flammes, oh ces yeux ! Comme si, d'un seul regard, vous vouliez concentrer tout votre pouvoir. Je ne pressentais pas, alors enveloppé de brumes tissées par une fatalité aveugle, que leur clarté allait déjà s'en retourner vers ce lieu où toutes les clartés ont leur source. Votre éclat tentait donc de me dire : nous aimerions rester à tes côtés, mais le destin nous l'a refusé.Regarde-nous bien, car nous serons bientôt loin ! Et ces yeux où tu ne perçois rien en ces jours ne seront plus que des étoiles dans ta nuit.

Die Kindertotenlieder 3

Wenn dein Mütterlein : Wenn dein Mütterleintritt zur Tür herein, und den Kopf ich drehe, ihr entgegen sehe, fällt au ihr Gesichterst der Blick mir nicht, sondern auf die Stelle, näher nach der Schwelle, dort, wo würde deinlieb Gesichtchen sein, wenn du freundenhelleträtest mir herein, wie sonst, mein Töchterlein.Wenn dein Mütterleintritt zur Tür herein,mit der Kerze Schimmer, ist es mir, als immer, kämst du mit herein, huschtest hinterdrein, als wie sonst ins Zimmer ! O du, des Vaters Zelle, ach, zu schnelleerloschner Freudenschein !
Quand ta tendre mère paraît à la porte et que je tourne la tête pour regarder vers elle, mes yeux ne vont pas d'abord vers son visage, mais vers cet endroit, là tout près du seuil, où je devrais voir ton doux petit visage si tu entrais aussi, rayonnante de joie, comme autrefois, ma petite fille. Quand ta tendre mère paraît à la porte, à la lueur de sa bougie, toujours il me semble que tu vas venir aussi, te glissant derrière elle,comme autrefois, dans la pièce. Ô toi, rayon de joie dans la retraite de ton père, ah, rayon de joie trop vite éteint !

Die Kindertotenlieder 4.

Oft denk ich, sie sind nur ausgegangen : Oft denk' ich, sie sind nur ausgegangen ! Bald werden sie wieder nach Hause gelangen ! Der Tag ist schön! O sei nicht bang !Sie machen nur einen weiten Gang !Jawohl, sie sind nur ausgegangenUnd werden jetzt nach Hause gelangen ! O, sei nicht bang, der Tag is schön ! Sie machen nur den Gang zu jenen Höh'n ! Sie sind uns nur vorausgegangenUnd werden nicht wieder nach Haus verlangen ! Wir holen sie ein auf jenen Höh'nIm Sonnenschein ! Der Tag is schön ! Souvent je me dis qu'ils sont seulement sortis ! Ils vont bientôt rentrer à la maison ! La journée est belle ! Oh, ne sois pas inquiet ! Ils font seulement une longue promenade. Bien sûr, ils sont seulement sortis et vont maintenant renter à la maison. Oh, ne sois pas inquiet ! La journée est belle ! Ils se promènent seulement jusqu'aux collines. Ils nous ont seulement précédé et ne voudront plus revenir à la maison ! Nous allons les rejoindre, là-haut sur ces collines en plein soleil ! La journée est belle !

Die Kindertotenlieder 5

In diesem Wetter, in diesem Braus : In diesem Wetter, in diesem Braus, Nie hätt' ich gesendet die Kinder hinaus !Man hat sie getragen hinaus, Ich durfte nichts dazu sagen !In diesem Wetter, in diesem Saus, Nie hätt' ich gelassen die Kinder hinaus, Ich fürchtete sie erkranken; Das sind nun eitle Gedanken, In diesem Wetter, in diesem Graus,Nie hätt' ich gelassen die Kinder hinaus,Ich sorgte, sie stürben morgen; Das ist nun nicht zu besorgen. In diesem Wetter, in diesem Graus, Nie hätt' ich gesendet die Kinder hinaus,Man hat sie hinaus getragen,Ich durfte nichts dazu sagen!In diesem Wetter, in diesem Saus,In diesem Braus,Sie ruh'n als wie in der Mutter Haus,Von keinem Sturm erschrecket,Von Gottes Hand bedecket, Sie ruh'n wie in der Mutter Haus.
Par ce mauvais temps, cet ouragan, jamais je n'aurais fait sortir les enfants ; on les a emportés au dehors et je n'ai eu le droit de ne rien dire. Par ce mauvais temps, cet ouragan, je n'aurais jamais laissé sortir les enfants, j'aurais eu peur qu'ils tombent malades ; quelles vaines pensées à présent ! Par ce mauvais temps, ce ciel sinistre, je n'aurais jamais laissé sortir les enfants, j'aurais craint qu'ils ne meurent demain, inutile de craindre à présent. Par ce mauvais temps, ce ciel sinistre, je n'aurais jamais laissé sortir les enfants ; on les a emportés au dehorset je n'ai eu le droit de ne rien dire.Par ce mauvais temps, cet ouragan, ce vent qui hurle, ils reposent comme dans le sein de leur mère. Ne redoutant nulle tempête, protégés par la main de Dieu, ils reposent comme dans le sein de leur mère.
Nun will die Sonn so hell aufgehn, als sei kein Unglück die Nacht geschehn.Das Unglück geschah nur mir allein, die Sonne, sie scheinet allgemein.Du musst nicht in dir verschränken, musst sie ins ewge Licht versenken.Ein Lämplein verlosch in meinem Zeit, Heil sei Freundenlicht der Welt !
A présent le soleil radieux va se lever comme si, la nuit, nul malheur n'avait frappé. Le malheur n'a frappé que moi seul, tandis que le soleil brille à la ronde. N'enferme pas la nuit en ton coeur, plonge-là dans la lumière éternelle. Une lampe s'est éteinte en ma demeure, gloire à la lumière, joie du monde !

mardi 17 février 2009

Blague à Toto

Ce message est destinée à mes rares lecteurs qui auront eu le courage de lire et écouter jusqu'au bout les Kindertotenlieder de Gustav Mahler interprêtées par la contralto Kathleen Ferrier.
Attention !!!! Si vous mettez ce CD quand des amis viennent manger à la maison, je vous préviens ça casse un rien l'ambiance. Donc rien ne vaut une bonne blague de Toto pour détendre l'atmosphère.

François par Béranger 5

Le court métrage de commande était, avant l'exclusivité de la vidéo, un secteur très actif du cinéma. Les grandes entreprises publiques et privées, les Pouvoirs Publics, rendaient prospères par leurs commandes un grand nombre de sociétés de production. C'est là que je fis mes classes, dans de petites équipes où il fallait participer à tout : écriture des scénarios, découpages, budgets, préparations, plannings, régie, prises de vue, éclairage, mise en scène, contacts avec les labos, montage. C'était une école pratique de premier ordre où il fallait à la fois satisfaire un client (le faire accoucher de ce qu'il voulait dire, expliciter son activité, s'accorder à sa vision des choses ou la faire évoluer) et nos propres ambitions esthétiques. Les conflits qui naissaient de cette dualité étaient enrichissants : quoi dire et comment le dire. Il y a, dans la cinémathèque des courts métrages de commande, beaucoup de chefs d'oeuvre. Je participais ainsi à des sujets aussi divers que l'énergie Atomique, le Dépeuplement des Campagnes, le Crédit Agricole, l'Accouchement sans Douleur, l'Opération à coeur ouvert; les études sur le Sommeil, la Culture Intensive de la Betterave, etc ...C'est après cette formation pratique que je suis engagé au Service de la Recherche de l'ORTF, dans la section Image. Pierre Schaeffer, son directeur, est une figure de premier plan dans l'histoire de la radio, de la télévision et de la musique contemporaine. C'est l'Honnête Homme du 18ème siècle, pourvu d'une culture quasi universelle, à la fois ingénieur, artiste, écrivain, novateur, doué d'une faculté d'analyse critique qui nous fait trembler. Fondateur du Club d'Essai pendant l'Occupation, on dit de lui qu'il inventa la radio et ses formes d'expression. La dramatique, les plans sonores, la mise en onde en général sont des inventions qu'il normalisa sinon inventa. La radio d'aujourd'hui, dans sa pauvreté expressive, fait pâle figure quand on la compare aux riches foisonnements d'avant. (Ah! Une dramatique comme les Maîtres du Mystère pour laquelle la France entière cessait de respirer un soir par semaine ...)
Avec Schaeffer il fallait penser. S'interroger sur le fond et la forme. Ne pas jouer avec des machines pour ne rien dire. Quelle est la substance de votre projet ? disait-il. La moindre hésitation vous renvoyait à la case départ. Le miracle du Service de la Recherche est qu'il fonctionna pendant 25 ans, avec des budgets conséquents, reconduits de haute lutte chaque année, à contrecourant de la tendance des médias évoluant vers la rentabilité, la recherche de l'audience à tout prix, le nivellement par le bas, la perte de qualité et de notion de Service Public. Schaeffer avait une certaine idée du Service Public, comme un autre avait une certaine idée de la France. C'était l'intelligence et l'imagination au pouvoir. D'un abord plutôt glacial, bougon, la pipe à la bouche, d'un humour tranchant dans ses meilleurs jours, Schaeffer vous apprenait tout. L'exercice du dialogue avec lui était périlleux, déstabilisant. Les conflits et les ruptures monnaie courante. La remise en question de tout était l'ordre du jour permanent. La stabilité considérée comme facteur d'assoupissement. Aussi, l'organigramme de son service était-il régulièrement bouleversé. Cette mobilité dans les fonctions me permet ainsi d'être successivement régisseur, chef de production, réalisateur, producteur d'une émission de variétés expérimentale, dans un brassage ininterrompu de cinéastes, musiciens, peintres, et sculpteurs. C'est l'une des deux périodes les plus formatrices de ma vie.
(L'autre est l'expérience de la scène et du public). Après quatre ans dans ce shaker tumultueux, et un conflit plus inattendu qu'à l'habitude, je démissionne pour aller voir ailleurs. Il était sain, parfois, de quitter le Service... Mais Schaeffer, tout paterfamilias tyrannique qu'il fût, ou à cause de cela, n'aimait pas qu'on le quitte. Et il me sembla - mais sûrement était-ce l'effet d'un sentimentalisme déplacé - qu'il me vit partir avec regret... Le chômage, à l'époque, était une notion qu'on croyait historique... On se recasait, avec quelques relations dans le milieu, sans difficulté. Je deviens ainsi chargé de production dans un magazine mensuel d'information de la jeune Deuxième Chaîne : Caméra 3 de Philippe Labro et Henri de Turenne. Nouvelle expérience passionnante : la pratique de l'information à la télévision; le plateau de direct, une fois par mois, pendant trois heures, sans filet. La tension nerveuse comme je la connaîtrai plus tard devant un public. Puis je pars réaliser quelques sujets pour un magazine culturel sur la même chaîne : Le Nouveau Dimanche. Ma manière non conventionnelle, voire irrévérencieuse, de traiter les sujets artistiques me fait repasser la porte assez vite...
Mais quelle importance... c'est Mai 68 !

lundi 16 février 2009

Le régime martiniquais

"Les derniers Maîtres de la Martinique" est un reportage qui fait grand bruit, dans une Martinique en pleine crise sociale, en grève depuis huit jours "contre la vie chère". Diffusé vendredi 6 février par Canal+, Les Derniers Maîtres de la Martinique, est un reportage de Romain Blozinger sur les héritiers blancs des premiers colons installés sur l'île avant la Révolution française. Alain Huygues-Despointes, un des "békés" interrogés, regrette que les historiens ne s'intéressent pas "aux bons côtés de l'esclavage" et explique "vouloir préserver sa race". "Quand je vois des familles métissées avec des Blancs et des Noirs, les enfants naissent de couleurs différentes, il n'y a pas d'harmonie", déclare-t-il.
Dans un communiqué en date du 2 février, envoyé à toutes les rédactions locales, M. Despointes affirme que ses propos ont été "sortis de leur contexte" et qu'ils ne reflétaient "en rien ses convictions profondes" sur l'esclavage, "un passé honni". Il présente aussi ses "sincères regrets" à ceux qui ont été "blessés".
Pour autant, YvesJégo, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a jugé jeudi "parfaitement ignobles" ces propos. "On a des lois qui interdisent ce genre de choses dans la République", a souligné Yves Jégo sur Europe 1, ajoutant que le parquet de Martinique avait ouvert une information judiciaire pour "apologie de crime contre l'humanité et incitation à la haine raciale."
Sur son site Internet, le quotidien Le Parisien met en évidence une autre conséquence des propos de l'entrepreneur : le déménagement du préfet Ange Mancini, qui a a quitté son logement - appartenant à la famille Despointes - pour s'installer à l'hôtel. Dans le même temps, des gendarmes ont été déployés au Cap-Est, la principale zone de résidence des békés – estimés entre 1 % et 2,5 % de la population martiniquaise.
Les manifestations d'hostilité contre les békés se multiplient : des appels au boycott, circulant sur Internet et par SMS, ont été lancés contre des produits commercialisés par leurs enseignes. "La Martinique est à nous, la Martinique c'est pas à eux" est l'un des slogans des manifestants qui campent toute la journée sous les fenêtres de la préfecture, promettant à cette "bande de profiteurs et voleurs" de "les mettre dehors". Dans France Antille mercredi, deux membres de la famille Hayot, une autre famille békée, se désolidarisent totalement des déclarations de M. Huygues-Despointes, affirmant ne pas "se reconnaître dans ce qui a été dit". Également interrogé par le quotidien, Eric de Lucy de Fossarieu et Roger de Jaham, deux figures du monde béké, estiment que le reportage de Canal+ est "un travail affolant de désinformation et de nuisance". Et d'assurer : "la communauté békée reflète la société martiniquaise. Il y a des békés smicards. Il y a des békés au chômage... Les békés ne sont pas tous chefs d'entreprise agricole sous leur véranda. C'est fini ça".
Mais en ces temps de crise, le reportage n'en finit pas d'échauder les esprits, reflétant, selon l'écrivain Patrick Chamoiseau, une "animosité diffuse qu'on aurait tort de sous-estimer".
"Grève, crise, polémique la bobi production c'est occupé du cas actuel en martinik avec un ti reportage à la maniere bobi c tout chaud c tou news .. tro cher tro cher....bé...volaiii lool bon rire zote télé vidéo mi vidéo marinade 2 de sorti ossi dnas le meme balan allez vous s'inscrire sur le site car bientot les vidéo ne seront disponible ke sur hhtp://bobiprod.com mintnan g vai m'octoyé kelke vacance lol laché d com faite turn!!! "

dimanche 15 février 2009

Les derniers maîtres de la Martinique

« LES DERNIERS MAÎTRES DE LA MARTINIQUE »
P l a i n t e
A Monsieur le Procureur Près le Tribunal de Grande Instance de Fort-De-France Monsieur ayant pour avocat la SELARL GERMANY CONSEIL & DEFENSE, du Barreau de Fort-De-France, représentée par Maître Georges-Emmanuel GERMANY - a l’honneur de vous exposer que : Le vendredi 6 février 2009 à 21h56 a été diffusée sur la chaîne cryptée de télévision Canal + Antilles un reportage d’investigation intitulé « les derniers maîtres de la Martinique ». Au cours de cette émission des propos racistes et révisionnistes ont été tenus notamment par Monsieur Alain HUYGUES-DESPOINTES.
Monsieur Alain HUYGUES-DESPOINTES : "Les historiens exagèrent un petit peu les problèmes. Ils parlent surtout des mauvais côtés de l’esclavage, mais il y a eu des bons côtés aussi. C’est où je ne suis pas d’accord avec eux."
Le journaliste : "c’est quoi les bons côtés de l’esclavage ?"
Réponse de Monsieur Alain HUYGUES-DESPOINTES : "Il y a des colons qui étaient très humains, (allez !), avec leurs esclaves, qui les ont affranchi, qui leur donnaient des possibilités d’avoir un métier, des choses,... »
Le fait de prétendre qu’il y a eu des bons côtés à l’esclavage, malgré la reconnaissance par la Loi dite TAUBIRA de la Traite et l’Esclavage comme crime contre l’humanité, constitue un outrage à la mémoire, le jour même de la mort de Joseph N’DIAYE, conservateur du musée de Gorée au Sénégal, le délit d’apologie de crime contre l’humanité prévu et réprimé par l’article 24 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881. C’est un choc violent porté à la mémoire.
Il n’est pas contestable que l’esclavage aux Antilles concerne l’esclavage des hommes de couleur, ce qui donne à ces propos un caractère raciste visant un groupe humain identifiable. Toujours au cours de cette émission un certain Monsieur HAYOT, parent de Monsieur Bernard HAYOT, interrogé par un journaliste de l’ORTF en 1960, a déclaré :
« Le journaliste de l’ORTF : "c’est facile à mener des ouvriers noirs ?"
Réponse de Monsieur HAYOT : "Oui. Le noir c’est comme un enfant, il faut être juste, on en obtient ce qu’on veut."
Le journaliste de l’ORTF : "Vous êtes un béké, qu’est-ce qu’un béké ?"
Réponse de Monsieur HAYOT : "C’est ce qu’il y a de mieux. Les békés c’est le...ce sont les descendants des blancs européens qui se sont reproduits en race pure dans les colonies." »
Par la suite Monsieur Alain HUYGUES-DESPOINTES va déclarer :
« Quand je vois des familles métissées, enfin blancs et noirs, les enfants sortent de couleurs différentes, il n’y pas d’harmonie. Il y en a qui sortent avec des cheveux comme moi, il y a d’autres qui sortent avec des cheveux crépus, dans la même famille avec des couleurs de peau différente, moi je ne trouve pas ça bien. On a voulu préserver la race. »
Ces propos racistes prolongent les propos de Monsieur HAYOT. Monsieur Alain HUYGUES-DESPOINTES, par ces déclarations, légitime l’eugénisme, condamne le mélange des races, blessent profondément les familles métissées. Monsieur Alain HUYGUES-DESPOINTES se présente en représentant d’un groupe ethnique sans doute en raison de son importance économique au sein de ce groupe et explique en utilisant le terme « on » que ce groupe a collectivement voulu préserver la pureté de la race et partage ses opinions.
Cette opposition entre les descendants de colon et le reste de la population de couleur descendante d’esclave dont on a insulté la mémoire en trouvant des bons côtés à l’esclavage, constitue une incitation et une provocation à la haine raciale, faits prévus et réprimés par l’article 24 alinéa 6 de la loi du 29 juillet 1881.
Le plaignant porte plainte pour les faits précités et sollicite d’être informé des suites de la présente plainte afin de pouvoir se constituer partie civile avec élection de domicile au cabinet de son Conseil.
Fait le 7 février 2009 à Fort-De-France

Les derniers maîtres de la Martinique 3/3

vendredi 13 février 2009

Les derniers maîtres de la Martinique 1/3


Dm1
envoyé par tchelsoo

Les derniers maîtres de la Martinique

Romain Bolzinger, réalisateur des "Derniers maîtres de la Martinique".
« En Martinique, moins de 1% de la population détient 52% des terres agricoles. Il s’agit des békés, les héritiers des vieilles familles blanches, installées dans l’île avant la Révolution française. Pour “Spécial Investigation”, Romain Bolzinger a enquêté sur une communauté méconnue et discrète qui a traversé les siècles en préservant ses coutumes, ses richesses et ses codes et dresse le portrait d’un département rongé par les inégalités et les rancœurs post-coloniales. » Entretien avec Romain Bolzinger, réalisateur des "Derniers maîtres de la Martinique".
Qu’avez-vous présenté aux Békés comme projet pour qu’ils vous ouvrent ainsi leurs portes ?
Ça ne s’est pas passé comme ça. On voulait faire un reportage sur la Martinique d’aujourd’hui : son économie, sa société, ses grandes figures. Évidemment pour bien comprendre ce qui se passe sur l’île en 2008, il est nécessaire d’ appréhender ses spécificités historiques très fortes ! Je me suis donc d’abord intéressé aux grands patriarches de la communauté béké. Je suis allé voir Eric de Lucy, grand patron de la banane et directeur général du groupe Bernard-Hayot, et j’ai également rencontré Alain Huyghues-Despointes et bien d’autres personnalités non béké. J’ai bien-sûr dit que j’étais journaliste, je leur ai dit que je faisais un reportage sur l’économie de la Martinique et ses grands acteurs. Et que je voulais faire le portrait de ces personnalités qui jouent un rôle dans l’ économie de l’île. Ils jouent un grand rôle et ne s’en cachent pas. Ils voulaient me montrer qu’ils étaient puissants, ils m’ont emmené à l’Elysée, à Bruxelles au ministère de l’agriculture et de l’outremer, partout où ils défendent leurs intérêts économiques… Je ne suis pas venu les voir en leur disant que je faisais un reportage sur la communauté Béké. J’ai essayé de comprendre d’abord qui ils étaient, comment ils fonctionnaient. Et pour cela, il me fallait du temps. On a établi une relation de confiance, ils m’ont longuement exposé les spécificités de leur communauté, ils savaient donc pertinemment que j’allais en parler.
Le travail a-t-il été facile ?
Cela n’a pas été évident. Ils n’acceptent pas facilement que des journalistes s’intéressent à leur histoire. Mais finalement, les questions tabou que je pose sur les Békés et leur histoire, je ne les ai posées qu’à la fin du tournage. C’était à ce moment-là qu’eux-mêmes étaient prêts à en parler. Je dirai même que j’ai senti chez une grande partie des blancs créoles que je rencontrais, notamment dans la famille Huyghes Despointes, le besoin d’en parler. Une envie de s’expliquer, de raconter leur histoire… Ils m’en parlaient tout le temps en off, dès que la caméra était éteinte… Et j’ai l’impression que les Békés sont un peu prisonniers de cette histoire…
Et le film débute avec Bernard Hayot, Eric de Lucy et Charles Rimbaud aux funérailles d’Aimé Césaire. Qu’avez-vous voulu nous montrer ?
Une volonté de rapprochement des Békés ?Je ne sais pas si c’est une volonté de rapprochement parce que quand je leur pose des questions, ils n’ont pas trop envie d’en parler. Ils sont présents aux obsèques, ils veulent que ça se voit. A mon avis, la communauté béké envoie des signaux de réconciliation dès qu’ils en ont l’occasion à la communauté afro-antillaise. C’est très positif, mais seules les grandes personnalités le font. Derrière, les autres se tiennent à l’écart, reclus, et force est de constater qu’aux funérailles de Césaire, on les comptait sur les doigts de la main.
Vous nous présentez une communauté qui truste les richesses. Vous vous en étonnez ?
Ma démarche est de comprendre cette situation et de faire connaître au plus grand nombre de Français une exception historique qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. C’est simplement surprenant qu’une petite communauté qui a colonisé, qui a réduit en esclavage, qui a résisté à la Révolution et qui, après l’abolition, a continué à prospérer, continue aujourd’hui de vivre entre eux, même si les békés sont intégrés à la société martiniquaise dont ils sont une émanation directe. Alors tout ça est surprenant et quand on l’apprend, on a envie de comprendre. On s’est mis dans une logique journalistique où l’on ne s’appuie que sur des faits avérés. La vie chère… On n’invente pas !
En montrant une fille avec son chariot dans un supermarché et qui se prive de tout, n’avez-vous pas l’impression d’entretenir l’idée que les békés continuent d’exploiter les descendants d’esclaves ?
C’est un peu vite dit. Les békés n’exploitent personne. D’ailleurs le problème de la vie chère n’est pas un problème béké, il concerne tout l’outremer. C’est une question macro-économique qui concerne tous les entrepreneurs mulâtres, noirs, chaben, béké et métro, ou même chinois ! Maintenant, notre sujet, c’est les grands acteurs de l’île. On raconte l’économie de la Martinique à travers cette communauté qui pèse très lourd dans un certain nombre de secteurs comme l’agro-alimentaire, la grande distribution ou l’agriculture.
Vous revenez sur le chlordécone pour leur faire porter le chapeau aussi ?
Les faits existent. On sait qu’il y avait des relations très ténues entre les bananiers et certains politiques. Malgré une interdiction européenne, 3 ministres successifs autorisent l’utilisation du chlordécone par dérogation pendant trois alors qu’il existe d’autres produits : on ne peut pas faire comme si on ne le savait pas. Mais les Békés ne sont pas responsables à eux tout seul du problème de la contamination au chlordécone dans les Antilles. Il y a des politiques, et l’administration elle-même. Il n’y a pas de commission d’enquête parlementaire, il n’y a eu qu’un rapport d’information…
Le film fait scandale à cause des propos tenus par Alain Huyghues-Despointes. Que lui a-t-il pris de déclencher cet « Hiroshima » ?
Il a d’abord voulu me montrer quelque chose de peu connu, le fameux arbre généalogique. Et là, il a commencé à me raconter l’histoire. Puis, dans un second temps, au cours d’une interview sur l ‘économie et la société martiniquaise, je lui demande pourquoi les Békés ne se sont jamais métissés. Vous connaissez la réponse qu’il m’a faite… On me montre un arbre où on voit que tous les Békés ont un lien de parenté et où aucun Noir n’est rentré, on demande pourquoi… Je suis journaliste, je pose des questions, il n’y a pas de piège. Et je rappelle qu’il n’y a aucune caméra cachée dans mon film.
Avez-vous conscience que ce film va soulever des passions ?
Ca soulève une autre chose : est-ce que cette question avait déjà été journalistiquement traitée ? Si ça soulève des passions, c’est probablement parce qu’on appuie là où ça fait mal, parce qu’on s’intéresse à une question un peu tabou. Oui, on s’est intéressé en Martinique aux rapports entre les anciens colons et les anciens esclaves.
Hors champ
Avant l’interview dans les locaux de TAC Presse, Romain Bolzinger est pendu au téléphone avec José Huyghues-Despointes. Après l’interview, c’est Alain Huyghues-Despointes qui l’appelle… « C’est pire que la bombe d’Hiroshima ! », lance au journaliste l’octogénaire… Le journaliste lui rappelle qu’il a parlé dans les rushes du film « d’hypocrisie ». Mais, Romain Bolzinger, surprenant notre intérêt, ferme la porte et achève sa discussion (longue) dans l’intimité. Eric de Lucy aussi l’a appelé.

jeudi 12 février 2009

Papa

« J’ai pitié de cet être dont le regard insiste et qui a été vivant, aimant. J’expérimente une mort qui a l’aspect troublant du vivant (…) Toute photo sera un jour jetée aux ordures. Avec elle disparaîtra la vie, et aussi l'amour.» (Roland Barthes)
J’ai retrouvé cette photo. Elle témoigne de ce qui n’existe plus. Je ne saurais jamais qui était cet homme, juste croisé au hasard du chemin sur lequel il m’a accompagné un court instant et trop vite abandonné. Cet homme m’a porté sur ses épaules, consolé les soirs de chagrin, fait beaucoup rire et parfois pleurer. Cet homme que j’attendais comme une délivrance pour me libérer de mon bourreau. Ce que je crois savoir, je l’ai appris des autres. Une vie de gens simples faite de petits riens sublimés. Je me forge une mémoire. M’approprie une vie. Il était mon père. Pour le reste, je ne sais rien. Alors j’invente tout.

Des nouvelles d'Ulysse et Pénélope (lien)

De Santiago du Chili à l'île de Pâques.....

mercredi 11 février 2009

Lally

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François par Béranger 4

LE RETOUR
Dans le marais du temps immobile, pétrifié, le grand jour arrive... après 28 mois. Au lieu de la joyeuse excitation, si souvent imaginée, on est vide, sans réaction, lessivé de tout souvenir, comme vieux. Apathiques, dans l'ultime convoi de camions qui nous ramène à Oran pour l'inévitable camp de transit. Endormis et mornes, les 3.000 libérables entassés pour 36 heures sur le Ville d'Alger, qui regardent sans la voir s'éloigner la vieille ville espagnole. Malades - du mal de mer - la plupart des soldats. Du mal de mer et du reste. J'ai plusieurs copains blessés ou convalescents qui voyagent en Première Classe. Je me faufile chez eux : j'éviterai au moins l'ambiance nauséeuse des fonds de cale. A Marseille, sur les quais, des gendarmes prétendent nous faire aligner en rangs par quatre pour aller jusqu'aux trains spéciaux garés dans la Gare Maritime. C'est une explosion de colère brutale, inattendue. Les libérables bombardent les cognes des ponts du bateau avec leurs sacs à paquetage (ça pèse 25 à 30 kilos ...) L'incident nous rend joyeux. La spontanéité de la réaction à l'ultime connerie militaire réveille tout le monde. Les gendarmes s'éclipsent. L'armée française nous a donné en souvenir un beau diplôme : il atteste que je suis décoré de la médaille commémorative d'Algérie. Je le déchire en confettis. On est déjà dans la peau de celui qu'on doit pas faire chier. Parce qu'il en a chié. Les mots du vocabulaire militaire sont limités : chier est un de ses leurons. Avec mon ami François-Xavier, le séminariste, on s'échappe du port pour nous offrir un luxe : prendre un avion à nos frais, qui nous ramènera en quelques heures à Paris. Où nous arrivons complètement saouls, après avoir goûté sans retenue toutes les jolies petites bouteilles des repas d'avion (à l'époque, les boissons étaient à volonté ...) Nos familles, à l'aéroport, sont consternées de voir débarquer deux poivrots ! Mais enfin on est là. On est rentrés. Et c'est Noël. Je suis épuisé, amaigri, irascible, mutique. Ma fille Emmanuelle naît quelque jours après. Elle est très mignonne. C'est la plus belle de la clinique. Mais je ne comprends pas ce qui m'arrive ... L'attente de sa venue puis les visites quotidiennes me sont pénibles physiquement. Je dors toute la journée sur le lit de ma femme. Je voudrais faire bonne figure, mais je suis vidé. On a fait de moi une sorte de zombie qui ne jouit plus des bonnes choses. La réinsertion va être dure ! C'est d'abord renouer avec les siens. Essayer. S'apercevoir qu'aucun récit ne peut traduire la réalité de ce qu'on a vécu. Qu'on vous écoute avec gentillesse ou commisération, et voilà tout. Que cette page d'histoire écrite par toute une génération de jeunes français n'est pas perçue comme une guerre, mais comme une vague expédition lointaine et exotique. J'ai compris, à cette époque, pourquoi les anciens combattants se réunissent et se racontent : personne ne peut imaginer la réalité d'une guerre sans l'avoir vécue. Alors on enfouit. On occulte. Sans savoir que ce pseudo-oubli va vous empoisonner pour longtemps. La réinsertion c'est retourner dans son entreprise sans grande conviction. S'y emmerder très vite. Faire la vie dure aux chefs en agissant comme des caractériels. Chez Renault, je dépends d'un service d'orientation qui doit caser au mieux les employés au retour de l'armée. Tout le monde est compréhensif. Beaucoup de collègues sont dans mon cas : anciens d'Algérie, employés à problèmes. La hiérarchie ne sait comment composer avec nous : absentéisme, comportements irrationnels, refus de l'autorité. Mais qu'on nous fasse pas chier ! Voilà le mot d'ordre. Je circule pendant un an dans différents ateliers, services, départements, sans me fixer nulle part. J'imagine mal passer ma vie à construire des bagnoles. On me suggère amicalement de toute part que... peut-être... je devrais... chercher ma voie ailleurs. J'en suis convaincu. Le cinéma me passionne. Le père de ma femme, Olivier Hussenot, me présente à des amis. Je débute comme assistant avec un réalisateur de courts métrages d'animation. Une autre vie commence.
Département 26, chantée par Michel Buhler.

samedi 7 février 2009

Roland

Il y a tout juste un an, sans prévenir personne, Roland s’en est allé pour un bien long voyage. A ma connaissance, c’est la seule mauvaise action que je puisse mettre à son actif. Et en y repensant je me dit que le temps était clément lorsqu’il a pris la route sous le soleil.
J’ai fait sa connaissance après la tempête de 99. Sous un ciel gris, la Creuse en portait encore les stigmates, avec une campagne dévastée aux arbres arrachés, que rien à l’entour n’enchantait. La première personne à me serrer la main, fut cet homme au regard franc et paisible, qui, les pieds bien campés sur le sol de sa terre natale, m’en communiquait la sève. Avec le temps, Roland est devenu mon arbre, majestueux , familier. Un arbre auprès duquel il faisait bon vivre et auquel je pensais qu’il ne pouvait rien arriver. Il me plaisait d’imaginer me voir vieillir à ses côtés, protégé par l’ombre de ce Patriarche. La vie en a décidé autrement. Quand je suis en Creuse, de ma fenêtre, à la Charse, celle qui fait face à un majestueux châtaigner, je l'imagine passer de son pas lent et mesuré pour aller au potager. Je sais qu’il est là, chaque jour que Dieu me donne. Et il passera encore à coup sûr. Il sera là à me caresser le regard. Il ne peut en être autrement, car la Creuse sans lui perd un peu de son âme. Et comme il n’est pas homme à vouloir me faire trop de peine, Je sais qu’il viendra au rendez-vous où je serai présent à l’attendre chaque matin.

vendredi 6 février 2009

Place Claudine Lariveau

Photo Willy Ronis
Au crépuscule des années quarante, entre les Buttes-Chaumont et le Père Lachaise, Belleville c’était encore les ateliers, les bistrots et les salles de bal. Belleville c’était des venelles, des terrasses et des arrières cours. Dans ce village, riche d’histoire et de diversités culturelles, on y jouait aux boules et l’ont déjeunait dans l’ombre des jardinets. Les terrains vagues favorisaient la sieste et les rencontres amoureuses. Claudine est née sur ce petit morceau de Paname immortalisé par Robert Doisneau et Willy Ronis. Très vite attirée par le sirop de la rue, elle en aime les mille parfums, les entrées art déco du métropolitain, les trottoirs encombrés de badauds, les camelots et les marchands de quatre saisons. Elle en aime la gouaille de ses titis et les miaulements de l’accordéon sur les chansons populaires que fredonnent ses parents. Mais avant tout elle en aime le Peuple, ce peuple si cher à Michelet, chaleureux et fraternel mais aussi prompt à déchausser le pavé pour armer parfois sa révolte. Comme ses parents, Claudine croit en un avenir radieux qu’ils ont voulu construire, lui ouvrant la route à grands coups d’épaules le poing levé. On a dit d’eux que c’était des rouges. Et alors ? Le rouge à bien des nuances depuis celui qui habite nos veines et traduit des émotions telles que la timidité, la honte et la colère. Rouge aussi les coquelicots que Claudine cueillera en bouquet sur les sentiers de l’Ile de Ré où une histoire d’amour lui a donné le jour. Rouge, l’une des trois couleurs du drapeau qui flotte sur le fronton de son école au dessus des mots Liberté, Egalité, Fraternité. Ses universités ? Ce seront celles de la République, celle de Voltaire et d’Hugo. Et à seize ans elle abandonnera les ruelles de Belleville et ses chemins de traverses pour entrer à La Nationale gagner le pain quotidien. Les compagnies la Nationale, l’Abeille et le Soleil, ça t’a un petit un air de Nationale 7 si chère à notre fou chantant. A l’époque la circulation n’était pas trop dense. La Nationale n’avait que deux voies, des bornes kilométriques rouge et blanche et entre les platanes on pouvait y garer la 4CV, sortir du coffre un panier en osier, installer sur l’herbe une nappe blanche et avec les camarades faire l’apprentissage de la liberté, prodiguer à tous cette égalité et cette fraternité qu’elle ne reniera jamais. La Nationale a bien changé depuis. Qu’importe le nom la route reste le même. Il y a belle lurette que les platanes ont été rasés. Les coquelicots aussi. Le béton a envahit les terrains vagues, l’herbe verte a été remplacé par des immeubles, des sociétés, des multinationales, des Groupes, des GIE… De deux on est passé à quatre voies armées de barrières de sécurité... La Nationale est devenue une autoroute où il est interdit de s’arrêter sur le bas côté, sinon emprunter la bande d’arrêt d’urgence à hauteur d’une borne téléphonique et appeler le centre d'intervention informatique dénommé CATI. Une fois dépanné on doit reprendre illico sa place dans le trafic pour y tenir sa moyenne sans débordement. Contre les pannes de l’âme et les injustices de la vie CATI ne peut rien. Alors notre Claudine les mains pleines de graisse et de cambouis se bat pour le droit au bonheur pour tous. En ces temps égoïstes, nombreux restent aveugles et sourds face à l’injustice. Dotée d’un cœur bien trop grand pour elle, Claudine prône les belles valeurs qu’elle tient de ses parents. Elle s’accroche à cet héritage qui vaut bien mieux pour elle que tous les Stocks Options du CAC 40. De récompense elle n’a jamais voulu. Pourtant nous, ses Enfants de Paradis, lui devons beaucoup, elle qui depuis 42 ans drape une saine colère d’un beau rouge garance pour faire notre route fleurie. Semée d’embuches, sans trêve ni repos, la sienne aura été longue. Alors maintenant qu’elle guette la prochaine sortie en direction de Moulins, elle se remémore le nombre de fois où elle a emprunté cette sortie en ce disant qu’un jour ce serait la dernière. L’instant est arrivé. Vendredi soir elle partira sur un vibrant roulement de la porte à tambour tel un hommage. Et quand des nouveaux demanderont « Le Comité d'Entreprise, s’il vous plait, c’est où ? » tout un chacun de répondre : « Vous ne pouvez pas vous tromper. Au bout de l’allée Nicole Verguet sur la place Claudine Lariveau. » Place Claudine Lariveau, quel beau nom pour une place ? Cette belle et grande place que Claudine laisse à tous au plus profond de nos cœurs.

jeudi 5 février 2009

Signez la pétition !

"Pour la liberté d’expression et parce qu’il est légitime de dire ce qu’on pense devant l’inacceptable; Pour la poursuite des échanges intellectuels et universitaires entre pays francophones malgré une politique d’immigration qui a de plus en plus de mal à dissimuler sa profonde xénophobie ;Solidaires avec tous les « sans papiers » injustement pourchassés emprisonnés et expulsés; Nous soutenons Yves Cusset, Sophie Foch-Rémusat et Pierre Lauret, les trois professeurs de philosophie qui se rendaient le 16 décembre 2008 à Kinshasa (République Démocratique du Congo) afin d’y participer à un colloque universitaire sur « La culture du dialogue et le passage des frontières ». Pour avoir pacifiquement témoigné et discuté avec d’autres passagers de l’injustice des conditions de l’expulsion de trois « sans papiers » dans l’avion qui les y conduisait, Pierre Lauret a d’abord été violemment débarqué de l’avion par la police ; puis à leur retour le 22 décembre, Yves Cusset et Sophie Foch-Rémusat ont été arrêtés. Tous trois ont été placés en garde à vue. Pierre Lauret est convoqué le 4 mars au Tribunal de Grande Instance de Bobigny pour comparaître devant un procureur. Yves Cusset et Sophie Foch-Rémusat feraient l’objet d’une enquête préliminaire.Nous protestons contre ces arrestations et ces gardes à vue arbitraires.Nous dénonçons l’atteinte aux libertés publiques que représente l’assimilation du simple fait de poser des questions à la police à un véritable délit d’opinion. Nous demandons que l’action pacifique des trois philosophes ne fasse l’objet d’aucune sanction judiciaire."
Premiers signataires Eliane Assassi (sénatrice de la Seine-Saint-Denis, responsable « Migrations, droits des migrants » au PCF) Rozenn Biardeau (comédienne, présidente de la Générale Nord-Ouest) Laurent Cantet (cinéaste) Daniel Cohn-Bendit (député européen, co-président du groupe Verts au Parlement européen) Alexis Corbière (Conseiller de Paris, Premier adjoint au Maire du 12°, Parti de Gauche) Michel Deguy (écrivain) Stéphane Douailler (philosophe, Professeur des Universités, Université Paris-8) Thierry Laprévote (Uni(e)s Contre une Immigration Jetable 19°-20° - Quartiers Solidaires Belleville) Denis Lavant (comédien) Razerka Ben Sadia Lavant (metteuse en scène) Claude Mouriéras (cinéaste) Dominique Noguères (avocate, vice-présidente de la Ligue des Droits de l’Homme) Nicolas Philibert (cinéaste) Jérôme Prieur (écrivain, cinéaste) Sophie Wahnich (historienne, chargée de recherches au CNRS) Brigitte Wieser (Réseau Education Sans Frontières – RESF

mercredi 4 février 2009

Paris avec un Panasonic Lumix LX3

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Photos Papou 2009

François par Béranger 3

UNE GUERRE QUI NE DIT PAS SON NOM : L'ALGÉRIE Un jour, en 1957, je descends, furieux, les marches de la mairie du 10ème à Paris. Je bouscule un marchand de colifichets qui veut absolument me coller sur la poitrine une cocarde tricolore où on lit "Bon pour le Service". Ça se faisait à l'époque. Les conscrits mettaient un point d'honneur à arborer ces saloperies hors de prix, avant d'écumer tous les bistrots de leur bled en gueulant, avinés, vive la Classe numéro tant, Vive l'Armée, et autres conneries du même panier. C'est que je suis Bon pour le Service. Rien d'original si ce n'est l'époque. On sait d'avance qu'on est promis à l'Algérie. Certains copains ont fini leur service et ont été rappelés. L'angoisse. Certains se couchent devant les trains. (C'est parmi ces rappelés qu'on dénombrera le plus de victimes au combat : les types partaient en opération avec des canettes de bière à la place des munitions...) L'état n'en finit pas de rallonger le Service : pour l'instant c'est 24 mois. Ça passera bientôt à 27 : joyeuse perspective ! Le Conseil de Révision me donne un avant-goût de la chose militaire : devant moi, dans la file des mecs à poil, un polio tient difficilement debout cramponné à ses deux cannes. Il sera réformé, quand même, mais pourquoi cette humiliation ? Je me pose encore des questions naïves... Sursitaire d'un an, je partirai avec la classe 58, en septembre. Avec la Roulotte, on fait une tournée en Grèce pendant les mois d'été 58. Il me vient l'envie, dans les derniers jours du mois d'août, avant de reprendre notre bateau, de disparaître dans la nature somptueuse de ce pays. Pour bagage, j'ai ma guitare et une petite musette en toile avec une chemise et un pantalon de rechange. Et deux bouquins : Naissance de l'Odyssée de Giono; Le Colosse de Maroussi d'Henry Miller. Deux viatiques pour faire parler les vieilles pierres de l'Antiquité, et comprendre quelque chose à la magie de ce pays. Je parcours la Grèce en stop, hébergé partout chez de inconnus qui vous font fête. C'était comme çà, la Grèce, avant les touristes et les programmes immobiliers. (J'appris plus tard que les prisons étaient pleines - déjà - de prisonniers politiques, généralement communistes, vaincus de la guerre civile toute récente... ) Pourquoi ne pas rester? J'imagine ce qui m'attend au retour. Le 2 Septembre 58, la tête pleine de soleil et de regrets, je poireaute à la Caserne Charras à Courbevoie, haut lieu de rassemblement des appelés. Ça pue. C'est sordide de saleté et de vieillerie. Je suis affecté à Berlin... Et affecté tout court! Mais beaucoup partent directement en Algérie. Les berlinois espèrent que... peut-être... qui sait... on les oubliera là-bas. En attendant, les colonnes de civils qui deviennent militaires ressemblent vraiment à des déportés. Ça commence par 36 heures de train spécial; la traversée, au pas, de l'Allemagne de l'Est, rideaux baissés; l'arrivée à Berlin, dans l'ancienne caserne de l'état-major de Goering; les hurlements de juteux alcolos en guise d'accueil; ces fringues ridicules; tout le système parfaitement rodé pour transformer des premiers communiants en matricules abrutis. Je ne force pas le trait. C'est la réalité prosaïque. Je commence à comprendre... qu'il y a quelque chose de pourri dans le royaume. Rien par la suite ne viendra contredire ce constat. Sauf les amis, les amours et les passions qui jalonnent la vie. Berlin est une île occidentale au milieu de la RDA. La vitrine artificielle du clinquant et de la réussite économique de l'Ouest. Au-delà de la frontière barbelée commence le Mal, le froid, le mystère, la sourde menace Rouge. On côtoie les anglais et les américains. Concerts, opéras, manifestations de prestige, musées, expositions. Toutes mes perms y passent. Sans l'absurde quotidien militaire, ce serait la belle vie. "C'est la vie de château Pourvu que ça dure !" nous font gueuler les sous-offs en nous faisant faire des pompes... On oublie assez volontiers ce qui nous attend dans quelques mois. On n'y pense pas. Les appelés à Berlin y restent un an avant de partir en Algérie.Il est d'usage que le départ en Algérie soit précédé d'une permission de 15 jours dans la famille. Sur le quai de la gare de Tempelhof, d'où partent les trains pour la France, arrive la Police Militaire. On m'embarque comme un malfaiteur. Je me retrouve au gnouf, la tête rasée : il manque un caleçon long et une liquette dans le paquetage que j'ai rendu. Je passe une semaine à la prison militaire de Berlin. Une semaine au trou quand je devrais être en perm... la première depuis un an... mon moral est au beau fixe! Je hais vraiment tous ces cons! Avec le recul ces misères semblent dérisoires. Mais imaginez l'époque : des petits jeunes gens bien propres et bien sages, la tête remplie de vertus civiques, pas informés de ce qui les attend, pas politisés ( à quelques rares exceptions ), ballottés comme des sacs, réceptacles paranoïaques de toutes les rumeurs, réalisant peu à peu que tout ce qu'ils ont appris n'est que mensonge, que ce qui les attend sera probablement terrible. Mais personne ne parle de guerre. L'appellation officielle de la guerre d'Algérie est "Opération de Maintien de l'Ordre"... On sait pourtant par des copains de quartier ou d'usine, déjà revenus, qu'il y a des combats, des embuscades, des blessés et des morts. On a envie d'y être, une bonne fois, pour SAVOIR; pour que cessent l'attente et le mystère. Et un beau jour on y est ! Après le passage obligé par le camp de transit de Marseille, foutoir immonde comme tous les camps de transit, ceinturé de miradors et d'enceintes électrifiées. Après le passage de la mer sur les bateaux de ligne, 2.000 à 3.000 trouffions entassés dans les cales. Mauvaise météo... Les dégueulis, comme une immense mare, roulent d'un bord sur l'autre... Interdit de monter sur le pont. Pourtant c'est beau l'arrivée en Afrique. Les couleurs, les odeurs, les silhouettes nouvelles. Au camp de transit d'Oran, encore un, on reçoit son affectation. Un nom de bled inconnu. On essaie de faire parler les chauffeurs. Des anciens, désabusés, qui traînent leurs pataugas comme des vieux. Qui n'ont pas beaucoup envie de parler... Finalement, on fera un bout de chemin en train. Sur la voie parallèle à la nôtre se gare un train sanitaire avec des blessés sérieux : gueules cassées, amputés. Certains agitent leurs moignons pour nous saluer. Ils ont l'air content de repartir. Pour eux, c'est fini. Ambiance dans notre convoi...Certains subiront leur baptême du feu au cours du voyage vers leur affectation : convois attaqués; embuscades; beaucoup de pertes dans les rangs des appelés mal entraînés. On s'en doute, mes 19 mois d'Algérie sont interminables. Jamais le temps ne fût si paresseux, si immobile. Un seul intermède heureux vient rompre cette monotonie mortelle : la permission d'aller me marier en métropole. J'ai connu Martine en Grèce, avant le départ à l'armée. Elle me suit en Algérie après notre mariage et s'installe à Oran. Je peux la voir, brièvement, de temps à autre. Elle repart après quelques mois. Elle attend notre premier enfant. Notre Lune de Miel s'est déroulée sous le signe de l'absence et des angoisses .. Je suis perché dans une casemate fortifiée, sur une hauteur (sur un piton , selon l'appellation officielle), chargé des transmissions militaires, essayant vainement de faire marcher des postes qui ne fonctionnent jamais, passant les messages "secrets" par le téléphone civil, pour être sûr qu'ils arrivent. Sur les lignes civiles les mecs du FLN posent des bretelles - des écoutes - et on établit avec eux des dialogues injurieux. Autour de la casemate, barbelés, miradors, zones minées où, la nuit, viennent exploser les ânes et les chiens du voisinage, réveillant en sursaut les sentinelles des tours, censées ne pas dormir; pour justifier la consigne, elles ripostent aux explosions par des tirs nourris de mitrailleuses lourdes. Nuits agitées, sommeil rendu plus fragile encore par les puces et les punaises qui font partie du paquetage militaire en Afrique. Cependant, par mes fonctions, j'échappe à la routine du cantonnement, situé dans le village en contrebas. Je suis assez tranquille pour dévorer 3 kg de livres par semaine. (C'est le poids d'une boite à chaussures remplie de livres. Le poids des colis que la famille peut envoyer gratis, en Franchise Militaire, à son soldat. Je préfère les livres aux saucissons qui, de toute façon, arrivent avariés au destinataire.) Notre région est plutôt calme, car pacifiée quelques mois avant par la Légion. Reste une poignée de fellagas imprenables, planqués dans les douars alentour qui, finalement, se rendront, démoralisés par leur solitude, pour être aussitôt torturés. Certains à mort. Après avoir crû à "la Paix des Braves" qu'on leur proposait... Je suis assez peinard... enfin... pas trop quand même. Avec cette menace sourde qui plane sur un pays en guerre. La peur de tout et de rien. Une explosion. Un coup de feu isolé. Un cri. Une ombre. Le mauvais sommeil. La mauvaise bouffe qui, avec l'angoisse, vous démolit le bide pour longtemps. Des blessés qui passent en camion. Des hommes torturés toutela nuit, qu'on emmène pisser, au petit matin, en les soutenant. Je m'échappe dans l'imaginaire des livres. Bien sûr, la torture. Omniprésente. Institutionnalisée. Pratiquée systématiquement à grande échelle. Jusque sur des enfants. C'est l'affaire de "spécialistes", mais tout le monde est au courant. Ceux qui sont contre ne la ramènent pas, par crainte de représailles qui sont nombreuses et variées dans la vie militaire (corvées supplémentaires, affectation dans un poste dangereux, brimades). Beaucoup y sont favorables. Je parle des appelés. Ça fait partie de l'arsenal de la guerre subversive. C'est la guerre, quoi! Parfois, par un besoin bizarre de justification, les services de renseignements font circuler des photos des exactions rebelles. On y voit, par exemple, un vieux couple de paysans pieds-noirs sagement couché dans son lit. Quand on y regarde mieux on voit qu'ils sont entièrement dépecés. Ou telle autre photo avec, en gros plan, des soldats français morts, le sexe coupé dans la bouche. Ça produit son effet sur la troupe. Mais quand les cris interminables des hommes torturés s'échappent des caves du Quartier Général, les sourires sont jaunes, les cuites plus nombreuses au mess de la troupe. Et quand on apprend, un matin, que le bourreau en chef, boucher de son état, sous-officier d'active, est mort d'une décharge de chevrotines à bout portant dans la tête, la chambrée applaudit... On n'a pas retrouvé la tête. Dés mon arrivée en Algérie, en Septembre 59, tout le monde sait qu'elle deviendra indépendante. Inéluctablement. Militaires comme civils. Les premiers ont gagné la guerre - stricto sensu - sur le terrain, à coups de combats, de ratissages, de quadrillages, de regroupements de populations, au prix d'un million de morts (un million de musulmans et 30.000 européens, dit-on...). La revanche de l'Indo? Les seconds n'y croient plus vraiment et s'accrochent à des espoirs chimériques, avant la grande fuite en catastrophe, précédée par la période du terrorisme abject de l'OAS. Triste fin. Après coup, les historiens ont démontré que l'Algérie était le parfait exemple d'occasions perdues. (Avant 1950 les musulmans ne revendiquaient que... la citoyenneté française!) Pays riche et passionnant, soumis à l'arbitraire politique et économique d'une poignée de gros colons, déterminés, génération après génération, à faire échouer toutes les réformes, à cantonner les arabes dans le rôle d'esclaves bon marché. Egoïsme et imbécillité des riches, dont les capitaux, bien avant la fin, ont fui vers des cieux plus juteux. J'ai connu des pieds-noirs libéraux - artisans, commerçants, fonctionnaires - qui voulaient que ça change pour retrouver la paix et continuer à vivre dans ce pays qui était leur. Certains sont morts de leurs convictions, beaucoup ont connu les plastiquages et la terreur. Aussi me suis-je souvent échauffé quand, de retour en France, on me demandait de décrire le pied-noir comme le sale colon qui fait suer le burnous, de conformer mon récit au manichéisme de gauche. Si toute ma sympathie allait aux algériens et à leur espoir d'indépendance, je savais aussi l'inextricable déchirement des piedsnoirs. Une Histoire sans générosité finit toujours en conflits sanglants. Mais l'Histoire est ce que les hommes en font. Est-elle jamais généreuse ? Depuis 35 ans je constate tristement que rien - ou si peu - n'a évolué. Que le monde reste invariablement soumis aux règles du profit, de l'exploitation, du racisme, en un mot à l'imbécillité la plus crasse.
Pour les torturés, la peur, la honte, les morts, les blessés. Pour la tête pulvérisée du bourreau. Pour le mensonge généralisé. Pour l'inutilité absurde de cette guerre. Pour le racisme rampant ou affiché. Pour l'imbibition alcoolique des sous-offs anciens d'Indochine. Pour tant d'années et de jeunesse perdues. Pour les illusions définitivement envolées. Pour m'avoir ouvert les yeux sur la réalité du monde. Pour tout ça, finalement, merci à l'armée!
Cependant je rapporte dans mon sac d'autres images qui ne sont ni de mort, ni de peur, ni d'ennui. La gentillesse des gens. Malgré tout! Les petites filles arabes qui vont puiser l'eau, chargées comme des baudets. Le courage des femmes qui assurent la continuité de la vie dans les douars sans hommes. Et les couleurs de l'Afrique, où je retournerai souvent plus tard pourretrouver, intactes, la chaleur, l'hospitalité et la dignité.

dimanche 1 février 2009

Esquisses de Boz 2

En 1833, Dickens n’est encore qu’un petit journalise inconnu et besogneux. Il a écrit de temps à autre, pour son plaisir personnel de petits récits humoristiques, des esquisses de personnages et de lieux recueillies dans un carnet depuis son plus jeune âge. Il dépose l’un d’eux dans la boite aux lettres du Monthly Magazine à Fleet Street. Et lorsqu’en décembre il achete un exemplaire de la dernière livraison de ce périodique et y trouve imprimé son récit. Ce n’est pas la fortune assurée, puisque le directeur ne rétribue pas ses collaborateurs. Ceci dit il sollicite de nouveaux textes de la même plume et au même tarif. Dickens fournit cinq récits en 1834 et un conte en janvier 1835. Finalement rémunéré, il en publie auprès de différents magazines plus d’une cinquantaine. En octobre 1835 un éditeur lui propose d’acheter le copyright des esquisses et récits qu’il avait fait paraître depuis deux dans divers périodiques pour les publier en deux volumes, illustrées par George Cruikshank.
Ces deux volumes paraissent en février 1836.
Dans la tradition des essayistes du XVIIIe siècle, ces « Esquisses » nous révèlent que Dickens fut un observateur original de la vie londonienne dont il décrit les aspects pathétiques ou grotesques dans des tableaux colorés et précis de la vie quotidienne. Ses contemporains apprécient autant que la vivacité de son style sa capacité d’enregistrement de la vie du peuple. Dickens découvre ainsi son grand sujet dans les scènes de foule, dans la rue, dans la vie des gens exceptionnellement liés les uns aux autres, pour le meilleur ou pour le pire et qui font partie de la ville surgissant comme une hallucination au milieu de ces premières esquisses. Les esquisses de Boz, dans sa version définitive publiée en 1839, contient cinquante-six morceaux, regroupés en quatre sections et subdivisés en chapitres :
"Notre paroisse ", "Scènes", "Personnages" et "Récits". Si ces textes de jeunesse sont marqués par l’inexpérience de leur auteur, John Forster ami et biographe de Charles Dickens affirme à propos des Esquisses de Boz qu’elles formaient « un livre qui aurait résisté à l’épreuve du temps même s’il n’y en avait pas eu d’autres ! » il ajoute que son auteur a nettement sous-estimé son premier livre en refusant d’y reconnaître les « premières manifestations vigoureuses de son génie », la drôlerie, la perception des caractères, l’observation des détails, la vérité du tableau, du sentiment, du pathétique et l’aisance de conduite de la description ou du récit. En outre le livre contient à l'état embryonnaire toute l'œuvre future de Dickens : comédie, sentiment, respect pour la vitalité des personnages, pour stupides ou limités qu'ils soient, don admirable des transformations linguistiques frappantes, notion d'un déterminisme social irrésistible par lequel le milieu urbain cause le triste sort des malheureux qui y vivent.
En France aucune édition intégrale n’avait jamais été publiée. Cette lacune a été réparée en 1986 avec la publication complète des Esquisses dans la collection de La Pléiade chez Gallimard.
Les éditions de l’Ombre en offre un recueil d’une douzaine tirée de la série des « Récits » moins intéressante à mes yeux que les somptueuses esquisses londoniennes des "Scènes" : Les rues le matin, les rues la nuit, Seven Dial.s, les stations de voiture de place, les débits de boisson, visite à Newgate etc... véritable reflet de la vision de Londres du jeune Dickens et disponibles exclusivement dans la collection de la Pléiade.
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