mardi 30 novembre 2010

Dityvon : un monde oublié

Le thème de l’homme au travail est récurrent dans l’oeuvre de Claude Dityvon. Dès 1967 et 1968, il l’aborde magistralement à travers deux grands sujets, la pêche au chalut et les mineurs, puis jusqu’à la fin, il ne cessera de s’y intéresser, réalisant de grandes séries personnelles comme celle consacrée à la construction de la Bibliothèque nationale de France en 1993. Pourtant, comme beaucoup d’aspects de son travail, celui-ci reste peu connu, voire totalement inédit. Une première série de photographies sur ce thème a été présentée en 2005 au festival Visa pour l’Image de Perpignan et elle a été largement complétée pour concevoir l’exposition proposée aujourd’hui. Couvrant presque l’intégralité de sa carrière, de 1967 à 2005, et comportant de nombreuses photographies jamais exposées, cette imposante sélection souligne l’exceptionnelle modernité du photographe qui se traduit par des effets totalement nouveaux – choix des cadrages et des angles de vues, constructions faites d’ombre et de lumière, jeux de reflets - dans un genre qui se contente généralement d’un simple constat documentaire.Elle révèle également une véritable empathie de Claude Dityvon envers ces hommes laborieux qu’il respecte et dont les « regards fraternels » le touchent. En créant des images pleines de mystère et de poésie, où les corps semblent parfois animés par une véritable chorégraphie, en jouant de la lumière et des contre-jours qui magnifient leurs gestes, il rend à ces hommes un magnifique hommage photographique.Claude Dityvon invente des espaces dans lesquels il inscrit des signes qui lui sont propres, il organise à sa manière la réalité et exprime ainsi l’un des principes qui régit son travail : « Dans le corps, il y a tout le langage des significations de ce qu’est l’homme. Sa gaucherie, sa légèreté, sa lourdeur, son volontarisme. On apprend beaucoup de l’homme quand on sait regarder son corps. »* L’effort, la fatigue, la fierté, l’inquiétude ou la tension sont palpables parfois dans ces images, mais celles-ci demeurent pourtant intemporelles, le symbole ayant supplanté le simple témoignage. Sans nostalgie ni pathos, le « monde oublié » de Claude Dityvon nous livre un regard original sur le monde du travail propre à éveiller nos émotions et nos réflexions.
Claude Dityvon "Un monde oublié" à Gentilly, Maison de la Photographie Robert Doisneau du 14 octobre 2010 au 30 janvier 2011

lundi 29 novembre 2010

Impressions sénégalaises 1

Photos Papou, novembre 2010. Cliquez sur chaque image pour l'agrandir.
Chargé de sa cargaison humaine, le car s’insinue dans l’insoutenable trafic quotidien de Dakar. Le nez collé sur l’écran sale de ma vitre, je regarde défiler la ville lumineuse et ses faubourgs poussiéreux où je capte ces instantanés le long de la Petite Côte, propice aux stations balnéaires, alors que mon oeil occidental ne voit que misère et pauvreté. Il paraît que le Sénégal ne livre son âme qu'à ceux qui savent le respecter, l'écouter et lui parler. Je l'écoute respirer et nose pas lui dire tant pour l'instant les mots me manquent.

samedi 27 novembre 2010

Saul Leiter, phtographie et peintures

Pour l’histoire de la photographie en couleur, l’oeuvre de Saul Leiter est une redécouverte majeure de ces dernières années. Leiter était certainement connu des spécialistes pour sa collaboration avec les meilleurs magazines de mode des années 60 et 70, mais son travail personnel des années 50, étonnament novateur, était resté dans ses tiroirs. A cette époque, Leiter hésitait entre la photographie et la peinture et ses images en couleur de la rue américaine portent la marque d’un regard de peintre. Elles innovent en privilégiant la sensation pure de la couleur, la déconstruction de l’espace et de la perspective par un cadrage jouant en virtuose des reflets, des transparences, des premiers plans.

Saul Leiter, phtographie et peintures

Galerie Camera Obscura, Paris 14ème jusqu'au 23 décembre 2010

jeudi 25 novembre 2010

Only in America

Chaque fois qu'il découvrait une nouvelle excentricité de son pays, mon grand ami américain Josh Ewing, rarement étonné, le plus souvent amusé et quelquefois consterné, s'exclamait :
" Only in America ! " Ce qui voulait dire : "II n'y a qu'en Amérique qu'on peut voir ça !" Pour le meilleur et pour le pire. La société américaine toujours en marche (rarement en marche arrière malgré tout), toujours à la découverte d'une nouvelle frontière, valorise l'éclatement, l'exceptionnel et en définitive amalgame comme norme une certaine forme du déséquilibre. C'est ce qui, pour nous Européens, représente l'excès américain, un grain de folie qui, à la fois, découle et remet en question le monde moderne. Même dans ses formes les plus conservatrices, cette société intègre des éléments de fantastique, d'étrange, d'insolite. Ce livre contient des images réalisées sur une période de plus de trente-cinq ans. Ce sont des images faites en Amérique plutôt que des images d'Amérique, des images de mon Amérique à moi, une Amérique insolite qui est en même temps banale, complètement folle et plus que raisonnable. " Only in America !!"
François Le Diacorn
Only in America de François Le Diascorn aux éditions Créaphis.

mercredi 24 novembre 2010

L'autre homme de ma vie de Stephen McCauley

La comédie de moeurs est, depuis plus de vingt ans, le genre dans lequel évolue avec aisance et humour l'Américain Stephen McCauley. C'est avec L'Objet de mon affection que, en 1989, nous avons fait connaissance avec ce natif de la côte Est des Etats-Unis, auteur urbain dans tous les sens du terme, peintre plein de finesse, corrosif juste ce qu'il faut, des us et coutumes sociales et sentimentales de la middle class prospère de Nouvelle-Angleterre. Ont suivi L'Art de la fugue, Et qui va promener le chien ?, La Vérité ou presque, Sexe et dépendances, et l'on s'est d'autant plus attaché à McCauley, à sa comédie humaine au long cours, que ses héros ont grandi et vieilli avec nous, avec lui.
Ils n'avaient pas encore 30 ans, et l'avenir était devant eux, au temps de L'Objet de mon affection ; les voici aujourd'hui au mitan de leur existence, plus ou moins durablement installés dans une vie professionnelle pas trop rébarbative, une vie personnelle synonyme de stabilité, de tempérance, de confort, de petits arrangements discrets avec la mono­gamie, la peur de l'ennui. Ainsi Richard, dilettante directeur des ressources humaines dans une grosse entreprise, en couple avec Conrad, disposant de suffisamment de temps libre pour être inscrit dans deux clubs de fitness et pour entretenir depuis plusieurs années une liaison clandestine avec Benjamin. Lequel Benjamin est marié, père de famille, mais là n'est pas la source des tourments de Richard. C'est Conrad, en fait, qui l'inquiète, depuis qu'il a noué, lui aussi, une liaison extraconjugale qui semble menacer le couple qu'il forme avec Richard... Banal vaudeville gay ? Il y aurait de cela, ne serait la tendre et pétillante empathie que McCauley manifeste à l'endroit de ce petit monde dont il suit, non sans gravité parfois, les hésitations, les inquiétudes, les tiraillements. Cela tout au long d'un hiver spécialement glacial de la fin de l'ère Bush - climat dont la mélancolie s'accorde aux humeurs douces-amères de Richard, Conrad, Benjamin et les autres...
L'autre homme de ma vie de Stephen McCauley ed Baker Street. Nathalie Crom

mardi 23 novembre 2010

Keith Richards : entretien

Pour beaucoup, il est le rock incarné. Abîmé par des années d'excès mais indestructible, fier garant de la longévité et de l'indéfectible crédibilité des Rolling Stones, Keith Richards, 66 ans, publie aujourd'hui son autobiographie. Un livre aussi épais qu'épique, aussi drôle que terrifiant, dans lequel l'homme qui a érigé sa science unique du riff en art majeur se raconte comme il a vécu : en homme libre, avec des principes et un sens moral bien à lui. De son enfance modeste dans une grande banlieue de Londres à la création, encore adolescent, des Rolling Stones, en 1961. De sa passion pour le blues authentique à sa vie extrême, en marge des lois et de la société. De son éternelle relation conflictuelle avec son frère ennemi, Mick Jagger, à ses amours et amitiés singulières et déjantées. Life raconte cinquante ans d'un parcours consacré à maintenir la flamme sacrée du « greatest rock'n'roll band in the world ». Richards le trompe-la-mort, véritable pirate des temps modernes, malicieux et sensible, impitoyable et lucide, nous a reçu, à New York, en exclusivité.
Longtemps, surtout dans les années 1970, vous avez figuré en tête du classement des rockers qui ne passeraient pas l'année. Vous avez intitulé votre livre Life (« La Vie »). C'est ironique ?
Alors que j'étais à mi-parcours de la rédaction du livre, mon éditeur m'a envoyé un projet de couverture. Il l'avait appelé My life (« Ma vie »). Ce n'était qu'un titre provisoire. Quand j'ai vu ça, j'ai réfléchi cinq minutes et j'ai barré le « My ». « Ma vie », c'était trop ronflant, prétentieux. « La Vie », ça me convient bien.
Parce que, derrière votre image autodestructrice, le livre révèle avant tout un être combatif, accroché à sa passion et à ses idéaux ?
Tant qu'on n'a pas à se pencher sur son existence, on n'y pense jamais. On vous dit « vous avez une histoire extraordinaire à raconter ». Première nouvelle. J'ai toujours eu l'impression de vivre au jour le jour, sur le fil du rasoir, d'avoir échappé à ceci, de m'être sauvé in extremis de cela, d'avoir évité la prison de justesse. Et puis, une fois plongé dans mes souvenirs, j'ai réalisé qu'il s'agissait d'un parcours hors du commun. Revoir toute sa vie défiler devant ses yeux, passer deux années à revivre son passé, c'est une drôle d'expérience, très chargée en émotions. Parfois aussi très douloureuse. Se souvenir d'humiliations subies à l'école, ou reparler de Tara, le petit garçon que j'ai perdu, bébé, en 1976. C'est une blessure qui ne cicatrise jamais, la rouvrir, c'est dur... Voilà comment un projet qu'on imagine plaisant et léger peut faire basculer dans des gouffres insoupçonnés.
Vous sentez-vous toujours proche du jeune Keith, enfant unique, chétif et déterminé, élevé à Dartford, dans le Kent ?
Oui, c'est assez étonnant. Le temps brouille les repères, on se croit toujours loin de l'enfant qu'on a été parce qu'on vit au présent. James Fox, qui a écrit ce livre avec moi, m'a poussé à aller toujours plus profond. Je pense avoir raconté le plus sincèrement possible la façon dont j'ai vécu. Le plus dur a été de supprimer des souvenirs embarrassants pour certains. J'ai vu des gens faire de drôles de choses que leur mari, femme ou enfant n'ont pas besoin de savoir... A l'arrivée, je n'ai pas trahi mes rêves d'adolescent : devenir musicien, enregistrer des disques, être libre... Mais la façon dont ma vie s'est déroulée reste un mystère. Je ne suis sûr que d'une chose : jamais je n'ai voulu être une star. Ma seule ambition était de jouer de la guitare. Mais, très vite, la célébrité m'est tombée dessus. J'ai compris qu'il fallait trouver un moyen de faire avec, sans qu'elle me vampirise. C'était un mal nécessaire pour faire de la musique comme je l'entendais. Brian Jones, le premier guitariste des Stones, s'est laissé piéger par cette célébrité...Quand on devient une star, il faut le prendre comme un jeu. Ce n'est pas très difficile, ça peut même être assez amusant. Mais beaucoup de musiciens se prennent vite pour des dieux. Brian Jones particulièrement. Ce type qui pouvait être aussi charmant que détestable est tombé dans le panneau ! Jusque-là, les Rolling Stones étaient cinq gars soudés par leur amour de la musique. Mais il n'existe rien de plus fragile qu'un groupe de rock. Il suffit d'un maillon faible et la chaîne explose. Il a donc fallu être impitoyable. Les Stones ont toujours survécu ainsi : en se débarrassant des maillons faibles (1).
Brian Jones était pourtant, à l'origine du groupe, non seulement le musicien le plus accompli mais aussi le plus puriste d'entre vous...Oui, c'est bien le plus tragique dans cette affaire. Au début, nous n'étions qu'une bande de gamins idéalistes. Notre seule envie était de transmettre notre amour du blues, de faire connaître ces musiciens américains incroyables dont on essayait d'interpréter au mieux les chansons. Et puis, d'un coup, nous sommes devenus célèbres et nous avons vu Brian devenir dingue. Cette folie en a atteint tellement avant et après lui, d'Elvis à Michael Jackson. Moi, je me suis toujours préservé. Je n'ai jamais perdu de vue ce qui était le fondement de mon existence, ce groupe inespéré. Aujourd'hui, il reste encore Mick Jagger et Charlie Watts. Le noyau central, originel, est toujours là. Il ne faut pas y toucher. Je serais capable de tuer celui qui chercherait à le détruire. D'où vient l'extraordinaire longévité des stars ?
Ce que les Stones ont accompli avec le temps est unique. L'énergie qui nous unit est miraculeuse. Il existe des centaines de guitaristes meilleurs, plus talentueux, plus virtuoses que moi, mais cela n'a jamais été mon souci. Tout ce qui m'intéresse, c'est de créer un son. Voilà la vraie magie des Rolling Stones. Ce ne sont pas les musiciens qui manquent et, pourtant, il y en a très peu avec qui j'aimerais travailler. Je suis lié à un batteur, Charlie Watts, fidèle comme un roc, et ça me suffit. C'est avec lui qu'on a bâti un art du rythme bien à nous. Tout ce que j'ai pu inventer au cours des ans repose sur cette force qu'il m'apporte. On se connaît si bien qu'on peut prendre tous les risques. La musique des Stones n'a jamais été une science exacte, tout se joue dans l'entre-deux, dans la complicité entre Mick, Charlie et moi. Sans oublier Ron Wood, un guitariste avec qui je m'entends parfaitement. “Au fond, le problème principal de Mick, ce sont les femmes. Il les veut toutes... Quel imbécile !” Dans le livre, vous êtes très sévère avec Mick Jagger, avec cette fascination qu'il avait pour les puissants, sa volonté de tout contrôler et, plus tard, son désir de faire cavalier seul...Aujourd'hui encore, je ne comprends toujours pas ce qui s'est passé. Au fond, son problème principal, ce sont les femmes. Il les veut toutes... Quel imbécile ! Après, ça m'est bien égal, s'il veut un harem au Tibet, tant mieux pour lui. Du moment qu'il est heureux, ça me va. Car une chose est certaine, une alchimie exceptionnelle nous lie.
Vous dites qu'à un moment il a décollé vers « jet-set land » tandis que vous avez sombré dans « dope land »... C'est à partir de là que votre relation d'amour et de haine a commencé.Ouais. Mais, en même temps, qui a dit qu'il fallait rester copains à vie, inséparables et d'accord sur tout, pour qu'une relation comme la nôtre puisse perdurer ?
Nos rapports ont toujours été faits de clashs et de conflits... Je tiens aussi à dire que cette opposition entre lui et moi est infime par rapport à ce qui nous unit toujours. Parce que, finalement, la seule chose qui compte, c'est la musique. Depuis presque cinquante ans, je m'efforce de faire tenir ce groupe et, à ce jour, j'ai rempli ma mission.
Votre approche particulière de la musique vous vient d'où ?
De mon grand-père Gus, qui jouait du violon et du saxophone. C'est lui qui m'a encouragé à jouer de la guitare, qui m'a initié. Il m'a appris Malagueña, le premier morceau sur lequel je m'écorchais les doigts du matin au soir. Surtout, il m'a prodigué ce conseil : « Tu sais, gamin, tant que tu joueras seul, tu auras toujours l'impression d'assurer. Mais essaie avec quelqu'un d'autre et tu verras, ce n'est jamais gagné. » Je n'ai pas bien compris à l'époque ce qu'il voulait dire, ni même s'il parlait seulement de musique ! Mais je n'ai pas tardé à faire de sa leçon une règle de vie. Fabriquer des chansons, c'est comme travailler sur un métier à tisser : mélanger les instruments, les sons, à un point où il est quasi impossible de les démêler, de savoir précisément qui joue quoi. C'est pour ça que peu de gens arrivent à jouer correctement un morceau des Stones. Parce que je joue sur cinq cordes, avec un doigté précis, particulier, et un rapport au temps qui m'est propre. Ça n'a rien à voir avec la technique ou la virtuosité. Juste du style, du feeling. Comme Chuck Berry, Muddy Waters, Phil Everly et tous ces musiciens qui m'ont inspiré. Vous êtes retourné à Dartford pour la première fois depuis des dizaines d'années...Oui, pour le livre. Tout m'a paru si petit. A l'époque, c'était moi qui étais petit et malingre, tout le reste me paraissait grand. Mais les gens n'ont pas changé. Je suis allé chez le coiffeur et j'avais l'impression de rentrer au bercail. J'ai retrouvé chez les coiffeuses les mêmes attitudes, la même façon de parler qu'il y a cinquante ans ! Des pures « Dartford girls ». Et je me suis dit que la musique qu'écoutent ces filles aujourd'hui provient de tout ce que les Rolling Stones ont bouleversé autrefois. C'est ce qui m'émeut le plus. J'ai réussi à transmettre la musique que j'aimais. Dommage que, pour y arriver, on soit obligé de se coltiner ce star-système qui a détruit tant d'amis proches, comme Jimi Hendrix ou Gram Parsons. Combien de fois ai-je essayé de leur dire de ne pas aller trop loin...
“Le fait d'être junkie m'a permis de garder les pieds sur terre, ou du moins dans le caniveau !” Vous-même avez testé jusqu'à l'extrême vos limites avec la drogue. Mais, semble-t-il, davantage dans le souci de vous protéger que de vous détruire...Ça paraît bizarre, mais il y a beaucoup de ça. Evidemment, la démarche n'était pas consciente. Mais le fait d'être junkie m'a permis de garder les pieds sur terre, ou du moins dans le caniveau ! Quand on est sur la route, comme je l'étais avec les Stones, le souci principal du junkie que j'étais était de trouver de la bonne came. Ce qui rend la vie assez simple, en définitive, car on ne se concentre que là-dessus : ne pas se faire avoir pour ne pas planter les autres, pouvoir assurer le soir en concert. Dans le milieu de la dope, vous n'êtes qu'un junkie comme un autre : il n'y a pas d'idole du rock'n'roll qui tienne. Pas de risque de se prendre pour un dieu, du coup.
De la même manière, vous avez exposé votre premier fils, Marlon, à cette vie « rock'n'roll ». Là encore, pour le protéger. Vous l'avez emmené en tournée avec vous à 7 ans, en 1976...
La famille, c'est important pour moi. J'ai emmené Marlon avec moi pour ne pas le laisser avec sa mère, Anita [Pallenberg, NDLR], qui était sérieusement à côté de la plaque à l'époque. Je pensais que Marlon serait plus en sécurité avec moi. J'ai assumé un rôle de papa et de maman avec lui. Bien sûr, ça fonctionnait surtout à l'instinct mais, à l'arrivée, tout le monde s'en est plutôt bien tiré. Marlon me servait de copilote quand je conduisais. On parcourait tous les deux l'Europe en voiture, de concert en concert. Quelque part, l'héroïne - et, que les choses soient claires, je ne recommanderais à personne d'en prendre ! - a bâti un mur autour de moi, qui m'a certainement beaucoup préservé de la folie qui nous entourait à l'époque.
Dans les années 1980, lorsque Jagger vous lâchait pour tenter une carrière solo, vous étiez dévasté. Vous avez alors renoué avec votre père, avec qui vous aviez coupé les ponts à 17 ans.
Mon père était un type très rigide qui ne comprenait pas que je veuille faire de la musique. J'étais fils unique et la dernière fois que je l'avais vu, je quittais la maison, ma guitare sous le bras. Il m'a lancé un « bonne chance, fils, va rejoindre les milliers d'autres guitaristes qui crèvent de faim... », et je ne l'ai plus revu. J'avais laissé un homme austère et sobre – au mieux, il s'autorisait une bière le week-end – et, vingt ans plus tard, je retrouvais un rude gaillard qui descendait sans broncher une bouteille de rhum par jour.
Est-ce lui qui a fini par me ressembler ou l'inverse ?
Toujours est-il qu'on est devenus inséparables. Lui qui n'était sorti d'Angleterre qu'une seule fois, le temps de sauter sur une mine en Normandie pendant la guerre – il boitait –, m'a suivi autour du monde. Il était devenu adorable, tout le monde l'aimait. Je m'absentais cinq minutes, et je le retrouvais avec la comédienne Brooke Shields sur les genoux ! “J'ai toujours pensé que John Lennon était un peu frustré d'être un Beatle ! Comme s'il se sentait coincé dans une bulle.”
John Lennon aurait eu 70 ans cette année. Dans Life, vous affirmez qu'avec Gram Parsons il est le musicien dont vous vous sentiez le plus proche...
J'ai toujours pensé que John était un peu frustré, insatisfait, d'être un Beatle ! Comme s'il se sentait coincé dans une bulle. Il voulait prendre des risques, essayer des choses nouvelles. Les trois autres me paraissaient beaucoup plus prudents. Mais John venait toujours me voir. On passait pas mal de temps à discuter de musique, à écrire des chansons qui n'ont jamais vu le jour !
A quel point était-ce calculé de vous présenter comme les anti-Beatles ?
Nous étions vraiment comme ça : mal fagotés et avec des mauvaises manières. Mais c'est Andrew Loog Oldham, notre manager, qui a su l'exploiter. Sous la direction de Brian Epstein, le manager des Beatles, c'est lui qui avait façonné l'image du Fab Four, avec leurs petits costumes. Mais les deux hommes se sont fâchés et Andrew a été viré. Il s'est dit alors : « Il doit bien y avoir un autre groupe aussi bon et avec un potentiel aussi gros que les Beatles. » Et il nous a trouvés. Il a voulu nous faire porter des costumes, mais en vain. Puis il a eu l'idée de génie : promouvoir notre côté voyous, faire de nous le groupe qui ferait passer les Beatles pour d'aimables petits toutous !
C'est aussi Andrew Loog Oldham qui vous a forcés à écrire des chansons ensemble, vous et Mick...
Il nous a dit que si on voulait durer, il fallait qu'on écrive nos propres chansons. Il nous a désignés, Mick et moi, et enfermés dans une cuisine en disant qu'on ne sortirait de là que lorsqu'on aurait composé une chanson. C'est ainsi qu'a jailli As tears go by. Ce qui nous paraissait impensable nous est venu facilement. Le tandem Jagger-Richards était né. Parfois, je me dis qu'on devrait peut-être s'enfermer à nouveau avec Mick dans une cuisine pour composer ! Je sais que, quoi qu'il se soit passé entre nous, nous sommes toujours capables de retrouver cet état d'esprit.
Lorsque votre mère, Doris, était mourante, vous êtes allé à l'hôpital lui jouer de la guitare. Notamment, Malagueña, le morceau que vous avait appris son père, Gus...
C'est un morceau spécial. Vers la fin des années 1960, on était allés au Pérou, avec Mick et Anita. On a voulu visiter le Machu Picchu et on est tombés en panne dans un bled paumé. Les gens ne savaient pas qui nous étions, ils nous regardaient avec méfiance. Alors j'ai sorti ma guitare et j'ai joué Malagueña. Et leur visage a changé. Ils nous ont accueillis et hébergés pour la nuit... C'est dire ce que je dois à Gus, à ma guitare, à cette chanson. Quant à ma mère, je lui dois plus encore. Je l'aime pour tout le sang qui coule dans mes veines. Et cet amour infini pour la musique qu'elle m'a transmis. Souvent, lorsqu'on devient musicien, en maîtrisant la technique, on perd la joie pure de l'apprécier en toute simplicité. Le plaisir intense d'entendre une chanson, sans l'analyser, que j'ai toujours malgré tout mon bagage, me vient de Doris. Je peux encore me laisser emporter par un air et le chanter, comme elle, un peu faux...
Propos recueillis par Hugo Cassavetti (1) Brian Jones, anéanti par la drogue, fut limogé par Jagger et Richards en juin 1969. Quelques semaines plus tard, on le retrouvait mort dans sa piscine.

dimanche 21 novembre 2010

Patti Smith : Just Kids

La musicienne Patti Smith raconte sa fidélité aux artistes qui l'ont nourrie : Rimbaud, Mapplethorpe, Warhol. Râpeuse, trépidante, serrée, aimante : cette autobiographie résonne comme la voix de son auteur. Patti Smith a l'art du survol. D'une pudeur frénétique, elle effleure sa mémoire et tressaille d'une émotion contagieuse. Celle qui a fait de sa vie une quête d'absolu, au plus près de l'art - poésie, rock, dessin, théâtre, performance - laisse surgir le miracle à chaque page. Comme ce jour où, petite fille du New Jersey, alors qu'elle traînait des pieds pour se promener avec sa mère près d'une rivière, elle vit un cygne émerger soudain de la lagune et fendre les airs : « La vision de l'oiseau créait un besoin pressant pour lequel je n'avais pas de mots, un désir de parler du cygne, de dire quelque chose de sa blancheur, de la nature explosive de son mouvement, et du lent battement de ses ailes », écrit Patti Smith en ouverture de son livre, avec ce sens de l'image simple et retenue qui caractérise tout son récit.
Marine Landrot
Traduit de l'anglais par Héloïse Esquié, éd. Denoël, 330 p., 20 EUR.

samedi 20 novembre 2010

Sally Mann

La galerie Karsten Greve à Paris présente jusqu'au 31 décembre uneune exposition consacrée à la photographe Sally Mann, sous la forme d’un parcours rétrospectif des différentes étapes du travail de l’artiste à travers des photographies réalisées depuis le milieu des années 1990 jusqu’à nos jours. Depuis ses débuts, Sally Mann est restée fidèle à son principe de photographier son environnement proche, qu’il s’agisse des paysages du Sud des États-Unis, où elle vit depuis son enfance, ou de sa famille. Elle y évoque des thématiques universelles telles que l’enfance, la mémoire ou le rapport à la mort.

vendredi 19 novembre 2010

Nous avons fait un très beau voyage

. Nous avons fait un très beau voyage : du 10 novembre au 13 décembre Espace photographique de l'hôtel de Sauroy, rue Charlot Paris 3ème Photographies de Jacques Borgetto, Françoise Nuñez (tirages prêtés par la Galerie Camera Obscura), Bernard Plossu (tirages issus des collections de la Maison Européenne de la Photographie) et Sophie Zénon. En voyage, comme dans une exposition, il faut bien choisir son équipage, en fonction des affinités, des possibilités de dialogue et des enrichissements réciproques. Ici, les artistes se sont pris au jeu avec générosité et curiosité, de nouvelles images sorties des boîtes, sujets à de nouvelles lectures, des itinéraires jusque là divergents ont convergé et le voyage est devenu un beau voyage. Ainsi s’est construite l’exposition, tel un recueil de contes, sans unité de temps et de lieu, mais habitée par la poésie. Un ensemble de récits où planent solitude, mélancolie, souvenirs, fascination des grands espaces, émotion des rencontres et découvertes partagées. Tous les photographes, ici réunis, entendent le voyage comme on l’entendait autrefois. Avec du temps devant et de l’espace autour, avec l’esprit de tisser imaginaire et réel, loin des flux touristiques. Leurs références diffèrent, ainsi que les destinations et les motivations mais, malgré cela, un fil conduit d’une série à l’autre. Jacques Borgetto parcourt et photographie l’Amérique latine depuis des années, il restitue cette terre avec une écriture forte et précise et une vision peu incline aux clichés. Sophie Zénon, grande voyageuse, a sillonné à maintes reprises l’Asie, notamment la Mongolie, la Sibérie extrême-orientale et le Cambodge. Ses images de l’Asie côtoient ici celles plus familières de sa Normandie natale ou de l’Italie de ses origines. Partout, un univers au calme apparent et à la grâce omniprésente, une écriture subtile où le format panoramique semble mieux suivre le mouvement du voyage, tel un travelling.Avec Françoise Nuñez et Bernard Plossu, le voyage devient sentimental. Les lieux ne sont que prétextes et décors, la vraie destination est l’autre. Du Mexique en 1981 à l’Italie, de la Grèce à l’Andalousie, leur regards, en partant du même point de vue, donnent une vision stéréoscopique, où la photographie est autant le reflet de visions intérieures que de la réalité. Une sélection de vidéos des collections de la MEP accompagnent ces récits photographiques.

jeudi 18 novembre 2010

Les photographes d'Europe centrale

Il était temps que la première foire de l’image fixe au monde mette à l’honneur l’Europe centrale. Avec plus de 90 artistes tchèques, hongrois, polonais, slovènes ou slovaques représentés par un tiers des exposants, Paris Photo promet un panorama dense de la création photographique historique, contemporaine et émergente de la région.Figures de la scène d’Europe centraleLe secteur général du Salon évoque les avant-gardes historiques des années 1920 et 1930 avec ses figures tutélaires (le polonais Witkiewicz, les hongrois Brassaï, André Kertész, Làszlò Moholy-Nagy, les tchèques Jaromir Funke, František Drtikol, Josef Sudek), les artistes des années 1960/1970 à redécouvrir comme Tibor Hajas, Emila Medkova, Zofia Rydet, Teresa Gierzynska, et les figures contemporaines connues comme IRWIN, Zofia Kulik, Zbigniew Libera, Miroslav Tichý.
18-21 Novembre : Salon International pour la photographie du XIXème, moderne et contemporaine. Carrousel du Louvre.

mercredi 17 novembre 2010

Givre et sang de John Cowper powys

Dès les premières pages, puissamment nocturnes, c'est sombre, limite lugubre : un manoir, la lune, des pâturages inondés, une rivière menaçante le bruit d'une canne sur la route, des chouettes, et la mort qui rôde, déjà presque trop proche. Plus loin, comme s'il était besoin de rendre ce décor Quand il fait jour, la campagne se montre généreuse, avec ses fauvettes, ses vesses-de-loup, ses vaches brunes et blanches. Mais la plupart du temps, la lumière peine à éclairer cet univers réduit aux dimensions d'un confetti, où l'on mène une vie sans doute semblable à celle qui agite nos hameaux, une vie plutôt communautaire, pour le meilleur mais surtout pour le pire. Le lecteur va y vivre un huis clos oppressant.
Givre et sang John Cowper Points " Signatures "

mardi 16 novembre 2010

Boris Vian

Mourir à 39 ans, le 23 juin 1959, quand on a intitulé son premier roman Mort trop tôt, ne peut être le fait que d'un esprit facétieux... Plus qu'une fatalité, c'est une pirouette. Tragique tout de même, quand on sait que c'est pendant la projection de J'irai cracher sur vos tombes, film tiré de son roman, que le cœur de Boris Vian lâcha. Une faute de savoir-vivre qui aggravait la faute de cinéma, en quelque sorte. Boris Vian, trompettiste et poète, romancier et farceur, funambule indiscipliné de toutes les disciplines, fête en fanfare le cinquantième anniversaire de sa mort. A la façon tonitruante d'Alfred Jarry, dont il fut sans doute l'un des meilleurs et derniers vrais disciples. Il entre aujourd'hui dans la prestigieuse collection de la Pléïade en deux volumes.

dimanche 14 novembre 2010

Charlie Haden Quartet West

Ses compagnons de route sont Ornette Coleman, Pat Metheny, John Coltrane, Archie Shepp, Keith Jarrett, Chet Baker… Pionnier du free-jazz, son jeu caractéristique . a fait de lui un créateur de style parmi les contrebassistes du jazz contemporain.
A la fin des années 80, Charlie HADEN quitte New York pour s’installer sur la côte Ouest des Etats-Unis, où il fonde le Quartet West "In Angel City". Un casting de luxe : le pianiste néo-zélandais Alan BROADBENT, le saxophoniste ténor Ernie WATTS et Billy HIGGINS à la batterie, désormais remplacé par Rodney GREEN. Le Quartet West souscrit à un classicisme équilibré et de nombreux retours en arrière sur la scène jazz du milieu du XXe siècle.
First Song
“Avec le Quartet West, je ne cherche pas à reproduire la musique de qui que ce soit. Nous sommes inspirés par la beauté des mélodies populaires d’une époque qui en a produit beaucoup, mais nous jouons aussi des musiques d’aujourd’hui. Par ailleurs, la sonorité de ne cesse d’évoluer. C’est ce qui est enrichissant. (…) Le son, l’harmonie, la mélodie ont toujours été mes principales préoccupations.”

samedi 13 novembre 2010

Sophisticated Ladies....

Le compositeur et contrebassiste Charlie Haden, 73 ans, publie un album de ballades américaines, sous le titre de Sophisticated Ladies. Ces femmes sophistiquées sont six princesses de la voix : Cassandra Wilson, Diana Krall, Melody Gardot, Norah Jones, Renée Fleming et Ruth Cameron. Soit trois chanteuses mondialement connues (Krall, Jones et Gardot), une cantatrice classique d'égale réputation (Fleming), une chanteuse de jazz (Wilson) et la coproductrice et épouse de Charlie Haden, excellente interprète du répertoire américain (Cameron). Autant dire six beautés, un pari impossible. Et pour finir, une réussite due à leur élan pour la musique et la personnalité du contrebassiste qui n'hésite pas à dire : "Il peut leur arriver de chanter mieux qu'elles ne le font pour elles-mêmes, man..."

vendredi 12 novembre 2010

Manif pour la défense des Retraites du 6 novembre....à Guéret

Photos Papou
Je vous l'accorde, le six n'est pas le douze mais je m'en fiche bien. Pour ma part je suis tout seul dans mon parti et c'est déjà un beau bordel, alors laissez moi m'arranger avec le calendrier. De toutes les façons, perpétuel mécontent devant l'Eternel je manifeste ma mauvaise humeur tout les jours de Paris à Guéret où la mobilisation tenait le coup.
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jeudi 11 novembre 2010

Buena Vista Social Club de Wim Wenders

Ce soir ARTE 20H40
Ry Cooder a composé la musique de 'Paris Texas' et de 'The End of Violence'. Au cours du travail sur ce dernier film, il parlait souvent avec enthousiasme à Wim Wenders de son voyage à Cuba et du disque qu'il y avait enregistré avec de vieux musiciens cubains. Le disque, sorti sous le nom de 'Buena Vista Social Club', fut un succès international. Au printemps 1998, Ry Cooder retourne à Cuba pour y enregistrer un disque avec Ibrahim Ferrer et tous les musiciens qui avaient participé au premier album. Cette fois, Wim Wenders était du voyage avec une petite équipe de tournage.