mercredi 30 mars 2011

Dans l'intimité des frères Caillebotte

La mise en regard inédite des tableaux de Gustave et des photographies de Martial invite le visiteur à entrer dans l’intimité d’une grande famille parisienne et à plonger dans la nouvelle vie citadine qui s’installe à l’aube du XXe siècle. Les frères Caillebotte se font en effet les témoins d’une époque en pleine mutation urbaine et technique, mais aussi d’un art de vivre si souvent illustré par les artistes impressionnistes.

UNE EXPOSITION INEDITE

La renommée de Gustave Caillebotte, connu pour son talent de peintre et son rôle de mécène auprès de ses amis impressionnistes, est établie. On sait également qu’une grande affection le liait à son frère Martial. Mais la personnalité de ce dernier, compositeur, pianiste et photographe, restait encore à découvrir.
Récemment étudié, le fonds photographique de Martial témoigne d’une grande sensibilité pour des thèmes représentés dans les toiles de Gustave : les vues de Paris, les voiliers, les jardins ou les bords de l’eau. Cette découverte offre au Musée Jacquemart-André l’opportunité de faire ce qu’aucun musée n’avait encore proposé : confronter directement les photographies de Martial aux œuvres de Gustave.
Grâce à des prêts exceptionnels de collections privées et publiques, l’exposition dévoile les affinités profondes qui unissaient les frères Caillebotte, en faisant dialoguer pour la première fois plus de 35 toiles et près de 150 tirages modernes. Ces tirages ont été réalisés à partir des originaux de Martial. Certains des tableaux, conservés dans des collections privées, n’ont jamais été présentés au public.
UNE HISTOIRE DE FAMILLE, UNE HISTOIRE D'AMITIE
Gustave (1848-1894) et Martial (1853-1910) sont, avec leur frère René (1851-1876), les enfants de Martial Caillebotte et Céleste Daufresne. Né d’un précédent mariage, leur demi-frère Alfred Caillebotte (1834-1896) est ordonné prêtre en 1858. Entrepreneur du service des lits militaires, Martial Caillebotte père laisse à sa mort, en 1874, une importante fortune à ses fils. Gustave s’adonne dès lors à la peinture, tandis que Martial se consacre à la musique. Il compose ainsi de nombreuses pièces pour piano (Airs de ballets, 1887) et de la musique religieuse, avant de découvrir la photographie.
Marqués par le décès de leur frère René en 1876 et celui de leur mère en 1878, Gustave et Martial resteront toujours très proches. Les deux frères habitent ensemble et fréquentent le même cercle d’artistes jusqu’au mariage de Martial en 1887. De ce mariage vont naître deux enfants, Jean en 1888 et Geneviève en 1889. Gustave, quant à lui, reste célibataire. Lorsque ce dernier meurt en 1894, c’est Martial qui, avec Renoir, prend les dispositions nécessaires pour que l’État accepte le legs des tableaux impressionnistes que possédait son frère.
DES PASSIONS PARTAGEES
Gustave et Martial Caillebotte partagent de nombreuses passions. Avec leur collection de timbres, ils deviennent des philatélistes de premier plan. Quand Gustave s’intéresse à l’horticulture, Martial le photographie à l’œuvre dans le jardin ou dans la serre. C’est ensemble qu’ils s’initient au yachting. Il se distingue dans tous ces domaines en remportant, par exemple, de très nombreuses régates sur les voiliers conçus par Gustave.
En peinture ou en photographie, ce sont ces centres d’intérêt communs que les frères Caillebotte représentent, restituant ainsi les multiples facettes de leur environnement. Par petites touches, ils évoquent la douceur de vivre qui caractérise leur quotidien foisonnant, entre le nouveau Paris haussmannien et les loisirs en famille.
Résidant dans les nouveaux quartiers conçus par le baron Haussmann, Gustave et Martial sont les témoins privilégiés des transformations urbaines que connaît Paris à cette époque. Ils sont fascinés par les symboles de la modernité que sont les ponts ou les chemins de fer et l’animation des rues parisiennes est un de leurs sujets de prédilection. Ils éprouvent également un vif intérêt pour les activités de plein air. Si l’art des jardins retient leur attention, ces passionnés de navigation se plaisent tout particulièrement à représenter voiliers, canotiers et baigneurs.
Mais ils portent aussi un regard tendre et parfois amusé sur leurs proches, dont ils représentent les tranquilles occupations familiales dans un cadre de vie intime. Déjeuners et parties de cartes, promenades et lectures rythment les journées et sont autant de thèmes que les deux frères affectionnent.
Musée Jacquemart-André du 25 mars au 11 juillet 2011, 158 boulevard Haussmann, PARIS

mardi 29 mars 2011

Guido Crepax, Valentina

Guido Crepax (1933-2003) Valentina planches originales 1966-1991

Galerie Gilles Peyroulet & Cie, 80 rue Quicampoix 75003 Paris Exposition à la galerie du 12 mars au 30 avril 2011 Depuis le 12 mars 2011, la galerie à le plaisir de présenter la première exposition personnelle en France de l’un des maîtres de la bande dessinée érotique : Guido Crepax. Avec une trentaine de grandes planches originales de 1966 à 1991, la galerie se concentrera sur le personnage féminin emblématique Valentina, héroïne de la série dont la mise en page originale, préoccupation principale de Crepax, a marqué l’univers de la bande dessinée. Né en 1933 à Milan, c'est en juillet 1965, dans la revue Linus qu’apparaît pour la première fois le personnage de Valentina dans sa série « Neutron ». Bien vite, le personnage féminin, femme moderne et libérée, inspirée de l’actrice des années 1920 Louise Brooks, vole la vedette au héros de la série qui prend finalement son nom. Les lecteurs français découvrent Valentina dans le n°21 d’octobre 1970 de Charlie Mensuel. Valentina est une héroïne en avance sur son temps qui n’a pas peur de plonger dans son inconscient pour y vivre ses fantasmes sadomasochistes peuplés de hobereaux espagnols du XVIIIe siècle ou d’officiers nazis. La série s’adresse à un public intellectuel et raffiné très éloigné des productions érotiques populaires, et fait de Valentina un personnage emblématique en Italie. Elle demeure l’un des rares personnages de bande dessinée qui vieillit avec son auteur, passant d’une jeune femme de vingt ans à une femme d’âge mûr n’ayant rien perdu de sa sensualité. Crepax vit grâce à la publicité, malgré le succès de ses œuvres, que ce soient ses B.D. érotiques pour adultes – tous les volumes de « Valentina » ou les différentes adaptations d’œuvres fameuses de la littérature érotique telles qu’Histoire d’O, Emmanuelle, Vénus à la fourrure, Juliette... –, ou ses adaptations en bande dessinée de chefs d’œuvres de la littérature tels que Dracula de Bram Stoker ou Dr Jekyll et Mister Hyde de Stevenson. Remarquées par des écrivains comme Alain Robbe-Grillet ou des philosophes tels que Roland Barthes, les œuvres érotiques de Crepax marquent un tournant de l’histoire de la bande dessinée. Il est publié en France dans Charlie Mensuel et édité par le Square, Futuropolis, Dargaud, Glénat, Albin Michel et Evergreen. Malgré sa disparition en 2003, il reste pour des générations celui qui a fait basculer ses héroïnes dans l’irrationnel du cauchemar générateur de fantasmes érotiques, dans un va-et-vient incessant entre le rêve et la réalité, grâce à un cadrage où l’élégance du trait, les inserts, ont formé les pages les plus novatrices de la bande dessinée érotique. GILLES PEYROULET & CIE – 80 rue Quincampoix 75003 Paris – 01 42 78 85 11

lundi 28 mars 2011

Apologie du livre de Robert Darnton

Contre toute attente, l'ère électronique n'a pas entraîné la mort de l'imprimé ainsi que le prophétisait McLuhan en 1962. Sa vision d'un nouvel univers mental fondé sur la technologie postimprimerie apparaît aujourd'hui datée. Si elle a enflammé les imaginations pendant des décennies au XXe siècle, elle ne nous donne pas de guide pour le millénaire qui vient de commencer. La «galaxie Gutenberg» existe encore et l'«homme typographique» y lit toujours son chemin. Prenons le livre comme exemple. Il a un pouvoir étonnamment pérenne. Depuis son invention aux alentours de l'an I, le codex s'est révélé une machine extraordinaire pour contenir des informations, facile à feuilleter, merveilleux pour le stockage et remarquablement résistant aux dommages. [ ...] L'édition numérique l'éliminera-t-il ? Nous entendons se répéter cette prophétie depuis que le tout premier livre électronique, monstre cliquetant connu sous le nom de Memex, fut conçu en 1945. Mais, à présent que les Américains ont des ordinateurs, ils consomment et impriment plus de papier que jamais. Même Bill Gates, président de Microsoft, a confessé préférer le papier imprimé à l'écran d'ordinateur pour une longue lecture : « La lecture sur écran est encore bien inférieure à la lecture sur papier. Même moi, qui ai ces écrans coûteux et m'imagine en pionnier du mode de vie Internet, dès qu'un texte dépasse quatre ou cinq pages, je l'imprime et j'aime à l'avoir avec moi et à l'annoter. Et c'est une difficulté réelle pour la technologie que de parvenir à ce degré de commodité.» Bill Gates précise que la technologie devra progresser «de façon très radicale » avant que «toutes ces choses avec lesquelles nous travaillons sur le papier aujourd'hui ne passent sous forme digitale». En bref, le bon vieux codex, imprimé sur des feuilles de papier pliées et réunies, n'est pas près de disparaître dans le cyberespace. Pourquoi existe-t-il alors cette fascination entêtée pour l'édition numérique ? Il semble qu'elle soit passée par trois stades : une phase initiale d'enthousiasme utopique, une période de désillusion et une tendance nouvelle au pragmatisme. Tout d'abord, nous avons cru pouvoir créer un espace électronique, tout y mettre et laisser les lecteurs faire le tri. Puis nous avons appris que personne ne lirait un livre sur un écran d'ordinateur ou se battrait avec des masses de feuilles imprimées. Nous sommes aujourd'hui confrontés à la possibilité d'ajouter au livre traditionnel des publications numériques destinées spécifiquement à certains usages et à certains publics. Le meilleur argument pour le livre numérique concerne l'édition universitaire, non pas dans tous les domaines, mais dans de vastes champs des humanités et des sciences sociales où les monographies conventionnelles ont atteint un coût de publication prohibitif.

Pour prévoir l'avenir, il faut connaître le passé. Cette évidence devrait conduire tous ceux qui veulent comprendre la révolution numérique à lire ce recueil d'essais de Robert Darnton, peut-être le plus grand historien du livre vivant, par ailleurs directeur de la bibliothèque universitaire de Harvard. L'auteur fait le parallèle entre l'explosion des modes de communication électronique et l'invention de l'imprimerie à caractères mobiles par Gutenberg il y a cinq siècles. Contrairement aux prophètes de l'avènement du tout-numérique, il croit à la persistance du bon vieux codex inventé il y a deux mille ans, tout comme à celle des bibliothèques qui ont été et ne cesseront d'être les centres du savoir. Adepte enthousiaste de Google, il s'inquiète cependant de ses tendances monopolistiques. Bref, il délivre une contribution nuancée et pragmatique au débat sur l'avenir du livre.

dimanche 27 mars 2011

Retour du Tchad, sur les traces d'André Gide

En 1925, André Gide part au Congo et au Tchad pour son plus long voyage. À son retour, deux récits sont publiés chez Gallimard (dont Le Retour du Tchad) dans lesquels l’auteur décrit au jour le jour cette aventure exceptionnelle, à la frontière de l’écriture et du reportage. Marc Allégret (futur grand cinéaste français) l’accompagne, photographie et filme ce périple.

Le Retour du Tchad de Gide est le fil conducteur de ce carnet de voyage : 80 ans plus tard, une équipe d’artistes tchadiens et français refait une partie de l’itinéraire à bord d’un radeau puis d’une pirogue et croise ses impressions avec celles de ses illustres prédécesseurs.

Au fil des fleuves, du lac Tchad, des rives du Logone et du Chari, les auteurs retrouvent les Massa, Kotoko, peuls et arabes qui peuplent depuis des siècles ces régions centrales de l’Afrique.

Textes et aquarelles dénoncent aussi l’inquiétante baisse des eaux des fleuves et du lac Tchad : problème environnemental dramatique.

Joël Alessandra, un aquarelliste spécialiste de l'Afrique qui lui a consacré déjà plusieurs albums et carnets de voyage dont Fikrie (inspiré de son expérience de directeur artistique à Djibouti, à La Boite à Bulles), Séjour en Afrique (La Boite à Bulles), Fierté de Fer (sur le train Djibouto-Ethiopien aux éditions Paquet).

Pascal Villecroix, assistant technique et conseiller du Ministre de l’Enseignement Supérieur du Tchad, responsable de 2003 à 2007 du département d'histoire-géographie à l’Université de Djibouti, et déjà auteur de La Caravane Rimbaud : paysages de Djibouti et La caravane Kessel : sur les traces de la grande piste en collaboration avec Joël Alessandra.

Attié Djouid Djar-Alanabi, fondateur de Tchad-Non Violence et de l’Union des Poètes Tchadiens, enseignant à l’Université Adam Barka d’Abéché, doyen de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, auteur de plusieurs livres.
Retour du Tchad, sur les traces d'André Gide, La boite à Bulles. 20 euros

samedi 26 mars 2011

Eduquer au XXIème siècle par Michel Serres

Avant d'enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître. Qui se présente, aujourd'hui, à l'école, au collège, au lycée, à l'université ? Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillaient au labour et à la pâture ; en 2011, la France, comme les pays analogues, ne compte plus qu'un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des plus fortes ruptures de l'histoire, depuis le néolithique. Jadis référée aux pratiques géorgiques, la culture, soudain, changea. Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des vivants, n'habite plus la même Terre, n'a plus le même rapport au monde. Elle ou il n'admire qu'une nature arcadienne, celle du loisir ou du tourisme. - Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié, hantaient les champs. Mais, devenu sensible à l'environnement, il polluera moins, prudent et respectueux, que nous autres, adultes inconscients et narcisses. Il n'a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la démographie ayant soudain bondi vers sept milliards d'humains ; il habite un monde plein. - Son espérance de vie va vers quatre-vingts ans. Le jour de leur mariage, ses arrière-grands-parents s'étaient juré fidélité pour une décennie à peine. Qu'il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront la vieillesse pour recevoir ce legs. Ils ne connaissent plus les mêmes âges, ni le même mariage ni la même transmission de biens. Partant pour la guerre, fleur au fusil, leurs parents offraient à la patrie une espérance de vie brève ; y courront-ils, de même, avec, devant eux, la promesse de six décennies ? - Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n'ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Bénéficiant d ‘une médecine enfin efficace et, en pharmacie, d'antalgiques et d'anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ? Or, religieuse ou laïque, toute morale se résumait en des exercices destinés à supporter une douleur inévitable et quotidienne : maladies, famine, cruauté du monde. Ils n'ont plus le même corps ni la même conduite ; aucun adulte ne sut leur inspirer une morale adaptée. - Alors que leurs parents furent conçus à l'aveuglette, leur naissance est programmée. Comme, pour le premier enfant, l'âge moyen de la mère a progressé de dix à quinze ans, les parents d'élèves ont changé de génération. Pour plus de la moitié, ces parents ont divorcé. Ils n'ont plus la même généalogie. - Alors que leurs prédécesseurs se réunissaient dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d'un collectif où se côtoyent désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs. Pour eux et leurs enseignants, le multiculturalisme est de règle. Pendant combien de temps pourront-ils encore chanter l'ignoble "sang impur" de quelque étranger ? Ils n'ont plus le même monde mondial, ils n'ont plus le même monde humain. Mais autour d'eux, les filles et les fils d'immigrés, venus de pays moins riches, ont vécu des expériences vitales inverses. Bilan temporaire. Quelle littérature, quelle histoire comprendront-ils, heureux, sans avoir vécu la rusticité, les bêtes domestiques, la moisson d'été, dix conflits, cimetières, blessés, affamés, patrie, drapeau sanglant, monuments aux morts, sans avoir expérimenté dans la souffrance, l'urgence vitale d'une morale ? VOILÀ POUR LE CORPS ; VOICI POUR LA CONNAISSANCE - Leurs ancêtres fondaient leur culture sur un horizon temporel de quelques milliers d'années, ornées par l'Antiquité gréco-latine, la Bible juive, quelques tablettes cunéiformes, une préhistoire courte. Milliardaire désormais, leur horizon temporel remonte à la barrière de Planck, passe par l'accrétion de la planète, l'évolution des espèces, une paléo-anthropologie millionnaire. N'habitant plus le même temps, ils vivent une toute autre histoire. - Ils sont formatés par les médias, diffusés par des adultes qui ont méticuleusement détruit leur faculté d'attention en réduisant la durée des images à sept secondes et le temps des réponses aux questions à quinze secondes, chiffres officiels ; dont le mot le plus répété est "mort" et l'image la plus représentée celle de cadavres. Dès l'âge de douze ans, ces adultes-là les forcèrent à voir plus de vingt mille meurtres. - Ils sont formatés par la publicité ; comment peut-on leur apprendre que le mot relais, en français s'écrit "- ais", alors qu'il est affiché dans toutes les gares "- ay" ? Comment peut-on leur apprendre le système métrique, quand, le plus bêtement du monde, la SNCF leur fourgue des "s'miles" ? Nous, adultes, avons doublé notre société du spectacle d'une société pédagogique dont la concurrence écrasante, vaniteusement inculte, éclipse l'école et l'université. Pour le temps d'écoute et de vision, la séduction et l'importance, les médias se sont saisis depuis longtemps de la fonction d'enseignement. Critiqués, méprisés, vilipendés, puisque pauvres et discrets, même s'ils détiennent le record mondial des prix Nobel récents et des médailles Fields par rapport au nombre de la population, nos enseignants sont devenus les moins entendus de ces instituteurs dominants, riches et bruyants. Ces enfants habitent donc le virtuel. Les sciences cognitives montrent que l'usage de la toile, lecture ou écriture au pouce des messages, consultation de Wikipedia ou de Facebook, n'excitent pas les mêmes neurones ni les mêmes zones corticales que l'usage du livre, de l'ardoise ou du cahier. Ils peuvent manipuler plusieurs informations à la fois. Ils ne connaissent ni n'intègrent ni ne synthétisent comme nous, leurs ascendants. Ils n'ont plus la même tête. - Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes ; par GPS, en tous lieux ; par la toile, à tout le savoir ; ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous habitions un espace métrique, référé par des distances. Ils n'habitent plus le même espace. Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort. N'ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement. - Il ou elle écrit autrement. Pour l'observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire de mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, Petite Poucette et Petit Poucet. Voilà leur nom, plus joli que le vieux mot, pseudo-savant, de dactylo. - Ils ne parlent plus la même langue. Depuis Richelieu, l'Académie française publie, à peu près tous les vingt ans, pour référence, le dictionnaire de la nôtre. Aux siècles précédents, la différence entre deux publications s'établissait autour de quatre à cinq mille mots, chiffres à peu près constants ; entre la précédente et la prochaine, elle sera d'environ trente mille. A ce rythme, on peut deviner qu'assez vite, nos successeurs pourraient se trouver, demain, aussi séparés de notre langue que nous le sommes, aujourd'hui, de l'ancien français pratiqué par Chrétien de Troyes ou Joinville. Ce gradient donne une indication quasi photographique des changements que je décris. Cette immense différence, qui touche toutes les langues, tient, en partie, à la rupture entre les métiers des années récentes et ceux d'aujourd'hui. Petite Poucette et son ami ne s'évertueront plus aux mêmes travaux. La langue a changé, le labeur a muté. L'INDIVIDU Mieux encore, les voilà devenus tous deux des individus. Inventé par saint Paul, au début de notre ère, l'individu vient de naître ces jours-ci. De jadis jusqu'à naguère, nous vivions d'appartenances : français, catholiques, juifs, protestants, athées, gascons ou picards, femmes ou mâles, indigents ou fortunés… nous appartenions à des régions, des religions, des cultures, rurales ou urbaines, des équipes, des communes, un sexe, un patois, la Patrie. Par voyages, images, Toile et guerres abominables, ces collectifs ont à peu près tous explosé. Ceux qui restent s'effilochent. L'individu ne sait plus vivre en couple, il divorce ; ne sait plus se tenir en classe, il bouge et bavarde ; ne prie plus en paroisse ; l'été dernier, nos footballeurs n'ont pas su faire équipe ; nos politiques savent-ils encore construire un parti plausible ou un gouvernement stable ? On dit partout mortes les idéologies ; ce sont les appartenances qu'elles recrutaient qui s'évanouissent. Cet nouveau-né individu, voilà plutôt une bonne nouvelle. A balancer les inconvénients de ce que l'on appelle égoïsme par rapport aux crimes commis par et pour la libido d'appartenance – des centaines de millions de morts –, j'aime d'amour ces jeunes gens. Cela dit, reste à inventer de nouveaux liens. En témoigne le recrutement de Facebook, quasi équipotent à la population du monde. Comme un atome sans valence, Petite Poucette est toute nue. Nous, adultes, n'avons inventé aucun lien social nouveau. L'entreprise généralisée du soupçon et de la critique contribua plutôt à les détruire. Rarissimes dans l'histoire, ces transformations, que j'appelle hominescentes, créent, au milieu de notre temps et de nos groupes, une crevasse si large et si évidente que peu de regards l'ont mesurée à sa taille, comparable à celles visibles au néolithique, à l'aurore de la science grecque, au début de l'ère chrétienne, à la fin du Moyen Age et à la Renaissance. Sur la lèvre aval de cette faille, voici des jeunes gens auxquels nous prétendons dispenser de l'enseignement, au sein de cadres datant d'un âge qu'ils ne reconnaissent plus : bâtiments, cours de récréation, salles de classes, amphithéâtres, campus, bibliothèques, laboratoires, savoirs même… cadres datant, dis-je, d'un âge et adaptés à une ère où les hommes et le monde étaient ce qu'ils ne sont plus. Trois questions, par exemple : que transmettre ? A qui le transmettre ? Comment le transmettre ? QUE TRANSMETTRE ? LE SAVOIR ! Jadis et naguère, le savoir avait pour support le corps du savant, aède ou griot. Une bibliothèque vivante… voilà le corps enseignant du pédagogue. Peu à peu, le savoir s'objectiva : d'abord dans des rouleaux, sur des velins ou parchemins, support d'écriture ; puis, dès la Renaissance, dans les livres de papier, supports d'imprimerie ; enfin, aujourd'hui, sur la toile, support de messages et d'information. L'évolution historique du couple support-message est une bonne variable de la fonction d'enseignement. Du coup, la pédagogie changea au moins trois fois : avec l'écriture, les Grecs inventèrent la Paideia ; à la suite de l'imprimerie, les traités de pédagogie pullulèrent. Aujourd'hui ? Je répète. Que transmettre ? Le savoir ? Le voilà, partout sur la Toile, disponible, objectivé. Le transmettre à tous ? Désormais, tout le savoir est accessible à tous. Comment le transmettre ? Voilà, c'est fait. Avec l'accès aux personnes, par le téléphone cellulaire, avec l'accès en tous lieux, par le GPS, l'accès au savoir est désormais ouvert. D'une certaine manière, il est toujours et partout déjà transmis. Objectivé, certes, mais, de plus, distribué. Non concentré. Nous vivions dans un espace métrique, dis-je, référé à des centres, à des concentrations. Une école, une classe, un campus, un amphi, voilà des concentrations de personnes, étudiants et professeurs, de livres en bibliothèques, d'instruments dans les laboratoires… ce savoir, ces références, ces textes, ces dictionnaires… les voilà distribués partout et, en particulier, chez vous – même les observatoires ! mieux, en tous les lieux où vous vous déplacez ; de là étant, vous pouvez toucher vos collègues, vos élèves, où qu'ils passent ; ils vous répondent aisément. L'ancien espace des concentrations – celui-là même où je parle et où vous m'écoutez, que faisons-nous ici ? – se dilue, se répand ; nous vivons, je viens de le dire, dans un espace de voisinages immédiats, mais, de plus, distributif. Je pourrais vous parler de chez moi ou d'ailleurs, et vous m'entendriez ailleurs ou chez vous, que faisons-nous donc ici ? Ne dites surtout pas que l'élève manque des fonctions cognitives qui permettent d'assimiler le savoir ainsi distribué, puisque, justement, ces fonctions se transforment avec le support et par lui. Par l'écriture et l'imprimerie, la mémoire, par exemple, muta au point que Montaigne voulut une tête bien faite plutôt qu'une tête bien pleine. Cette tête vient de muter encore une fois. De même donc que la pédagogie fut inventée (paideia) par les Grecs, au moment de l'invention et de la propagation de l'écriture ; de même qu'elle se transforma quand émergea l'imprimerie, à la Renaissance ; de même, la pédagogie change totalement avec les nouvelles technologies. Et, je le répète, elles ne sont qu'une variable quelconque parmi la dizaine ou la vingtaine que j'ai citée ou pourrais énumérer. Ce changement si décisif de l'enseignement – changement répercuté sur l'espace entier de la société mondiale et l'ensemble de ses institutions désuètes, changement qui ne touche pas, et de loin, l'enseignement seulement, mais aussi le travail, les entreprises, la santé, le droit et la politique, bref, l'ensemble de nos institutions – nous sentons en avoir un besoin urgent, mais nous en sommes encore loin. Probablement, parce que ceux qui traînent, dans la transition entre les derniers états, n'ont pas encore pris leur retraite, alors qu'ils diligentent les réformes, selon des modèles depuis longtemps effacés. Enseignant pendant un demi-siècle sous à peu près toutes les latitudes du monde, où cette crevasse s'ouvre aussi largement que dans mon propre pays, j'ai subi, j'ai souffert ces réformes-là comme des emplâtres sur des jambes de bois, des rapetassages ; or les emplâtres endommagent le tibia, même artificiel : les rapetassages déchirent encore plus le tissu qu'ils cherchent à consolider. Oui, depuis quelques décennies je vois que nous vivons une période comparable à l'aurore de la Paideia, après que les Grecs apprirent à écrire et démontrer ; semblable à la Renaissance qui vit naître l'impression et le règne du livre apparaître ; période incomparable pourtant, puisqu'en même temps que ces techniques mutent, le corps se métamorphose, changent la naissance et la mort, la souffrance et la guérison, les métiers, l'espace, l'habitat, l'être-au-monde. ENVOI Face à ces mutations, sans doute convient-il d'inventer d'inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites, nos médias, nos projets adaptés à la société du spectacle. Je vois nos institutions luire d'un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprirent qu'elles étaient mortes depuis longtemps déjà. Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? Je crains d'en accuser les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d'anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils n'entendirent pas venir le contemporain. Si j'avais eu à croquer le portrait des adultes, dont je suis, ce profil eût été moins flatteur. Je voudrais avoir dix-huit ans, l'âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer. Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j'ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés.
Michel Serres, de l'Académie française

vendredi 25 mars 2011

Manet, inventeur du moderne

Le déjeuner sur l'herbe

L’exposition du Musée d'Orsay Manet, inventeur du Moderne présente 181 tableaux de l’artiste dont Le Déjeuner sur l’herbe, Le Joueur de fifre et Olympia. Plus qu'une rétrospective, strictement linéaire et monographique, cette exposition organisée en huit sections permet de découvrir comment l’œuvre d'Edouard Manet (1832-1883) s’est inscrite dans son temps. Manet, un précurseur de la modernité "Manet, inventeur du Moderne" éclaire la situation historique de ce peintre, entre l'héritage réaffirmé du romantisme, l'influence de ses contemporains (dont Baudelaire et Mallarmé) et le flux médiatique de son époque. On peut notamment y voir la reconstitution de l'exposition de la "Galerie de la Vie moderne", organisée en mars-avril 1880. Cette exposition exceptionnelle construit son propos autour d'une douzaine de questions, en prise avec le processus historique dont Manet est inséparable. Elle montre comment l’artiste, tant décrié de son vivant, a accumulé les influences et a ouvert sa propre voie vers la "modernité". Le Musée d'Orsay présente l'exposition "Manet, inventeur du Moderne" du 5 avril au 3 juillet 2011.

jeudi 24 mars 2011

Le voyage imaginaire d'Hugo Pratt

À la Pinacothèque de Paris, du 17 mars 2011 au 21 août 2011

Le Voyage imaginaire d'Hugo Pratt

La Pinacothèque de Paris accueille, du 17 Mars au 21 Août 2011, une exposition des œuvres d’Hugo Pratt. A travers cette grande rétrospective, le public pourra découvrir toute l’étendue du talent du créateur de Corto Maltese.

Cette exposition présentera plus de cent cinquante aquarelles, pour la plupart peu connues du grand public, ainsi que des planches historiques, notamment la totalité des cent soixante-quatre planches de la mythique Ballade de la mer salée. Depuis la rétrospective du Grand Palais en 1986, c’est la première fois que Paris accueille une exposition consacrée à l’œuvre de cet artiste hors norme, considéré comme l’inventeur de la bande dessinée littéraire.

La vie d’Hugo Pratt est un véritable roman marqué par une généalogie qui brasse différentes cultures. Son existence et son travail sont influencés par sa culture littéraire –Robert Louis Stevenson, Joseph Conrad, Herman Melville, Jack London, Ernest Hemingway ou encore Antoine de Saint-Exupéry, auquel il consacre un album à la fin de sa vie: Le Dernier Vol– en même temps que par ses voyages aux quatre coins de la planète.

En 1967, après un périple aux Caraïbes, Hugo Pratt crée La Ballade de la mer salée, qui marque la première apparition de Corto Maltese. C’est une véritable révolution dans le neuvième art: jamais l’art du conteur et celui du narrateur n’avaient été à ce point unis.

mercredi 23 mars 2011

Nuage, nuage....


VILDAM1 par maleville

Hervé Guibert Photographe

Hervé Guibert

Je tenais à remercier celui qui sous le pseudonyme "Olympus" m'a signalé cette exposition Première rétrospective en France de l'œuvre photographique d'Hervé Guibert, cette exposition regroupe 230 tirages de l'écrivain photographe, et présente son film, La Pudeur ou L'Impudeur. À sa mort, le 27 décembre 1991, Hervé Guibert était salué comme le jeune écrivain libre et flamboyant que son livre "À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie" venait de rendre célèbre. On indiquait aussi qu'Hervé Guibert laissait une œuvre photographique reconnue et publiée. Ponctuée d'escales, habitée d'êtres aimés, l'œuvre franchit sans effort le passage de l'intime à l'universel, aux heures lumineuses des rencontres et des voyages comme aux derniers mois consumés par le sida. La photographie invente chez Hervé Guibert une ligne narrative plus intime qu'autobiographique, laissant au stylo ou à la vieille machine à écrire, figurants intelligents de plusieurs images, le soin de prendre les notes d'un éventuel journal. Les photographies que laissent Hervé Guibert, passionné par Rembrandt, s’adressent intimement au regard du visiteur. Une œuvre intégralement réalisée avec le petit appareil Rollei 35 donné très tôt par son père. 15 ans de production photographique retracés en 200 tirages noir et blanc à la Maison Européenne de la Photographie à Paris jusqu’au 10 avril

15 ans de production photographique retracés en 200 tirages noir et blanc à la Maison Européenne de la Photographie à Paris jusqu’au 10 avril

mardi 22 mars 2011

Le petit garagiste

« Le petit garagiste est avant tout un voyage au coin de la rue, une découverte à domicile. La première fois que j’ai découvert le garage en bas de chez moi, je me suis littéralement fait transporter dans un univers. Je suis sensible à l’ambiance que peut dégager un espace quel qu’il soit, et ici, l’atmosphère que j’ai entrevue m’a tout de suite captivée ; à la fois dense et lumineuse, chaude et humide. Une unité à part entière. » Après cette première rencontre, Guillaume Martial sillonne à bicyclette les quartiers alentours de l’Ecusson (centre-ville de Montpellier) à la recherche de ces petits garagistes. Il y rencontrera ainsi mécaniciens, électriciens automobiles, peintres en carrosserie, selliers, réparateurs de radiateurs automobiles, spécialistes en voitures de collection… une vingtaine d’ateliers lui ouvre leur porte. L’architecture atypique de ces ateliers allie souvent plusieurs matières (pierre, bois, métal, verre, plastique). Chaque atelier dégage une atmosphère particulière. Les murs portent l’empreinte des hommes qui se sont approprié ces espaces de travail, quelquefois depuis plusieurs générations. « Je trouvais ces lieux emprunt d’une extrême beauté plastique, chargée d’histoire. J’aime les murs qui parlent, quand la matière s’exprime de façon authentique ».

Le petit garagiste, texte de Lilian Berthelot, photos deGuillaume Martial, Editions Singulières

lundi 21 mars 2011

Stéphane Duroy : Distress

Du 3 mars 2011 au 23 avril 2011, In Camera Galerie à Paris.

Ces photographies ont été choisies avec un fort parti pris dans un travail réalisé dès 1971 au Royaume Uni : Pays de Galles, Irlande du Nord, Angleterre, Ecosse, ainsi qu’en Irlande et en Bretagne.

Cette description de la condition humaine, de ses frustrations interminables, entre ennui et résignation, réactualise les injustices profondes qui, tout au long du XX° siècle, ont plongé les peuples européens dans une tragédie sans fin.

Hier, le reniement de leurs valeurs humanistes par les nations européennes, aveuglées par la peur a précipité nombre d’entre elles dans l’abjection totalitaire.

Aujourd’hui, recrudescente, la détresse humaine demeure — quelque soit son visage…solitude, esclavage, antisémitisme, racisme — une menace réelle pour la collectivité quand un nombre infime d’individus accède au savoir laissant la majorité dans l’ignorance et le mépris.

Stéphane Duroy

dimanche 20 mars 2011

Salon du livre de Paris 2011

Cette année, le Salon du livre de Paris met à l’honneur non pas un, mais cinq pays !

Cinq pays du Nord dont la littérature est aussi riche que la culture. Roman, polar, essai, jeunesse... Le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède, viendront jusqu’à nous, pour nous faire découvrir une littérature foisonnante et pleine de surprises.

samedi 19 mars 2011

August Sander à Nice

August Sander compte parmi les grands photographes du XXe siècle. On connaît de lui surtout ses très beaux portraits qu’il réalise dès 1910 dans son studio de Cologne. Pourtant, tout au long de sa vie, il construit une œuvre globale, incluant aussi le paysage et les études botaniques, l’homme et la nature ayant à ses yeux la même importance artistique. Il a laissé une œuvre immense dont la lucidité et l’obsession de vérité furent d’une grande modernité.

L’exposition qui se tiendra jusqu’au 15 mai 2011 au Théatre de la Photographie et de l’image de Nice.regroupera autour de ces trois thèmes : portraits, paysages et architecture, 120 images dont une partie en tirages d’époque ou tirages postérieurs réalisés par son fils, Gunther à qui il a laissé un inestimable patrimoine riche de 10.000 négatifs, et proposera ainsi au visiteur un panorama représentatif du travail artistique de ce grand photographe. auxquels le Théâtre de la Photographie et de l’Image de Nice entend rendre régulièrement hommage en présentant des ensembles de pièces majeures qui ont marqué l’Histoire de la Photographie et dont l’influence sur nombre de photographes et artistes contemporains reste aujourd’hui très présente.

L’exposition a été conçue par Gerd Sander, petit-fils d’August Sander, et organisée en collaboration avec la Galerie Priska Pasquer, à Cologne et le Théâtre de la Photographie et de l’Image.

 

 

August Sander : Portraits, paysages, architecture, jusqu’au 15 mai 2011 au Théatre de la Photographie et de l’image de Nice.

vendredi 18 mars 2011

Vanessa Winship : Not Only Rare Birds Sing -

Vanessa Winship privilégie le portrait posé à la chambre, souvent individuel, toujours de face et de préférence en pied. Elle n'est pas pour autant ce qu'on a coutume d'appeler une portraitiste. Convaincue que la photographie « est peut-être la représentation la plus fidèle de la mémoire », elle n'utilise le portrait que pour construire, au fil de ses séjours et déplacements aux confins des terres d'Europe et d'Asie, une œuvre habitée par les notions de temps, de territoire et d'identité et plus encore, par la toute relativité de ces notions. Aujourd'hui présentées pour la première fois par la Galerie VU', les séries Sweet Nothings (2007), Georgia (2009) et Latvia (2009) nous font découvrir de jeunes écolières en uniformes avec collerettes en dentelle, les invités de mariages géorgiens, de jeunes et fluets judokas, quelques boxeurs ou bien encore des adolescents d'une petite communauté lettone, à la frontière russe. Les visages sont souvent graves, les silhouettes minces, les regards frontaux, intimidés mais fiers.
galerie VU, Paris jusqu'au 19 mars

jeudi 17 mars 2011

Les aubépines

"Je le trouvai tout bourdonnant de l'odeur des aubépines. La haie formait comme une suite de chapelles qui disparaissaient sous la jonchée de leurs fleurs amoncelées en reposoir ; au-dessous d'elles, le soleil posait à terre un quadrillage de clarté, comme s'il venait de traverser une verrière ; leur parfum s'étendait aussi onctueux, aussi délimité en sa forme que si j'eusse été devant l'autel de la Vierge, et les fleurs, aussi parées, tenaient chacune d'un air distrait son étincelant bouquet d'étamines, fines et rayonnantes nervures de style flamboyant comme celles qui à l'église ajouraient la rampe du jubé ou les meneaux du vitrail et qui s'épanouissaient en blanche chair de fleur de fraisier. Combien naïves et paysannes en comparaison sembleraient les églantines qui, dans quelques semaines, monteraient elles aussi en plein soleil le même chemin rustique, en la soie unie de leur corsage rougissant qu'un souffle défait."

"Mais j'avais beau rester devant les aubépines à respirer, à porter devant ma pensée qui ne savait ce qu'elle devait en faire, à perdre, à retrouver leur invisible et fixe odeur, à m'unir au rythme qui jetait leurs fleurs, ici et là, avec une allégresse juvénile et à des intervalles inattendus comme certains intervalles musicaux, elles m'offraient indéfiniment le même charme avec une profusion inépuisable, mais sans me le laisser approfondir davantage, comme ces mélodies qu'on rejoue cent fois de suite sans descendre plus avant dans leur secret. Je me détournais d'elles un moment, pour les aborder ensuite avec des forces plus fraîches. Je poursuivais jusque sur le talus qui, derrière la haie, montait en pente raide vers les champs, quelque coquelicot perdu, quelques bluets restés paresseusement en arrière, qui le décoraient çà et là de leurs fleurs comme la bordure d'une tapisserie où apparaît clairsemé le motif agreste qui triomphera sur le panneau. Rares encore, espacés comme les maisons isolées qui annoncent déjà l'approche d'un village, ils m'annonçaient l'immense étendue où déferlent les blés, où moutonnent les nuages, et la vue d'un seul coquelicot hissant au bout de son cordage et faisant cingler au vent sa flamme rouge au-dessus de sa bouée graisseuse et noire, me faisait battre le cœur, comme au voyageur qui aperçoit sur une terre basse une première barque échouée que répare un calfat et s'écrie, avant de l'avoir encore vue : " La Mer ! " Puis je revenais devant les aubépines comme devant ces chefs-d’œuvre dont on croit qu'on saura mieux les voir quand on a cessé un moment de les regarder, mais j'avais beau me faire un écran de mes mains pour n'avoir qu'elles sous les yeux, le sentiment qu'elles éveillaient en moi restait obscur et vague, cherchant en vain à se dégager, à venir adhérer à leurs fleurs. Elles ne m'aidaient pas à l'éclaircir, et je ne pouvais demander à d'autres fleurs de le satisfaire."

"Alors me donnant cette joie que nous éprouvons quand nous voyons de notre peintre préféré une œuvre qui diffère de celles que nous connaissions, ou bien si l'on nous mène devant un tableau dont nous n'avions vu jusque-là qu'une esquisse au crayon, si un morceau entendu seulement au piano nous apparaît ensuite revêtu des couleurs de l'orchestre, mon grand-père m'appelant et me désignant la haie de Tansonville, me dit : " Toi qui aimes les aubépines, regarde un peu cette épine rose ; est-elle jolie ! " En effet c'était une épine, mais rose, plus belle encore que les blanches. Elle aussi avait une parure de tête - de ces seules vraies têtes que sont les têtes religieuses, puisqu'un caprice contingent ne les applique pas comme les têtes mondaines à un jour quelconque qui ne leur est pas spécialement destiné, qui n'a rien d'essentiellement férié. - Mais une parure plus riche encore, car les fleurs attachées sur la branche, les unes au-dessus des autres, de manière à ne laisser aucune place qui ne fût décorée, comme des pompons qui enguirlandent une houlette rococo, étaient " en couleur", par conséquent d'une qualité supérieure selon l'esthétique de Combray, si l'on en jugeait par l'échelle des prix dans le "magasin" de la Place, ou chez Camus où étaient plus chers ceux des biscuits qui étaient roses. Moi-même j'appréciais plus le fromage à la crème rose, celui où l'on m'avait permis d'écraser des fraises. Et justement ces fleurs avaient choisi une de ces teintes de chose mangeable, ou de tendre embellissement à une toilette pour une grande tête, qui, parce qu'elles leur présentent la raison de leur supériorité, sont celles qui semblent belles avec le plus d'évidence aux yeux des enfants, et à cause de cela, gardent toujours pour eux quelque chose de plus vif et de plus naturel que les autres teintes, même lorsqu'ils ont compris qu'elles ne promettaient rien à leur gourmandise et n'avaient pas été choisies par la couturière."

"Et certes, je l'avais tout de suite senti, comme devant les épines blanches mais avec plus d'émerveillement, que ce n'était pas facticement, par un artifice de fabrication humaine, qu'était traduite l'intention de festivité dans les fleurs, mais que c'était la nature qui spontanément, l'avait exprimée avec la naïveté d'une commerçante de village travaillant pour un reposoir, en surchargeant l'arbuste de ces rosettes d'un ton trop tendre et d'un pompadour provincial."

"Au haut des branches, comme autant de ces petits rosiers aux pots cachés dans des papiers en dentelles, dont aux grandes têtes on faisait rayonner sur l'autel les minces fusées, pullulaient mille petits boutons d'une teinte plus pâle qui, en s'entrouvrant, laissaient voir, comme au fond d'une coupe de marbre rose, de rouges sanguines et trahissaient plus encore que les fleurs, l'essence particulière, irrésistible, de l'épine, qui, partout où elle bourgeonnait, où elle allait fleurir, ne le pouvait qu'en rose. Intercalé dans la haie, mais aussi différent d'elle qu'une jeune fille en robe de tête au milieu de personnes en négligé qui resteront à la maison, tout prêt pour le mois de Marie, dont il semblait faire partie déjà, tel brillait en souriant dans sa fraîche toilette rose, l'arbuste catholique et délicieux."

Marcel Proust, Du côté de chez Swann.

mercredi 16 mars 2011

Le monde par le trou d’une aiguille

Sténopé, un procédé photographique Le monde par le trou d’une aiguille
Aux XVIIème et XVIIIème siècles, les chambres noires ou chambres closes permettaient d’observer le spectacle du monde environnant par l’entremise d’un petit trou percé sur l’une des cloisons de celles-ci. Voir le monde par le trou d’une aiguille, cette métaphore vaut parfois pour définir l’acte photographique. En effet, après être sortis de la camera obscura, les photographes ne sont-ils pas ces observateurs devenus également opérateurs de l’appareil de prise de vues ? A l’heure du numérique et de la sophistication extrême des technologies de l’image, le sténopé, cette boîte percée d’un petit trou, dépourvue le plus souvent de viseur, d’objectif et d’obturateur, est pour nombre d’artistes contemporains un terrain d’expérimentation et un vecteur de leur créativité. Ainsi, de mars à juin 2011, un évènement exceptionnel dans l’agglomération rennaise ainsi qu’à Vitré, se consacre à ce procédé photographique rudimentaire. Cet évènement propose de nombreuses initiatives : des expositions, une journée d’études à l’Université Rennes 2 (24 mars), des ateliers et une intervention spectaculaire dans l’espace public (sténopé géant). Ces propositions induisent l’idée de parcours tant à l’échelle du territoire géographique qu’entre les différents territoires de pratiques du sténopé qu’elles révèlent. •Télécharger le dépliant-programme ici
•Télécharger le dossier de presse de l’évènement Sténopé ici

lundi 14 mars 2011

5ème rencontre internationale de la photographie au sténopé

Centre Culturel André Malraux 10, av. francis de Pressensé 93350 Le Bourget
Cette cinquième édition des Expositions Internationales de Photographie au Sténopé est particulière à plus d’un titre. La régularité en a fait l’une des manifestations les plus importante au monde, la notoriété acquise engage maintenant les plus grands à y participer. Et si l’Europe reste le continent le mieux représenté, des images parviennent également des Amériques, de l’Océan Indien et d’Asie ! Trente-trois auteurs s’exposent cette année soit sur les murs, soit sur écrans, - une nouveauté ! - présentant ainsi au public plus de deux cents photographies !
L’être humain se trouve au centre des projets présentés. La diversité des moyens d’enregistrement rivalise avec l’éclectisme des regards pour nous donner des images tantôt poétiques, tantôt symboliques, parfois inquiétantes, souvent tranquilles… Portraits ou autoportraits, nu ou habillé, jamais encore on n’aura vu l’être humain sous les aspects présentés ici. Seule la photographie sans objectif pouvait nous les montrer !
Rendez vous donc du 11 mars au 23 avril au Centre Culturel André Malraux du Bourget.
http://www.lacapsule.org

vendredi 11 mars 2011

Les asperges

"Je m'arrêtais à voir sur la table, où la fille de cuisine venait de les écosser, les petits pois alignés et nombrés comme des billes vertes dans un jeu ; mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outremer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied - encore souillé pourtant du sol de leur plant - par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s'étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d'aurore, en ces ébauches d'arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j'en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. La pauvre Charité de Giotto, comme l'appelait Swann, chargée par Françoise de les “ plumer”, les avait près d'elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre ; et les légères couronnes d'azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue. Et cependant, Françoise tournait à la broche un de ces poulets, comme elle seule savait en rôtir, qui avaient porté loin dans Combray l'odeur de ses mérites, et qui, pendant qu'elle nous les servait à table, faisaient prédominer la douceur dans ma conception spéciale de son caractère, l'arôme de cette chair qu'elle savait rendre si onctueuse et si tendre n'étant pour moi que le propre parfum d'une de ses vertus."

Marcel Proust, "Du côté de chez Swann".

jeudi 10 mars 2011

Cinq étranges albums de famille

Cinq artistes pris au jeu d'une exploration ambiguë et risquée de leur histoire familiale. Cinq récits qui dissèquent les rites à la fois merveilleux et douloureux de l’adolescence, du couple et de la famille. Cinq équilibres fragiles entre spontanéité et mascarade, non-dits et révélations, étreintes et étranglements. Cinq terrains connus, innocents, fusionnels pourtant frappés d’étrangeté. Cinq scènes où se répondent des corps et des lieux dans des échanges sans parole. Cinq écritures du temps où plane la menace de la perte ou de la métamorphose. Cinq portes ouvertes et aussitôt refermées. Cinq étranges albums de famille.
Exposition du 14 janvier au 17 avril 2011 LE BAL - 6 impasse de la Défense 75018 Paris

mercredi 9 mars 2011

Intra Muros de Marc Villard

Sept nouvelles pour sept stations de métro parisiennes. De Saint-Germain et ses philosophes à Bir-Hakeim, au pied de la Tour Eiffel où tous les possibles le deviennent. Simples histoires, qui s’emboîtent les unes dans les autres, par des liens ténus mais essentiels – personnages, situations… Et on s’attache à ses silhouettes qui de station en station, de rues en boulevards, vont vers leurs destins. Fanny, Farid, Marilyne, Patrice, Diego, Rosmarie, Babar, Martin et sa contrebasse, Robert, Lucille… un peu de temps avec chacun, avec tous, nous les croisons chaque jour, où que l’on vive. Les photographies de Cyrille Derouineau accompagnent plus qu’elles ne soulignent, les brefs récits (qui pourraient bien n’en faire qu’un) et chacune est un univers en suspension, une vision simple et brûlante de l’essentiel que nous ne regardons plus. Voici un beau petit coffret à partager, léger comme une plume et dense comme une vie qui passe.

mardi 8 mars 2011

Jacques Bertin : Le chant d'un homme

PASSEZ L'HIVER J'aurai encore laissé passer l'hiver Sans refaire la charpente mangée aux vers Et ni enfin écrire cette lettre Sur l'amour, sur le vide rongeant l'être J'aurai aimé mal, très, toutes mes femmes Mal entretenu tous mes feux et flammes Je n'aurai pas vu le mot sous la porte Mais j'aurai hurlé dans des sonos mortes J'aurai mal parlé pour mes espérances Dépensé tout le bien de mes parents Dans toutes les danses perdu mon pas Fait le coup de poing où il fallait pas J'aurai convoqué les mots et les dieux Sans retenir l'eau crevant le barrage Ni les poissons d'or sautant dans tes yeux Ni la silhouette avec son bagage J'aurai attendu longtemps l'aube et l'homme Puis je me serai endormi trop tôt Quand j'étais peut-être l'aube et cet homme J'ai froid dans mon manteau La nuit se dévide et le soleil fond Et j'aurai laissé courir sur son aire Le beau bateau. Il est échoué sur les hauts-fonds De tes yeux, ton silence, ton désert J'aurai laissé mon fils comme un voleur Fuir par la porte étroite sous mon cœur S'en alla chercher une balle au front Mon petit combattant, ma ressemblance... J'aurai toujours pris la vie de très haut Et sans avoir pas trahi père et mère J'aurai laissé par le carreau cassé entrer l'hiver J'aurai laissé mourir de froid tous mes oiseaux Jacques Bertin
Et un grand merci à Grigris de remettre en mémoire les choses qui restent essentielles.

lundi 7 mars 2011

Gallimard à cent ans

Tout commence le 31 mai 1911, quand Gaston Gallimard, André Gide et Jean Schlumberger, deux des fondateurs de la Nouvelle revue française en 1909 (NRF), créent un "comptoir" baptisé Editions de la Nouvelle revue française. Chacun apporte 3.000 francs à l'association. Les éditions ne porteront le nom de Librairie Gallimard que huit ans plus tard. Une personnalisation qui marque le début d'une incroyable aventure industrielle et intellectuelle. L'aube d'une dynastie aussi, jusqu'à Antoine Gallimard, fils de Claude et petit-fils de Gaston, PDG aujourd'hui du plus grand éditeur indépendant français, après la mort de son père et un conflit familial. En 1913, quand Marcel Proust soumet "La recherche du temps perdu" à Gallimard, Gide rejette le manuscrit. "Trop de duchesses et de comtesses, ce n'est pas pour nous...", estime-t-il. "Refuser ce livre restera l'un des remords les plus cuisants de ma vie", écrira Gide à Proust. Dès le deuxième, il s'était néanmoins rendu compte de son erreur. "A l'ombre des jeunes filles en fleurs", revenu dans le giron de Gallimard, décroche le Goncourt en 1919. Peu avant, la Première guerre mondiale voit partir au front les membres du comité de lecture et de nombreux écrivains. Gaston Gallimard, lui, "se planque et simule la folie pour échapper aux tranchées", raconte Pierre Assouline. Quand les autres mourraient, il dînait chez Maxim's, ajoute l'écrivain. En 1932, "L'amant de Lady Chatterley" devient un best-seller. Pendant la Seconde guerre mondiale, et l'Occupation, l'attitude de Gaston reste ambiguë. Il cède la direction de la NRF à Drieu La Rochelle, parle de "maison aryenne à capitaux aryens" et accepte la censure. Dans le même temps, il accueille des réunions clandestines, refuse des pamphlets antisémites. A la Libération, le soutien sans faille d'écrivains résistants permet de protéger Gallimard de l'épuration. La revue NRF, interdite, reparaîtra en 1953, pour un hommage à Gide qui vient de mourir. La maison publie aussi après-guerre "Hiroshima mon amour" de Marguerite Duras, Amos Oz, Robert Antelme, de retour des camps, et bien d'autres. Gaston Gallimard prend aussi sous son aile le sulfureux Céline dont il devient l'éditeur... et le banquier. Il publiera aussi Jean Genet. En 1957, Albert Camus, auteur Gallimard, est couronné par le Nobel de Littérature. L'écrivain se tuera en voiture avec Michel Gallimard, en janvier 1960. Les Nobel se ramassent ensuite à la pelle : Saint-John Perse en 1960, Sartre, qui le refusera, en 1964, Pablo Neruda en 1971, puis plusieurs autres dont Orhan Pamuk en 2006, J.M.G Le Clézio en 2008 ou Vargos Llosa l'an dernier. Pour l'éditeur, la littérature, c'est aussi la liberté de penser. Claude Gallimard, PDG en 1975, rend plusieurs fois visite à "ses" auteurs derrière le rideau de fer. Milan Kundera raconte comment après avoir édité "La plaisanterie" en 1968, il l'avait encouragé à émigrer. L'histoire de Gallimard passe aussi par des Goncourt : "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell en 2006 ou "Trois femmes puissantes" de Marie Ndiaye en 2009. Sans oublier le jackpot des sept tomes d'Harry Potter de J.K. Rowling, aux ventes colossales.

dimanche 6 mars 2011

Eric Legnini & the Afro Jazz Beat

Après le brillant triptyque composé de Miss Soul, Big Boogaloo et Trippin parut en 2009, Eric Legnini, le plus américains des pianistes belges est de retour avec The Vox. Finit le Trio et vive The Afro Jazz Beat avec au chant une invitée de marque, Krystle Warren, qui donne de part son timbre chaud, toute sa substance à ce nouvel univers musical. Adieux Broadway salut Harlem ! Équilibré, tel est le premier mot qui me vienne pour définir ce nouvel opus. Brisant les codes du jazz trop bien rangé, Legnini alterne titres instrumentaux et morceaux chantés, baladant son auditeur d’atmosphères en atmosphères. En bon gentlemen, il signe la quasi totalité des titres de The Vox et laisse, le temps d’une piste, à Miss Warren le soin de nous rappeler combien elle excelle dans le travail de composition. Difficile alors de définir laquelle de ces onze perles mettre en avant, ici bien plus qu’ailleurs c’est une histoire d’état d’esprit et je vous invite plutôt à accorder une petite heure de votre vie à ce combo pas comme les autres, dont la musique s’inscrit comme hors du temps dans la culture collective de chacun de nous ! Label : Discograph – Sortie : Février 2011

samedi 5 mars 2011

Charade de Stanley Donen

c Dimanche 6 mars ARTE 20H40 De : Stanley Donen Avec : Audrey Hepburn,
Grant, Walter Matthau, James Coburn, ... Genre : Comédie policière
S'il est une actrice qui a tenu un grand rôle dans ma vie c'est bien Audrey Hepburn De Vacances romaine à Seule dans la nuit elle a représenté à mes yeux l'idéal féminin. Donc vanter les mérites de ce film de Stanley Donen où elle est associée au grand Cary Grant dans un décor de carte postale. Un ravissement.
De retour d'un séjour aux sports d'hiver, la jolie Reggie Lampert trouve son appartement saccagé, et apprend la mort de son mari dont elle était en instance de divorce. L'inspecteur Grandpierre et Hamilton Bartholomew de la C.I.A. lui expliquent, que lors de la dernière guerre, son mari, avec la complicité de Tex Penthollow, Herman Scobie, Leopold Gideon et un certain "Dyle" qui fut tué, a subtilisé et caché 250 000 dollars destinés à la résistance française. Lampert a vraisemblablement été abattu parce qu'il voulait s'enfuir avec le magot qui demeure maintenant introuvable...

vendredi 4 mars 2011

Le tilleul

"Le dessèchement des tiges les avait incurvées en un capricieux treillage dans les entrelacs duquel s'ouvraient les fleurs pâles, comme si un peintre les eût arrangées, les eût fait poser de la façon la plus ornementale. Les feuilles, ayant perdu ou changé leur aspect, avaient l'air des choses les plus disparates, d'une aile transparente de mouche, de l'envers blanc d'une étiquette, d'un pétale de rose, mais qui eussent été empilées, concassées ou tressées comme dans la confection d'un nid. Mille petits détails inutiles - charmante prodigalité du pharmacien - qu'on eût supprimés dans une préparation factice, me donnaient, comme un livre où on s'émerveille de rencontrer le nom d'une personne de connaissance, le plaisir de comprendre que c'était bien des tiges de vrais tilleuls, comme ceux que je voyais avenue de la Gare, modifiées, justement parce que c'étaient non des doubles, mais elles-mêmes et qu'elles avaient vieilli. Et chaque caractère nouveau n'y étant que la métamorphose d'un caractère ancien, dans de petites boules grises je reconnaissais les boutons verts qui ne sont pas venus à terme ; mais surtout l'éclat rose, lunaire et doux qui faisait se détacher les fleurs dans la forêt fragile des tiges où elles étaient suspendues comme de petites roses d'or - signe, comme la lueur qui révèle encore sur une muraille la place d'une fresque effacée, de la différence entre les parties de l'arbre qui avaient été "en couleur" et celles qui ne l'avaient pas été - me montrait que ces pétales étaient bien ceux qui avant de fleurir le sac de pharmacie avaient embaumé les soirs de printemps. Cette flamme rose de cierge, c'était leur couleur encore, mais à demi éteinte et assoupie dans cette vie diminuée qu'était la leur maintenant et qui est comme le crépuscule des fleurs.

Bientôt ma tante pouvait tremper dans l'infusion bouillante dont elle savourait le goût de feuille morte ou de fleur fanée une petite madeleine dont elle me tendait un morceau quand il était suffisamment amolli."

Marcel Proust, Du côté de chez Swann.

mercredi 2 mars 2011

Marie-Antoinette de Sofia Coppola

Jeudi 3 mars à 20h40 sur ARTE

Amoureux de l’Histoire, passez votre chemin.

Sofia Coppola a réalisé un film complètement déjanté basé sur la vie de Marie-Antoinette. Comme dans son premier film Virgin Suicides, la réalisatrice met en scène une jeune fille de 14 ans qui aspire à l’amour, à la séduction et au jeu, mais qui trouve ses désirs freinés par une force supérieure : son rôle de Reine de France, ainsi que l’attitude rigide et les devoirs que cela implique. Bien loin du film historique sombre et réaliste, Sofia Coppola a préféré axer son film sur les petites folies d’une Marie-Antoinette qui préfère l’amusement à la couronne.Marie-Antoinette

nous plonge donc dans un univers totalement féminin, rempli de rose et de bonbons, de vêtements, chaussures et coiffures colorés et excentriques, de champagne et de pâtisseries aux colorants incroyables… un véritable univers de fête et d’amusement tout droit sortit d’une publicité Lolita Lempicka.

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mardi 1 mars 2011

Darren Aronofsky

Deux ans après The Wrestler, l’Américain Darren Aronofsky poursuit avec Black Swan son étonnante traversée cinéphile, jalonnée de corps exténués et dépendants, de psychés éclatées, de citations plus ou moins évidentes. Tandis qu’il planche actuellement sur Batman 4 et Wolwerine 2, le réalisateur de Requiem for a Dream s’explique sur l’équilibre précaire de son cinéma, clivé entre pesanteur et légèreté, amples battements formalistes et grâce poids plume._Propos recueillis par Juliette Reitzer et Auréliano Tonet

Vous n’avez pas écrit le scénario de Black Swan. Comment vous êtes-vous emparé du sujet ?

Le scénario original se déroulait dans l’univers du théâtre, mais je l’ai transposé dans le monde de la danse, que je trouve particulièrement fascinant et que je connaissais par ma soeur. La danse occupait toute sa vie, c’était un vrai mystère pour moi, enfant. Ce film est donc très personnel, comme tous mes précédents. De même que The Wrestler, Black Swan dresse le portrait d’un corps supplicié sur l’autel de l’entertainment. Oui, dans ces deux films, les personnages utilisent leur corps pour faire de l’art. Ces corps explorent leurs limites, littéralement, et sont confrontés au vieillissement. En préparant Black Swan, j’ai regardé de nombreux films sur le ballet, dont La Danse de Frederick Wiseman. Il se trouve qu’il consacre son nouveau documentaire, Boxing Gym, à l’univers de la boxe. Il filme les deux disciplines avec une même attention aux jeux de jambes, aux mouvements des corps. Les univers du combat et de la danse sont très proches. Dans Le Baiser du tueur, Kubrick filmait d’ailleurs une histoire d’amour entre un boxeur et une danseuse…J’ai appris à aimer Kubrick avec le temps, en vieillissant. Ses films sont sophistiqués, ils ne se laissent pas saisir à la première vision. Le statut d’icône absolue qu’a Shining le place à un niveau très particulier. Regarder Shining, c’est un peu comme rendre visite à un vieil ami pour voir s’il a changé ou s’il est resté le même.

Black Swan est-il un conte de fée filmé selon les codes du film d'horreur ?

Oui, un conte de fée particulièrement noir. Nina ressemble à l’Alice du Pays des merveilles, sauf qu’elle ne traverse pas le miroir ; elle s’écrase littéralement dessus. Le terme « horreur » a un peu perdu son sens aujourd’hui, particulièrement aux États-Unis où beaucoup de films comportent des scènes gore. Donc faire un film d’horreur psychologique était une de mes ambitions.

La plupart de vos personnages souffrent d’addiction, qu’elle soit toxique, professionnelle ou sentimentale. Pourquoi cette fascination ?

C’est ainsi que je conçois la nature humaine. Je crois que les gens sont tous plus ou moins obsessionnels. Vous seriez surpris de découvrir tous les rituels auxquels les gens s’accrochent, dans l’intimité de leur maison.

La scène d’ouverture est d’une extrême simplicité : comment l’avez-vous pensée ?

Au moment de tourner cette scène, nous n’avions plus d’argent. Nous avons dû la simplifier au maximum : une danseuse, une pièce noire et un unique projecteur. Si vous réussissez une scène avec ces seuls éléments, c’est que vous êtes sur la bonne voie.

Le dernier tournage qui avait eu lieu dans ce lieu était celui de la scène finale d’All That Jazz de Bob Fosse. On sentait une sorte de magie planer dans la pièce. Aviez-vous des références filmiques précises ?

On pense notamment à Suspiria de Dario Argento et Phantom of the Paradise de Brian de Palma… Je n’ai pas vu Phantom of the Paradise, mais j’ai regardé Dressed to Kill du même réalisateur. Nous avons également visionné Les Chaussons rouges et Les Contes d’Hoffmann de Michael Powell et Emeric Pressburger, La Mouche de David Cronenberg, Répulsion de Roman Polanski… Black Swan utilise les ficelles classiques de l’horreur ; il y a peu de moyens d’effrayer les spectateurs. Je ne sais pas si vous pouvez rendre ces ficelles originales, mais vous pouvez les détourner, vous en amuser. Il y a dans Black Swan un plan où le cadre est traversé, au fond, par une ombre furtive. J’ai volé ça au Sixième Sens de M. Night Shyamalan.

À la différence des Chaussons rouges, où la caméra était statique, votre mise en scène accompagne et amplifie les mouvements des danseurs. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Tout simplement parce qu’aujourd’hui la technique le permet. Ce n’était pas le cas à l’époque. C’est très excitant d’avoir une caméra qui danse avec les acteurs. Lorsqu’on regarde de la danse assis dans un fauteuil, cela semble très facile. On ne se rend pas compte de la souffrance, des efforts, du sang.

Comment arrive-t-on à créer une telle illusion ?

C’est ce qui m’a poussé à enlever la caméra du fond de la salle pour l’installer sur la scène.

Peut-on considérer le personnage du directeur de ballet, interprété par Vincent Cassel, comme votre double ?

Vincent se défend de s’être inspiré de moi, peut-être parce que je ne suis pas assez haut en couleurs. Mais j’aimerais pouvoir être aussi manipulateur que son personnage, qui est constamment dans le calcul. Je suis beaucoup plus direct, je vais droit au but avec mes acteurs et j’en ai fait fuir beaucoup. Je leur dis de manière très claire à quel point ce sera un défi de travailler avec moi ; beaucoup s’en effraient.

Pourquoi vous êtes-vous tourné vers Natalie Portman pour jouer le rôle de Nina ?

J’ai pensé à elle très tôt, et plus le projet prenait du temps, plus elle prenait de l’âge. Du coup, le personnage a évolué en fonction d’elle : dans le film, Nina a 25 ou 26 ans, ce qui est jeune en soi mais pas pour une danseuse. Natalie a fait de la danse enfant, mais elle a dû tout réapprendre en travaillant très dur, près de huit heures par jour pendant un an. L’engagement était complet pour elle, puisque j’ai vraiment cherché à installer lespectateur dans la tête de Nina : le film se concentre sur son expérience, son cerveau, son âme. En français, le terme « psyché » désigne à la fois l’âme et une grande glace mobile.

Multiplier les miroirs dans le film était-il un moyen de souligner la schizophrénie dont souffre votre héroïne ?

On savait dès le départ que les miroirs auraient une place importante, notamment parce que l’univers de la danse est saturé de miroirs dans les salles de répétition. Il se trouve que Black Swan traite aussi du fait de perdre son identité. Le film multiplie les figures du double, comme lorsque vous vous placez entre deux miroirs et que vous continuez à vous refléter, à perte de vue.

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