samedi 25 décembre 2021

François Béranger, Manifeste (1973)

 


 
    Je prends un peu d'avance sur le calendrier mais qu'importe.
     Depuis ce jour en 1973 où, Alain, le frère de ma future belle soeur, est arrivé avec François, sous forme de galette vynile sous le bras, François ne m'a plus quitté.     Vous serez certainement déçus, moi le premier, de n’avoir fait la connaissance de cet honnête homme que par l’intermédiaire des ses albums. Toutefois, je répète que ce soir-là, tandis que la conversation s’animait autour de la table autour du PSU, de la fac de Vincennes et de la vie politique, moi, les yeux rivés sur la pochette du disque qui représente une chaise paillée terminée en corps de femme, eh bien François chantait pour moi. Il chantait pour moi comme il le fait à chaque fois que je l’écoute avec le même trouble, la même émotion, la même colère, les mêmes espoirs.
    Alors, bien sûr dès le lendemain de notre rencontre je l’ai invité à s’installer chez moi. Je lui ai trouvé une place avec Regianni, Barbara, Le Forestier… Il était entré dans ma vie. Il y est toujours.
    Le 15 octobre 2003 j’ai appris son décès à 66 ans. Je note que Laurent Ruquier lui a rendu hommage et diffusé sur les ondes une de ses chansons. Je ne sais pas s’ils ont été nombreux à faire la même chose pour François, lui qu’ils ont toujours, refusé, négligé, ignoré, méprisé. Et depuis "qu’un soir il avait pissé sur sa télé tellement c’était chouette," cette grande dame n’avait jamais invité ce pas poli. Elle n’allait certainement pas commencer aujourd’hui. Cette journée du 15 octobre fut un peu triste. Déjà octobre c’est gris, mais alors là. Chez l’Agitateur Culturel du coin, pas le moindre hommage et dans les bacs une plaque à son nom, vide de tout contenu comme si François n’avait jamais existé. « Je suis né, je mourirai.»

L’année suivante Futur Acoustic publiait une très belle anthologie contenant trois CD, un DVD accompagnée d’un livret de 43 pages sous le titre « Le vrai changement, c’est quand ? » Toujours d’actualité, le François. La réédition des albums a suivie grâce à la volonté de ce label diffusé par Harmonia Mundi, peut-être l’un des seuls disquaires encore vivants. 

 

NB : Je reviendrai sur François Béranger en republiant les billets : Béranger par Béranger.

 

 

dimanche 19 décembre 2021

Barbara.



 
    Après un mois à me gratter les couilles à Lorient à débarquer la literie complète de notre aviso et choper des morpions, il a bien fallu rentrer chez moi. J'y ai retrouvé, ma piaule, mes parents, mes potes et celle qui m'avait attendu deux ans. 
    Question musique elle était loin d'être rock n' roll. Plutôt chanteur à texte, si possible à s'ouvrir les veines. Des chanteurs qui gagnaient à être connu et dont certains sont entrés dans mon Panthéon, je dois le reconnaître, sans que jamais je ne cherche à mettre fin à mes jours. Barbara en fait partie. Elle aimait Barbara. Alors je me suis fendu.
    La chose avait été promise de longue date et la table retenue depuis maintenant trois semaines. A l'occasion J’ai traîné ma peine boulevard Barbès. Les vitrines affichaient des slogans accrocheurs et des prix modiques. Le chevron me semblait indémodable. Je me suis laissé tenté par un costume de couleur indéterminé dont le vendeur, à l’humour pince sans rire, m’affirma qu’il m’allait commme un gant.  Les affaires allaient-elles donc si mal pour qu’il se montre aussi obséquieux à mon égard ? Le pantalon tirebouchonnait et le rendu arrière de la veste baillait de façon disgracieuse quand je la fermais.Il m'allait comme une moufle.
 Seul avantage en sa faveur le prix. Je cédais donc à l’appel des sirènes, complétais ma garde robe d’une chemise pastel, déjà froissée d’impatience, et m’acquittais de mes achats.
Les retouches n’y changèrent rien. « Costard Pochon, t’as l’air d’un con. » Un slogan qui tient toujours ses promesses. En dépit du repassage à sec, un mauvais lainage reste un mauvais lainage. Un mauvais lainage qui pochait désespérément aux coudes et aux genoux. A moins des rester en permanence debout les bras ballants. Et encore. Les accessoires outranciers ajoutaient au ridicule. Mon double manquait cruellement d’élégance. Il ne manquait plus qu’une mauvaise eau de toilette pour rajouter une touche de mauvais goût. J’y remédiais derechef. Parfait.
 
    Il pleuvait ce soir là. Nous sommes descendu à la station Palais Royal et avons rejoins l’avenue de l’Opéra. C’était la première fois que je me rendais à un dîner spectacle. Elle aussi. Dès le seuil franchi, le premier passage obligé fut le vestiaire. Parmi les manteaux chics et sombres, nous laissâmes son manteau clair, ma serpillière, et un parapluie que personne ne nous volerait jamais. La salle était petite. Elle pouvait accueillir tout au plus une centaine de personnes. Deux longues tables dressées sur les côtés la rétrécissaient encore plus. A voir ces femmes en lamés et ces hommes en smoking j’ai senti que je n’étais pas à ma place mais il était trop tard pour reculer. Bien entendu il n’y avait qu’une table au centre et ce fut la notre. A notre entrée les regards se sont portés sur nous. Nous faisions sensation. Certainement la couleur poireau pomme de terre de mon costume Pochon, ma chemise poussin albinos, ma cravate et ma pochette aussi cramoisi que ma gueule, le tout assorti aux chaussettes. Avec les pochons aux genoux, mon pantalon avait bien perdu dix centimètres de longueur, juste question de laisser admirer la qualité du fil d’Ecosse de mes chaussettes agonisantes sur mes chevilles. Mon portefeuille faisait sailli dans ma poche. Sans compter celles du pantalon bourrées d’accessoires tels des bajoues de hamster. La grande classe. Elle me précédait en robe claire à godets et chaussée de bottes blanches. Aidée par un bellâtre qui ne nous quitta plus de la soirée elle s’assit à ma gauche tandis que je me jetais sous ma chaise question de tenter de passer inaperçu. Rien n’y fit. Bien heureusement rapidement les habitués nous oublièrent. Sauf le bellâtre toujours disposé à nous rendre service. M’allumer ma clope, me servir du vin, lui servir de l’eau, nous couper la viande, m’essuyer la bouche, me faire les ongles. Nous foutre la paix, non. Il était payé pour nous faire chier et je dois admettre qu’il fit bien son boulot. Rien à reprocher. Il faisait chaud. Nous prime un rafraîchissement au prix d’un réfrigérateur. La soirée s’annonçait belle. Je la voyais heureuse. Je l’étais donc aussi. Nous étions très bien placé. Sans avoir le bras long, je reste assuré qu’en le tendant bien, je pouvais griffer le vernis du piano du bout de ma fourchette. Je ne m’y suis pas aventuré. C’était juste question de dire.
    En première partie, nous eûmes droit à Yvan Dautin et Pierre Vassiliu. De quoi attaquer les entrées et le plat, une volaille aux cerises pas vraiment morte que ma fourchette chatouillait de temps à autre pour la faire rire. Je rangeais mon mikado en os sur le bord de l’assiette, suçait les cerises et épongeais la sauce. Rien d’extraordinaire à faire à la maison mais à un dîner spectacle, cela restait une autre affaire. Ah! il devait bien se marrer le bellâtre à me voir tel un bretteur en découdre avec la volaille pas morte.
    A l’issu du combat, Vassiliu retourna dans sa loge. J’abandonnais la dure en cuisse. Nous fîmes une pause. Faute de clopes, je commandais un paquet au prix d’une cartouche. Radical contre le cancer du poumon. On amena alors le dessert. Un truc indéfinissable avec des pailles des parasols des cerises, du citron, des fruits confits et de la chantilly. Un objet d’art, quoi ! C’est à ce moment que nous sommes retrouvés dans le noir une fraction de secondes jusqu’à la venue de la longue dame brune. Sous les applaudissements, elle s’est installé au piano à un vol de pintade de mon assiette. Elle s’est mise à chanter. Normal, elle était là pour cela et on était venu pour. Au prix ou je payais il aurait plus manqué qu’elle nous fasse des ombres chinoises ou un numéro de prestidigitatrice. C’est vrai qu’on était prêt aussi. Pas la peine de brailler et taper comme un sourd sur son piano. J’entendais parfaitement bien. J’ai même failli m’esbigner un oeil avec ma petite cuiller. Comment, je respecte rien. Barbara, d’accord ! Faire plaisir, d’accord ! Mais ce sont mes oreilles et mon pognon, tout de même. Pis je sortais de deux années de désert culturel. Tout ça pour apprendre qu’il pleuvait sur Nantes, avouez qu’une fiche météo m’aurait suffi. Pourtant, je dois sincèrement avouer que je me laissais rapidement gagner par le charme de la grande dame brune. je dois même reconnaître que je fus littéralement sous le choc avec une Barbara intime et possédée. C’est bien simple, je n’avais d’yeux que pour elle. Je mangeais mes clopes, fumait ma chantilly. Écrasais ma clope dans la chantilly. Embrassait le bellâtre. Le grand jeu. Et quand j’aime, je ne compte pas. A l’entracte, je commandais un alcool au prix d’une distillerie que je consommais d’une glotte gustative jusqu’au final explosif.
    A la fin des applaudissements, alors que la longue dame brune disparaissait dans une brume légère derrière le rideau rouge, que les lumières étaient encore tamisées, le bellâtre qui ne perdait jamais une occasion de rire me glissa discrètement la note qu’éclairait la lueur vacillante d’une maigre bougie en fin de vie. Je m’y attendais, mais quand même. Ma pâleur fut mise sur le compte de l’émotion. Voir Barbara, manger un pintadeau aux cerises et mourir. Mon CCP aurait été du plus mauvais effet. De toutes les façons, il ne s’en serait pas remis. Je réglais rubis sur l’ongle, faute de monnaie, laissait un pourboire royal et nous filâmes rejoindre la cohue aux vestiaires récupérer son manteau et ma guenille. Toujours faute de monnaie, je réglais gracieusement le vestiaire sans pouvoir conserver en souvenir les cintres en plaqué or. Paris est certes trop petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour. Mais la banlieue est lointaine pour ceux qui à pied doivent rentrer se coucher. Le taxi de rigueur, je ne vis pas un brin de la route, l’œil rivé sur le compteur qui avalait mes derniers francs. Je la laissais à sa porte dans la froidure d’un matin de décembre. Elle me proposa fort gentiment de conserver le taxi jusque chez moi. Je doutais que le prix de la course ne dépasse pas les cinquante centimes qui me restaient en poche. Je n’en fit donc rien. D’ailleurs, rentrez à pied me ferait le plus grand bien. Et puis c’était encore gratuit. Alors, autant que j’en profite.
 
Restait du bleu à l’âme et l’inoubliable Barbara. De quoi occuper une vie.    
 
 

mardi 14 décembre 2021

Hot Butter, Pop Corn (1972)

 


 

 

    Depuis mon dernier billet du mois de mai sur le sujet, nous avons eu largement le temps de ranger nos malles après avoir procédé à de multiples échanges ou ventes de souvenirs jugés inutiles voire superflus.

    Et nous voilà tous alignés sur le pont afin d'accéder au quai noir de monde. Deux ans de cohabitation à bord et deux ans d'absence avec la métropole. Les retrouvailles furent chaleureuses. Les marins s'égaillèrent telle une volée de moineaux retrouver fiancés, épouses, familles et amis. Cette effervescence passée, ce fut le débarquement. Restait un bâtiment privé de son équipage qu'il fallait vider avant son carénage. Cela me valu de rester à bord un mois de plus avant de bénéficier des quatre mois de permission avant ma nouvelle affectation.

Je n'avais jamais mis les pieds à Lorient. Je ne l'ai jamais fait depuis. Restait l'hôtel de la Gare où nous avions loué des chambres au mois.

    Matelas, couchages furent débarqués. Et au bout d'une journée à macérer dans le linge de bord nous fîmes connaissance avec le Phtirius inguinalis, un insecte de couleur marron mesurant environ 3 millimètres qui se nourrit exclusivement du sang de son hôte. Le morpion et notamment ses larves sont visibles à l’œil nu. Quand elles sont vivantes, elles sont grises et bien accrochées aux poils. Quand elles sont mortes, cela ressemble à de tout petits œufs blancs situés à la racine des poils et facilement détachables. On leur faisait la chasse à grand coup de produit antiseptique qui faisaient ressembler nos partie génitales à des culs de bébé talqués et ce durant plusieurs semaines. Et chaque soir nous les sortions en ville question de les promener et les aérer un peu.

    Friands des nouveautés musicales hexagonales, nous fumes quelque peu déçu en cette fin d'année 1972 de voir et surtout d'entendre Stone et Charden : L'avventura, Ringo : Elle, je ne veux qu'elle, Mike Brant : Qui saura, C. Jérôme : Kiss me Ringo : Trop belle pour rester seule, Mike Brant : C'est ma prière, Frédéric François : Laisse-moi vivre ma vie, un coup à reprendre la mer vers Diego danser le Salegi et manger des brochettes pimentées de zébu. 

    Les prémisses de la musique électronique fit son apparition avec Hot Butter et son tube international : Pop corn qui trainaient dans tous les juke box de France et de Navarre. Le rock comme nos couilles était il dévasté par les Phtirius inguinalis au point de s'attaquer aux cerveaux de nos contemporains ?

    Une visite chez un disquaire digne de ce nom nous rassura quelque peu. Jeff Beck Group,Black Sabbath , David Bowie Deep Purple, Emerson, Lake And Palmer, Genesis, Jethro Tull, Lou Reed, The Rolling Stones, Roxy Music, Slade, Neil Young, ZZ Top veillaient au grain. Le rock pas mort. Il respirait encore.