jeudi 30 avril 2009

Jim Harrison

L'oeuvre de Jim Harrison danse, galope, tangue vers le large, embrasse l'infini d'un continent sans limites. Ses romans de font entrevoir en chacun de nous l'ombre portée du criminel, du tricheur et du saint. Le roman, pour Harrison, c'est la religion du délire. Il enivre les mots, les soûle à mort ; il écrit à tue-tête et bâtit des phrases où se devinent encore les ahans et les suées. Jim Harrison est un écrivain passionné, donc il nous passionne ! A 71 ans, Jim Harrison reste l'un des plus grands écrivains américains vivants. Né à Grayling, dans le Michigan, il n'a pas ressenti le besoin de s'exiler dans le Montana comme la plupart de ses amis. Grand amateur de pêche et de chasse, il a pourtant horreur qu'on le compare à Hemingway. Son coeur balance plutôt du côté de Faulkner...
Jim Harrison est né à Grayling, Michigan, et a fait ses études à l'Université du Michigan. A l’âge de huit ans, il perd son oeil gauche dans un stupide accident. A douze ans il décide de devenir écrivain lorsqu'il comprend que cette profession propose une façon de vivre plutôt séduisante. Dans ses premiers écrits il s'inspire largement de la vie de son père fermier, de l'origine scandinave de sa mère et de sa propre éducation en milieu rural. Il enseigne quelques temps à Stony Brook, Université de New York, dans le but de faire vivre sa femme et ses deux enfants, mais l'enseignement ne le satisfaisant pas, il retourne dans sa ferme du Michigan. Il connaît son premier succès littéraire avec sa poésie. Mais il est également célèbre pour ses romans. Il connut son heure de gloire avec Légendes d'automne, en 1979, adapté au cinéma, notamment grâce à l'acteur Jack Nickolson qui le finança pendant son écriture.
Jim Harrison chante l'Amérique profonde, l'Amérique des campagnes et des vastes étendues sauvages. Un amoureux de la nature. C'est un homme libre avide de découvertes, un contemplatif, un poète vagabond. "Marcheur, il n'y a pas de chemin... Le chemin se fait en marchant"
Une œuvre saisissante à lire absolument.

mercredi 29 avril 2009

Madame Bovary en ligne...

On l’attendait, c’est arrivé : les manuscrits de Madame Bovary sont depuis le 16 avril intégralement consultables en ligne sur le site du Centre Flaubert de l’université de Rouen. 4 500 feuillets ! Tout y est et même le reste : brouillons, plans… Centre trente flaubertiens, amateurs ou professionnels, tous bénévoles et mobilisés dans une douzaine de pays, ont unis leurs efforts pour vaincre ce défi à la transcription eu égard à la graphie difficile de l’écrivain. Un énorme chantier qui exigeait un travail d’équipe durant près de trois ans. L’entreprise a un côté “si tous les gars du monde”, revu et corrigé par l’internet, qui met du baume au coeur.
source : la république des livres.

dimanche 26 avril 2009

François Béranger 12

En octobre 90, j’ai reçu une lettre anonyme que je reproduis ici :« La violence des mots, des images, s’oppose à l’édulcoré, au gentil, au bien léché, au bien sucé, à la variette, au non-dit. A cette provocation répondent souvent indifférence ou hostilité médiatiques. Normal. Ce monde a une réalité, mais défense d’en parler hors normes. Tes chansons ont toujours été des urgences, des coups de boutoir à l’emporte-pièce, qui n’ont pulvérisé ni tes rêves ni ta tendresse. La beauté sera convulsive ou ne sera pas». Sur mes chansons je ne ferai aucun commentaire. Ce que j'ai à dire y est contenu. Qu'on les écoute attentivement est ce qui peut leur arriver de mieux. Elles sont l'expression de mes convictions ou de mes expériences. Aucune n'est artificielle, concoctée pour plaire. Je ne fabrique pas de produits à la mode. Le suivisme et le mimétisme ne sont pas mon fort. Je crois qu'on est bon quand on est soi-même. Je crois aussi, majeure ou mineure, que la chanson est une forme d'art et que l'art doit être subversif, bousculer les idées reçues, les formes existantes. Je me trouve bien timide dans le domaine de la subversion... Si c'était à refaire j'essaierai d'aller plus loin, de taper plus fort, voire d'être démago, comme certains, pour gagner plus d'audience. (Mais la pratique de la démagogie à outrance serait en contradiction avec ce que je suis : incapable, sans rire de moi-même, de me livrer à la comédie mensongère de certains engagements de pur opportunisme...) Sur scène, j'ai toujours distancié. Mon comportement a toujours voulu dire : une chanson n'est qu'une chanson, pas un fusil ou une grève; je ne suis pas une star, mais un mec comme vous, ni prophète ni messager; les drames, les conflits, les dénonciations n'empêchent pas le rire, le sourire et l'humour; passons un moment ensemble... Ça n'implique pas l'amateurisme : j'ai toujours essayé de présenter des spectacles bien ficelés musicalement et techniquement. Ces chansons, bref, j'ai essayé de les rendre efficaces. Je n'y suis pas toujours parvenu. Leur taux de réussite, selon mes critères, restera mon secret ...

samedi 25 avril 2009

Marrakech Express 17

Créé un siècle après celui de Fès, en 1558, le mellah de Marrakech a abrité, jusqu’au milieu du 20e, plus de 30 000 juifs. A deux pas du Palais Badi, il est aujourd’hui un quartier populaire débordant d’activités.De sa petite place centrale partent quatre rues principales à angles droits d’où sont rattachées de nombreuses ruelles perpendiculaires. Pour y accéder, deux portes percent les hauts murs à l’intérieur desquels se trouve un univers clos, ombragé, mystérieux et pourtant bien organisé. C’est ici que vécut jusqu’à la moitié du siècle dernier la population juive de Marrakech. Construit sur ordre du sultan Moulay Abdallah, il ne reste plus de cette époque révolue qu’une unique synagogue et un cimetière juif. Aujourd’hui quartier populaire, le mellah abrite une activité foisonnante, à commencer par son marché aux épices.
Ce dernier occupe une partie du marché couvert, juste à l’entrée. Les nombreuses échoppes aux volumineux cônes de cumin, coriandre, ras-el-hanout, curcumin… se succèdent dans un dégradé de jaune, de rouge et de beige. Une criée aux épices a lieu tous les jours à 16h30. Dans ce même secteur, vous trouverez une multitude de tissus très bon marchés. Possibilité d’y faire confectionner des coussins, des rideaux ou de faire recouvrir banquettes et fauteuils. Un peu plus loin, deux anciens foundouks - équivalent marocain du caravansérail oriental, du khan égyptien et de l’oukala tunisien - ont été reconvertis en entrepôt pour herbes médicinales et aromatiques. On y trouve également toutes sortes de produits de beauté traditionnels : pierre d’alun, souak, savon d’Alep, pierre ponce, khella, khôl, aker… En suivant la rue principale – admirez les quelques balcons en bois qui lui donnent des airs espagnols -, on arrive à la synagogue (ne pas hésiter à demander son chemin). Tenue par un charmant vieux monsieur, elle se trouve dans un ancien riad couvert de zelliges bleus et blancs, occupé par une famille musulmane. Autour du patio, vous remarquerez les inscriptions en hébreu qui courent tout atour du riad.Revenez en arrière, jusqu’à la kisseria des bijoutiers, à côté du marché couvert. Dans deux galeries, dont une autour d’un petit patio, se trouve une quarantaine d’échoppes où sont vendus bijoux en or et en argent, autrefois l’une des spécialités dans lesquelles excellaient les juifs. ils ne sont plus guère nombreux : à peine 6 000, contre 260 000 en 1948. Au dernier recensement, 250 vivraient encore à Marrakech, dont une petite poignée dans le mellah.

vendredi 24 avril 2009

Jérusalem par Jordi Savall

Jérusalem, le dernier album de Jordi Savall, est né d’une demande de la Cité de la musique pour un concert autour des trois monothéismes. Pour cet éminent spécialiste des musiques anciennes et de la viole de gambe, spiritualité a toujours rimé avec musique. C’est au travers d’une chorale liturgique, dans son Espagne natale, que le jeune Jordi fit la connaissance, dès l’âge de 6 ans, de la voix et de la beauté du chant.
Pour la genèse de ce projet, il faut remonter à 2007, au moment où nous recevons de La Cité de la Musique la demande de préparer un nouveau projet, (pour avril 2008) autour d’un cycle de concerts sur les trois principales religions monothéistes. Après quelques jours de réflexion, nous avons tout de suite pressenti que la ville de Jérusalem pouvait nous offrir le sujet idéal. Ce sujet permettait de faire une très forte et belle démonstration de la grandeur et de la folie de l’histoire d’une ville, avec toute la problématique d’un lieu qui continue encore aujourd’hui de marquer les limites et les faiblesses de notre civilisation, spécialement avec la recherche d’une paix juste et valable pour tous et avec la difficulté de se mettre d’accord entre orient et occident sur les fondements mêmes de la véritable dimension spirituelle de l’homme. L’évocation de quelques-uns des moments essentiels de l’histoire et de la musique d’une ville comme Jérusalem, avec ses plus de 3000 ans d’existence, semblait à priori un pari démesuré, presque impossible. Car en effet, l’espace d’une édition discographique, même si elle est hors du commun par rapport aux normes habituelles, reste très limité pour un livret de plus de 400 pages traduit en huit langues et deux SACD de 78 minutes. Avec Montserrat Figueras et Manuel Forcano, nous avons pris conscience dès le début, qu’il fallait non seulement évoquer son parcours unique, par ses répercussions universelles, mais encore qu’il était évident que cette évocation –qui devenait en même temps un fervent hommage– ne serait possible, que si l’on tenait compte des témoignages essentiels de chacun des principaux peuples, des cultures et religions qui l’ont façonnée tout au long de son histoire, histoire très riche en événements depuis toujours extrêmement dramatique et conflictuelle. Histoire ou mythologie, légende ou réalité, chants ou musiques, tout dans cet univers semble vouloir synthétiser à travers « Le Pouvoir de la Musique », les enjeux essentiels de la civilisation de l’homme, dans l’espace d’une ville, qui dès le départ est devenue sacrée et mythique pour les trois principales religions monothéistes.Pour aborder ce projet, il fallait réunir un ensemble de musiciens, de différentes traditions, et provenant des principaux pays et cultures qui ont eu un rôle marquant dans les événements anciens et actuels. Ce pour quoi, en plus des musiciens habituels d’Espagne, de France, d’Angleterre, de Belgique et de Grèce, qui constituent l’équipe des solistes vocaux et instrumentaux d’Hespèrion XXI et de La Capella Reial de Catalunya, nous avons invité quelques chanteurs et instrumentistes Juifs et Palestiniens d’Israël, et aussi d’Irak, d’Arménie, de Turquie, du Maroc et de Syrie, formés et spécialisés dans des cultures musicales très anciennes et souvent transmises par tradition orale. Il était nécessaire de présenter une sélection significative des différentes musiques propres aux peuples qui tout au long de l’histoire de Jérusalem l’ont habitée avec leurs rêves et leurs tragédies, avec leurs espoirs et leurs malheurs. Cette sélection n’aurait pas été possible sans les nombreux et importants travaux de recherche historique, musicale et organologique réalisés par des grands maîtres comme A.Z. Idelsohn, Amnon Shiloah, Samuel G. Armistead, Isaac Levy, Rodolphe d’Erlanger, Charles Fonton, et R. Lachmann, pour les musiques orientales (juives, arabes et ottomanes), H.J.W. Tillyard, pour la musique byzantine, Pierre Aubry et Gordon Athol Anderson pour les musiques des croisades, sans oublier l’apport essentiel de tous les musiciens, chanteurs et collaborateurs qui ont, avec leur talent et leur expérience, participé d’une manière déterminante à la réalisation finale de ce projet ; je pense spécialement à Montserrat Figueras, Manuel Forcano, Yair Dalal, Lior Elmalich, les musiciens du groupe Al-Darwish, Gaguik Mouradian, Razmik Amyan, Dimitri Psonis, Driss El Maloumi, Mutlu Torun, Omar Bashir, Begoña Olavide, Pedro Estevan, Jean-Pierre Canihac et l’ensemble « trompettes de Jéricho », Andrew Lawrence-King et tous les chanteurs et instrumentistes Hespèrion XXI et de La Capella Reial de Catalunya. Jamais je n’avais réalisé un projet où l’implication personnelle de tous les participants ait été si essentielle et déterminante.La musique nous permet un regard plein d’émotion et de lumière sur des légendes, des croyances et des événements qui représentent un fabuleux concentré de vie, de culture et de spiritualité en symbiose avec ce qui se passe dans le monde. Fortement marquées par la présence historique des principales religions monothéistes, la Juive, la Chrétienne et la Musulmane, l’histoire et les musiques de Jérusalem sont le reflet d’un vécu unique, dans lequel les guerres et les conflits les plus extrêmes accompagnent les faits et gestes les plus élevés et spirituels de toute l’histoire de l’humanité. Pour donner forme à un programme musical et historique si complexe, il fallait trouver une structure originale imaginée à partir des sources mêmes du sujet que nous présentons divisé en sept chapitres contenant chacun les moments clés de son histoire. Trois chapitres centraux comportent un choix des musiques les plus représentatives des trois principales périodes relatives aux trois religions monothéistes : La Ville juive est évoquée depuis l’époque de sa fondation jusqu’à la destruction du temple, avec le son évocateur du shofar, une sélection des plus beaux psaumes de David tels qu’ils étaient conservés dans la très ancienne tradition des juifs du sud du Maroc, une danse instrumentale et un texte récité en hébreu du Rabbin Akiba. La Ville chrétienne est évoquée depuis l’arrivée en l’année 326 à Jérusalem de la reine Hélène, mère de l’empereur Constantin, jusqu’à la défaite des croisés avec la conquête de la ville par Saladin en 1187 et définitivement par les musulmans en 1244. L’époque est représentée d’abord par un des plus anciens chants à la croix, attribué à l’Empereur Leo VI (886-912), suivi du terrible appel à la guerre sainte (1095) du Pape Urbain II, récité en français. Le pouvoir de la musique au service de la guerre est illustré avec trois des plus célèbres et plus beaux chants de croisades, une brève improvisation sur la chanson « Pax in nomine Domini » nous rappelle la défaite de 1244.Enfin nous évoquons la Ville arabe et ottomane, de 1244 jusqu’à 1516 pour la période arabe, par des improvisations au Oud et le chant de la Sourate XVII, 1 qui nous raconte comment le prophète Mahomet va au ciel depuis le Rocher du Temple, complétés par une danse du Soma (tradition Soufi) et le chant Sallatu Allah. La période ottomane qui va de 1516 jusqu’en 1917 est symbolisée par le Makkam Uzäl Sakil « Turna » du manuscrit de Kantemiroglu (XVIIe Siècle), la recréation de la légende sur le Songe de Soliman le Magnifique (1520) récité en turc, et une des plus belles marches guerrières ottomanes du XVIe siècle. Un quatrième chapitre dédié à la Jérusalem « Ville de pèlerinage », avec trois chants représentatifs de pèlerinages : le premier sur des textes de Rabbi Yehuda ben Shmuel haLévi, (rabbin, philosophe, médecin et poète séfarade, né à Tudela dans l’émirat de Saragosse en 1085 et surnommé le Chantre de Sion) ; le deuxième sur l’une des Cantigas d’Alfonso X le Sage (1221-1284), qui explique un des miracles de Santa Maria sur une femme pèlerin durant son voyage à la ville sainte et finalement le troisième sur un texte du plus connu des voyageurs arabes, l’explorateur marocain Ibn Battuta (Tanger 1304 - ? 1377). Un cinquième chapitre dédié à Jérusalem « Terre d’asile et d’exil », avec deux émouvants chants d’exil et deux chants d’asile : Le Romance Palestina hermoza y santa de la Diaspora Séfarade, un lamento palestinien, une « plainte » arménienne en souvenir du génocide de 1915, et un bouleversant chant ashkénaze sur le génocide perpétré par les nazis durant la deuxième guerre mondiale. Finalement, les deux chapitres qui complètent le chiffre 7 se réfèrent à l’une des étymologies expliquant le nom de la ville de Jérusalem, traduisant son nom en hébreu comme « la ville des deux paix » et faisant une claire référence métaphorique à la « paix céleste » aussi bien qu’à « la paix terrestre ». La paix céleste qui nous sert de prélude, proclamée et promise par les prophètes qui y vécurent ou y passèrent est évoquée avec trois anciens chants correspondant à chacune des trois religions monothéistes : un Oracle Sibyllin provenant d’une source juive du IIIe siècle av. JC, un chant arabe de source soufi sur la Sourate I, 27, et un chant sur l’Evangile Cathare du Pseudo Jean V, 4, conservé dans le célèbre manuscrit du couvent de « Las Huelgas » (XIIe Siècle). La conclusion est laissée à l’évocation de « la paix terrestre », une paix qui a toujours été désirée par les politiques de toutes les époques qui l’ont gouvernée pendant plus de cinq mille ans répertoriés par l’histoire. Nous l’avons symbolisée par des « vœux de paix » arabes, juifs, arméniens (orthodoxes) et latins (catholiques), et par une mélodie transmise par tradition orale conservée vivante jusqu’à nos jours dans presque toutes les cultures méditerranéennes. Cette mélodie est chantée individuellement par tous les participants en grec, arabe (du Maroc), hébreu, arabe (de Palestine), espagnol, de nouveau en grec (par l’ensemble vocal), ladino (berceuse), à trois voix (en grec, hébreu et arabe), puis en version instrumentale orientale et à la fin chantée ensemble en forme chorale avec toutes les langues superposées, symbolisant ainsi que cette union et cette harmonie ne sont pas une utopie, mais un fait atteignable si l’on est capable de vivre et de sentir pleinement le pouvoir de la musique. En colophon à cette fin optimiste, « les trompettes de Jéricho » reviennent de nouveau, mais cette fois-ci pour nous rappeler qu’il y a encore trop de murs qui séparent les esprits des hommes, des murs qu’il faudrait d’abord ôter de notre cœur avant de réussir à les détruire à l’extérieur par des moyens pacifiques.Dans ces temps anciens, le pouvoir de la musique est toujours très présent. De toutes les sources historiques, la Bible constitue la principale et la plus riche pour la connaissance de la musique dans les époques les plus anciennes. La musique et la danse sont très présentes dans la vie quotidienne mais aussi dans les cérémonies religieuses, sans oublier les batailles. C’est justement dans une des légendes les plus anciennes que se manifeste le pouvoir de la musique, avec les trompettes de Jéricho. Plus que la musique en elle-même, ici ce sont des sons, plutôt des dissonances si fortes et intenses, produits par plusieurs centaines d’instruments si puissants qu’ils finissent par détruire les murailles.Dès le début, il nous a paru vraisemblable qu’un des instruments les plus anciens existant, le Schofar ou corne de bélier d’Abraham, a dû participer d’une manière essentielle à cette bataille au côté des anciennes trompettes orientales, aujourd’hui connues comme añafiles ou annafirs. Cette première hypothèse nous a été confirmée durant nos recherches, par le témoignage de l’abbé Nicolas, du monastère bénédictin de Thingeyrar en Islande, qui alla en Terre Sainte quatre ou six ans après la composition de la chanson de croisade Chevalier mult estes guaritz (datée de 1146), où il trouva les trompettes de Jéricho avec les Shofars à côté du bâton de Moïse (mentionné dans cette chanson) dans la chapelle Saint-Michel de l’un des palais de Constantinople (Bucoleon). Ceci est confirmé dans l’inventaire d’Antoine, archevêque de Novgorod, qui dit plus précisément qu’il est gardé entre une des trompettes de Jéricho et les cornes de bélier d’Abraham (Riant, Exuviae Constantinopolitanae, Genève 1878). La partition que nous avons imaginée pour cette fanfare ne peut définir aucune note, étant donné que chaque instrument a une intonation totalement différente. Il s’agit donc d’une construction et d’une superposition complètement aléatoires de sons, tenant compte du langage caractéristique de ces instruments primitifs, structurés avec des rythmes et des dynamiques de base communes assez précises individuellement, mais libres dans l’ensemble. L’effet sonore réalisé par les 14 instruments et les tambours, doit être imaginé multiplié par 30 ou 50 si l’on veut s’approcher de l’effet produit dans la réalité par les légendaires trompettes de Jéricho.Un autre exemple du pouvoir de la musique que nous voulons signaler se situe à l’extrême opposé de la violence sonore. Ici ce ne sont pas les sons qui désintègrent la matière, mais les sons qui nous bouleversent par la profonde force de l’émotion et de la spiritualité d’une prière chantée. À Auschwitz en 1941, avant d’être exécuté, Shlomo Katz, un des condamnés juifs d’origine roumaine, demande la permission de chanter le Chant aux morts El male rahamim. La beauté, l’émotion et la manière de chanter cette prière pour les morts, impressionne et touche à tel point l’officier qui était en charge de l’exécution, qu’il lui accorde la vie sauve et lui permet de s’évader du camp. L’enregistrement que nous diffusons fut enregistré quelques années plus tard, c’est un document historique exceptionnel en tant que mémoire du vécu, en tant qu’ hommage offert en souvenir et comme prière pour toutes les victimes de ces camps de l’horreur (enregistrement dans le CD qui accompagne la publication de H. Roten sur les Musiques Liturgiques Juives, Paris 1998). C’est alors qu’on se rend compte combien est juste l’affirmation d’Elias Canetti, quand il nous dit : « la musique est la véritable histoire vivante de l’humanité, on y adhère sans résistance car son langage relève du sentiment, et sans elle, nous ne détiendrions que des parcelles mortes ». En mot de la fin, de toutes les mille différentes étapes de cette riche histoire de Jérusalem, nous avons sélectionné celles qui nous ont semblé les plus significatives, illustrées avec des chants, des musiques et des textes essentiels, le tout formant une fresque multiculturelle qui propose quelque chose de plus qu’un simple programme d’enregistrement ou de concert. Ici la musique devient le conducteur essentiel pour atteindre un véritable dialogue interculturel entre des hommes appartenant à des nations et des religions très différentes, mais qui ont en commun le langage de la musique, de la spiritualité et de la beauté.
JORDI SAVALL São Paulo, 16 septembre 2008

jeudi 23 avril 2009

François par Béranger 11

LES MEDIAS : PASSAGE OBLIGATOIRE ! J'ai connu une époque où certains - comme moi - pouvaient se passer des médias. Notre médium c'était les associations crées en grand nombre après 68, pour combler les vides de la vie culturelle ou proposer une alternative à la culture dominante. J'ai fait cent concerts par an, pendant douze ans, avec 1.000 spectateurs en moyenne, dans ce circuit... C'est dire si le circuit parallèle drainait beaucoup de monde : spectateurs et acheteurs potentiels de disques. L'ère des associations a cessé entre 78 et 80. Alors plus d'alternative. Un seul passage obligé : les médias et les circuits commerciaux. On a cru, avec les Radios Libres à la naissance d'un nouvel espace de liberté, pour contrebalancer l'exclusivité des ondes officielles ou des radios périphériques. Cet espoir a été un feu de paille : dés que légalisées les radios libres ont déployé tous leurs efforts pour ressembler aux anciennes. Recherche de l'audience et du profit publicitaire. Elles ont cessé d'être libres pour devenir privées : privées d'originalité et de liberté. (Il subsiste quelques exceptions à audience confidentielle). Le programmateur - la barbarie du terme fait déjà peur : ça sonne comme ordonnateur des pompes funèbres, ou exécuteur des hautes oeuvres – est tout puissant. Il représente les intérêts, la stratégie, l'esprit de la chaîne. Sa position dominante fait qu'il s'imagine - mégalomanie logique - tout savoir sur le goût des gens. C'est grave et c'est faux. Il ne représente pas le goût des gens : il le fait. Les techniques de matraquage, de répétitions, de suggestion permettent de créer une mode, un engouement, avec n'importe quoi ou n'importe qui : ces stratégies viennent de la publicité et sont parfaitement rodées. La toute puissance du programmateur confine parfois à la goujaterie absolue une attachée de presse présente un nouveau disque; on lui prend des mains, on regarde la pochette et on balance l'objet dans la corbeille à papier, sous ses yeux. En quelques secondes le sort d'une production s'est joué. L'investissement humain, financier, voire la qualité du produit sont niés, méprisés, anéantis. Selon quels critères? En fonction de quoi et de qui? Exemple extrême : soit! Il y a des corbeilles à papier plus courtoises... pour un résultat identique. Je veux bien qu'il existe de bons programmateurs, honnêtes, attentifs, respectueux, parfaits quoi! Mais comment faire face - entre autres problèmes – aux centaines de productions nouvelles qui s'accumulent chaque mois, dans des structures d'organisation totalement inadéquates ? En outre, la position charnière du programmateur - au carrefour d'intérêts financiers considérables - permet d'imaginer que la vénalité fausse le jeu et produit ses ravages. Ne soyons pas paranos! N'accusons pas sans preuve! Mais enfin... ce serait bien le diable si ce secteur d'activités échappait à la corruption. Quoiqu'il en soit le programmateur est là. Face à lui, des producteurs, des attachés de presse, soucieux d'attirer ses bonnes grâces et de préserver l'avenir. Face à lui aussi - mais brillant surtout par sa non-existence – une corporation de chanteurs maladivement individualistes, incapables d'organiser entre eux un front commun de résistance à cet état de fait, de proposer des solutions.
DONC, HORS MEDIAS POINT DE SALUT !
Le phénomène n'est pas propre à la chanson. La médiatisation confère le droit d'exister publiquement. Pour ma part, je crois savoir que j'existe. Mais pour qui ?

mardi 21 avril 2009

Les mots du néant

Trois livres parus ces dernières années et qui peuvent se lire comme un miroir reflétant d'une manière hyperréaliste l'horreur hitlérienne. L'un ne va pas sans l'autre et ils se complètent même d'une façon insoupçonnée dans la tentative de décryptage de l'Holocauste. Tous les trois ont connu des destins semblables dans la reconnaissance, la louange et le succès. Leurs récentes sorties en poche confirment l'intuition: Suite française, Les Bienveillantes et Les disparus se répondent dans une douloureuse polyphonie de cris et de ténèbres. On pourrait dire qu'une même interminable cohorte de martyrs peuple ces pages d'où, à la fin, ne semble retentir qu'une seule et même question: pourquoi? Bien sûr, aucune réponse satisfaisante possible.
A ceux qui préfèrent le silence et le recueillement face à l'indicible, les romanciers tentent d'opposer les mots... Suite française d'Irène Némirovsky nous entraîne dans les décombres de la catastrophe, quand le sauve-qui-peut était sur toutes les lèvres, ou presque. La romancière écrivit cet ultime roman dans une clandestinité qui ne cessait de s'obscurcir puisqu'elle fut livrée par la police de son pays aux trains de la mort. Dans cette vaste fresque inachevée, plusieurs destins de villes et de campagnes se croisent avec leur lot de malheurs, de courage, de lâcheté et d'abjections. L'Occupation vue comme une tragi-comédie, où sous les ciels bleu clair d'une province assoupie et rancie de trouille montent crescendo les atrocités de la collaboration et de la déportation des Juifs.
Les Bienveillantes de Jonathan Littell (Prix Goncourt 2006) nous emmènent de l'autre côté, là où nous avions laissé la France collabo de Némirovsky. C'est un passage de témoins des vaincus aux bourreaux munis de CV de comptable pointilleux, géomètres sans état d'âme d'une abominable machine de mort que rien ne semble arrêter. Indifférent envers les autres et respectueux des lois du Reich, son personnage glaçant, un SS mélomane, promène ses certitudes et ses observations sur tous les charniers et les camps d'extermination que comptait alors l'Europe. Face au témoin (et victime), Irène Némirovsky, et au sinistre personnage de Jonathan Littell, il fallait un troisième homme pour mener l'enquête.
Ce limier opiniâtre, c'est Daniel Mendelsohn parti à la recherche de son grand-oncle Shmiel, de l'épouse de celui-ci et de leurs quatre filles abattus en Pologne en 1941, sans qu'il en sache les circonstances. Et parce qu'il veut leur donner vie en reconstituant leurs derniers instants, Mendelsohn va s'acharner pendant cinq ans à traquer les moindres indices, les moindres souffles de ces fantômes bien présents. Ce grand texte a valu avec raison à son auteur le Médicis étranger et le prix Lire du meilleur livre 2007. Fabrice Gaignault Lire, avril 2009

lundi 20 avril 2009

Pelouse interdite

Au jardin des Plantes il est désormais interdit de penser et de parler : histoire d'un cours interdit.
TEMOIGNAGE :
"Je suis inquiet, très, très inquiet... Vendredi dernier, à titre de solidarité avec mes collègues enseignants de l’Université de Paris 8 engagés, en tant que titulaires et chercheurs de l’Education Nationale, dans une opposition difficile à Valérie Pécresse, j’ai décidé de tenir mon cours sur la biodiversité et l’origine de la protection des espèces et des espaces, que je donne habituellement dans les locaux du département de Géographie (où j’enseigne depuis 20 ans), dans l’espace du Jardin des Plantes (Muséum National d’Histoire Naturelle), là où fut inventée la protection de la nature. Une façon, avec ce « cours hors les murs », de faire découvrir ces lieux aux étudiants et d’être solidaire avec la grogne actuelle mais sans les pénaliser avant leurs partiels.Mardi, arrivé à 14 h 30, avant les étudiants, j’ai eu la surprise de me voir interpeller dés l’entrée franchie par le chef du service de sécurité tout en constatant que les deux portes du 36 rue Geoffroy Saint Hilaire était gardées par des vigiles...- « Monsieur Vadrot ? ».- euh...oui- Je suis chargé de vous signifier que l’accès du Jardin des Plantes vous est interdit- Pourquoi ?- Je n’ai pas à vous donner d’explication....- Pouvez vous me remettre un papier me signifiant cette interdiction ?- Non, les manifestations sont interdites dans le Muséum- Il ne s’agit pas d’une manifestation, mais d’un cours en plein air, sans la moindre pancarte...- C’est non....Les étudiants, qui se baladent déjà dans le jardin, reviennent vers l’entrée, le lieu du rendez vous. Le cours se fait donc, pendant une heure et demie, dans la rue, devant l’entrée du Muséum. Un cours qui porte sur l’histoire du Muséum, l’histoire de la protection de la nature, sur Buffon. A la fin du cours, je demande à nouveau à entrer pour effectuer une visite commentée du jardin. Nouveau refus, seuls les étudiants peuvent entrer, pas leur enseignant. Ils entrent et, je décide de tenter ma chance par une autre grille, rue de Buffon. Où je retrouve des membres du service de sécurité qui, possédant manifestement mon signalement, comme les premiers, m’interdisent à nouveau l’entrée.Evidemment, je finis pas le fâcher et exige, sous peine de bousculer les vigiles, la présence du Directeur de la surveillance du Jardin des Plantes. Comme le scandale menace il finit par arriver. D’abord parfaitement méprisant, il finit pas me réciter mon CV et le contenu de mon blog. Cela commencer à ressembler à un procès politique, avec descriptions de mes opinions, faits et gestes. D’autres enseignants du département de Géographie, dont le Directeur Olivier Archambeau, président du Club des Explorateurs et Alain Bué, insistent et menacent d’un scandale.Le directeur de la Surveillance, qui me dit agir au nom du Directeur du Muséum (où je pensais être honorablement connu), commençant sans doute à discerner le ridicule de sa situation, finit par nous faire une proposition incroyable, du genre de celle que j’ai pu entendre autrefois, comme journaliste, en Union soviétique :- Ecoutez, si vous me promettez de ne pas parler de politique à vos étudiants et aux autres professeurs, je vous laisse entrer et rejoindre les étudiants...Je promets et évidemment ne tiendrais pas cette promesse, tant le propos est absurde.J’entre donc avec l’horrible certitude que, d’ordre du directeur et probablement du ministère de l’Education Nationale, je viens de faire l’objet d’une « interdiction politique ». Pour la première fois de mon existence, en France.Je n’ai réalisé que plus tard, après la fin de la visite se terminant au labyrinthe du Jardin des Plantes, à quel point cet incident était extra-ordinaire et révélateur d’un glissement angoissant de notre société. Rétrospectivement, j’ai eu peur, très peur..." Nous aussi.

dimanche 19 avril 2009

Toutes Suites : Paolo Pandolfo

Paolo Pandolfo est un gambiste. Mais il aime les 6 Suites pour Violoncelle de Bach. Alors, le temps d'une rêverie poétique qu'il justifie avec brio et tendresse dans un Dialogue imaginaire entre un violoncelle et une viole de gambe, le musicien transpose les tonalités, multiplie les doubles cordes, reconstruit les articulations, ajoute des ornements. Le résultat de l'expérience est grandiose, révélant les sous-entendus polyphoniques de Bach, insufflant un vent nouveau à ces pièces archi-rebattues. La surprise est présente à chaque mesure, la réflexion derrière chaque coup d'archet. Plus qu'une simple transcription, Paolo Pandolfo a voulu rapprocher le violoncelle de celle qu'il supplanta. Et les Six Suites tanguent désormais entre la douleur d'un Sainte-Colombe et le coup d'archet endiablé d'un Forqueray. Certains pointeront du doigt les nombreuses déviances de la partition originelle, et une tentative rétrograde. D'autres ne s'habitueront pas à l'humeur instable et changeante de Pandolfo. Enfin, une poignée se demandera, non sans raison, s'il s'agit encore là des Suites pour Violoncelle de Bach. Qu'importe, voilà plus de deux heures de beauté et de génie qu'on serait impardonnable de mépriser.

vendredi 17 avril 2009

François par Béranger 10

LA CRITIQUE J'ai un press-book d'un volume impressionnant. La plupart des papiers sont globalement bons, quoique bourrés de redites, de redondances inévitables. Les seules vraies mauvaises - très méchantes - critiques sont liées à mes passages à Paris. Lors de mon premier spectacle dans la capitale, au théâtre de la Renaissance, les critiques parisiens sont d'une telle unanimité dans l'aigreur et l'hostilité, que je fais agrandir, au format poster, les coupures de journaux, pour les afficher dans le hall d'entrée. J'invite les gens à écrire ce qu'ils en pensent sur un mur de papier. On rigole bien, à notre tour, en lisant leurs réactions. On s'amuse comme on peut. Claude Fléouter, après deux papiers méchants dans Le Monde, finit par pondre un dithyrambe délirant sur moi. Explication : mon producteur de l'époque est devenu le sien, pour une série d'albums de musiques ethniques... Grande leçon de déontologie. SUR LA CHANSON EN GENERAL Les débats du genre : la chanson est-elle un genre majeur ou mineur me gonflent. Les propos de Gainsbourg sur la chanson, art mineur me font sourire. C'est un des rares sujets, à ma connaissance, abordés par Gainsbourg - un des plus grands faiseurs de chansons du siècle - où il est pris en flagrant délit d'imbécillité. L'imbécillité n'étant pas son fort on peut imaginer une provocation de plus...La chanson, la bonne, l'efficace, est un genre qui impose concision, synthèse, clarté. Texte et musique sont indissociables. Car, à la différence de la poésie, une chanson ne se lit pas : elle s'écoute. On peut aussi dire la poésie mais elle devient chanson...Pour moi une chanson est efficace quand elle est bonne. Une chanson efficace est du domaine de la magie. La fabriquer tient de l'alchimie, du miracle et... de beaucoup de travail. Elle peut naître en cinq minutes ou en deux ans. Le temps ne fait rien à l'affaire. Ou à la faire. Elle existe depuis toujours et reste la seule expression authentiquement populaire. Elle accompagne tout et partout. Elle rit, elle pleure, elle dénonce, elle gueule. Qu'elle ait été, depuis quatre-vingts ans, honteusement kidnappée et prostituée par des marchands de soupe, qui en ont fait un objet de profit, est UN GRAND MALHEUR. Mais elle survit, et survivra, CAR ELLE EST EN NOUS. Comme LA VOIX et LES MOTS sont en nous. Elle survivra, malgré l'impérialisme américain qui sévit AUSSI dans le domaine de la chanson, servilement relayé, depuis quarante ans, par les décideurs médiatiques, qui ont fait du public un consommateur parfaitement conditionné. Parfaitement conditionné à acheter des disques - écouter des oeuvres - assister à des spectacles - OU L'ON PARLE UNE LANGUE QUI N'EST PAS LA NOTRE.La gravité de la déculturation est phénoménale. En fait, le public n'écoute plus une chanson, mais une oeuvre où les mots d'une langue qui lui est étrangère, sont perçus comme élément musical. On peut estimer à un pour mille le pourcentage d'auditeurs français comprenant les paroles des chansons anglo-saxonnes... (Les paroles des chansons US sont souvent d'une nullité, d'une mièvrerie, d'un infantilisme qui dépassent les limites. C'est heureux, alors, que les gens ne les comprennent pas!) Peut-être faut-il - pour la majorité - qu'une chanson ne dise plus rien, qu'elle soit insignifiante, qu'elle ne vous renvoie surtout pas l'image de la réalité, ou une poésie trop violente. Peut-être... Peut-être... que toute chose glisse vers le bas, se pervertit, s'appauvrit, dégénère. Je ne sais. Mais bon, je l'avoue, j'ai quand même de l'admiration - voire de la tendresse - pour certains chanteurs américains : Joe Hill, Woodie Guthrie, Pete Seeger - évidemment - mais aussi : Tom Waits, Lou Reed, Neil Young, Ry Cooder, Randy Newman, Léonard Cohen qui sont des auteurs, pour le moins, signifiants. Après cette envolée lyrico-colérique - dont je m'excuse - je dirai que mes contemporains en showbiz font de très belles chansons : Jonasz, Souchon, Voulzy, Leforestier, Charlebois, Vigneault, Higelin, Guidoni, Jean-Claude Vannier ont produit des chef-d'œuvres. Sans parler des monuments qu'on ne cite plus : Brassens, Brel, Ferré. Des chef-d'œuvres d'autant plus admirables qu'ils ont su franchir les fourches caudines des médias, sans démériter. Car là est le problème : comment faire de belles, efficaces et signifiantes chansons et passer dans les médias?

jeudi 16 avril 2009

Sauvons la Solidarité !

Non au délit de solidarité! Garde à vue d’une bénévole des restos du coeur, garde à vue d’un permanent d’Emmaus et perquisition des locaux de l’association à Marseille, les poursuites dont sont victimes des travailleurs sociaux ou des bénévoles qui aident les personnes en situation irrégulière deviennent systématiques. Pire encore le gouvernement fixe des quotas d’interpellation des « aidants » comme il en fixe pour les sans-papiers.La solidarité, la simple action humanitaire sont donc devenus des délits en France !Demain le médecin qui soigne un sans papier, l’instituteur qui enseigne seront-ils aussi inquiétés ? Dans sa chasse aux sans-papiers et son obsession du chiffre, le gouvernement piétine les valeurs élémentaires et les droits de l’homme. Avant d’être des sans papiers, il s’agit avant tout d’êtres humains en difficulté, isolés, démunis. Les traiter comme des criminels, et même pire : comme s’ils n’avaient pas droit à la moindre solidarité humaine est moralement inacceptable.
« Si la solidarité devient un délit, nous demandons à être poursuivis pour ce délit ! »

mercredi 15 avril 2009

Tintin au Congo

Bienvenu Mbutu Mondondo est très en colère contre Hergé. Ce Congolais de 38 ans, étudiant en Sciences Politiques à Bruxelles, est choqué par le contenu “raciste” et “xénophobe” de Tintin au Congo. Il vient de s’en apercevoir en le relisant, d’où il appert que cela ne lui avait pas sauté aux yeux jusqu’à présent. Le contexte a dû favoriser sa récente prise de conscience.
Bienvenu Mbutu Mondondo, qui doit avoir la fibre procédurière, a déposé plainte auprès d’un juge d’instruction et s’est constitué partie civile contre Moulinsart, la société qui gère les droits de l’oeuvre. Il veut “juste” obtenir l’interdiction de l’album. Le magistrat n’a pas encore fait savoir s’il jugeait la plainte recevable. Le cas échéant, ce serait une grande première. Le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme a quant à lui, d’ores et déjà, refusé de s’associer à la plainte : “C’est de l’hyperpolitiquement correct, qui frise le ridicule. Pour lutter contre le racisme, nous préférerons lutter contre les discriminations à l’emploi ou au logement. » On ne saurait mieux dire. Le simple fait que Bienvenu Mbutu Mondondo, qui ne représente que lui-même, prétende réfléter “l’attitude de toute la communauté congolaise de Bruxelles”, rend son indignation un peu plus dérisoire. .

mardi 14 avril 2009

In memoriam Sylvère Monod

In memoriam Sylvère Monod
par Alain Jumeau Université de Paris IV-Sorbonne
Né en 1921 dans une famille aux multiples talents, cultivant autant la distinction intellectuelle que le sens du service, Sylvère Monod s’est illustré à sa manière en atteignant l’excellence dans sa carrière d’angliciste. Reçu premier à l’agrégation, à l’âge de vingt et un ans, il enseigne d’abord dans le secondaire. Puis, en 1949, il rejoint l’université de Caen, où il sera nommé professeur à trente-deux ans, après avoir soutenu une thèse sur Dickens romancier qui fait toujours autorité, tant dans sa version française (Hachette, 1953) que dans sa version américaine (Dickens the Novelist, Oklahoma UP, 1968). Il a beaucoup contribué à la renaissance de l’université de Basse-Normandie détruite par la guerre, avant d’être nommé en 1964 professeur à la Sorbonne, où il est resté jusqu’à sa retraite en 1982 — à l’université de Paris III, après un bref passage, au moment de la partition, à l’Université de Paris VIII, dont il fut l’un des fondateurs. Il s’est consacré aux écrivains du xixe siècle, puis du xxe siècle, comme le montre son Histoire de la littérature anglaise de Victoria à Élisabeth II (1970). Il avait deux passions, pour deux écrivains très différents, mais tous deux d’une importance capitale dans l’héritage littéraire anglais : Dickens et Conrad.
Pour mieux les faire connaître et aimer des lecteurs francophones, il en a donné de magnifiques traductions dans la Bibliothèque de la Pléiade. Car, à côté de sa carrière universitaire aux responsabilités multiples, il a développé une carrière de traducteur littéraire, en rendant avec beaucoup de talent les romanciers du xixe siècle (Scott, les sœurs Brontë, George Eliot…), ainsi que des auteurs plus contemporains comme Peter Ackroyd, entre autres — un engagement qui lui a valu d’obtenir le Grand Prix national de la traduction et d’être, pendant des années, Président de la Société des Traducteurs Littéraires.
Études Anglaises lui doit beaucoup. Il lui a donné des articles de qualité et d’abord un nombre impressionnant de comptes rendus. Mais surtout, il en a été le rédacteur en chef de 1974 à 1980. À la suite du décès de son fondateur Louis Bonnerot, il a en effet repris cette revue qui était jusqu’alors portée à bout de bras par un homme presque seul, pour en faire une entreprise plus collégiale, telle que nous la connaissons maintenant. Voici ce qu’écrivait Paul-Gabriel Boucé, son successeur, dans un éditorial du printemps 1980 : « Dans la grande tradition de Louis Bonnerot, pendant ces six années Sylvère Monod a été the life and soul de la revue. Son dévouement inlassable, son sens aigu de l’organisation, la finesse et la sûreté de ses jugements critiques — non dénués parfois d’une saine et fulgurante malice — telles sont les caractéristiques d’un mandat qu’il a su remplir avec une compétence sans faille et toujours souriante »
Ce maître exemplaire par son savoir, sa capacité de travail, sa simplicité et sa disponibilité, a transmis à des générations d’anglicistes le meilleur de la tradition littéraire anglaise, sans oublier sa composante essentielle, l’humour, qui donnait une coloration si particulière à son enseignement et aux relations humaines chaleureuses qu’il savait nouer. Très éprouvé en 2003 par la perte de sa femme, Annie Digeon, qui était la lumière de sa vie, puis par sa propre maladie et la disparition récente de l’une de ses filles, il a donné, jusqu’à sa mort le 8 août 2006, l’image d’un homme lucide et courageux, mais d’abord aimable et généreux.

lundi 13 avril 2009

Marrakech Express 15

J’ai un faible pour visiter les souks dans le sens opposé à l’ordinaire. Au départ de la porte Bab Doukala près de la gare routière, le labyrinthe feutré se trouve étonnamment désert jusqu’au terme de la rue Bad Doukala, où flânent et vaquent riverains et artisans forgerons, dinandiers, dans ce quartier de bruit par excellence, actif dans la fumée des forges et le martèlement incessant. Plus loin, certaines ruelles qu'occupent un vide inquiétant, ne laissent filtrer qu'un soupçon de jour et de soleil par les treillis que soutenaient de faméliques étais.
J'ai toujours aimé ces allées commerçantes, bruyantes et animées, proches de ce que j'imaginais être l'activité des marchés du Moyen Age. En 1953, Elias Canetti en faisait la description suivante : « Les souks sentent les épices, il y fait frais et ils ruissellent de couleurs. L'odeur, qui est toujours agréable, change toutefois suivant la nature des marchandises. Il n'y a pas de noms, pas d'enseignes, il n'y a pas de vitrines. Tout ce qui est à vendre est exposé. On ne sait jamais ce que coûteront les objets, leurs prix ne sont pas indiqués et ne sont d'ailleurs pas établis. » « Tous les étalages et les échoppes où se vendent les mêmes articles, se pressent les uns à côté des autres par vingt ou trente à la fois. Ici c'est un bazar d'épices, là il n'y a que de la maroquinerie. Les cordiers ont leur quartier, les vanniers en ont un autre. Parmi les marchands de tapis, beaucoup disposent de grandes salles voûtées et spacieuses. Vous passez devant sans y prendre vraiment garde et on vous invite avec insistance à y pénétrer. Les joailliers sont rangés autour d'une cour spéciale. Dans beaucoup de leurs étroites boutiques on voit des hommes au travail. On trouve de tout, mais toujours à d'innombrables exemplaires. » Les voix de Marrakech, résonnent encore. Rien n'y a encore changé, hormis peut-être la boutique d'Hassan, qui, succédant à son père en 1949, avait agrandi le magasin dès l'indépendance en 1956, puis vendu son commerce en 1980 à un négociant de Casablanca qui le lui avait rétrocéder pour une poignée de dattes avant de disparaître à la suite d'une sombre histoire de femme. Depuis, mis à part un ou deux coups de pinceaux, rien n'avait bougé. Le souk des potiers mit un terme à notre harassante déambulation. Un bruissant tintamarre parvenait jusqu'à nous. On a suivi le flot de la foule qui nous entraînait vers le forum de la place Jemaa-el-Fna. A cette heure, la terrasse du Café de France avec vue imprenable sur ce spectacle nocturne, n'avait plus une table de disponible.On s'est fondu dans ce joyeux brouhaha aux parfums de merguez et d'épices, noyés dans le nuage bleuté de la fumée des braseros afin de nous désaltérer d’un jus d’oranges.

samedi 11 avril 2009

Big brother parisien

Bertrand Delanoë et Christophe Caresche, mairie de Paris ont succombé aux sirènes de la vidéosurveillance. Cette forme de surenchère avec le gouvernement pour s’acheter une moralité sécuritaire, laisse totalement de côté la question de son inefficacité et minimise les atteintes aux libertés."Delanoë s’est converti à la vidéosurveillance". On ne saurait mieux résumer cette réalité, qui a pris encore plus d’ampleur en 2008, que cet article du Figaro. Avant d’afficher son revirement, Delanoë avait été "invité" par Rachida Dati à prendre "ses responsabilités".« L’anecdote illustre l’évolution de la Mairie de Paris sur le sujet. Opposant aux caméras de vidéosurveillance dans les espaces publics, aux Halles en particulier, l’ancien élu socialiste du premier arrondissement de Paris, Alain Le Garrec, est aujourd’hui conseiller technique auprès du directeur de la prévention et de la protection. Cette direction de la Ville de Paris est chargée, entre autres missions, « de la politique de sécurité, de tranquillité publique à Paris et de lutte contre les incivilités ». Un secteur au cœur duquel se trouvent ces caméras que Delanoë regarde d’un œil clément depuis sa deuxième campagne. Dans son projet présenté avant les municipales de 2008, le maire disait ainsi être favorable « au développement de la vidéosurveillance ». Il habillait cette évolution d’une volonté d’agir « dans le respect strict des libertés individuelles », signalant la participation de la Ville de Paris au « plan des 1.000 caméras » de la Préfecture de police. Il sait que la majorité des parisiens y sont aussi favorables. »Ce plan de "vidéoprotection", terme consacré, consiste en gros : à passer de 330 caméras sur la voie publique à plus de 1200. dans tout Paris, mais surtout dans certains quartiers : 18e, 19e arrondissement, près des gares et dans le 7e ; partenariat public-privé : la mairie de Paris financera des travaux de voirie pour faciliter le câblage du réseau ; la préfecture de police assurera la maîtrise d’ouvrage ; l’État versera un loyer de 6 millions d’euros par an aux sociétés attributaires des marchés vidéo. À charge pour elles de fournir et d’entretenir le matériel. budget estimé entre 44 et 50 millions d’euros (soit environ 30.000 euros par caméra, plus 10% pour la maintenance), selon la Préfecture de police.Résultat de cette guerre sainte de la "vidéotranquillité" : extrait du nouveau "contrat parisien de sécurité", signé à l’Hôtel de Ville début mars par le maire de Paris, le préfet de police, le procureur de la République et le recteur d’académie. Son point n° 4 : « Les bandes dans le collimateur. Le procureur de la République qui a réalisé une étude sur les bandes parisiennes et de banlieue qui utilisent la capitale comme terrain d’affrontement a annoncé un renforcement de la réponse pénale apporté à ce phénomène. Coté répression, la lutte contre les bandes passera par un maintien d’une présence policière forte sur la voie publique. La mise en place progressive du plan 1 000 caméras devrait nous permettre de mieux adapter nos effectifs aux besoins du terrain ».Au moment où éclatait la polémique sur le temps qu’il a fallu au camp Delanoë pour se convertir, Christophe Caresche, le poisson pilote du maire sur ces questions de sécurité, avançait en substance que si "le plan a pris du retard, c’est de la faute à la Préfecture de police".Un an plus tôt, le même Caresche était déjà convaincu qu’il fallait mettre le paquet :"Le projet, soumis à la ville de Paris voici deux ans par la préfecture de police, était resté lettre morte, en raison de problèmes de financement. (...) « Nous ne sommes pas opposés sur le principe au développement de la vidéosurveillance, notamment si elle sert aussi à des missions de police municipale, comme la régulation de la circulation », répète Christophe Caresche, adjoint au maire (PS) chargé de la sécurité, qui estime que, « comparé à Londres, le plan de la préfecture apparaît un peu dérisoire ». (...) Car, contrairement à ce qui se passe à Londres, la police est systématiquement obligée de se lancer dans de trop longues procédures pour obtenir les images filmées. »Rappelons que Christophe Caresche, avec Jospin premier ministre, a dirigé une « mission d’étude » pour la création d’un « observatoire national de la délinquance urbaine », en compagnie d’un illustre représentant de l’opposition de droite : Robert Pandraud, sous-ministre à la sécurité de Pasqua à l’époque des manifs de décembre 86. Ainsi est né l’OND, dont le président n’est autre qu’Alain Bauer, parmi ses nombreuses casquettes (cf dossier "Groupe de contrôle des fichiers de police", Ensemble de son oeuvre). Caresche député a évidemment voté la « loi sur la sécurité quotidienne » de 2001, tout en étant, comme 221 de ses congénères députés du PS (qui ont également voté sans broncher ladite loi), encarté à Attac.
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