LA CRITIQUE
J'ai un press-book d'un volume impressionnant. La plupart des papiers sont globalement bons, quoique bourrés de redites, de redondances inévitables. Les seules vraies mauvaises - très méchantes - critiques sont liées à mes passages à Paris. Lors de mon premier spectacle dans la capitale, au théâtre de la Renaissance, les critiques parisiens sont d'une telle unanimité dans l'aigreur et l'hostilité, que je fais agrandir, au format poster, les coupures de journaux, pour les afficher dans le hall d'entrée. J'invite les gens à écrire ce qu'ils en pensent sur un mur de papier. On rigole bien, à notre tour, en lisant leurs réactions. On s'amuse comme on peut. Claude Fléouter, après deux papiers méchants dans Le Monde, finit par pondre un dithyrambe délirant sur moi. Explication : mon producteur de l'époque est devenu le sien, pour une série d'albums de musiques ethniques... Grande leçon de déontologie.
SUR LA CHANSON EN GENERAL
Les débats du genre : la chanson est-elle un genre majeur ou mineur me gonflent. Les propos de Gainsbourg sur la chanson, art mineur me font sourire. C'est un des rares sujets, à ma connaissance, abordés par Gainsbourg - un des plus grands faiseurs de chansons du siècle - où il est pris en flagrant délit d'imbécillité. L'imbécillité n'étant pas son fort on peut imaginer une provocation de plus...La chanson, la bonne, l'efficace, est un genre qui impose concision, synthèse, clarté. Texte et musique sont indissociables. Car, à la différence de la poésie, une chanson ne se lit pas : elle s'écoute. On peut aussi dire la poésie mais elle devient chanson...Pour moi une chanson est efficace quand elle est bonne. Une chanson efficace est du domaine de la magie. La fabriquer tient de l'alchimie, du miracle et... de beaucoup de travail. Elle peut naître en cinq minutes ou en deux ans. Le temps ne fait rien à l'affaire. Ou à la faire. Elle existe depuis toujours et reste la seule expression authentiquement populaire. Elle accompagne tout et partout. Elle rit, elle pleure, elle dénonce, elle gueule. Qu'elle ait été, depuis quatre-vingts ans, honteusement kidnappée et prostituée par des marchands de soupe, qui en ont fait un objet de profit, est UN GRAND MALHEUR. Mais elle survit, et survivra, CAR ELLE EST EN NOUS. Comme LA VOIX et LES MOTS sont en nous. Elle survivra, malgré l'impérialisme américain qui sévit AUSSI dans le domaine de la chanson, servilement relayé, depuis quarante ans, par les décideurs médiatiques, qui ont fait du public un consommateur parfaitement conditionné. Parfaitement conditionné à acheter des disques - écouter des oeuvres - assister à des spectacles - OU L'ON PARLE UNE LANGUE QUI N'EST PAS LA NOTRE.La gravité de la déculturation est phénoménale. En fait, le public n'écoute plus une chanson, mais une oeuvre où les mots d'une langue qui lui est étrangère, sont perçus comme élément musical. On peut estimer à un pour mille le pourcentage d'auditeurs français comprenant les paroles des chansons anglo-saxonnes... (Les paroles des chansons US sont souvent d'une nullité, d'une mièvrerie, d'un infantilisme qui dépassent les limites. C'est heureux, alors, que les gens ne les comprennent pas!)
Peut-être faut-il - pour la majorité - qu'une chanson ne dise plus rien, qu'elle soit insignifiante, qu'elle ne vous renvoie surtout pas l'image de la réalité, ou une poésie trop violente. Peut-être... Peut-être... que toute chose glisse vers le bas, se pervertit, s'appauvrit, dégénère. Je ne sais. Mais bon, je l'avoue, j'ai quand même de l'admiration - voire de la tendresse - pour certains chanteurs américains : Joe Hill, Woodie Guthrie, Pete Seeger - évidemment - mais aussi : Tom Waits, Lou Reed, Neil Young, Ry Cooder, Randy Newman, Léonard Cohen qui sont des auteurs, pour le moins, signifiants. Après cette envolée lyrico-colérique - dont je m'excuse - je dirai que mes contemporains en showbiz font de très belles chansons : Jonasz, Souchon, Voulzy, Leforestier, Charlebois, Vigneault, Higelin, Guidoni, Jean-Claude Vannier ont produit des chef-d'œuvres. Sans parler des monuments qu'on ne cite plus : Brassens, Brel, Ferré. Des chef-d'œuvres d'autant plus admirables qu'ils ont su franchir les fourches caudines des médias, sans démériter. Car là est le problème : comment faire de belles, efficaces et signifiantes chansons et passer dans les médias?
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