jeudi 25 mars 2021

Bertrand Tavernier


Par Véronique Cahaupé, Le Monde.

    On ne peut pas être de Lyon et ne pas aimer la bonne chère, celle qui se dévore avec un appétit d’ogre et une convivialité de troupe. Le cinéaste multicésarisé Bertrand Tavernier, qui y était né le 25 avril 1941, n’a pas trahi, faisant honneur à cette nourriture qu’il a engloutie, comme il a bouffé la vie et les films. Fidèle à sa ville – où il tourna son premier long-métrage L’Horloger de Saint-Paul (1974) et où il présida l’Institut Lumière –, aux origines, à la culture héritée des anciens, aux amis, il était peut-être arrivé à satiété, comme on se plaît à le croire. A bout de souffle.



    Ce souffle dont la tuberculose le déposséda, dès son plus jeune âge, envoyant le gamin au sanatorium, et sur lequel il n’eut de cesse de prendre sa revanche. Peu enclin à la tiédeur, Bertrand Tavernier n’était pas homme d’engouements et d’énervements mais de passions et d’emportements. Lesquels firent entendre sa voix quand il s’est agi de dénoncer la torture pendant la guerre d’Algérie, de défendre la légalisation des sans-papiers, de combattre le Front national et le mauvais sort réservé aux banlieues. Militant aussi pour l’exception culturelle française, la lutte pour le respect du droit des auteurs. La grande gueule – et signature – du cinéma français est mort jeudi 25 mars à l’âge de 79 ans, a annoncé l'Institut Lumière à Lyon, dont il était le président.

    L’engagement, une affaire de famille. Plus précisément un héritage venu du père, René Tavernier, écrivain et critique littéraire qui fit acte de résistance en fondant la revue Confluences dans laquelle il publia, sous l’Occupation, Paul Eluard et Louis Aragon. Ce dernier trouva, avec Elsa Triolet, un abri dans la villa des Tavernier, à Lyon.


    C’est pour Geneviève, la mère de Bertrand, qu’il aurait écrit son poème Il n’y a pas d’amour heureux. Bertrand, premier enfant du couple, né dans le confort bourgeois et le fracas des bombardements, dans l’ombre d’un père gaulliste avec lequel il faudra rompre, un jour ou l’autre. Ce qu’il fera. « Mon père a dilapidé son talent. J’ai fait beaucoup de choses pour me différencier de lui : je travaille énormément, je n’aime pas les dîners en ville », a-t-il confié en mars 1999 à Libération.

    Bertrand Tavernier choisira donc le cinéma – « une manière inconsciente de me séparer de mon père et d’avoir mon propre domaine » – et sera toute sa vie viscéralement de gauche. Prompt à désobéir et à se mettre en colère. Quitte à la diriger contre les socialistes dont il juge la politique trop frileuse.

    Une mauvaise gestion du père, justement, fait péricliter la revue Confluences et oblige la famille à abandonner Lyon pour Paris où le petit Tavernier est envoyé en pension à l’école Saint-Martin-de-France à Pontoise que dirige la congrégation des Oratoriens. De ces années, Tavernier gardera le souvenir du « sadisme des profs de gym » et de l’humiliation. Peu sportif, l’enfant trouve refuge dans les livres dont il fait un usage immodéré. Son tempérament est ainsi fait qu’il n’est jamais amateur mais fou de… littérature, et plus tard, de jazz, de blues et de cinéma.


    Tavernier réfute les chapelles et revendique son admiration pour le classicisme, la qualité française, héritière des Renoir, Duvivier, Autant-Lara

    Le septième art, l’autre grande affaire de sa vie l’occupe très jeune. Etudiant à Paris, au lycée Henri IV puis à la Sorbonne, il fréquente la cinémathèque au sein de laquelle il fonde, avec le futur programmateur et conservateur Bernard Martinand et le poète Yves Martin, le ciné-club Nickelodéon. Lieu où les trois amis entendent réhabiliter le cinéma américain des années 1940 et 1950 qui ne passait plus dans les salles.

    Du cinéma, Bertrand Tavernier aime tout. Polar, science-fiction, western, comédie musicale, petits et grands films. Il réfute les chapelles et revendique son admiration pour le classicisme, la qualité française, héritière des Renoir, Duvivier, Autant-Lara. Il n’est pas de la lutte des cinéastes de la Nouvelle Vague (Truffaut, Godard, Rivette, Rohmer…) qui ont à régler leurs comptes avec ceux de la génération précédente. Lui est de ceux qui prennent le cinéma dans son ensemble. Il relève, par-delà les défauts, les mérites que chaque film comporte, quel que soit le genre auquel il appartient et la forme qu’il revêt.

    Cet enthousiasme qui le porte à une curiosité sans borne, il le transmet en écrivant dans de nombreuses revues spécialisées (le journal étudiant L’Etrave, Les Lettres françaises, les Cahiers du cinéma, Positif) puis comme attaché de presse pour le producteur français Georges de Beauregard grâce à qui Bertrand Tavernier réalise deux sketches pour Les Baisers en 1963 et La Chance et l’amour en 1964.

    Dix années passent pendant lesquelles il promeut inlassablement les films oubliés ou boudés par la critique et écrit des scénarios pour les cinéastes Riccardo Freda et Jean Leduc, avant de parvenir à tourner son premier long-métrage en 1974, L’Horloger de Saint-Paul. Pour coécrire à ses côtés le scénario de l’adaptation du roman de Georges Simenon, L’Horloger d’Everton, il fait appel à Jean Aurenche et Pierre Bost, ceux-là mêmes que François Truffaut avait violemment montrés du doigt dans son article de janvier 1954, « Une certaine tendance du cinéma français ».

    Le roman situe l’intrigue aux Etats-Unis, le film la transporte à Lyon, ville à la réputation bourgeoise et fermée de laquelle Tavernier souhaite rendre une autre image, tout aussi vraie. Celle des bouchons où l’on célèbre le pied de cochon, la charcuterie et le beaujolais, celle des « appartements aux plafonds très hauts, des cours où l’on entend des enfants faire des gammes ». Cette atmosphère, en somme, si chère à Simenon comme elle le fut à Claude Chabrol, lui-même bon mangeur et grand admirateur de l’écrivain. 



L’Horloger de Saint-Paul, c’est aussi l’incompréhension puis la rencontre entre un père (Philippe Noiret qui sera longtemps l’« acteur autobiographique » de Tavernier) et son fils (Sylvain Rougerie) accusé du meurtre d’un homme. Moins que l’enquête, le rapport filial (distendu avant la réconciliation) est le vrai sujet du film. Le thème traversera bien d’autres films du cinéaste (Un dimanche à la campagne, 1984 ; Daddy nostalgie, 1990 ; La Princesse de Montpensier, 2010, entre autres), comme un ouvrage sans cesse remis sur l’établi pour l’affiner, le corriger, le réparer de ses imperfections, le comprendre.


Bertrand Tavernier est un terrien pétri de culture qui observe, saisit ce qui l’entoure, écoute les préoccupations de ses contemporains et revisite le passé pour appréhender le présent

Car Bertrand Tavernier est un artisan qui aime le travail bien fait au point de se voir parfois reprocher son académisme. Un terrien pétri de culture qui observe, saisit ce qui l’entoure, écoute les préoccupations de ses contemporains et revisite le passé pour appréhender le présent. Il en fait la matière de ses films, à mesure que surgissent ses indignations. Ainsi qu’en témoigne Des enfants gâtés (1977), où un réalisateur (Michel Piccoli) rejoint les voisins de son immeuble dans leur lutte contre les méthodes abusives du propriétaire, ou encore Ça commence aujourd’hui (1999), plongée dans la misère sociale à travers le quotidien d’un directeur d’école maternelle, dans le nord de la France.

Il s’émeut aussi, de façon saisissante et prémonitoire, des dérives du voyeurisme qu’encourage la télévision dans La Mort en direct (1980) avec Romy Schneider. Et n’en finit pas d’interroger la violence, sujet qui le fascine et fournit ses films les plus sombres. Parmi eux : L.627 sorti en 1992, chronique très documentée sur une petite brigade de policiers spécialisée dans la lutte contre la drogue que le manque de moyens matériels conduit au délabrement moral et social. Et L’Appât (1995), portrait de trois jeunes gens piégés par le goût du paraître, prisonniers de l’illusion de l’argent facile, et que leur inculture et un manque de repères conduisent à commettre deux crimes sordides.

 
Bertrand Tavernier pratique le cinéma comme il l’a découvert et défendu. Avec voracité – il tourne pratiquement un film par an – et éclectisme, se promenant avec plus ou moins de réussite d’un genre à l’autre. Polars et films en costume (Que la fête commence, 1975 ; Le Juge et l’Assassin, 1976 ; La Vie et rien d’autre, 1989 ; Capitaine Conan, 1996 ; Laissez-passer, 2002 ; La Princesse de Montpensier, 2010) nourrissent largement son œuvre.

Mais pas seulement. Avec Coup de torchon (1981), fable tragique sur une humanité pataugeant dans tous les vices, le cinéaste s’autorise une violente satire du colonialisme et du racisme. Avec Autour de minuit (1986), il signe son film musical et son hommage au jazz, et s’accorde avec La Passion Béatrice (1987) une fresque médiévale. Il fait enfin, en 2009, sa première et unique expérience américaine, s’autorisant un détour vers le western en adaptant le roman de James Lee Burke Dans la brume électrique avec les morts confédérés avec Tommy Lee Jones en vedette.

Son amour du cinéma s’est aussi traduit dans plusieurs ouvrages. Notamment un livre monumental de mille pages Amis américains (Institut Lumière-Actes Sud, 2008) qui réunit les entretiens réalisés sur un demi-siècle par Bertrand Tavernier avec les grands d’Hollywood (John Huston, Elia Kazan, Robert Altman…) ; et un recueil de souvenirs regroupés par Noël Simsolo dans Le Cinéma dans le sang (Ecriture, 2001). Dans le même souci de partage, il réalise à l’âge de 75 ans Voyage à travers le cinéma français (2016), un documentaire de plus de trois heures dans lequel le réalisateur revient sur sa vie à travers les nombreux films qu’il affectionne.

Le documentaire approfondit sa pensée, prolonge ses engagements, dénonce autant qu’il éclaire ce qui le fâche. Le format apporte un cadre idéal à ses protestations. Il l’adopte pour revenir sur la guerre d’Algérie et signe avec Patrick Rotman La Guerre sans nom, où ceux qui se sont toujours tus témoignent. Il l’utilise, en 2001 pour affirmer son soutien à ceux qu’on appelle les « double peine » (parce que condamnés à la prison avant d’être expulsés vers leur pays) : Histoires de vies brisées, coréalisé avec son fils Nils Tavernier.

Père aussi d’une fille, la romancière Tiffany Tavernier, le cinéaste est toujours demeuré discret sur sa vie privée. Ce grand bavard timide qui détestait se regarder, s’analyser et parler de lui-même, préférait diriger son attention – et celle des autres – vers ces humains que la souffrance n’avait pas épargnés, ces inconnus dont les secrets, en ne cessant jamais de l’intriguer, ont abreuvé ses films.

Filmographie :


dimanche 21 mars 2021

1970 et les autres (21 ) Stax

 


 

   Otis Redding, Eddie Floyd, John Lee Hooker, Booker T & the MG'S, Albert King, Isaac Haye, Rufus et Carla Thomas … voici énumérés très sommairement une partie des fabuleux artistes qui composaient le catalogue du mythique label Stax.

  Un label qui à enchanté mes oreilles dès mes seize ans et m'a accompagné lors de ma vie à bord de l'E.V. Henry.

    De notre point de jonction avec l'hélicoptère français (voir le billet précédent) nous reprîmes notre route en direction du canal de Panama en effectuant un crochet par Clipperton, un confetti perdu dans le Pacifique. A notre arrivée, seuls les oiseaux, de plus en plus nombreux dans le ciel, annoncaient une terre imminente. Depuis le pont, à quelques encablures du rivage, le territoire semblait se résumer à quelques cocotiers épars surgissant de l’océan comme un lac, posé au milieu de l’océan. Un lagon fermé, d’un diamètre de trois à quatre kilomètres, entièrement ceinturé d’un mince cordon de sable et de coraux morts. Autour, l’océan, le Pacifique, sans fin : la terre la plus proche se trouve à 950 kilomètres plus au nord. Clipperton est l’atoll le plus isolé de la planète. Un atoll de France découvert par le flibustier, pirate anglais John Clipperton en 1704. Intéressée par sa position stratégique dans le Pacifique face à l'isthme de Panama dans la perspective d'un percement futur, Victor Édouard Le Coat de Kerveguen en prit possession au nom de la France,en date du 17 novembre 1858. Mais de 1895 à 1931 les États-Unis, le Mexique et la France se disputent sa possession. 

 


 

    En 1944, les États-Unis occupent l'île d'autorité. Ils ouvrent une passe dans la couronne (qu'ils refermeront en partant) et nivellent une piste d'aviation qui pourrait aisément être remise en service. À la suite d'une protestation de la France qui vient tout juste d'être libérée, les États-Unis rétrocèdent le territoire à la France le 21 mars 1945. Le Mexique reconnaît définitivement la souveraineté française sur l'île en 1959 alors que j'avais six ans et que personne ne s'en souciait. Douze ans plus tard je découvrais depuis le bord ce « cailloux » colonisé par les oiseaux et les crabes rouges. Juste le temps de remplacer nos couleurs afin q'elles flottent aux quatre vents devant un parterre de crabes et d'oiseaux au garde à vous et nous avons filé vers le canal de Panama. Plusieurs jours de mer à regarder l'horizon sans être gêné par les voisins. 

 


    Dès que j'avais un moment, je me collais dans ma bannette close par un paréo et revenait à Stax, un label “maison” né en 1957, dans le Tennessee, uniquement consacré à la musique noire qui, pendant longtemps était considérée comme une musique " ethnique ", à l'intention des blancs et, joignant l'acte à la parole, engagèrent des musiciens blancs afin de montrer que la cohabitation était possible. En quelques années Stax devint un laboratoire qui connut un véritable succès auprès du public visé et une kyrielle d'artistes durent leur notoriété au son caractéristique de Stax. D'ailleurs toutes les émissions TV de l'époque les montrent tous jouant et chantant devant un public exclusivement blanc; mais le désenchantement vint rapidement après le succès. Si sur scène les blancs jouaient bien avec des blacks, ces derniers ne mirent pas très longtemps à comprendre que s'ils étaient payés normalement, les blancs touchaient en plus un intéressement calculé sur les résultats de la maison, ambiance…

    Les années 1967/1968 aux USA sont le point culminant de la campagne pour l'égalité des droits civiques pour les noirs. Martin Luther King se fait assassiné à Memphis et quelques mois plus tard c'est le sénateur Robert Kennedy qui, lui aussi tombe sous les balles d'un illuminé conservateur. Les Black Panthers, Malcom X ainsi qu'une multitude de mouvements radicaux font leur apparition et dont le " black is beautiful ".

    Les dirigeants de Stax firent preuve de pragmatisme (pour eux c'est une question de survie), ils firent appel à un sombre compositeur qui travaillait dans son coin et qui écrivait ou co-écrivait des hits et qui avait une voix bien particulière : Isaac Hayes.

    La reconversion fut un succès, la notoriété de Stax devint phénoménale. Désormais, Stax s'impliquera dans la vie de la communauté noire et le point d'orgue sera le film Wattstax, gigantesque concert donné par les artistes de la firme à la suite des émeutes qui éclatèrent au début des 70's dans le "ghetto.be Watts" à Los Angeles.

    Mais je déblatère et nous voilà déjà en vue de Colon, avant le passage du canal. L'escale fut si brève que de Colon je ne dirais rien hormis ma stupéfaction dans un de ses supermarchés du sexe, immense bâtiment très haut de plafond équipé d'un bar gigantesque et de dizaines de tables à l'usage des consommateurs. Le long de l'ensemble de ses parois des coursives étagées et des dizaines de portes semblables aux cabines de douches d'une piscine. Au dessus du bar, un immense tableau noir où s'alignait les prénoms des filles suivis de croix dont je n'ai pas cherché à savoir s'il s'agissait des réservations ou des prestations déjà réalisées. Mais quelle activité. Une foule semblable à celle des grandes surfaces un jour de soldes le samedi. Les escaliers ne désemplissaient pas. Les chambres non plus. Un vrai bordel. Nounours, tellement en manque, pliait ses billets pour un nombre incalculable de passes. Il n'était pas le seul. La mer leur avait pesé.. Le vent du large n'avait pas suffi à les détendre. Nounours est monté trois fois. Plus tard il à payé des coups à défaut de les tirer. La Prudence étant mère de la sureté, après avoir recueilli de multiples témoignages, je me suis contenté de boire avec les copains. De toutes façons j'aurais pu dire n'importe quoi, personne n'en aurait rien su tant la foule et le trafic était denses.

    L'infirmerie ne désempli pas les jours suivants. Le médecin du bord et l'infirmier eurent bien du travail. Et dans le poste équipage, pour certains, les soirées à s'ausculter les verges. De quoi s'isoler pour écouter de la musique que ce festival de maladies vénériennes. 

 

 

lundi 8 mars 2021

1970 et les autres (20 )The Velvet Underground


    Je ne m'étendrai pas sur Tahiti qui ne m'a guère laissé un souvenir impérissable. 

    Un bref passage aux Marquises pour y admirer des paysages magnifiques et goûter des mets fabuleux comme du barracuda mariné dans du jus de citron et du lait de coco avant de filer vers la métropole. Ce n'est pas que mon affectation prenait fin. Elle avait été prolongée d'office de plusieurs mois comme le reste de l'équipage pour rejoindre Lorient, lorsque l'EV Henry fut désigné à son tour pour effectuer un carénage, série d'opérations de révision périodique, particulièrement de la coque, avec un passage en cale sèche pour plusieurs mois. 

    De Djibouti, Diego et l'Océan Indien, le transfert vers Tahiti et le Pacifique voici que nous devions achever la boucle d'un tour du globe inattendu. 

 


    Sise à peu près à 1255 miles marin de Tahiti, soit 2325 kilomètres, nous fîmes une courte escale sur l'île de Pitcairn, rendue célèbre par l'installation sur cette îles des rescapés de la mutinerie du Bounty.

 « Une partie des marins, menés par le second Fletcher Christian, se mutina le 28 avril 1789. Après avoir abandonné en mer le capitaine Bligh et 18 hommes qui lui étaient fidèles, les mutinés décidèrent d'abord de s'installer sur l'île de Tubuai, ce fut un échec. Le Bounty, commandé par Fletcher Christian, retourna alors s'approvisionner à Tahiti. Quelques hommes sont débarqués et l'équipage, réduit à huit marins, est rejoint par 18 Polynésiens, dont 12 femmes et quelques enfants.

Les mutins, recherchés par la Royal Navy, mettent alors le cap sur l'île de Pitcairn où ils arrivent en janvier 1790. Le navire est alors démembré et brûlé dans la baie de Bounty Bay pour éviter toute tentative de retour. Encore aujourd'hui, les insulaires célèbrent chaque année cet acte symbolique en incendiant une effigie du bateau.

L'installation sur l'île provoque des tensions, les marins ayant tendance à considérer les Polynésiens comme leurs serviteurs. En 1794, les Polynésiens se soulevèrent et plusieurs Anglais, dont Fletcher Christian furent assassinés. Les veuves des marins tués se révoltèrent alors et exécutèrent les survivants. Finalement, il ne restera plus qu'un seul Anglais, John Adams, qui régna sur une famille composée d'une dizaine de femmes et d'une vingtaine d'enfants. »

    Comme beaucoup de mes camarades nous avions vu les versions cinématographiques des « révoltés du Bounty », film de Frank Lloyd avec Clark Gable et Charles Laughton de 1936 et celui de Lewis Milestone et Carol Reed avec Marlon Brando et Trevor Howard datant de 1962. Pour ma part j'avais dévoré à 14 ans un été à la Baule le livre « Les Révoltés du Bounty » de James Norman Hall et charles Nordhoff. Et voici que quatre ans plus tard j'avais sous les yeux cette île qui m'avait tant fait rêver.

 


 

    L’île comptait environs une cinquantaine d’habitants, dont une quarantaine d’autochtones, un pasteur, un instituteur et une infirmière. C’est une dépendance britannique, la seule du Pacifique, administrée depuis le consulat britannique à Auckland en Nouvelle-Zélande. Et mis à part les rares visites de voiliers, le seul contact de l’île avec le reste du monde est le ravitaillement trimestriel par cargo. 

 

                 Adamstown

 

    Le mouillage à Bounty Bay, devant Adamstown, sur la côte NE de l’île, n’est abrité que des vents de secteur Sud à Ouest et ouvert à tout les autres et notamment au vent dominant de secteur Est, le clapot rend vite le mouillage pénible sinon impossible à moins de vents faibles et d’une houle inférieure à deux mètres. Pour rejoindre la terre nous dûmes emprunter les gros canots des habitants afin de franchir avec la houle les bancs de coraux. Les canots dirigés avec dextérité nous gagnâmes la rive sans encombre mais un peu palots tout de même je dois bien l'admettre. 

 


 

    La visite de l'île fut alors une merveille. Guidé par un jeune néozélandais en vacances dans sa famille, je découvrais les sites remarquables de cette île volcanique bien difficile d'accès. A la fin de journée, j'achetais un canne à tête de kiwi confectionnée par mon guide, seul souvenir matériel que je possède encore. 

 


 

    A contre cœur nous reprîmes la mer dès le lendemain, avec miel, timbres et autres acquisitions sommaires. 

 

 


 

    Cependant nous dûmes faire rapidement demi tour car un accident grave venait de se produire sur l'ile. Les conditions météorologiques étaient épouvantables. Impossible de mouiller à Bounty baie. Down Rope, au SE de l’île restait une option plus favorable. Une équipe médicale composée de notre médecin et de l'infirmier fut débarqué. De quart ce jour là je fus désigné comme radio pour les accompagner et rester en liaison permanente avec le bord. Armé de l'émetteur radio et d'un brancard sous le bras, de Down Rope jusqu'à Adamston la route forestière se fit en croupe sur des mobylettes sous une pluie battante et dans la boue.

    La population nous attendait sous la pluie avec l'infirmière de l'île à la rigidité toute britannique. Je fus stupéfait de constater que le blessé était le jeune néozélandais qui m'avais fait visiter l'île. La chair d'une de ses cuisses manquait et le médecin diagnostiqua que ses reins étaient écrasés. Lors d'un retour en mer, une déferlante avait retourné un canot et s'était fracassé sur les rochers.

    Notre équipe médicale prodigua alors les seuls soins que nous pouvions lui apporter. Mais son état était critique et le médecin ordonna alors son évacuation immédiate vers un hôpital. Hélas aucun hélicoptère ne possédait une autonomie suffisante pour effectuer une aller et retour de Auckland à Pitcairn. En accord entre les autorités Néozélandaises et la France il fut décidé de prendre à notre bord dès le lendemain le blessé afin de gagner des miles précieux et urgents jusqu'à ce qu'un hélicoptère puisse l'hélitreuiller et repartir d'urgence.

    La nuit tombée, nos  hôtes nous hébergèrent. J'ai été accueilli dans une famille qui vivait de façon rustique rudimentaire. Mon anglais était nul. Je pus savoir que la dame de maison s'appelait Olive. Lorsque je lui dévoilait mon prénom Christian elle sourit et me dit que son nom de famille était Christian. Olive Christian, avant que je réalise que j'avais sous les yeux une des descendantes de Fletcher Christian, le second de la Bounty à l'initiative de la mutinerie.

Je passais une nuit étrange entre rêve et réalité, tandis que la mer rugissait à l'extérieur et que la pluie battait le carreau.

    Le lendemain la météo fut plus favorable. La pluie avait cessé. L'EV Henry vint alors mouiller à Bounty Baie et le transfert du blessé put s'opérer avec beaucoup de prudence et bien des difficultés.

    Nous reprîmes la mer à PMP (puissance maximum possible). Je ne souviens pas du temps de la jonction avec l'hélicoptère mais chacun de nous visitait notre blessé sous morphine le couvrant de petits souvenirs et d'encouragements.

    L'hélitreuillage avec un hélico de la marine française s'effectua sans problème et nous le vîmes s'éloigner vers Tahiti.

    La vie reprit son cours. Ce fut quelques semaines plus tard que nous apprîmes par le commandant que le blessé était tiré d'affaire. Le gouvernement néozélandais et sa famille remerciaient le gouvernement français et l'équipage de l'EV Henry de leur intervention. Chacun de nous étaient fiers d'avoir sauvé la vie de ce jeune néozélandais inconnu dont le souvenir m'habite encore.



    Je l'admets. De retour à mes habitudes après bien des émotions, je ne me suis pas mis à écouter de la musique polynésienne, mais un simple retour paisible à mes sources fondamentales comme le fut le Velvet Underground et plus tard Lou Reed.


mardi 2 mars 2021

1970 et les autres (19 ) Issac Hayes, Shaft

 

 


      Nombreux sont ceux qui rêvent de la Polynésie composée de cinq archipels regroupant 118 îles dont 76 habitées : l'archipel de la Société avec les îles du Vent et les îles Sous-le-Vent, l'archipel des Tuamotu, l'archipel des Gambier, l'archipel des Australes et les îles Marquises. Tahiti est une des îles de l'archipel de la société. Certes je n'y allais pas y faire du tourisme même si j'y suis resté basé plusieurs mois. Actuellement un voyage pour cinq nuits y tourne aux alentours de 1800 euros sans compter tous les à côtés. Moi, je n'ai rien payé et ne le regrette pas même si évoquer Tahiti fait rêver. Cette part de rêve est à mes yeux bien onéreuse pour ce qu'on y trouve. A moins de disposer de moyens pour pratiquer la voile et filer d'île en île jusqu'aux Marquises.

    A mes yeux Papeete reste une ville balnéaire comme tant d'autres avec son lot de bars, de restaurants, de boutiques, de touristes débarqués pour la journée afin d'y faire des achats.

    Une autre légende concerne les tahitiennes, beautés idéales largement posterisées. Sans être disgracieuses, en réalité elles restent fidèles aux toiles de Paul Gauguin. 

 

    Nous profitions lors de nos instants de loisirs pour admirer les fonds marins avec masque et tuba. Des plages enchanteresses sous les cocotiers. Et des bars et restaurants que nous sillonnions de long en large chaque soir.     Un bar dont le nom m'échappe avait un spectacle de pole dance qui nous attirait pour les formes lascives et nues qui s'offraient sous les sunlights plutôt que la chorégraphie. Nous avions tous en tête le film de Gordon Parks « les nuits rouges de Harlem » et sa musique qui accompagnait le spectacle de pole dance tandis que nous sirotions au bar. Je découvrais Issac Hayes qui m'a accompagné chaque soir lors des expériences nucléaires.

    Car le principal de notre activité fut l'encadrement des essais nucléaires français dans l’atoll de Moruroa de juin à juillet 1972.

    La seconde Force Alfa comprend le porte-avions Clemenceau et les avisos-escorteurs Commandant Rivière, Protet, Amiral Charner, Doudart de Lagrée et Enseigne de vaisseau Henry. Et un groupe aérien, composé de douze Alizé de la flottille 9F, de six Étendard IV-M et quatre Étendard IV-P de la 17F et de 10 hélicoptères.

    Les avisos encadraient le quadrilatère des opérations afin d'empêcher toute intrusion. Nous sommes restés en mer plus d'un mois, opérant d'un point A à un point B aller et retour en effectuant des lâchés de ballons sondes météorologique. Rien de bien palpitant si ce n'est les ravitaillements en carburant.. Dans les postes équipages, la vie à bord était plutôt paisible et routinière. Jeux de cartes, de dés, courrier et musique dont nous ne privions pas.