lundi 8 mars 2021

1970 et les autres (20 )The Velvet Underground


    Je ne m'étendrai pas sur Tahiti qui ne m'a guère laissé un souvenir impérissable. 

    Un bref passage aux Marquises pour y admirer des paysages magnifiques et goûter des mets fabuleux comme du barracuda mariné dans du jus de citron et du lait de coco avant de filer vers la métropole. Ce n'est pas que mon affectation prenait fin. Elle avait été prolongée d'office de plusieurs mois comme le reste de l'équipage pour rejoindre Lorient, lorsque l'EV Henry fut désigné à son tour pour effectuer un carénage, série d'opérations de révision périodique, particulièrement de la coque, avec un passage en cale sèche pour plusieurs mois. 

    De Djibouti, Diego et l'Océan Indien, le transfert vers Tahiti et le Pacifique voici que nous devions achever la boucle d'un tour du globe inattendu. 

 


    Sise à peu près à 1255 miles marin de Tahiti, soit 2325 kilomètres, nous fîmes une courte escale sur l'île de Pitcairn, rendue célèbre par l'installation sur cette îles des rescapés de la mutinerie du Bounty.

 « Une partie des marins, menés par le second Fletcher Christian, se mutina le 28 avril 1789. Après avoir abandonné en mer le capitaine Bligh et 18 hommes qui lui étaient fidèles, les mutinés décidèrent d'abord de s'installer sur l'île de Tubuai, ce fut un échec. Le Bounty, commandé par Fletcher Christian, retourna alors s'approvisionner à Tahiti. Quelques hommes sont débarqués et l'équipage, réduit à huit marins, est rejoint par 18 Polynésiens, dont 12 femmes et quelques enfants.

Les mutins, recherchés par la Royal Navy, mettent alors le cap sur l'île de Pitcairn où ils arrivent en janvier 1790. Le navire est alors démembré et brûlé dans la baie de Bounty Bay pour éviter toute tentative de retour. Encore aujourd'hui, les insulaires célèbrent chaque année cet acte symbolique en incendiant une effigie du bateau.

L'installation sur l'île provoque des tensions, les marins ayant tendance à considérer les Polynésiens comme leurs serviteurs. En 1794, les Polynésiens se soulevèrent et plusieurs Anglais, dont Fletcher Christian furent assassinés. Les veuves des marins tués se révoltèrent alors et exécutèrent les survivants. Finalement, il ne restera plus qu'un seul Anglais, John Adams, qui régna sur une famille composée d'une dizaine de femmes et d'une vingtaine d'enfants. »

    Comme beaucoup de mes camarades nous avions vu les versions cinématographiques des « révoltés du Bounty », film de Frank Lloyd avec Clark Gable et Charles Laughton de 1936 et celui de Lewis Milestone et Carol Reed avec Marlon Brando et Trevor Howard datant de 1962. Pour ma part j'avais dévoré à 14 ans un été à la Baule le livre « Les Révoltés du Bounty » de James Norman Hall et charles Nordhoff. Et voici que quatre ans plus tard j'avais sous les yeux cette île qui m'avait tant fait rêver.

 


 

    L’île comptait environs une cinquantaine d’habitants, dont une quarantaine d’autochtones, un pasteur, un instituteur et une infirmière. C’est une dépendance britannique, la seule du Pacifique, administrée depuis le consulat britannique à Auckland en Nouvelle-Zélande. Et mis à part les rares visites de voiliers, le seul contact de l’île avec le reste du monde est le ravitaillement trimestriel par cargo. 

 

                 Adamstown

 

    Le mouillage à Bounty Bay, devant Adamstown, sur la côte NE de l’île, n’est abrité que des vents de secteur Sud à Ouest et ouvert à tout les autres et notamment au vent dominant de secteur Est, le clapot rend vite le mouillage pénible sinon impossible à moins de vents faibles et d’une houle inférieure à deux mètres. Pour rejoindre la terre nous dûmes emprunter les gros canots des habitants afin de franchir avec la houle les bancs de coraux. Les canots dirigés avec dextérité nous gagnâmes la rive sans encombre mais un peu palots tout de même je dois bien l'admettre. 

 


 

    La visite de l'île fut alors une merveille. Guidé par un jeune néozélandais en vacances dans sa famille, je découvrais les sites remarquables de cette île volcanique bien difficile d'accès. A la fin de journée, j'achetais un canne à tête de kiwi confectionnée par mon guide, seul souvenir matériel que je possède encore. 

 


 

    A contre cœur nous reprîmes la mer dès le lendemain, avec miel, timbres et autres acquisitions sommaires. 

 

 


 

    Cependant nous dûmes faire rapidement demi tour car un accident grave venait de se produire sur l'ile. Les conditions météorologiques étaient épouvantables. Impossible de mouiller à Bounty baie. Down Rope, au SE de l’île restait une option plus favorable. Une équipe médicale composée de notre médecin et de l'infirmier fut débarqué. De quart ce jour là je fus désigné comme radio pour les accompagner et rester en liaison permanente avec le bord. Armé de l'émetteur radio et d'un brancard sous le bras, de Down Rope jusqu'à Adamston la route forestière se fit en croupe sur des mobylettes sous une pluie battante et dans la boue.

    La population nous attendait sous la pluie avec l'infirmière de l'île à la rigidité toute britannique. Je fus stupéfait de constater que le blessé était le jeune néozélandais qui m'avais fait visiter l'île. La chair d'une de ses cuisses manquait et le médecin diagnostiqua que ses reins étaient écrasés. Lors d'un retour en mer, une déferlante avait retourné un canot et s'était fracassé sur les rochers.

    Notre équipe médicale prodigua alors les seuls soins que nous pouvions lui apporter. Mais son état était critique et le médecin ordonna alors son évacuation immédiate vers un hôpital. Hélas aucun hélicoptère ne possédait une autonomie suffisante pour effectuer une aller et retour de Auckland à Pitcairn. En accord entre les autorités Néozélandaises et la France il fut décidé de prendre à notre bord dès le lendemain le blessé afin de gagner des miles précieux et urgents jusqu'à ce qu'un hélicoptère puisse l'hélitreuiller et repartir d'urgence.

    La nuit tombée, nos  hôtes nous hébergèrent. J'ai été accueilli dans une famille qui vivait de façon rustique rudimentaire. Mon anglais était nul. Je pus savoir que la dame de maison s'appelait Olive. Lorsque je lui dévoilait mon prénom Christian elle sourit et me dit que son nom de famille était Christian. Olive Christian, avant que je réalise que j'avais sous les yeux une des descendantes de Fletcher Christian, le second de la Bounty à l'initiative de la mutinerie.

Je passais une nuit étrange entre rêve et réalité, tandis que la mer rugissait à l'extérieur et que la pluie battait le carreau.

    Le lendemain la météo fut plus favorable. La pluie avait cessé. L'EV Henry vint alors mouiller à Bounty Baie et le transfert du blessé put s'opérer avec beaucoup de prudence et bien des difficultés.

    Nous reprîmes la mer à PMP (puissance maximum possible). Je ne souviens pas du temps de la jonction avec l'hélicoptère mais chacun de nous visitait notre blessé sous morphine le couvrant de petits souvenirs et d'encouragements.

    L'hélitreuillage avec un hélico de la marine française s'effectua sans problème et nous le vîmes s'éloigner vers Tahiti.

    La vie reprit son cours. Ce fut quelques semaines plus tard que nous apprîmes par le commandant que le blessé était tiré d'affaire. Le gouvernement néozélandais et sa famille remerciaient le gouvernement français et l'équipage de l'EV Henry de leur intervention. Chacun de nous étaient fiers d'avoir sauvé la vie de ce jeune néozélandais inconnu dont le souvenir m'habite encore.



    Je l'admets. De retour à mes habitudes après bien des émotions, je ne me suis pas mis à écouter de la musique polynésienne, mais un simple retour paisible à mes sources fondamentales comme le fut le Velvet Underground et plus tard Lou Reed.


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