Trois livres parus ces dernières années et qui peuvent se lire comme un miroir reflétant d'une manière hyperréaliste l'horreur hitlérienne. L'un ne va pas sans l'autre et ils se complètent même d'une façon insoupçonnée dans la tentative de décryptage de l'Holocauste. Tous les trois ont connu des destins semblables dans la reconnaissance, la louange et le succès. Leurs récentes sorties en poche confirment l'intuition: Suite française, Les Bienveillantes et Les disparus se répondent dans une douloureuse polyphonie de cris et de ténèbres. On pourrait dire qu'une même interminable cohorte de martyrs peuple ces pages d'où, à la fin, ne semble retentir qu'une seule et même question: pourquoi? Bien sûr, aucune réponse satisfaisante possible.
A ceux qui préfèrent le silence et le recueillement face à l'indicible, les romanciers tentent d'opposer les mots... Suite française d'Irène Némirovsky nous entraîne dans les décombres de la catastrophe, quand le sauve-qui-peut était sur toutes les lèvres, ou presque. La romancière écrivit cet ultime roman dans une clandestinité qui ne cessait de s'obscurcir puisqu'elle fut livrée par la police de son pays aux trains de la mort. Dans cette vaste fresque inachevée, plusieurs destins de villes et de campagnes se croisent avec leur lot de malheurs, de courage, de lâcheté et d'abjections. L'Occupation vue comme une tragi-comédie, où sous les ciels bleu clair d'une province assoupie et rancie de trouille montent crescendo les atrocités de la collaboration et de la déportation des Juifs.
Les Bienveillantes de Jonathan Littell (Prix Goncourt 2006) nous emmènent de l'autre côté, là où nous avions laissé la France collabo de Némirovsky. C'est un passage de témoins des vaincus aux bourreaux munis de CV de comptable pointilleux, géomètres sans état d'âme d'une abominable machine de mort que rien ne semble arrêter. Indifférent envers les autres et respectueux des lois du Reich, son personnage glaçant, un SS mélomane, promène ses certitudes et ses observations sur tous les charniers et les camps d'extermination que comptait alors l'Europe. Face au témoin (et victime), Irène Némirovsky, et au sinistre personnage de Jonathan Littell, il fallait un troisième homme pour mener l'enquête.
Ce limier opiniâtre, c'est Daniel Mendelsohn parti à la recherche de son grand-oncle Shmiel, de l'épouse de celui-ci et de leurs quatre filles abattus en Pologne en 1941, sans qu'il en sache les circonstances. Et parce qu'il veut leur donner vie en reconstituant leurs derniers instants, Mendelsohn va s'acharner pendant cinq ans à traquer les moindres indices, les moindres souffles de ces fantômes bien présents. Ce grand texte a valu avec raison à son auteur le Médicis étranger et le prix Lire du meilleur livre 2007.
Fabrice Gaignault Lire, avril 2009
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