mardi 17 février 2009

François par Béranger 5

Le court métrage de commande était, avant l'exclusivité de la vidéo, un secteur très actif du cinéma. Les grandes entreprises publiques et privées, les Pouvoirs Publics, rendaient prospères par leurs commandes un grand nombre de sociétés de production. C'est là que je fis mes classes, dans de petites équipes où il fallait participer à tout : écriture des scénarios, découpages, budgets, préparations, plannings, régie, prises de vue, éclairage, mise en scène, contacts avec les labos, montage. C'était une école pratique de premier ordre où il fallait à la fois satisfaire un client (le faire accoucher de ce qu'il voulait dire, expliciter son activité, s'accorder à sa vision des choses ou la faire évoluer) et nos propres ambitions esthétiques. Les conflits qui naissaient de cette dualité étaient enrichissants : quoi dire et comment le dire. Il y a, dans la cinémathèque des courts métrages de commande, beaucoup de chefs d'oeuvre. Je participais ainsi à des sujets aussi divers que l'énergie Atomique, le Dépeuplement des Campagnes, le Crédit Agricole, l'Accouchement sans Douleur, l'Opération à coeur ouvert; les études sur le Sommeil, la Culture Intensive de la Betterave, etc ...C'est après cette formation pratique que je suis engagé au Service de la Recherche de l'ORTF, dans la section Image. Pierre Schaeffer, son directeur, est une figure de premier plan dans l'histoire de la radio, de la télévision et de la musique contemporaine. C'est l'Honnête Homme du 18ème siècle, pourvu d'une culture quasi universelle, à la fois ingénieur, artiste, écrivain, novateur, doué d'une faculté d'analyse critique qui nous fait trembler. Fondateur du Club d'Essai pendant l'Occupation, on dit de lui qu'il inventa la radio et ses formes d'expression. La dramatique, les plans sonores, la mise en onde en général sont des inventions qu'il normalisa sinon inventa. La radio d'aujourd'hui, dans sa pauvreté expressive, fait pâle figure quand on la compare aux riches foisonnements d'avant. (Ah! Une dramatique comme les Maîtres du Mystère pour laquelle la France entière cessait de respirer un soir par semaine ...)
Avec Schaeffer il fallait penser. S'interroger sur le fond et la forme. Ne pas jouer avec des machines pour ne rien dire. Quelle est la substance de votre projet ? disait-il. La moindre hésitation vous renvoyait à la case départ. Le miracle du Service de la Recherche est qu'il fonctionna pendant 25 ans, avec des budgets conséquents, reconduits de haute lutte chaque année, à contrecourant de la tendance des médias évoluant vers la rentabilité, la recherche de l'audience à tout prix, le nivellement par le bas, la perte de qualité et de notion de Service Public. Schaeffer avait une certaine idée du Service Public, comme un autre avait une certaine idée de la France. C'était l'intelligence et l'imagination au pouvoir. D'un abord plutôt glacial, bougon, la pipe à la bouche, d'un humour tranchant dans ses meilleurs jours, Schaeffer vous apprenait tout. L'exercice du dialogue avec lui était périlleux, déstabilisant. Les conflits et les ruptures monnaie courante. La remise en question de tout était l'ordre du jour permanent. La stabilité considérée comme facteur d'assoupissement. Aussi, l'organigramme de son service était-il régulièrement bouleversé. Cette mobilité dans les fonctions me permet ainsi d'être successivement régisseur, chef de production, réalisateur, producteur d'une émission de variétés expérimentale, dans un brassage ininterrompu de cinéastes, musiciens, peintres, et sculpteurs. C'est l'une des deux périodes les plus formatrices de ma vie.
(L'autre est l'expérience de la scène et du public). Après quatre ans dans ce shaker tumultueux, et un conflit plus inattendu qu'à l'habitude, je démissionne pour aller voir ailleurs. Il était sain, parfois, de quitter le Service... Mais Schaeffer, tout paterfamilias tyrannique qu'il fût, ou à cause de cela, n'aimait pas qu'on le quitte. Et il me sembla - mais sûrement était-ce l'effet d'un sentimentalisme déplacé - qu'il me vit partir avec regret... Le chômage, à l'époque, était une notion qu'on croyait historique... On se recasait, avec quelques relations dans le milieu, sans difficulté. Je deviens ainsi chargé de production dans un magazine mensuel d'information de la jeune Deuxième Chaîne : Caméra 3 de Philippe Labro et Henri de Turenne. Nouvelle expérience passionnante : la pratique de l'information à la télévision; le plateau de direct, une fois par mois, pendant trois heures, sans filet. La tension nerveuse comme je la connaîtrai plus tard devant un public. Puis je pars réaliser quelques sujets pour un magazine culturel sur la même chaîne : Le Nouveau Dimanche. Ma manière non conventionnelle, voire irrévérencieuse, de traiter les sujets artistiques me fait repasser la porte assez vite...
Mais quelle importance... c'est Mai 68 !

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