Avec Schaeffer il fallait penser. S'interroger sur le fond et la forme. Ne pas jouer avec des machines pour ne rien dire. Quelle est la substance de votre projet ? disait-il. La moindre hésitation vous renvoyait à la case départ. Le miracle du Service de la Recherche est qu'il fonctionna pendant 25 ans, avec des budgets conséquents, reconduits de haute lutte chaque année, à contrecourant de la tendance des médias évoluant vers la rentabilité, la recherche de l'audience à tout prix, le nivellement par le bas, la perte de qualité et de notion de Service Public. Schaeffer avait une certaine idée du Service Public, comme un autre avait une certaine idée de la France. C'était l'intelligence et l'imagination au pouvoir. D'un abord plutôt glacial, bougon, la pipe à la bouche, d'un humour tranchant dans ses meilleurs jours, Schaeffer vous apprenait tout. L'exercice du dialogue avec lui était périlleux, déstabilisant. Les conflits et les ruptures monnaie courante. La remise en question de tout était l'ordre du jour permanent. La stabilité considérée comme facteur d'assoupissement. Aussi, l'organigramme de son service était-il régulièrement bouleversé. Cette mobilité dans les fonctions me permet ainsi d'être successivement régisseur, chef de production, réalisateur, producteur d'une émission de variétés expérimentale, dans un brassage ininterrompu de cinéastes, musiciens, peintres, et sculpteurs. C'est l'une des deux périodes les plus formatrices de ma vie.
(L'autre est l'expérience de la scène et du public). Après quatre ans dans ce shaker tumultueux, et un conflit plus inattendu qu'à l'habitude, je démissionne pour aller voir ailleurs. Il était sain, parfois, de quitter le Service... Mais Schaeffer, tout paterfamilias tyrannique qu'il fût, ou à cause de cela, n'aimait pas qu'on le quitte. Et il me sembla - mais sûrement était-ce l'effet d'un sentimentalisme déplacé - qu'il me vit partir avec regret... Le chômage, à l'époque, était une notion qu'on croyait historique... On se recasait, avec quelques relations dans le milieu, sans difficulté. Je deviens ainsi chargé de production dans un magazine mensuel d'information de la jeune Deuxième Chaîne : Caméra 3 de Philippe Labro et Henri de Turenne. Nouvelle expérience passionnante : la pratique de l'information à la télévision; le plateau de direct, une fois par mois, pendant trois heures, sans filet. La tension nerveuse comme je la connaîtrai plus tard devant un public. Puis je pars réaliser quelques sujets pour un magazine culturel sur la même chaîne : Le Nouveau Dimanche. Ma manière non conventionnelle, voire irrévérencieuse, de traiter les sujets artistiques me fait repasser la porte assez vite...
Mais quelle importance... c'est Mai 68 !
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