jeudi 15 janvier 2009

Oliver Twist (1948) David Lean

J’ai noté avec plaisir que la période de Noël a été propice à la diffusion d’Olivier Twist dans deux adaptations différentes : l’une de 2007 émanant de la télévision britannique, l’autre de 2005 signé par l'auteur de Tess Roman Polanski. Ce dernier a disposé pour ce faire d’un budget conséquent et offre une version soignée avec des décors londoniens très fouillés, de jolies images d'Epinal dans les plans de campagne, lumières d'intérieurs louches très étudiées etc. mais son adaptation du roman de Charles Dickens reste mièvre et académique. Pas de lecture, pas de discours, pas de réécriture. En se voulant strictement fidèle, jusqu'au costume du moindre petit figurant, jusqu'aux accessoires les plus minuscules comme la tabatière en forme de cercueil du croque-mort, par exemple, il n'apporte rien au livre, voire même l'amoindrit. Soyons honnête, le film n’est pas désagréable et j'y ai pris du plaisir à sa lecture , mais tout reste trop propre dans ce film pour être vraiment passionnant. Seuls les bas-fonds de Londres ne s’en tirent pas trop mal mais auraient certainement gagné à être plus impurs. Pour ma part, parmi les nombreuses réalisations du roman, je retiendrai la puissante adaptation de David Lean en 1948 avec Alec Guiness dans le rôle de Fagin. L’histoire est poignante, la réalisation sans failles. Ce film garde toute sa force après plus de 50 ans. On est en plein réalisme populaire, avec une dramaturgie remarquable que n’aurait pas désavoué Charles Dickens lui-même. Contrairement à la trop fade et policée ouverture du film de Polanski, celle de David Lean est quant à elle magistrale. Voici le premier chapitre du roman dans sa traduction d’Alfred Girardin en 1837 et ce qu’en a tiré pour le cinéma David Lean.
« Parmi les divers monuments publics qui font l'orgueil d'une ville dont, par prudence, je tairai le nom, et à laquelle je ne veux pas donner un nom imaginaire, il en est un commun à la plupart des villes grandes ou petites : c'est le dépôt de mendicité. Un jour, dont il n'est pas nécessaire de préciser la date, d'autant plus qu'elle n'est d'aucune importance pour le lecteur, naquit dans ce dépôt de mendicité le petit mortel dont on a vu le nom en tête de ce chapitre. Longtemps après que le chirurgien des pauvres de la paroisse l'eut introduit dans ce monde de douleur, on doutait encore si le pauvre enfant vivrait assez pour porter un nom quelconque : s'il eût succombé, il est plus que probable que ces mémoires n'eussent jamais paru, ou bien, ne contenant que quelques pages, ils auraient eu l'inestimable mérite d'être le modèle de biographie le plus concis et le plus exact qu'aucune époque ou aucun pays n’ait jamais produit. Quoique je sois peu disposé à soutenir que ce soit pour un homme une faveur extraordinaire de la fortune, que de naître dans un dépôt de mendicité, je dois pourtant dire que, dans la circonstance actuelle, c'était ce qui pouvait arriver de plus heureux à Olivier Twist : le fait est qu'on eut beaucoup de peine à décider Olivier à remplir ses fonctions respiratoires, exercice fatigant, mais que l'habitude a rendu nécessaire au bien-être de notre existence ; pendant quelque temps il resta étendu sur un petit matelas de laine grossière, faisant des efforts pour respirer, balança pour ainsi dire entre la vie et la mort, et penchant davantage vers cette dernière. Si pendant ce court espace de temps Olivier eût été entouré d'aïeules empressées, de tantes inquiètes, de nourrices expérimentées et de médecins d'une profonde sagesse, il eût infailliblement péri en un instant ; mais comme il n'y avait là personne, sauf une pauvre vieille femme, qui n'y voyait guère par suite d'une double ration de bière, et un chirurgien payé à l'année pour cette besogne, Olivier et la nature luttèrent seul à seul. Le résultat fut qu'après quelques efforts, Olivier respira, éternua, et donna avis aux habitants du dépôt, de la nouvelle charge qui allait peser sur la paroisse, en poussant un cri aussi perçant qu'on pouvait l'attendre d'un enfant mâle qui n'était en possession que depuis trois minutes et demie de ce don utile qu'on appelle la voix. Au moment où Olivier donnait cette première preuve de la force et de la liberté de ses poumons, la petite couverture rapiécée jetée négligemment sur le lit de fer s'agita doucement. La figure pâle d'une jeune femme se souleva péniblement sur l'oreiller, et une voix faible articula avec difficulté ces mots : " Que je vois mon enfant avant de mourir ! " Le chirurgien était assis devant le feu, se chauffant et se frottant les mains tour à tour. À la voix de la jeune femme il se leva, et s'approchant du lit, il dit avec plus de douceur qu'on n'en eût pu attendre de son ministère : " Oh ! il ne faut pas encore parler de mourir. - Oh ! non, que Dieu la bénisse, la pauvre chère femme, dit la garde en remettant bien vite dans sa poche une bouteille dont elle venait de déguster le contenu avec une évidente satisfaction ; quand elle aura vécu aussi longtemps que moi, monsieur, qu'elle aura eu treize enfants et en aura perdu onze, puisque je n'en ai plus que deux qui sont avec moi au dépôt, elle pensera autrement. Voyons, songez au bonheur d'être mère, avec ce cher petit agneau. " Il est probable que cette perspective consolante de bonheur maternel ne produisit pas beaucoup d'effet. La malade secoua tristement la tête et tendit les mains vers l'enfant. Le chirurgien le lui mit dans les bras ; elle appliqua avec tendresse sur le front de l'enfant ses lèvres pâles et froides ; puis elle passa ses mains sur son propre visage, elle jeta autour d'elle un regard égaré, frissonna, retomba sur son lit, et mourut ; on lui frotta la poitrine, les mains, les tempes ; mais le sang était glacé pour toujours : on lui parlait d'espoir et de secours ; mais elle en avait été si longtemps privée, qu'il n'en était plus question. " C'est fini, madame Thingummy, dit enfin le chirurgien. - Ah ! pauvre femme, c'est bien vrai, dit la garde en ramassant la bouchon de la bouteille verte, qui était tombé sur le lit tandis qu'elle se baissait pour prendre l'enfant. Pauvre femme ! - Il est inutile de m'envoyer chercher si l'enfant crie, dit le chirurgien d'un air délibéré ; il est probable qu'il ne sera pas bien tranquille. Dans ce cas donnez-lui un peu de gruau. " Il mit son chapeau, et en gagnant la porte il s'arrêta près du lit et ajouta : " C'était une jolie fille, ma foi ; d'où venait-elle ? - On l'a amenée ici hier soir, répondit la vieille femme, par ordre de l'inspecteur ; on l'a trouvée gisant dans la rue ; elle avait fait un assez long trajet, car ses chaussures étaient en lambeaux ; mais d'où venait-elle, où allait-elle ? nul ne le sait. " Le chirurgien se pencha sur le corps, et soulevant la main gauche de la défunte : " Toujours la vieille histoire, dit-il en hochant la tête ; elle n'a pas d'alliance… Allons ! bonsoir. " Le docteur s'en alla dîner, et la garde, ayant encore une fois porté la bouteille à ses lèvres, s'assit sur une chaise basse devant le feu, et se mit à habiller l'enfant. Quel exemple frappant de l'influence du vêtement offrit alors le petit Olivier Twist ! Enveloppé dans la couverture qui jusqu'alors était son seul vêtement, il pouvait être fils d'un grand seigneur ou d'un mendiant : Il eût été difficile pour l'étranger le plus présomptueux de lui assigner un rang dans la société ; mais quand il fut enveloppé dans la vieille robe de calicot, jaunie à cet usage, il fut marqué et étiqueté, et se trouva, tout d'un coup à sa place : l'enfant de la paroisse, l'orphelin de l'hospice, le souffre-douleur affamé, destiné aux coups et aux mauvais traitements, au mépris de tout le monde, à la pitié de personne. Olivier criait de toute sa force. S'il eût pu savoir qu'il était orphelin, abandonné à la tendre compassion des marguilliers et des inspecteurs, peut-être eût-il crié encore plus fort. »
Voici maintenant l'ouverture du film de Roman Polanski. La version en est espagnole mais l'image en elle-même suffit à illustrer mon propos quant à la différence flagrante d'écriture cinématographique.

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