On se serait attendu à ce que le ténor anglais Mark Padmore, connu pour ses succès dans le répertoire baroque (des cantates de Bach aux tragédies lyriques de Rameau), aborde le lied romantique dans un esprit «historique» : accompagné par un pianoforte du XIXe siècle, en ajoutant à son chant des ornements improvisés. Du baroque, Mark Padmore a préféré ne retenir que la leçon d'engagement dramatique, à la dévotion du sens des mots comme du lest des notes. Il ne pouvait s'associer à meilleur partenaire, à complice plus inspiré que son compatriote le pianiste Paul Lewis. Digne émule de son mentor Alfred Brendel, qui accompagna souvent le baryton Dietrich Fischer-Dieskau dans des cycles de lieder, Paul Lewis se comporte en effet à son clavier comme un metteur en scène de théâtre à sa régie. Changement à vue du décor, réglage des poursuites de lumières, chorégraphie des déplacements, le Steinway de Paul Lewis est un dramaturge complet.
Déambulation tout intérieure, les vingt-quatre lieder du Voyage d'hiver déroulent la chevauchée en surplace d'un jeune amoureux trahi par son égérie. Avec, pour toile de fond, une sombre fantasmagorie de lande désolée, de cimetière à l'abandon. Tour à tour blizzard et sirocco, un vent méchant s'engouffre dans les arbres, des rafales de doubles-croches font tournoyer la girouette, cingler la neige sur la face livide du voyageur. Le timbre boréal de Mark Padmore projette sur les vers de Wilhelm Müller un reflet nacré de givre blanc. Au dernier lied - passage de relais à un mendiant joueur de vielle -, la musique, comme épuisée, se fige - accords en creux, mélodie en lambeaux. Chanteur et pianiste s'immobilisent, comme les deux personnages d'En attendant Godot, Vladimir et Estragon, à la fin de la pièce : « Alors, on y va ? - Allons-y ! » Ils ne bougent pas, ajoute Samuel Beckett.
Gilles Macassar
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