Dans ma boîte, où que je travaille, ils viennent d’apposer partout sur les murs des affiches annonçant pour 2010 : l’Usine Retraite. L’usine je connais, j’y ai échappé de justesse. L’autre je l’attends depuis la naissance pour qu’enfin on me lâche un peu avec le travail avant que je meure. Déjà que je voudrais pas crever les outils à la main, si maintenant l’usine et la retraite font cause commune, nous voilà beaux.
Et dire que depuis les années soixante les sociologues n’arrêtent pas de nous bassiner avec la fin du prolétariat comme si soudain, débarrassés de nos chaînes allégoriques, nous étions tous devenus riches et heureux dans une société radieuse et égalitaire. Moi ce que je comprends dans ce slogan de l’Usine Retraite c’est qu’après avoir été des cols blancs, les salariés du tertiaire vont devenir, ce qu’à mes yeux ils ont toujours été, les cols bleus de demain.
D’abord faudra passer au magasin chercher son bleu de chauffe, sa chemise Kidur à carreaux, une paire de croquenots à bout ferré et sa boîte à outils, le tout retenu sur ses maigres mais futurs appointements. Le port de la gâpette sera pas obligatoire, mais si on veut, on peut.
Tiens je les imagine déjà Claudine et Muriel, nos deux hôtesses chéries, recevoir nos allocataires en bleu de chauffe à la réception. D’abord le matin, la pointeuse, pis les vestiaires avec Josette et Dédé à se mater des photos de Chippendale collés sur les parois de l’armoire métallique en se tisant une petite mousse. Pis au coup de sirène empoignée sa boite à outils « Usine Retraite » et se colleter à la dure réalité de l’existence : les Vieux. Qu’est-ce qui nous font chier, les vieux ! Peuvent pas rester tranquilles, peinards dans leur maison de retraite en attendant la mort ou de finir prématurément brûler comme un fagot dans un incendie volontaire. Je sais plus qui a dit en substance « Les vieux, on devrait tous les tuer à la naissance ! » mais il avait bougrement raison. Parce que nous déjà, vieux, c’est pas dit qu’on y arrive d’une part, d’autre part, s’il nous reste une once de moelle pour tenir debout, qui c’est qui viendra nous filer des écrans plats pour qu’on vote pour lui ? Cohn Bendit, peut-être ? Ou la Ségolène ? Ou le Sarkozy ? Quéquette ! Personne, viendra et on crèvera dans notre coin comme la Mémé à François Béranger qu’a clamsé dans son ptit lit du côté de Clamecy.
Et pendant ce temps-là, nous dans les ateliers, à serrer les boulons pour que l’Usine Retraite, elle tourne, tourne, tourne, tourne, tourne…. comme la planète à nous en filer le tournis comme une foutue belle valse un beau soir de noces. Sauf qu’à la noce, on y est pas. On y est plus. Y a t-on été un jour, d’ailleurs ? Y a longtemps qu’on a soufflé nos bougies tandis que les autres, les riches, les nantis, les patrons, ceussent qui dirigent la rotation de la planète y se partagent le gâteau pour le bouffer en nous laissant lécher les assiettes. Alors ceussent qui se sont fait mettre pendant trente ou quarante ans y sont maintenant à nous réclamer du pognon, après avoir trimer toute leur vie pour des assiettes vides. Est-ce qu’on réclame, nous ? Non. On cherche des coupables. C’est plus facile de se trouver des coupables comme les vieux d’hier avant de devenir ceux de demain, avec au bout du compte toujours les mêmes assiettes vides à se partager, tout en pensant qu’il y’a des pays où y a des gars, eh ben ! y zont même pas d’assiette. La belle affaire. Alors on réclame pas. On bêle. On réclame pas, parce-qu’on a plus le courage. On n’a soit disant plus la force. On a plus de couilles, plutôt. On prend ce qu’on nous donne, bien trop content de pas être chômeur ou dormir dans un carton ou au square Villemin comme les réfugiés afghans..
Faut qu’on s’arrête ! Je sens que je m’échauffe pour rien et que je vais m’attraper un gros coup de sang, et le gros coup de sang c’est pas bon pour ma santé. J’ai encore quelques années à tenir à l’usine avant la retraite. Mais je me dis quand même avant de crever dans notre petit lit comme la Mémé de Béranger à Clamecy, que ça serait beau tous les cols bleus de la nouvelle classe ouvrière dans la rue à foutrent leurs boites à outils à travers la gueule des Sarko de tout bords, de tout poils et de toutes espèces. L’usine fermée, les bras croisées. Un beau rêve avant de mourir.
1 commentaire:
Bonjour et bien moi je laisse un com j'aime cette photo j'en suis folle
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