mercredi 24 juin 2009

François Béranger ou que reste-t-il de nos amours ?

Dans le paysage de la chanson française de ces trente dernières années, la voix de François Béranger est une voix essentielle. Et, s’il fallait, avec Trenet, se poser la question de nos jeunesses vagabondes et insoumises, sur l’air de "Que reste-t-il de nos amours ? / Que reste-t-il de ces beaux jours ?", à des guenilles que se disputent nos anciens compagnons d’espérance, au fond de leurs cénacles, de leurs boutiques ou de leurs ministères, l’une des premières réponses qui viendraient à l’esprit de ceux qui n’ont rien renié serait sans doute : "La voix, les mots de Béranger". Bien sûr, il ne fut pas le seul. D’autres noms se bousculent au seuil de l’objectivité. Mais ce sont ses chansons qui balisent peut-être le mieux ces années 70 où tout semblait soudain possible et où l’espoir d’un monde plus juste faisait lentement son chemin vers le pouvoir. Avons-nous donc été naïfs de croire en cet espoir au point de signer tant de chèques en blanc ! Avons-nous donc été idiots d’oublier la vieille mise en garde de Louise Michel qui nous disait que tout pouvoir est maudit ! Bien que sachant toujours avec précision où étaient ses cibles prioritaires, Béranger ne nous a jamais bercé d’illusions ; et c’est sans doute à cause de cette lucidité et de cette sincérité sans faille qu’avec le recul ses chansons nous sont restées si chères. Sans doute aussi pour cela que d’aucuns le tiennent pour un ours et pour un emmerdeur, alors qu’il se contente d’être d’une absolue franchise, tout en refusant vraiment – ce qui chez lui n’est ni une posture ni une coquetterie – de se plier aux simagrées du show-business. Essentielle, sa voix l’est d’autant plus que nous avons cru l’avoir perdue au cours de ces longues années de désillusion où les voleurs d’espoir bradaient leurs promesses à l’encan. Au début de ces funestes années 80, Béranger fut le premier à oser poser la seule question réellement importante : "Le vrai changement, c’est quand ?" Crime de lèse-majesté, dont la sentence avait déjà été écrite, bien des années plus tôt, par Guy Béart : "Le chanteur a dit la vérité / Il doit être exécuté !" Car les chanteurs sans compromissions sont souvent des armes à double tranchant, dont les chansons vous reviennent en pleine figure, par la rue, comme des boomerangs. Mais on ne fait pas taire une voix comme celle de Béranger pour de si médiocres raisons ; et sa lassitude personnelle, après une douzaine d’années de tournées incessantes, pesa plus lourdement que n’importe quelle censure sur cette absence prolongée. Jusqu’au jour où l’envie de revenir dans la lumière des projecteurs le reprit comme un soudain besoin de soleil. Et c’est précisément ce qui ressort de ses derniers albums, portés par une musique chaude et savoureuse, comme un fruit que l’on presse à même la bouche. Comme s’il s’agissait de donner une nouvelle fois raison à René Char qui disait que "la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil."

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