Exilés afghans dans le dédale de l'Europe Par Carine Fouteau
Il est afghan et a parcouru la moitié du globe, de Kandahar à Paris, entrois mois. Il voyait l'Europe comme une terre d'accueil, il s'y retrouvepiégé, momentanément tout du moins, sans logement fixe ni travail nifamille. Abdullah Alizai a 22 ans. Il a l'air d'un jeune homme de cet âge,basket, tee-shirts superposés, jean. Souriant, mais visiblement fatigué. Il s'est senti menacé par les talibans au point de s'enfuir de chez lui.Son père et son frère ont été assassinés, dit-il, entremêlant le françaiset l'anglais pour raconter son histoire. Au printemps 2008, sa décisionest prise: il quitte sa mère, direction le Pakistan en bus, traverse àpieds les cols enneigés de la frontière irano-turque, «nous marchions lanuit pour ne pas nous faire repérer», et roule vers la Grèce caché dansdes camions.Aux abords de l'UE, son récit devient flou, exprès. Abdullah Alizaiconnaît les embûches de la législation européenne. Tout indice d'uneprésence dans un pays autre que la France risque de compromettre lademande d'asile qu'il a déposée à l'Office français de protection desréfugiés et apatrides (Ofpra). Selon le règlement de Dublin II, ilpourrait être renvoyé en Grèce ou en Italie, par exemple, si sesempreintes y étaient retrouvées dans le fichier Eurodac. Voilà six moisqu'il attend une réponse, «je deviens fou», répète-t-il. «Je n'ai nullepart où aller. J'ai dépensé 6.000 euros pour venir jusqu'ici, j'ai vu deschoses que je n'aurais pas dû voir, des gens horribles, des pauvres quicouraient pour échapper à la police, je me suis cassé les poignets entombant, j'ai eu peur souvent. Maintenant, je n'ai plus rien. Je pense, jepense, tout le temps, c'est tout.»Demandes d'asile déposées par les Afghans en Europe. Réalisée par ThomasHonoré, cette carte est issue de «Géographie critique des politiquesmigratoires européennes», à paraître en septembre 2009 chez Armand Colin.Le taux de reconnaissance du statut de réfugié est représenté parl'intensité de la couleur à l'intérieur des cercles (du plus clair au plusfoncé: du pourcentage le moins élevé au plus élevé).À peine arrivé à Paris en juillet 2008, Abdullah Alizai fonce vers Calaisdans l'espoir de traverser la Manche. Il n'a pas de contacts là-bas, maisil parle couramment l'anglais. Lors de son parcours, il accumule desinformations sur les «meilleurs» trajets et destinations. À lui de fairele tri entre les rumeurs, les idées reçues et les données recoupées etstratégiques. À lui de gérer son argent, de faire son chemin entre lespasseurs véreux et les amis plus ou moins désintéressés, de repérer lesmilitants associatifs susceptibles de l'aider à trouver un endroit pour sedoucher, une couverture ou des chaussures de rechange. «À Calais, enfin,dit-il, j'ai retrouvé beaucoup d'Afghans! J'ai pu discuté avec eux. Ça m'afait du bien.» Il remet à jour son stock d'informations: le prix dupassage (300 euros à ce moment-là – cela peut monter jusqu'à 800 lorsquela présence policière est renforcée), les autres voies d'accès, commeDunkerque ou plus au nord sur les côtes belges, le chemin vers les paysscandinaves, «plus risqué» par l'Allemagne, etc.L'Angleterre, destination par défautComme lui, ils sont des centaines de milliers d'Afghans, d'Irakiens et deSomaliens, entre autres nationalités, à être entrés dans l'Unioneuropéenne par la frontière gréco-turque: 150.000 personnes y auraienttransité«illégalement» par la voie maritime ou terrestre en 2008, selon leministère de l'intérieur grec.Guide en anglais et farsi rédigé par un migrant distribué à Athènes.Parmi les migrants, l'Angleterre continue d'avoir la cote, malgré ledurcissement de sa politique migratoire. Ce pays n'est pas vu comme uneldorado, mais un lieu où il est possible de demander l'asile et de sefaire comprendre. «Là-bas, au moins, c'est clair, dit Abdullah Alizai.Soit ils vous expulsent tout de suite, soit vous déposez l'asile, et là,ils vous trouvent une place dans un ‘home'.» Après une mission de cinqmois en Grande-Bretagne aux côtés d'exilés, Lily Boillet, présidente del'association Terre d'errance dans le Pas-de-Calais, confirme que ce pays, hors de l'espace Schengen maissignataire du règlement de Dublin II, est doté d'un système de prise encharge des demandeurs d'asile. D'abord placés dans des «hostels», lescandidats sont ensuite répartis dans toute l'Angleterre «dans des petitesmaisons ouvrières».«Une fois que la demande est estimée fondée, écrit-elle dans son mémoire(voir sous l'onglet Prolonger), le demandeur d'asile est automatiquementpris en charge le temps de la procédure. Je n'ai vu aucun demandeurd'asile à la rue, contrairement à ce que j'ai pu observer en France.»Mais, «si vos empreintes ne sont pas claires ou si on a trouvé trace devotre passage ailleurs sur le sol européen, ou l'existence d'uneprécédente demande d'asile, vous serez généralement envoyé en rétention lesoir même». Or la durée de rétention y est illimitée, le record étant dehuit ans. Il existe alors un système de libération sous caution, «onbail», qui suppose que le migrant ait de solides soutiens sur place.La Grèce et l'Italie font figure de repoussoir
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