samedi 22 janvier 2011

Dashiell Hammet

Né en 1894, Dashiell Hammett est décédé le 10 janvier 1961, il y a tout juste cinquante ans. Fin 1922, il intègre l’équipe du magazine Black Mask, qui publie des nouvelles criminelles. Hammett devient très rapidement le chef de file du mouvement littéraire hard-boiled, dont les héros sont des durs-à-cuire. Il devient l’exemple à suivre pour les autres rédacteurs de Black Mask. Son sens des dialogues, l’utilisation du langage de la rue, de l’argot, ses descriptions par touches successives, précises, la force du rythme de ses phrases : tout ce qui définira son style apparaît déjà dans les premières nouvelles dit Natalie Beunat, en préface de Coups de feu dans la nuit. Cet Omnibus, qu’elle présente et supervise (en VF), propose soixante-cinq nouvelles (dont neuf inédites en français) réunies pour la première fois en un seul ouvrage.

Père du Roman Noir, Dashiell Hammett fut lui-même un personnage singulier. Son œuvre fut écrite en quelques années seulement, de 1922 à 1934. Pour bien situer l’auteur, il est souhaitable de lire d’abord les deux préfaces, dont celle de Richard Layman, biographe de Hammett. Le texte de la petite-fille de Dashiell Hammett, Julie Marshall Rivett, intéresse aussi les admirateurs de l’écrivain.

Cinq magnifiques romans et leurs adaptions à l’écran ont apporté la notoriété à Dashiell Hammett. Ils ont été re-traduits et réédités en un seul volume dans la collection Quarto, chez Gallimard. Néanmoins, ses nouvelles offrent une autre approche aux lecteurs. De nombreux livres historiques et une multitude d’informations variées permettent de se documenter sur l’Amérique des années 1920-1930. Bien qu’étant des fictions, les textes d’Hammett donnent tout autant un témoignage sur l’époque, une illustration vivante du contexte. Car l’écrivain observa sans nul doute le monde de son temps, et pas seulement quand il fut détective (de 1919 à 1921) pour Pinkerton.

L’ensemble des protagonistes de ses histoires semblent issus de la réalité, décrits avec justesse. Il n’étale pas leur psychologie, puisque leur comportement et les faits suffisent à les comprendre. Voici un exemple d’une situation exposée clairement, indiquant une ambiance en quelques phrases. Le plancher vacilla sous mes pieds. Les fenêtres vibrèrent avec une violence qui dépassait l’intensité de l’orage. Le fracas assourdi d’une grosse explosion couvrit les bruits du vent et de la pluie qui tombait. Sans être toute proche, la déflagration n’était pas assez éloignée pour s’être produite hors de l’île. Grâce à pareille concision, les faits sont partagés et ressentis par le lecteur, bien mieux qu’en délayant la scène ou en prêtant au personnage d’inutiles hypothèses.

Au fil du temps, les nouvelles d’Hammett contiennent davantage de violence, pour obéir au thème de Black Mask. Pourtant, il évite généralement de montrer crûment les meurtres, n’en rajoute pas sur la brutalité. Si son héros est en difficulté, il fait face aussi sereinement que possible au danger. Je levai les mains. Je n’étais pas armé, n’ayant pas pour habitude de me munir d’un pistolet, sauf lorsque je sais que je vais en avoir besoin. Et mes poches auraient pu être bourrées d’une douzaine de flingues, ça n’aurait pas changé grand-chose. Je ne déteste pas tenter ma chance, mais elle n’existe pas lorsqu’on fait face au mufle d’un automatique qu’un homme décidé braque sur vous.

Histoires de détectives privés, avec le Continental Op (l’agent de la Continental) et, bien sûr, Sam Spade faisant ses premières apparitions dans ces nouvelles. Il faut rappeler que ce sont des hommes mûrs, des enquêteurs efficaces. S’ils sont dans l’action, rien à voir avec des super-héros dotés de facultés supérieures. Ils font leur métier, cherchant à définir la vérité, le plus humainement possible. La jungle urbaine est leur terrain de prédilection. Ils ne sont pas confrontés qu’aux gangsters ou à la Prohibition. Les combines tordues et les criminels les plus retors, souvent peu soupçonnables, tel est l’univers de ces détectives.

Dans chaque texte, les intrigues sont diablement bien pensées et développées. Un humour certain est perceptible dans nombre de ces nouvelles. Pour ne citer qu’un exemple, L’ange de l’étage (1923) offre un joli clin d’œil : Le squelette d’histoire que la fille lui avait raconté par-dessus les reliefs de son repas pouvait, grâce à un minimum d’efforts, se muer en une longue nouvelle qu’il n’aurait aucun mal à placer. Les histoires de truand étaient toujours très demandées, et celle-ci comporterait une monte-en-l’air femelle piquée sur le vif. Gardons évidemment le suspense sur le savoureux dénouement de l’affaire.

Dashiell Hammett ne fut pas un simple raconteur d’histoires. À travers ces nouvelles, on comprend sa volonté de créer une intensité, une force narrative, et certainement une forme de témoignage. Son style direct lançait les prémices du Roman Noir, dont il est pour tous les passionnés et pour toujours le créateur. Ces Coups de feu dans la nuit pourraient bien devenir le livre de référence des amateurs de noirs polars.


1 commentaire:

pierre bondil a dit…

Bonjour,
Très intéressant recueil, utile et nécessaire, mais qui ne saura prétendre au livre de référence que quand les nouvelles dont les traductions sont faiblardes, peu fidèles à l'esprit de la v.o. ou (pour ce qui concerne "Crime en jaune", qui s'appelle en réalité "Meurtres à Chinatown", cf la biblio) contiennent des contre-sens, auront été retraduites ou au moins revues par des traducteurs totalement compétents.
À signaler que l'on aurait découvert aux États-Unis quinze nouvelles inédites, dont une, qui s'appelle "So I shot him" et doit paraître fin février 2011, serait vraiment représentative du style de Hammett. Authentiques ou apocryphes, l'avenir nous le dira.
Cordialement
Pierre Bondil