jeudi 20 janvier 2011

Jonathan Coe : la vie très privé de Mr Sim

Comme s'il avait refermé la parenthèse, ouverte le temps d'un seul livre, le superbe et poignant mélo La Pluie, avant qu'elle tombe (éd. Gallimard, 2009), revoici Jonathan Coe en terrain familier. Car le talent romanesque du Britannique, tel qu'on a pu en juger depuis quinze ans et la traduction du savoureux Testament à l'anglaise, tient avant tout à un sens très aigu de la satire sociale, un ancrage résolument réaliste et contemporain. Une acuité insolente et tonique qui n'exclut pas une propension certaine à l'imagination, l'extravagance, voire le rocambolesque pur, non plus qu'elle ne masque tout à fait une pente profondément méditative, un fond mélancolique soigneusement retenu mais discrètement omniprésent. Ce savant mélange a produit des merveilles : après Testament à l'anglaise, donc, il y eut notamment La Maison du sommeil, Bienvenue au club, Le Cercle fermé. Et il semble aujourd'hui que l'alchimie n'ait rien perdu de son efficience. Il suffit, pour en juger, de se pencher sur cette Vie très privée de Mr Sim, où s'emmêlent réalisme et drôlerie, où se superposent tableau d'époque et portrait psychologique d'une perspicacité aiguë.

Comment présenter Mr Sim sans se montrer d'emblée désobligeant ? Dire qu'il est un raté serait exagéré - en outre, ce serait lui conférer un attribut trop singulier, trop extraordinaire. Disons peut-être qu'il n'est pas un homme doué pour le bonheur. Non plus d'ailleurs que pour le malheur - le vrai, le drame. Mr Sim est un homme sans qualités, un antihéros plus que parfait. Presque quinquagénaire, chargé du service après-vente dans un grand magasin londonien, récemment quitté par son épouse - laquelle a déménagé pour le nord de l'Angleterre en emportant leur fille dans ses bagages -, séparation qui l'a plongé dans un état dépressif. Bref, en cet hiver 2009 durant lequel se déroule le ­roman, Maxwell Sim est un homme ordinaire et circonspect que la vie malmène, sans qu'il soit possible de conclure pourtant que la poisse lui colle aux semelles, à la paume des mains. Un homme solitaire, qui compte ses amis par dizaines sur Facebook, mais n'a personne à qui parler lorsque les antidépresseurs ne suffisent plus à endiguer ses accès de désespoir.

Envers ce type sous tous rapports tellement moyen et fatigué qu'il en est franchement attachant, Jonathan Coe nourrit pourtant de bien sombres desseins. C'est dans une sorte de voyage initiatique qu'il l'entraîne - mais alors que de ce genre d'aventure tout personnage romanesque sort généralement plus fort et plus savant, ce n'est pas, hélas ! ce qui attend Max Sim. Le décor de ce voyage, c'est l'Angleterre d'aujourd'hui, que Max entreprend de parcourir du sud au nord en voiture, pour le compte d'une entreprise de fabrication de brosses à dents. Autoroutes, zones industrielles, banlieues grises... Pour seule compagnie, Max dispose de l'imperturbable voix féminine de son GPS, qu'il baptise Emma, dont il tombe vaguement amoureux. Jalonnant sa route, des rencontres et des flash-back minutieusement orchestrés retracent son existence et les multiples ratages et échecs familiaux, amicaux, sentimentaux, dont elle est construite depuis l'enfance - et qui sait même si l'origine de cette malheureuse spirale n'est pas antérieure à son arrivée sur Terre...

L'entreprise de Jonathan Coe est plus qu'habile, qui voit s'approfondir de page en page le portrait de Max, et s'affirmer cette ultramoderne solitude dans laquelle il est enfermé. On se sait trop ce qu'il convient d'admirer le plus ici : la pénétration psychologique dont Coe fait preuve, l'acuité du regard qu'il porte sur notre époque et ses faux-semblants, l'intelligence et la dextérité avec laquelle il agence les scènes et séquences en une narration fluide, drôle, captivante - dont on ne mesure la dimension hautement ironique qu'à la lecture de l'ultime page du roman. Au terme de quoi, il ne fait aucun doute que Jonathan Coe est un maître - rien de moin

Nathalie Crom

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