Sept notes en grappe serrée, cinq autres : un éclair, foudroyant. La première fois qu'on entend Layla, on sait tout de suite. On reconnaît mais quoi ? Un standard, un classique ? Mots étranges pour cette chanson monstre au-delà de sept minutes et qui toise de haut le reste des traces laissées sur disque par le sieur Eric Clapton. Derek (c'est lui) et les Dominos (nom de fortune à parfum doo-wop) ont duré ensemble un an, le temps d'enregistrer le double Layla and other assorted love songs et de se casser les dents sur un deuxième album, mort-né. Clapton dès le plus jeune âge s'est fait une spécialité de quitter les groupes où on lui faisait de l'ombre : Yardbirds, Bluesbreakers de John Mayall, Cream qui le propulsa star… Mais le besoin de se frotter à d'autres egos était aussi fort que son fichu caractère. Blind Faith avec Stevie Winwood, et donc les Dominos. D'où viennent-ils, ceux-là ? De chez Delaney & Bonnie, où Clapton a été pigiste de luxe. Carl Radle à la basse, Bobby Whitlock aux claviers, Jim Gordon à la batterie. Plus un invité de prestige, Duane Allman : le plus doué des brothers, énormes rouflaquettes et crinière blonde, duelliste adoubé par le guitariste dit Slowhand (« main lente », une blague) ou God (une autre blague ?), dont les fans se grisaient du moindre effet de manche. Puis l'homme au masque fermé s'est mis à chanter : événement de Layla, l'album et la chanson. Calme virtuose gorge déployée, tripes à l'air. Layla déchire tout. L'histoire est connue : sous le nom de princesse orientale, Patti Boyd, alors femme de l'ami George Harrison. Pour elle, Clapton se met minable, en morceaux. Sort du pathos par poignées épaisses et hisse une lettre d'amour indécente au sommet du blues. Ça, du blues ? Ce cri pareil au Bernadette des Four Tops, l'Egypte aux portes de Motown… Hymne interrompu par un piano romantique (Jim Gordon) et sur son épaule vient pleurer la guitare tout ce qu'elle sait. Ça, du Clapton ? François Gorin.
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