Jadis je fréquentais assidûment les salles obscures et comme tout bon cinéphile manquait rarement « Le Cinéma de Minuit » présenté par le talentueux Patrick Brion. C’était un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était un temps où pour ne déranger personne, je m’installais dans la cuisine avec mon téléviseur portable doté d’un écran de 25cm de diagonale. Sans oublier le casque pourri aux cent mille nœuds et au cordon trop court. Mon cul sur une chaise raide et la tête dans le poste, je luttais désespérément en attendant la fin du journal de la nuit suivi des interminables pages de réclames. Le générique me tirait un temps de ma torpeur, avant de sombrer aux accents monocordes de la présentation du film par Patrick Brion que je « regardais d’une oreille distraite ».Le rituel était toujours le même. Je commençais à m’affaisser doucement sur ma chaise avant de carrément m’avachir. Puis m’accouder sur la table. Mon front se collait à l’écran pour ne pas s’écraser sur la table. Et mes yeux suivaient le sous titrage tel un balancier d’horlogerie. Si d’aventure je cherchais à me servir dans le frigo, le casque au fil trop court me rappelait à l’ordre et me défigurait. Je finissais la séance livide, épuisé mais heureux. Car mes plus grands bonheurs viennent de ces séances inoubliables.
Si le film a raflé en 1964 le Prix spécial du jury au Festival de Cannes, ce n'est sûrement pas pour sa grande quête d'abstraction. Mais parce qu'adapté de l'écrivain Abe Kobo, il se posait comme une parabole de l'aberration de toute trajectoire humaine, quelque part entre Beckett et Kafka.
De fait, l'histoire de la Femme des sables tient un grain : un homme, dont le passe-temps favori est de photographier les insectes, marche dans le désert et se retrouve nez à nez avec des villageois qui lui offrent pour gîte une fosse à côté de la cabane d'une jeune veuve. L'endroit se trouve être, en fait, une poche ensablée, menacée en permanence d'être engloutie. Les habitants l'ont piégé là pour qu'il aide la femme à déblayer éternellement le sable. L'homme comprend qu'il va crever ici, comme un chien, à attendre sa ration d'eau hebdomadaire. Nulle humanité autour de lui, sinon cette assoiffée avec qui il va devoir passer le reste de sa vie.
un film génial au grand pouvoir d'attraction, en partie pour la précision malade de sa photographie, son travail en gros plan sur les textures de peau. Restent surtout ces cadrages insensés : grands plans lointains ou vision macro, ce sont des successions d'images qui n'ont volontairement plus de centre, ont perdu tout équilibre. Dans ses plus beaux moments, la Femme des sables est comme une estampe déboussolante.
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