Il est des choses que l’ont ne peux cacher bien longtemps. Elles se voient, s’entendent et se lisent. L’autre jour une relation m’a demandé : « ben dites donc, vous n’avez guère l’air d’être en forme.» Ah bon ! que je me suis pensé tout en réfléchissant dans une glace ma personne, question de voir en forme de quoi. Tout bien réfléchi, je dois admettre n’y avoir vu que le reflet de moi-même avec une mine de papier mâché. Ca m’a chiffonné. « Tu prends un mauvais pli, mon gars, et forcément tu te froisses d’un rien» que je me suis pensé. Alors j’ai répondu évasivement que j’étais sujet à l’ennui. Je sais c’est vague (à l’âme) mais suffisamment générique pour tenter d’expliquer un mal être passager qu’on se trimballe comme une grosse et vieille valise d’une consigne à une autre, dans l’espoir de la perdre un jour ou l’autre avec le ticket de consigneet rentrer chez soi en sifflotant les bras et le cœur légers.
«Comment peut-on s’ennuyer ? m’a-t-elle rétorqué. Vous pratiquez la photographie, vous écrivez, vous faites certainement plein d’autres choses, comment pouvez-vous vous ennuyer ? Je crois bien ne m’être jamais ennuyée.»
Elle prenait ça très au sérieux. Et je voyais pas très bien comment aborder le sujet sans tomber dans le grand dévidoir d’encéphale. J’avais répondu l’ennui. J’aurais pu tout aussi bien répondre le spleen, la mélancolie, le cafard, l’accablement, la vacuité, le dégoût… L’ennui était venu en premier.
« Parce-que vous savez, ça me turlupine cette histoire d'ennui.... » J’ai trouvé ça plutôt touchant que quelqu’un se penche sur mon ennui sans que je lui demande rien. C’est même plutôt rare. La plupart du temps on en est à pas savoir très bien ou poser sa valise, alors les valises des autres. Regardez dans le train. La moindre mémé peut finir écrasée sous sa valise sans que quiconque n’esquisse le moindre geste, sinon gueuler que le passage est obstrué par une mémé morte et une valise géante non étiquetée qui n’a plus de propriétaire. Bon je sais plus pourquoi je suis monté dans ce foutu train. Ah oui, le train-train de l’ennui. C’est pas grave, je finirais bien par en descendre.
En attendant il y a une personne compatissante qui m’aide à descendre ma valise. Je devrais être plutôt content et dire merci et voilà que je reste bête sur le quai ma valise à la main. « Reste qu’il existe un ennui plus radical, ajoute-t-elle, comme le dit Pascal dans les Pensées : celui où l’individu s’ennuie lui-même et de lui-même. Il a beau être entouré de tous les objets qui habituellement constituent pour lui les moyens de donner sens à ses activités mais pourtant plus rien n’est susceptible de s’inscrire dans une quelconque temporalité finalisée. L’individu sait pertinemment qu’il retrouvera la temporalité finalisée de ses activités quotidiennes mais il est pourtant submergé par une absence complète d’appétence, pire que cela, un véritable dégoût de lui-même, un désespoir qui le rapporte à sa propre temporalité vide. Ce ne sont pas tant les objets qui posent problème plutôt que moi-même confronté à une absence de fin et donc à une absence de signification : je ne suis alors plus rien d’autre que cette « temporalité vide et insensée, c'est de cela dont vous parlez ???? c'est à cela que vous pensez ????? »
Oui, c’est ça. Sur le coup j’ai cru que la citation était de mon beau-frère avant de me souvenir du philosophe. je l’ai abandonnée sur le quai et suis rentré à la maison question de voir ce qu’en pensait le petit qui prépare le bac français. Il est arrivé dégingandé, pâle comme un linge. On aurait dit moi en jeune et plus grand. J’ai levé la tête et ne lui ai pas parlé de Blaise pour éviter l’embrouille. Juste caressé sa joue et esquissé un sourire. C’est novembre. Ca va passer, que je me suis dit.
Cette nuit, j’ai très mal dormi, j’ai toujours ma gueule de papier mâché, Pupuce itou, le petit est toujours aussi pâle que la veille et Rosiane entre à l’hôpital mercredi. C’est novembre.
Mon amicale relation a tenté ce matin de s’excuser sans trop que je comprenne pourquoi : « Que je n'aime pas être maladroite.....en fait il y a des mots qui me font monter au créneau et "ennui" est de ceux là. je suis désolée de vous avoir fait de la peine car je sens que je m'enfonce un peu plus..... c'est toujours comme ça quand je veux rattraper une gaffe »
Alors je lui ai dit que surtout elle ne rattrape rien. Tendre une gaffe à un noyé, cela s’appelle un sauvetage.
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