Dans un entretien aux Inrocks, paru en août, Marie NDiaye avait qualifié la France de Nicolas Sarkozy de "monstrueuse". Depuis deux ans, elle vit à Berlin, en Allemagne. À l'époque, Marie NDiaye avait expliqué: "Nous sommes partis juste après les élections en grande partie à cause de Sarkozy (...) Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité... "
Du coup, après le Prix Goncourt qu'elle a obtenu, le député UMP Eric Raoult a adressé la semaine dernière une question écrite au ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, pour exiger que les Prix Goncourt observent un inédit "devoir de réserve".
Pour Eric Raoult, les propos de Marie Ndiaye "d'une rare violence sont peu respectueux, voire insultants, à l'égard de ministres de la République et plus encore du chef de l'Etat. Le droit d'expression ne peut pas devenir un droit à l'insulte ou au règlement de compte personnel.
A ce propos, voici le point de vue de Pierre Assouline publié sur son blog en date du 13 Novembre 2009.
"Franchement, j’avais l’intention de faire l’impasse sur cette lamentable polémique lancée par Eric Raoult, député UMP et maire du Raincy. Je n’imaginais pas qu’une idée aussi grotesque puisse faire boule de neige : réclamer d’un écrivain, fût-il lauréat du prix Goncourt, qu’il s’en tienne à un “devoir de réserve” qui l’empêcherait, comme la romancière Marie NDiaye l’a fait dans une interview, de juger la France de Sarkozy ”monstrueuse” et les ministres Hortefeux et Besson itou :“Pour moi, ces gens-là, ils représentent une forme de mort, d’abêtissement de la réflexion, un refus d’une différence possible”. Un devoir de réserve ! A un artiste ! Comme s’il s’agissait d’un fonctionnaire de l’Etat ! On croit rêver. D’autant que le député a publiquement demandé au ministre de la Culture de se prononcer, ce dont M. Mitterrand se garde bien. Bref, je comptais oublier les mauvaises manières de l’épais crétin de Seine-Saint-Denis lorsque j’ai reçu, pas plus tard qu’hier, un courriel personnel plein de bonnes manières celui-là, de la part d’Eric Besson, justement. Foin de mon devoir de réserve vis à vis d’une missive d’ordre privé, voici l’invitation que me faisait tenir sa conseillère :
“(…) Au nom d’Éric BESSON, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, nous vous invitons à réserver votre soirée du 16 décembre 2009 pour un « Dîner Citoyen » réunissant les femmes et les hommes nourris de la relation unique entre la France et le Maroc. Français d’origine marocaine, Marocains de France ou, comme Éric BESSON, Français nés au Maroc, ce dîner rassemblera des personnalités de tous horizons et de tous bords politiques, issues du milieu artistique, sportif, politique, associatif, économique ou académique. Vous êtes l’un des éminents représentants de cette communauté franco-marocaine et nous espérons donc avoir le plaisir de vous retrouver le 16 décembre (…)”
Déjà que l’expression “dîner citoyen” est de celles qui me coupent l’appétit en attendant pire, j’étais prêt ce soir-là à me réfugier plutôt auprès des clodos du Macdo. Dans un premier temps, je me suis frotté les yeux. C’est vrai, je demeure très attaché au Maroc où je suis né, où j’ai grandi, jusqu’à mon adolescence, et à son peuple. Mais qu’en sait-il, le ministre ? Je suis français et républicain. Le reste ne regarde que moi. Qu’est-ce qui lui permet de m’enrôler dans une improbable “communauté franco-marocaine” dont j’apprends l’existence ? Si ce n’est du communautarisme light, qu’est-ce donc ? Et si détestais le Maroc, au point de renier toute attache autre qu’administrative, au nom de quoi se permettrait-il de m’y rattacher d’office ? J’ignore même quel ministre au juste m’invite à être le probable commensal d’Elisabeth Guigou, Dominique de Villepin, Jean Reno, Gad Elmaleh, Arthur, Guy Forget, Jean-Charles de Castelbajac et quelques autres : le ministre de l’Immigration ? celui de l’Intégration ? ou celui de l’identité nationale ? à moins qu’il ne s’agisse de celui du développement solidaire, ce qui me permettrait au moins d’apprendre ce que cela recouvre. Vous imaginez la conversation à table avec mes “compatriotes” : ah le protectorat, c’était le bon temps ! et quelques verres plus tard, on s’interrogerait sur notre marocanité refoulée… Eric Besson est natif de Marrakech mais il a fait ses études chez les jésuites agriculteurs près de Rabat comme personne, puis au lycée Lyautey de Casablanca comme tout le monde. Mais à quoi cela rime, en plein faux-débat sur l’identité nationale instaurée en lieu et place du défunt roman national, de nous réunir sous l’égide du ministre entre anciens de là-bas ? Un dîner franco-tunisien avait inauguré la série au printemps. Pour les franco-sénégalais, c’était en septembre. Ironie de l’histoire : l’historien Pap NDiaye, frère de la romancière, qui y était convié, n’y avait pas donné suite (quelle famille !). Pour les Algériens, on doit déjà afficher complet mais ils ne couperont certainement pas à un excitant discours de Jean Daniel sur “Camus et moi”. Et après, ceux d’Indochine regroupés entre natifs ? A quoi riment ces rafles mondaines franco-ethniques ? Au fait, comme l’invitation était polie, j’ai répondu de même. En la déclinant pour cause de voyage à l’étranger. Ce qui est vrai. Si j’avais été dans-mon-pays-la-France à ce moment-là, qui sait, j’aurais peut-être accepté. Au cas où j’y aurais retrouvé mon identité. Juste pour vous raconter la soirée par le menu. Au mépris de tout devoir de réserve."
Pierre Assouline.
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