Rosiane, ma belle-mère, hospitalisée à Lariboisière, pour une chirurgie digestive lourde, va nettement mieux. Ouverte du sternum au pubis, elle fait son jogging chaque avec deux gardes du corps autour de Lariboisière, complété par une petite centaine de pompes avant d’attaquer le couloir avec la lavette. L’autre matin elle s’est frittée la gueule avec la patiente de la 105 « équipée comme une putain sans pratique » qui voulait lui tirer son seau et sa serpillière. Avec 6000 emplois de supprimés dans les Hôpitaux de Paris, la concurrence est rude et les malades mit à contribution.
Hier par exemple, prise soudainement d’une furieuse envie de pisser, mais dotée d’une ceinture abdominale hors pair, elle a sauté du lit pour se rendre aux toilettes. Hélas, l’intendance n’a pas suivi. Quand je parle d’intendance c’est tout l’appareillage sur roulettes qu’il faut se trimballer du lit jusqu'aux deux mètres carrés de salle de bains, wc et vue imprenable sur l’amer.
A se pisser dessus à 73 ans, il y a de quoi être amère. Et Rosiane l’est. Amère aussi à attendre près d'une heure l’intervention d’une aide-soignante afin d’être changée et remise au lit. « Ils sont gentils, tu sais » 6000 postes en moins. Faut faire avec.
Depuis un an elle a une stomie et est appareillée avec une poche. Un corps étranger qu’elle ne supporte pas. L’hôpital lui en a fourni une bien jolie transparente et vidable. Le must. Eh bien, désormais que le transit à reprit, il va falloir qu’elle se la change elle-même. Certainement en restant allongée, appareillée et dans le même état de délabrement physique que celui dans lequel elle est actuellement. 6000 suppressions d’emplois.
J’ai jeté un œil dans le couloir vide au cas ou Roseline Bachelot servirait la soupe, ce qu’elle fait très bien d’ailleurs pour le compte de notre bon Président.
Et moi, je regarde Rosiane, livide et épuisée de douleur, me narrer dans un souffle tant bien que mal ses mésaventures. Je regarde son visage ravagé, son regard vide vers le plafond, je la regarde tenter de happer l’air qui semble lui manquer.
« Quand l’aut’ con à fait un malaise vagal, il a été pris en charge par les services médicaux de la France entière ! Nous, on a qu’à crever dans notre coin. » Je crois qu’elle a raison.
6000 suppressions de poste. Alors je lui tiens la main. Elle ne parle plus. Elle souffre. Elle souffle. Souffle et souffre encore et encore. Et nous parvient, le brouhaha incessant de la ville. Les rames de métro de la ligne 2 trimballent leur cargaison humaine. Les autos klaxonnent. Les pas claquent sur le pavé. Le pavé. Les pavés. La vie est dehors. Accroche-toi, Rosiane. On s’occupera de l’autre con après.
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