jeudi 19 février 2009

Esquisses de Boz 1

A cette époque Londres ressemble étrangement à celui de la fin du XVIIIème siècle. La ville n’a pas encore connu les grandes et nombreuses transformations de l’ère victorienne. Trafalgar Square n’est que l’emplacement d’une vieille auberge. Haymarket, le marché au foin, est le point de rencontre de fermiers apportant leurs produits à vendre. Il n’existe pas d’omnibus et Londres retentit du bruit des carrioles, des charrettes, des voitures de place, des fiacres et des vieilles diligences à quatre chevaux. Les rues sont le spectacle des combats de chiens et de coqs. Il y a le pilori et de nombreuses pendaisons publiques. Les rues à l’hygiène urbain des plus sommaires, grouillent de tavernes et de gargotes.
En 1823, C’est ce Londres qui s’offre aux yeux du jeune Charles Dickens. Il fait son entrée dans ce qui va devenir son royaume et s’installe avec sa famille à Bayham Street dans le quartier demi-rural et tranquille de Camden Town. Là, on trouve des prés peuplés de moutons et de vaches. La route menant de Camden Town au hameau de Kentish Town passe à travers champs, sans éclairage public, peu propice aux agissements des voleurs de grand chemin. « Il reçut dès le début de sa vie à Bayham Street, ses premières impressions sur cette lutte contre la pauvreté qui ne se manifeste nulle part de façon aussi éclatante que dans les rues ordinaires d’un banal faubourg de Londres » écrira son ami et biographe John Forster. En 1824, son père est mis en prison pour dette, à une époque où, au seuil de sa treizième année, le jeune Dickens, qui n’a pas fréquenté l’école depuis plusieurs mois, est employé chez un cousin fabricant de cirage. Dickens restera à jamais marqué par le souvenir humiliant de cette époque de désespoir. Le petit garçon parcours cinq miles pour aller à son lieu de travail et en revenir. Les trajets à pieds, la marche au hasard occupent une grande partie des années londoniennes du jeune Dickens. Il erre ainsi dans les rues absolument seul, observant sans cesse combien « majestueux et mystérieux » tout parait être. Même dans sa situation d’enfant perdu et solitaire il est inspiré par une solide foi dans le caractère merveilleux de chaque chose.
Le quartier entourant la fabrique de cirage – le Strand, Covent Garden, le pont de Blackfriards et le vieux pont de Londres lui deviennent rapidement familiers. Il découvre le long de la Tamise «une vielle maison branlante, délabrée donnant naturellement sur la fleuve et littéralement infestée de rats. Ses salles aux murs couverts de boiseries, ses parquets et ses escaliers pourrissants et les vieux rats gris qui grouillaient dans les caves, et le bruit de leurs petits cris grinçants et de leur galopades quand ils montaient l’escalier à n’importe qu’elle heure, et la saleté et la décomposition, tout cela surgit devant moi.» Cette antique maison le hanta. Elle devint la maison croulante de Nicolas Nickleby, « la maison à l’escalier obscure et boiteux » de Fagin dans Olivier Twist.

Sur son trajet quotidien surgissent dans la vie matinale de la cité, les employés et les garçons de bureau, les apprentis balaient les boutiques et arrosent les trottoirs, les domestiques et les enfants envahissent les boulangeries, les diligences rapides accomplissent leurs parcours réguliers. Entourés des cris de Londres clamés par tous ses vendeurs de petits commerces, il croise les bonimenteurs ambulants, les marchandes de quatre-saisons, les vendeurs de pommes de terre au four, de séneçon, de pâtés, de râpe à muscade, de colliers pour chiens, de lacets, d’allumettes chimiques et de peignes et de rhubarbe, les voleurs à la tire, les acrobates, les chanteurs noirs de sérénade. Il côtoie la pauvreté, la saleté, la crasse. Le brouillard, la brume, la fièvre, la folie.

Il finit par connaître la ville et ses habitudes en son ensemble. Les grandes artères bénéficient alors d’un nouvel éclairage au gaz. La flamme s’intensifie puis faiblie, jetant une lueur tremblotante sur les rues et prête aux maisons et aux piétons une qualité légèrement irréelle, théâtrale même. Parcourant ainsi ces rues, observant les passants, il crée des histoires tirées de sa propre détresse.

A son contact permanent Dickens peut imiter le bas peuple des rues de Londres dans toutes ses variantes, qu’il s’agisse du simples flâneurs, de marchandes de fruits et de légumes, ou de n’importe quoi.

Certains endroits vus par lui, s’imprègnent de sombres mystères où d’étrange enchantements. Ainsi la prison de Newgate, devant laquelle il passe souvent et qui exhibe les corps des condamnés récemment pendus. Un lieu de crime et de châtiment. Les prisons, les exécutions. Des monstres créés par la fange et qui en émergent doucement pour former les composantes de son imagination.

La vie nocturne aussi le fascine. Il est particulièrement frappé par le monde de Seven Dials « Quelles visions désordonnées de prodiges de perversité, de dénuement et de mendicité ce quartier faisait-il surgir sur moi »

Londres où les rues sont le lieu d’éclosion de la maladie et de toutes les formes de licence sexuelle. Les impasses et les buissons servent de water-closets; les rapports sexuels en pleine rues avec des prostitués ne sont pas rares et il suffit de lire des rapports de premières mains sur les débits de boissons et les quartiers « populaires » pour se rendre compte que de tous les divertissements offerts aux indigents, seul la sexualité était gratuite et constituait l’unique plaisir des pauvres.

Et tout en marchant, Dickens rumine et ses ruminations deviendront des impressions. Il méditera sur la misère vivant côte à côte avec le gaspillage. En vagabondant, il s’identifie aux êtres qu’il observe. Son génie réside dans une sympathie imaginative aussi puissante que le monde l’accable.

Les personnages de ses romans paraissent aussi fortement enracinés dans la ville que s’ils avaient été créés par elle, comme si les ténèbres de Londres s’étaient condensées pour se transformer en minuscule silhouettes vagabondes.

1 commentaire:

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