Il fut un temps ancien où j’étais plus enclin à enjamber la Seine pour me perdre sur sa rive gauche. Mes pas me portaient alors de St Michel au Montparnasse apprécié en son temps pour son calme, son espace et sa verdure. Depuis belle lurette, jardins et vergers ont été urbanisés. Au fil des témoignages issues de mes lectures, j’essayais de deviner fermes et écuries là où il n’y a plus que des immeubles cossus. J’imaginais les marchés d’alimentation, les forains, les montreurs de chèvres et de chiens savants, les avaleurs de sabre et les cracheurs de feu. Où étaient désormais les rues marchandes et les petits métiers rapidement relégués vers la périphérie ?
Avant de rejoindre la rive droite par Notre-Dame, je faisais toujours une petite halte chez Shakespeare & Company, cette librairie anglaise qui tire son nom de celle ouverte par Sylvia Beach rue de l’Odéon, une amie de James Joyce et Ernest Hemingway.
La langue anglaise m’est parfaitement inconnue, mais je trouvais toutefois plaisir à me perdre en ce labyrinthe des lettres qui impressionne toujours autant le mauvais élève que j’ai été.
De Montmartre au quartier des Halles J’aimais suivre un itinéraire tortueux qui empruntait les rares voies privées et piétonnières existant encore à Paris. Lyon protège ses traboules, Paris ses passages couverts où boutiques de luxe avoisinent avec des magasins plus modestes. Je me laissais alors bercer par ces lieux chargés d’histoire. Plaçais mes pas dans ceux d’Aragon passage Jouffroy, ceux du comte Muffat à la recherche de Nana au Théatre des Variétés, passage des Panoramas. Retrouvais le Bardamu de Céline passage Choiseul, sans l’urine, les crottes, les glaviots et le gaz qui fuit, en me demandant où étaient les odeurs de jadis évoquées par Verlaine.
Suivaient les belles et très fréquentables galeries Colbert et Vivienne pour terminer par la galerie Vero-Dodat, quasiment déserte, où se cachaient derrière les vitrines encadrées de cuivre des vestiges peut-être en train de mourir une seconde fois dans l’indifférence, avant de déboucher comme sur un égout à ciel ouvert dans le grouillant et affairiste quartier des Halles qui draine désormais le chaland, l’urine, la crotte et les glaviots.
Qui sait, peut-être de magnifiques pages de littérature s’y écriront, dans les miasmes et la putréfaction d’une ville en perpétuelle mutation. Des pages que faute de temps je ne lirais certainement pas. Que voulez-vous, chacun invente sa ville et j’aime encore aujourd’hui à flâner dans le maelström de la grande Cité, y photographier une ville rêvée qui s’estompe comme le sont les souvenirs de la mémoire. Alors demain, je pars rêver d’un ailleurs que je crois meilleur. Que voulez-vous, Paris sera toujours Paris. La nostalgie, quant à elle, n’est plus ce qu’elle était…
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