L’autre soir, je suis tombé par hasard sur la programmation de « Il était une fois en Amérique » de Sergio Leone. Aux accents du « God bless America » cet « hymne » américain officieux diffusé par une radio qui ouvre le film je me suis à nouveau laissé emporter par cette intrigue complexe, racontée sous forme de flash back.
« Il était une fois en Amérique » est l’adaptation d’un mauvais roman de Harry Gray, « The Hoods » inspiré de sa propre vie. Ce qui n’aurait pu être qu’un énième film de gangsters de série Z, se transforme sous la camera de Sergio Leone en flamboyante tragédie.
Dans les années 20, enfants du Lower East Side, quartier très populaire situé au bord de l’East river près du pont de Manhattan, Noodles’, Cockheye, Patsy’, Dominic et Fat’ Moe grandissent entre petites combines et menus larcins dans le ghetto de New York. Le réseau maffieux leur confit de petites missions de confiance dont ils s’acquittent pour un maigre dollar voire l’autorisation de dépouiller un ivrogne de sa montre. Montre dérobée par un plus malin en la personne de Max’ Bercovicz, un nouvel arrivant dans le ghetto avec lequel la bande va nouer un pacte d’éternelle amitié.
Jusqu’alors, Noodles’ (nouille) était le leader de la bande. Un leader amoureux transi de Deborah, l’insupportable et prétentieuse sœur de Fat’ Moe. Un leader qui lit Martin Eden de Jack London à la lumière des toilettes. Un leader sans réelle envergure et qui a tout pour devenir un homme bien ordinaire dans un monde sans pitié pour les faibles. Mais il lui faudra choisir entre Deborah, dévorée d’ambition qui refuse son milieu social, ou Max.
Suivra une ascension sans gloire dans la pègre, le trafic d'alcool, les fumeries d'opium. Mais aussi la violence, les meurtres sauvages, les années de séparation lorsque Noodles’ se retrouvera durant quelques années derrière les barreaux et la période de gloire éphémère d’un speakeasy durant la Prohibition dirigé par la petite bande d’associés sous la coupe d’un Max plus ambitieux et déterminé que jamais. Suivra cette « trahison » qui détruira leurs vies à jamais.
God bless America, my home sweet home
God bless America, my home sweet home!
En 1968, Noodles’ est un homme las et solitaire lorsqu’il débarque à la gare routière qu’il a quitté voilà plus de trente ans en y abandonnant une valise vide pour y revenir avec le fardeau de toute une vie dans un bien maigre bagage. Lower East Side est maintenant la proie des pelleteuses et son seul vrai repère dans ce quartier qu’il ne reconnaît plus est le restaurant familial du seul ami qui lui reste en la personne de Fat’ Moe. Tout le travail de Leone repose sur une admirable mise en scène où les dialogues sont plutôt rares, juste nécessaire. Seules les images dévoilent une émotion poignante et saisissante dans ces admirables retrouvailles. L’un et l’autre ont vieilli. Aucun ne s’est enrichi. Et à la question de Fat’ Moe : « qu’est ce qu’as fait toutes ces années ? » - « Je me suis couché de bonne heure. » sera la réponse laconique de cet homme ordinaire pensif et méditatif, qu’on imagine sans mal avoir vécu une vie on ne peut plus ordinaire, habitée par l’incompréhension, le remords et la culpabilité.
Mais alors que s’est-il donc passé trente-cinq ans plus tôt lorsque poursuivi par des tueurs, Noodles’ a laissé le cadavre de ses amis et un Fat’ Moe agonisant pour prendre la fuite vers n’importe où ?
C’est ce que va nous révéler avec maestria Sergio Leone dont a réalisation alterne les scènes chocs, d’émotion ou cocasses avec un rythme contrasté au service d’une « mise en scène qui privilégie une lenteur synonyme de contemplation et de réflexion, de gravité et de nostalgie » mais aussi parfois avec « des éclats de violence animale et de déraison » comme le sont à mes yeux les insoutenables scènes de viol pratiquées par deux fois par Noodles’ pour démontrer à lui-même et aux autres, comme un aveu d’impuissance, enfin une forme de virilité.
On pourrait évoquer longuement l’évolution des personnages en parallèle de la société. Max et Deborah se caractérisent par leur volonté d’être plus tard les premiers. Max incarne le monde de la pègre et Deborah le monde du spectacle. Ils réussiront à intégrer l’Establishment par la violence pour l’un et la compromission pour l’autre. Une société gangrénée petit à petit par la pègre jusqu’à sa corruption généralisée au pouvoir politique associé au monde artistique dans les années soixante. Mais cette réussite a un envers car elle ne s’est accomplie que sur les décombres des amitiés brisées et de l’innocence saccagée.
Cette ultime œuvre est sans aucun doute la plus pessimiste, du moins la plus noire de Sergio Leone ; une œuvre qui porte un regard désenchanté et amer sur la vie. Ce regard éperdu, absent, nostalgique de Noodles’ vieilli n’est-il pas en fait celui de Sergio Leone ?
God bless America, my home sweet home
God bless America, my home sweet home!
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