Les enfants non désirés aiment-ils les histoires tristes ? Parmi tout le fatras bibliographique de ma mémoire je n’ai conservé des lectures romanesques de ma jeunesse que des livres ayant trait à l’enfance malheureuse. En tout premier lieu celle des joyeux Moffat d’Eleanor Estes, merveilleux livre lu et relu a satiété, perdu de vue pendant plus de trente ans (avant de suivre ma formation de bibliothécaire et y apprendre à pratiquer la recherche bibliographique) pour enfin retrouver sa trace et le découvrir enfin cinq ans plus tard sur le Net. J’en conserve désormais deux exemplaires dans ma bibliothèque, le second acheté dans une brocante sur l’Ile de Ré pour cinquante centimes d’euro. Mais un jour nous y reviendrons. Il y avait entre autres oubliés, les romans d’Hector Malot et enfin ceux de Charles Dickens.
J’en suis venu à me poser la question liminaire après la relecture à dix ans d’intervalle d’un de des grands romans de Charles Dickens : Bleak House. Je présume sans rien affirmer que les lectures de Dickens dans mon enfance devaient être des versions expurgées et adaptées. La vision des merveilleux films de David Lean, Oliver Twist et Des Grandes Espérances a certainement contribué à me faire aimer son univers. Il ne serait pas juste d’oublier la belle adaptation de David Copperfield pour l’O.R.T.F par Claude Santelli.. Mais je ne saurais jamais déterminer avec précision si ce sont les livres ou les adaptations cinématographiques qui ont concouru à me rapprocher le plus de cet auteur.
J’ai donc depuis toujours eu une relation avec Dickens. Une longue amitié devrais-je dire. Aimé Dickens, adoré parfois, détesté aussi pour cette complaisance dans un pathos et une mièvrerie assez conventionnels dans la littérature victorienne. Aimé, disais-je, mais rejeté aussi, abandonné un temps….pour y revenir bien des années plus tard avec un regard neuf et me laisser à nouveau séduire.
Les aventure M. Pickwick, Olivier Twist les grandes Espérances, Temps difficiles, quelques contes et chroniques sont régulièrement réédités en collections de poche. En 1979 les éditions 10/18 eurent l’excellente idée de nous livrer quelques romans indisponibles depuis la première traduction du XIXème siècle. Le magasin d’Antiquités, Barnabe Rudge, Martin Chuzzlewitt, Nicholas Nickleby furent donc mes première lectures de Dickens à l’âge adulte.
S’il est impossible de classer l’œuvre de Dickens dans une catégorie déterminée, et certainement pas dans la catégorie jeunesse, c’est parce qu’avant toute chose Dickens est avant tout un enchanteur, un grand artiste guidé par son génie, génie sans cesse en ébullition tout au long de sa carrière. Au-delà du thème récurent de l’enfance malheureuse, il y a une incontestable grâce d’écriture, une spontanéité créative, un humour, un engagement, (loin d’un marxisme ridicule dont certain l’ont affublé). Lors de la gestation difficile de ses romans en livraisons hebdomadaires ou mensuelles, rappelons-le, Dickens n’avait pas pour idéal de lutter contre le goût de son public, mais de le suivre et incidemment lui enseigner des vertus comme la Charité sous toutes ses formes pour les déshérités, la tolérance à l’égard de toutes les croyances, le respect de la personne humaine et ce sentiment généreux d’une vaste solidarité qui relie les hommes. Tout cela peut sembler bien ridicule et puéril pour un lectorat d’aujourd’hui. Pour ma part, je pense, que c’est pour toutes les raisons évoquées ci-dessus que l’œuvre de Dickens est assurée de nous survivre. Elle a subi depuis plus de cent cinquante ans l’épreuve du temps (de la critique à l’analyse littéraire ou psychanalytique), et continuera à ravir des générations de lecteurs. C’est en cela qu’elle est immortelle.
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