Je vous ai menti. J’en ai honte. Je n’ai pas passé tout l’été à écouter les sonates pour piano de Beethoven par Paul Lewis. Il y a eu aussi le concert de Jordi Savall durant les Voix d’été en Creuse.
Il avait plu à seaux toute la journée. Entre deux seaux, d’eau et de peinture, car je rappelle aux distraits que je m’attelais toujours au ravalement de façade, j’ai sorti Yann et Aurélie dans les bois question de leurs remplir narines et poumons d’un parfum d’humus et d’herbe mouillée.
Sur le coup de dix huit heures les mains tavelées de jaune, Françoise Jean-Pierre et moi-même sommes partis à Chambon sur Voueize.
Le ciel s’est soudain déchiré et les stries rasantes des rayons du soleil caressaient les vaches et les terres gorgées d’eau.
A Chambon le parking affichait complet et il y avait trente mètres de queue à l’entrée de l’abbatiale plus d’une heure avant le début du concert. Tout le monde scrutait les Cieux la main sur le K-Way. L’abbatiale séchait sous un reste de soleil pâle.
Paraît qu’en l’An 2008 de notre ère : Les invasions de mélomanes ravagèrent les terres limousines. Ils affluèrent le 14 août en si grand nombre que l’Abbatiale Sainte Valérie de Chambon s’avéra trop petite pour les recevoir tous, sans compter que les V.I.P. avaient squatté toutes les meilleures places. Et autant vous le dire tout de suite le joyau du Limousin, ce n’est quand même pas la salle Pleyel. C'est donc au cœur de ce vaste édifice de style roman que je me suis tapé un cul sur une couineuse empaillée avec vue imprenable sur un festival de nuques et d’oreilles poilues. La nef composée de neuf travées était pleine.
Il y avait bien une place de choix sur la chaire encombrée d’un projecteur voire accroché au Christ en vis-à-vis. Personne n’a profané l’édifice.
Parait aussi que L'abbaye renferme un trésor : un tableau peint sur bois « la décollation de Sainte-Valérie » Pour ma part j’aurais bien décollé la tête des quidams aux oreilles poilues devant moi question de voir un peu mieux Jordi Savall, Montserrat Figueras et Andrew Lawrence-King.
Vu que je ne voyais strictement rien, j’ai fermé les yeux, sérénité intérieure afin de mieux m’imprégner telle une éponge de la musique.
Jordi Savall s’est fait alors magicien pour un voyage au cœur de cette musique ancienne aux origines de la beauté, avec une viole bondissante associée aux accents oniriques de la harpe et à la voix de Montserrat Figueras. Un pur ravissement auditif. En visuel, c’était autre chose.
A l’entracte le bar était fermé. Il y eut un mouvement de foule. De nouvelles têtes encore plus grosses remplacèrent les anciennes. Je me suis mis debout et j’ai pu admirer au loin l’estrade vide en vidant une bouteille d’eau gazeuse.
A la reprise Andrew Lawrence-King nous enchanta Avec La Chaconne d’Amadis de Jean-Baptiste Lully à la harpe seule.
Puis en compagnie de Jordi Savall à la viole de gambe ils entamèrent Folie d’Espagne de Marin Marais, ce morceau de bravoure où Marais explore un large éventail de possibilités techniques et expressives offertes par son instrument de prédilection dans une série de variations sur le thème de la Folia, cette danse d’origine populaire qui se développa dans la péninsule ibérique dès la fin du Moyen Age.
Au cœur du voyage musical une voix est venue se mêler aux instruments. « Qu’est ce qu’elle a, cette connasse, à me suivre comme ça partout ? » J’ai ouvert un œil, le droit, pour découvrir un individu visiblement pris de boisson affalé contre une colonne.
« Salope ! parce-que j’suis de la cloche j’ai pas l’droit d’êt’ là ? Et c’est toi peut-êt’ qui va m’fout’ déhore ! »
Le mouvement de viole vacilla quelque peu. Il y eut un léger brouhaha suivi d’un chorus de « chut ! ». Et la musique de Marin Marais reprit ses droits.
La « salope » en question, visiblement une hôtesse d’accueil peut habituée à faire face devant pareille situation restait interloquée. Un collègue mâle vint l’assister en se plaçant derrière le gêneur. « C’est toi peut-être qui va me jeté dehors peut-être ? AAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHH !!!! » se mit à tonitruer le type accroché par l’épaule.
Le musique se tu. Le ton monta. Mon voisin, en l’occurrence Jean-Pierre, lança à la volée un : « Mais qu’est-ce qu’on attend pour sortir ce connard ! » Visiblement il avait raison. Moi je n’avais pas le droit de me battre pour raison médicale, mais les autres, hein, que faisaient les autres, bon sang ! « AAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHHH ! » bramait la cloche. « Espèce de bande d’enculés ! » Ce fut l’expression de trop. Des enculés pris au hasard se ruèrent manu militari sur le quidam et l’emportèrent au dehors.
Sous les applaudissements de la foule, les musiciens furent invités à nous offrir cette Folie salopée par un grossier sodomite. Jordi Savall et Andrew Lawrence-King assurément non démontés par l’événement, reprirent à la mesure près l’œuvre de Marais et la menèrent jusqu’à son terme. Lorsque qu’au terme d’un assaut de l’archet se plaçait un silence entre deux mesures on pouvait entendre dans le lointain quelques vite étouffés par les nouveaux accords de la musique.
Le concert prit fin. Les interprètes furent ovationnés comme il se doit et tout un chacun abandonna l’abbatiale à son silence.
Un gyrophare léchait les demeures endormies. Les Forces d’interventions locales veillaient. Des yeux on cherchait d’où émanaient ces « …..ande d’enhulés ! » en guise de bonsoir.
On est rentré sous la pluie. Rideau.
1 commentaire:
Hier, dimanche j'entreprend un ample rangement de mes disques. Au détour d'une pile, je retrouve un disque que j'apprécie, sans avoir jamais cherché à en retenir le nom.
En y regardant de plus près je m'aperçois que c'est une interprétation de la folie par Jordy Savall.
Nom d'une pipe, c'est le mec de papou !
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