"Elle venait de temps en temps, à pas et à mots comptés, toujours très douce en dépit du tourbillon des sentiments forts qu’elle portait dans sa voix grave. En un peu plus de dix ans, Lhasa n’avait sorti que trois disques, magnifiques. Parce que pour elle, les chansons devaient s’apprivoiser, longuement, avant de se livrer. Et que chacune d’entre elles devait être une nécessité. Jeune femme posée, réfléchie, cérébrale… mais aussi habitée par une étrange sagesse, comme venue du fond des âges, un instinct ancestral et une intelligence aiguë, qui impressionnaient ceux qui la rencontraient. Lhasa ressemblait aux « femmes qui dansent avec les loups » de Clarissa Pinkola Estés, créatures éternelles et animales qui nous ramènent à l’essentiel. Dès son premier album en 1998, son chant avait sidéré, par sa joie et sa mélancolie mêlées, sa puissance tellurique et pourtant délicate. Un blues, en espagnol. A l’époque, Lhasa (qui signait encore Lhasa de Sela) n’avait que 26 ans, mais une histoire déjà extraordinaire : un père mexicain, ancien ouvrier devenu prof de philo ; une mère américaine, harpiste et photographe ; neuf frères et sœurs, dont plusieurs artistes de cirque ; et une enfance passée à bourlinguer dans le sud des Etats-Unis et le Mexique à bord d’un bus familial. Ses deux autres disques (The living road, en 2003 et Lhasa, en 2009) avaient creusé un peu plus profondément encore le sillon de cette voix unique, qui mariait les langues (espagnol, français, anglais) pour dire l’errance, les feux qui réchauffent ou qui brûlent, les grands espaces du dehors et du dedans. Pour Télérama, Lhasa n’aura jamais été une chanteuse comme les autres ; les liens entre nous étaient même très particuliers. Anne-Marie Paquotte, qui officia des années à la rubrique "chanson" du journal, l’avait découverte chez elle, au Québec, bien avant que son premier disque sorte en France. Et aussitôt, elle l’avait défendue avec la conviction absolue qu’elle venait d’entendre un talent unique. C’est même elle, la journaliste, qui avait présenté la jeune chanteuse à Vincent Frèrebeau, patron de Tôt ou Tard – qui allait devenir son label français. Depuis, Télérama avait continué de suivre Lhasa au plus près. Un long compagnonnage journalistique et artistique. La dernière fois que nous avons rencontré Lhasa, en avril dernier, dans une grande salle claire attenante aux bureaux de sa maison de disques, elle nous avait d’ailleurs beaucoup parlé d’Anne-Marie Paquotte, qu’une saleté de cancer venait d’emporter. Ce jour là, Lhasa aussi, se savait malade ; elle était fatiguée, mais elle n’en avait dit mot. Au contraire : elle souriait au bonheur de son nouveau disque, et de la sérénité qu’elle disait y avoir trouvée. A les ré-écouter, ses textes, tout en anglais, sont pétris d’une lucidité et d’une discrétion plus bouleversantes encore qu’à l’époque. « When my lifetime had just ended, and my death had just begun, I told you I’d never leave you, but I knew this day would come » (1)… Le mois suivant, Lhasa la sage, avait chanté à Paris, aux Bouffes du Nord, devant un public littéralement subjugué par l’intensité qui traversait son corps et sa voix. Ce spectacle-là restera dans les mémoires. Son souffle était puissant, le nôtre était coupé. "
"Elle aurait dû remonter sur scène quelques semaines plus tard ; mais la maladie reprit le dessus, et la tournée fut annulée. On redoutait que la nouvelle de son décès finisse par tomber, on n’en est pas moins sous le choc. A 37 ans, Lhasa disparaît, sans avoir fait un disque de trop ou une fausse note. Elle restera l’une des voix les plus saisissantes de la chanson. Modèle de rigueur et d’intégrité artistique. Sans doute va-t-elle désormais devenir une légende. "
Valérie Lehoux
(1) « Alors que ma vie venait de s’achever, que ma mort ne faisait que commencer, je t’ai dit que je ne te quitterai jamais, tout en sachant que ce jour viendrait »…
.
1 commentaire:
les blogs que j'aime parlent de lhasa .... est ce un hasard
hier soir j'ai commencé quelque chose sur elle mais votre article est bien plus beau
connaissez vous le blog de jean-jacques ?
http://pjjp44.blogspot.com/2010/01/lhasa-de-sela-la-maree-haute.html
@ bientôt
sophie (des grigris)
Enregistrer un commentaire