Jadis je fréquentais assidûment les salles obscures et comme tout bon cinéphile manquait rarement « Le Cinéma de Minuit » présenté par le talentueux Patrick Brion. C’était un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. C’était un temps où pour ne déranger personne, je m’installais dans la cuisine avec mon téléviseur portable doté d’un écran de 25cm de diagonale. Sans oublier le casque pourri aux cent mille nœuds et au cordon trop court. Mon cul sur une chaise raide et la tête dans le poste, je luttais désespérément en attendant la fin du journal de la nuit suivi des interminables pages de réclames. Le générique me tirait un temps de ma torpeur, avant de sombrer aux accents monocordes de la présentation du film par Patrick Brion que je « regardais d’une oreille distraite ».Le rituel était toujours le même. Je commençais à m’affaisser doucement sur ma chaise avant de carrément m’avachir. Puis m’accouder sur la table. Mon front se collait à l’écran pour ne pas s’écraser sur la table. Et mes yeux suivaient le sous titrage tel un balancier d’horlogerie. Si d’aventure je cherchais à me servir dans le frigo, le casque au fil trop court me rappelait à l’ordre et me défigurait. Je finissais la séance livide, épuisé mais heureux. Car mes plus grands bonheurs viennent de ces séances inoubliables.
"Veuve d'âge mûr, Carey Scott mène une vie terne et sans histoire dans une petite localité de Nouvelle-Angleterre, se consacrant au bonheur de ses deux enfants Ned et Kay, qui viennent d'entrer à l'Université. Souhaitant qu'elle ne termine pas ses jours en solitaire, ses enfants et son amie et confidente, Sara Warren, la poussent dans les bras de Harvey, quinquagénaire aisé auprès de qui elle trouverait la tendresse et la sécurité. "
"Mais Carey rêve encore d'un grand amour. C'est dans cette disposition d'esprit qu'elle rencontre Ron Kirby, le séduisant pépiniériste - de quinze ans plus jeune qu'elle - engagé par ses soins pour s'occuper de son jardin. Ron Kirby ne tarde pas à partager sa passion et ils deviennent amants. Le jeune homme l'emmène dans sa demeure, un vieux moulin situé au milieu des bois où il vit loin du monde, des préjugés et des conventions."
"Mais la liaison de Carey est rejetée par son entourage : non seulement à cause de leur différence d'âge mais aussi parce que Kirby est d'un niveau social bien inférieur. Pour ne pas déplaire à ses enfants, Carey rompt avec Ron et recommence à fréquenter Harvey. Peu après, Kay se marie et Ned, mobilisé, part pour l'étranger. Souffrant de la solitude, Carey apprend que Ron a été victime d'un grave accident. Découvrant que son sacrifice n'a pas empêché l'ingratitude de ses enfants, elle part le soigner et, à sa guérison, décide de braver l'hypocrisie qui l'entoure en l'épousant."
Selon Douglas Sirk : "Le succès américain provient du fait que le film est fondé sur une philosophie typiquement américaine, celle d'Emerson et de ces disciples où la nature tient une grande place… Le thème du retour à la nature a sans douté été inspiré par Rousseau. Son influence n'a gagné l'Amérique qu'assez tard parce qu'à l'époque où il écrivait les problèmes qu'il abordait ne se posaient pas encore aux américains qui n'avaient encore que des contrées sauvages et pas encore construit des villes. Ce désir de retour à une vie primitive et simple était à mon avis parfaitement incarné par cet homme qui s'occupait de faire pousser des arbres, vivait dans un jardin et méprisait l'argent et la haute bourgeoisie. Or ça c'est tout le rêve américain."
Sources :
Jacques Lourcelles , dictionnaire du cinéma
Jon Hallyday, entretiens avec Douglas Sirk
Ciné-Club de Caen
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