Jeudi soir, j’avais rendez-vous avec mon fils à Jaurès. Les eaux gelés du canal St Martin réverbéraient les lumières d’une ville au cœur gelé. Sous le pont rue Louis Blanc on distinguait sur les berges des tentes auprès desquelles des ombres s’activaient pour se réchauffer. Certaines gagnaient le cercle où chacun se serrait pour céder une place autour d’un brasier de planches. Quai de Jemmapes, métro Jaurès, un attroupement se dessina au loin. Ils étaient plus d’une centaine à entourer le camion de l’armée du Salut. Les mains se tendaient vers les bols fumants dont les volutes se mêlaient aux haleines de bouches de ces ventres affamés. Les jeunes pour la plupart, s’interpellaient du haut du pont, le visage parfois illuminé d’un large sourire s’ouvrant sur des dents éclatantes, afin de rameuter les retardataires à l’heure du repas. Ils parlaient, chahutaient, se charriaient dans une langue que je comprenais pas mais je parvenais à lire dans leurs yeux la détresse mêlée paradoxalement à l’espoir en une vie qui ne leur en laissait aucun. Sous le pont qui enjambe le canal, avant de déboucher sur la place Stalingrad, quelques brasiers épars, soulignaient ces rassemblements d’hommes de nulle part, qui se dissoudraient avec les restes de nuit, dans un effrayant silence de colère contenue. Et j’entendais déjà le cri de ces laissés-pour-compte le jour où la soupe n’y suffirait plus. Crierons-nous alors avec eux pour réclamer plus de justice, de liberté, d’égalité et de fraternité ?
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