mardi 26 août 2014

Vertige du vide, texte de Jean-Guy Soumy, pour les 150 ans du viaduc de Busseau sur Creuse




               VERTIGE DU VIDE *


La Creuse est un pays griffé de vallons et de gorges au fond desquels cascadent ru, torrents et rivières. Du pont de Sénoueix au viaduc de Busseau-sur-Creuse, la même tension, la même nécessité : rejoindre l’autre rive. Que ce soit d’un bond ponctué d’un rire, au-dessus d’un filet d’eau s’échappant d’une tourbière. Ou vertigineusement. Comme ici. 
Mais si la volonté de passer sur l’autre bord est commune, les modes de franchissement 
varient. Les lourds ponts de pierres, qu’ils datent du Moyen Age ou du XIXe, sont l’expression d’un prolongement de la berge. Leur tablier est la poursuite d’un chemin empierré. Ils sont un gué posé sur le sol. Alors que le viaduc, tout au contraire, est un objet suspendu. Dont l’équilibre doit 
davantage à des cordages jetés du ciel qu’à ses fondations. Il suffit d’être passé une seule fois sur Busseau pour comprendre que son franchissement 
relève d’une expérience émotionnelle qui, accomplie, nous laisse songeurs. Le surplomb, tout là-haut, en cet instant où l’œil perd l’appui rocheux du sol, au seuil de l’abîme, pour se perdre dans la vallée de la Creuse, est un passage. Sur ce sentier de poutrelles soumis aux vents, nous sommes saisis. C’est le frémissement qui est la marque du viaduc. L’illusion d’un balancement. L’idée lancinante de la chute. Et même les locomotives semblent funambuler sur leurs rails. 
Décidément, tout est affaire de géographie. Ici, un savant mikado de poutrelles de fer et de 
fonte met en scène notre fascination pour le vide. Là-bas, quelques pierres plates jetées sur un ruisselet assurent la continuité des voies mystérieuses qui serpentent dans les bruyères. Mais là 
comme ailleurs, à pied comme en train, souvenons-nous qu’il s’est toujours agi de rendre possible la grande échappée des hommes et des femmes fuyant la misère. Tous ceux qui, courant l’aventure, le cœur léger ou la poitrine serrée, dévalèrent de la Creuse vers les lumières de la ville. Et dont 
l’absence nous constitua tout autant qu’elle nous anéantit. 
                         Jean-Guy Soumy 

* texte Publié avec l'autorisation de l'auteur.
 Merci à lui. Christian SOLANS 

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