Dans un angle de la salle à manger, sur une étagère, trônait le gros Radiola en bois vernis et aux boutons de bakélite. Je me laissais souvent séduire par le charabia et l’exotisme des fréquences étrangères balayées sur le spectre des radiofréquences gravé sur la vitre, les vibrations de la membrane du haut-parleur sous la toile d’ameublement ou alors son œil unique vert pâle. Cet oeil vert pâle, je l’ai fait tomber à l’intérieur de la caisse de la radio d'une pression de l'index un peu trop forte. « Eborgné le cyclope » fut une catastrophe. Mon corps s’en souvint longtemps. Le trou noir béant tendait à me le rappeler douloureusement chaque jour où le Radiola était mis en marche par mes parents. Ce fut le seul instrument de distraction notable avant l’intrusion de la télévision. Tout en jouant sous la table avec mes petites voitures sur les méandres du tapis, je tendais une oreille distraite vers les ondes de Radio Luxembourg qu’écoutaient mes parents. Les rediffusions de « Sur le banc » avec Jane Sourzat et Raymond Souplex, « Ca va bouillir » de Zappy Max ou « l’homme à la voiture rouge » qui lui fit suite. A partir de 1965 ce sera l’interminable Noëlle aux Quatre Vents diffusé par France Inter. Le gros Radiola s’est tut à jamais avec l’arrivée du poste à transistors. Plus tard, mon frère ainé eut la bonne idée de m’en offrir un miniaturisé. Consigné dans ma chambre à faire mes devoirs, je pouvais écouter mes programmes préférés, notamment «Salut les copains» avec son générique «Last Night».
Frank Ténot et Daniel Filipacchi, étaient les porte-parole avisés de l’émission avec un ton direct où le tutoiement était de rigueur avec les idoles. « Salut les copains » nous « matraquait » de disques, destinés à « lancer » un chanteur, « le chouchou de la semaine ». Les jeunes « fans », avides de nouveautés musicales et d’informations de première main furent les premières victimes d’une société consumériste naissante. Dès juillet 1962, l’émission se dotera d’un magazine éponyme dont le tirage atteindra le million d’exemplaires. Pendant plusieurs années, en compagnie de ma cousine Annie, nous passerons les journées maussades d’Août à dépouiller sa collection de Salut les Copains pour y cueillir les paroles de nos tubes préférés et les chanter à tue tête. Après dix belles années, Salut les Copains disparaîtra des ondes en 1969. Cet instrumental des Mar-Keys m’a fait basculé dans le monde du Rhythm’n’blues.
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