samedi 24 mai 2014

Servian hors saison (7)






 Après la traversée de la France et une nuitée à Marvejols, nous arrivions avec la 4CV familiale à Servian, sur les coups de midi. Mon père stationnait la voiture à côté du garage au début de la rue Armand Fallières.



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Je me dégourdissais les jambes jusqu’à la porte d’entrée de la maison de ma grand-mère Mathilde. Mes parents, les bras chargés de valises m’y retrouvait. Mon père entrouvrait la porte et emprisonnait de la main la grosse cloche avant qu’elle ne prévienne de notre venue les occupantes de la maison. Je me précipitais dans la montée des raides escaliers. J’écartais le rideau de perles de bois et me jetais dans les bras de ma tante Elvire, la sœur de ma grand-mère.



                        rue Armand Fallières


J’ai contacté Laetitia et Nicolas, les actuels propriétaires. Ceux-ci ont accepté de me recevoir. Me voilà dans la rue Armand Fallières, très ému en arrivant à hauteur de la maison. Une jeune femme, accoudée à la rambarde de la terrasse, attend la venue du visiteur.

La porte s’ouvre et me livre passage. Je suis accueilli par Leatitia et Nicolas. La cloche n’a pas tinté. Elle a été démontée et git dans la boite aux lettres au dos de la porte. Je ne la reconnais pas. Mes yeux d’enfant et ma mémoire l’imaginaient bien plus grosse. 

     Mon regard se porte vers le fond, cette « grotte » qui occupait la totale superficie de la maison sous les pièces habitables. Bien éclairée aujourd’hui elle est devenue un atelier et un espace de rangement.

A mon époque cet éclairage était des plus sommaires. Brasillait en son centre une ampoule faiblarde dont Le halo lumineux d’une maigre circonférence n’éclairait guère. J’entendais bon nombre de rongeurs se manifester dans l’ombre derrière les tas de ceps de vignes et les fagots de sarments empilés dans un coin. Je ne m’aventurais jamais bien loin, sinon jusqu’à la fosse vaste et sombre réserver aux besoins hygiéniques, m’y accroupir comme un drôle d’oiseau sur son étrange perchoir. 

Rares étaient les maisons disposant de WC. Chaque matin nous avions droit au passage de la tinette et de sa cloche pour vider les seaux d’aisance. Puis c’était au tour de la distribution des pains de glace pour les glacières avant l’enlèvement des ordures ménagères. Un rituel bien ordonné. 

Avec les gros travaux de l’installation du tout à l’égout, ce fut l’arrivée des WC installés sous les escaliers qui ne contenait auparavant que des clapiers et la bicyclette de ma tante Elvire.

Mathilde Navarro, ma grand-mère

Précédée de Laetitia, nous voilà à l’étage. Les deux petites portes ont été remplacées par une baie vitrée. Il y avait une petite pièce à vivre qu’éclairaient chichement les vitres des deux petites portes. Au fond de cette pièce les deux chambres obscures des occupantes de la maison. A main gauche un débarras et une échelle de meunier permettait d’accéder au grenier.

Sur le mur de droite, je revois encore la pierre à évier et le filet d’eau fraiche du lavabo sur les grappes de raisin et le melon pour nous en régaler le midi. 

Je revois les objets posés sur la dentelle de la tablette du manteau de la cheminée.

Je revois le placard scellé dans le mur et ses mille parfums alimentaires. La pâte de coing, le lait condensé sucré, le chocolat en poudre et la miche de pain.

Sur ce mur se tient désormais un escalier intérieur. Il conduit à l’ancien grenier transformé en une chambre et une salle de bains pour les parents. 

La cloison des deux chambres a été abattue et la pierre mise à nue. Là où se tenait le lit de ma grand-mère il y a un canapé. Ma paillasse a été remplacée par un meuble informatique sous l’escalier.

De l’autre côté de la cloison aujourd’hui disparue, il y avait une commode et une glace murale. Face à cette glace, mamée Mathilde mettait son linge de nuit et dénouait ses longs cheveux qu’elle brossait longuement. La lumière des étoiles passait par la lucarne. Les pattes des chats griffaient les tuiles. Et je m’endormais. Le matin Mathilde s’apprêtait avec minutie. Chaque chose à sa place les ustensiles se glissaient dans sa main avec aisance. Le tablier noué, prête, elle restait quelques secondes à se mirer dans sa nuit et gagnait la pièce à vivre s’installer dans son fauteuil en osier. C’est dans ce fauteuil que je la trouvais immanquablement chaque été en arrivant après avoir franchi le rideau de perles de bois.


Elle se tenait raide dans une robe sombre, les cheveux relevés en chignon, le visage tout chiffonné de vie, rendu plus maigre encore par les lunettes noires à monture énorme. Mon père posait les valises et ma mère embrassait Mathilde. Puis, je devais m’avancer vers elle. De ses doigts secs et noueux, elle me palpait de la tête aux pieds pour mettre à jour sa mémoire. Elle me trouvait joli. Elle me trouvait grandi. Elle me trouvait toujours trop maigre et nerveux comme une petite chèvre de montagne. Elle me serrait enfin dans ses bras et nous nous embrassions. Puis nous n’échangions plus rien d’autre que des bonjours quotidiens, moi emporté par la fièvre des vacances et elle retranchée dans l’obscurité de son silence.

Le débarras à lui aussi disparu. Cet espace vacant est maintenant une belle cuisine qui puise depuis un puits de lumière un éclairage naturel émanant de l’ancien grenier. La chambre de ma tante Elvire cloisonnée de neuf est une salle de bains. 

Le plus surprenant est que Laetitia et Nicolas aient pu faire l’acquisition de deux pièces de la maison voisine et y créer les chambres de leurs filles. D’où la nécessité d’ouvrir une fenêtre dans la montée d’escalier pour éclairer ces pièces.


                  Mon père Antoine Solans

La terrasse elle aussi a subi quelques changements. Elle y a gagné un salon de jardin et une pergola pour se préserver des fortes chaleurs. 

En été, impossible de circuler sur cette terrasse sans se chausser sous peine de se brûler la plante des pieds. Ouverte sur un ciel céruléen et donnant directement sur la rue Armand Fallières elle possédait un bac en ciment où je me lavais avec un savon de Marseille bien trop gros pour mes petites mains.

Ma tante Elvire mettait une lessiveuse à chauffer au soleil d’août pour le bain de mes frères.


       
      Mes aînés dans la salle de  bains de ma grand-mère

C’était aussi le rendez-vous de mon père et de mes oncles pour y déguster des moules crues avec du vinaigre de vin accompagnées d’un coup de blanc.

Laetitia et Nicolas ont eu l’ingénieuse idée d’élargir l’allée menant à la terrasse et de placer des grilles au sol afin de donner un peu de lumière au rez-de-chaussée.

      Mathilde, ma cousine Annie et moi-même sur la terrasse

L’aménagement de l’espace est réussi et surprenant en regard de ce dont je m’en souviens. Mais je n’ai pas cette nostalgie de musée. Cette maison est vivante. Elle connait une vie de famille et des rires adolescents.


Ma tante Elvire dernière occupante (de la famille)dans la maison 

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