jeudi 15 mai 2014

Servian hors saison (4)


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Il est midi. Me voilà au Grand Café. Toutes les tables sont occupées. Le comptoir est plein. Les discussions vont bon train. On parle rugby ou politique comme dans beaucoup de café de France et de Navarre à cette heure-ci. Il règne un brouhaha indescriptible dans cette effervescence apéritive du dimanche. Après ma première flânerie, ici ça rigole et parle fort. Les hommes s’embrassent d’amitié. Les yeux frisent de plaisir comme si tout le monde s’aimait. Dans un coin de la salle la télé diffuse un match de rugby que nul ne regarde. Il fait bon. Les pales des ventilateurs sont au repos. Seuls les plafonniers chauffent l’atmosphère. L’ambiance est chaude sans être excessive. Ce n’est ici que rire et plaisanterie avant le repas. Je m’installe dans un coin et je jubile.









Comme l’écrit Marie-Thérèse Crouzet : « le Grand Café est une institution. Café de la Belle époque il est le témoin de la vie servianaise. C’est un lieu de rencontre. Bourgeois, petits propriétaire et ouvriers s’y côtoient. (…) Le visiteur qui franchit le seuil de ce vénérable café pour la première fois, est surpris, intrigué et séduit. Ici le temps s’est arrêté. L’établissement a gardé l’empreinte du passé. » 



J’ai toujours aimé l’ambiance que dégage le Grand Café avec le souvenir du claquement de ses rideaux en perles de bois. Et cette rumeur de comptoir qui y régnait lorsque je venais y chercher l’oncle. Dans les années soixante, A midi, dans cette salle comble et enfumée, l’oncle chaussait ses lunettes cerclées de fer, et jouait l’apéritif aux cartes. Ma tante Marcelle m’envoyait dans cet antre de perdition pour l’y aller chercher à l’heure du dîner. Dans un parfum d’anis, d’eau de Cologne de tabac et de sueur, je me plaçais aux côtés de l’oncle Émilien, les mains derrière le dos, attendant qu’il ait joué, bien conscient de l’importance du coup. Lorsque la carte avait claqué, sans même me voir, il me glissait d’une main sur son genou, me coiffait de sa casquette et d’un doigt commandait un sirop d’orgeat pour le petit parisien. Rien n’a changé ou presque. Le petit parisien a vieilli. Le sirop d’orgeat est devenu une mauresque.





Les tableaux de Jean Aubagnac encadrent de grandes glaces 1900. Jean Aubagnac était un peintre local qui habitait au Jeu de Ballon à côté du Grand Café. Ces toiles sont des reproductions de grands maîtres du XIXème siècle. Deux Millet « l’angélus » et « Les glaneuses » d’une taille démesurée par rapport aux originaux exposés au Musée d’Orsay. « Un marchand d’esclaves » de Victor Giraud, « l’Enlèvement de Psyché » et « la Vérité » de William-Adolphe Bougueraud, Vérité sortant du puits mais drapée à la ceinture d’une pudique étoffe afin de ne pas contrevenir aux bonnes mœurs. Une Diane chasseresse inspirée de Jules Lefebvre. « Le premier deuil » du même William-Adolphe Bougueraud est exposé dans la petite salle qui mène à la terrasse. Un autoportrait de l’artiste Jean Aubagnac trône à gauche du comptoir. Selon Marie-Thérèse Crouzet, lors de la venue du président de la république en 1907 visiter le village sinistré, « les services de sécurité se sont assurés au préalable, que les libres penseurs dont Jean-Aubagnac faisait partie, ne créeraient pas de désordres. Certainement, ces précautions n’ont pas plu à notre peintre qui, d’une main vengeresse, a tracé au verso de son autoportrait : « Vive l’Anarchie ! » Ce portrait est là, il veille sur les lieux. »

Pourvu que ce Grand Café conserve son âme...




  Photo prise au sténopé pause de 8 secondes.


  Photo prise au sténopé pause de 20 mn

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