Publiés en France au milieu des années 1990, les trois romans de la Trilogie berlinoise de Philip Kerr mettent en scène le détective Bernie Gunther dans des lieux et à une époque trouble s'il en fut: Berlin 1936 dans "L'Eté de cristal", Berlin 1938 dans "La pâle figure" et Vienne 1947 dans "Un requiem allemand."
Certains guides tiennent lieu de bible. La bible de l'Anglais Philip Kerr n'est autre qu'un vieux Baedeker édition 1930, consacré à Berlin et acheté 65 livres dans une librairie de Londres. Sans ce guide du temps de jadis, qui répertorie bars, restaurants, boîtes de nuit, bâtiments administratifs, les romans noirs berlinois de Kerr n'auraient pas ce fascinant goût d'authenticité. Mais pour ressusciter par la plume les ruines d'une ville détruite et fantomatique, il faut plus, bien sûr, qu'un Baedeker. Car du Berlin nazi, il ne reste, hormis les musées et les églises, que l'écrasant ministère de l'Air de Göring, devenu aujourd'hui ministère des Finances, la synagogue de l'Oranienburger Strasse, rebâtie en partie, et l'hôtel Adlon, ex-palace cosmopolite reconstruit à l'identique. Tant de rues ont été rayées de la carte, tant de noms transformés. Et pourtant, grâce à la formidable minutie de Kerr, on a l'impression d'y être, plongé dans ce labyrinthe débridé où évolue son héros.
Kerr découvre Berlin en 1984. À l'époque, il a 28 ans, une fascination pour Wittgenstein, Nietzsche, et une formation en droit allemand. Son teint mat lui a valu des quolibets racistes lors de son enfance en Écosse et il évoque de probables origines juives de son père. Tout cela, mélangé, débouche sur une obsession qu'il résume ainsi : "Comment le nazisme a-t-il été possible ? Pour y répondre, j'ai choisi un Allemand ordinaire, un policier social-démocrate."
Pour se documenter, Kerr a ajouté à son Baedeker fétiche des balades dans la ville et de multiples lectures, parmi lesquelles les mémoires des grands détectives berlinois, traduits jadis en anglais.
« Je me suis peu à peu projeté dans Bernie, confie Philip Kerr, confortablement installé, tasse de thé à la main, dans le magnifique salon de l'hôtel Adlon - reconstruit à l'identique en 1997 après avoir été détruit en 1945. Mais, au départ, je ne songeais guère à écrire un polar. En fait, j'étais confondu par l'histoire de ce peuple charmant tombé dans la main du diable. Je voulais comprendre comment était née l'horreur. Je suis venu ici une première fois en 1984. A mes questions on me répondait "Forget it". Alors j'ai enquêté dans les livres, sur les lieux, et l'idée du privé s'est imposée."
Pour ce premier volet de la trilogie, nous sommes en 1936 et Berlin s'apprête à recevoir les Jeux Olympiques. Hitler vient d'obtenir les pleins pouvoirs et le nazisme s'installe, broyant tout sur son passage avec une incroyable brutalité. Cependant, les Jeux Olympiques arrivent et Hitler désire encore préserver un semblant d'apparence vis-à-vis de l'étranger, aussi Berlin verra-t-elle quelques uns des premiers signes les plus affreux disparaître provisoirement et inversement, des livres interdits seront-ils brièvement à nouveau trouvables.
C'est à ce moment là exactement que débute l'action, alors que le nazisme serrait ses doigts de fer sur l'Allemagne. Une Allemagne qui comptait pourtant de nombreux intellectuels ou individualités démocrates, comme le héros, et qui n'en cédait pas moins chaque jour un peu plus de sa liberté la plus élémentaire.
Bernard Gunther, ancien flic et ancien soldat du front turc, dont l'emploi habituel principal est de rechercher des «personnes disparues», problème fort répandu alors. Il y a une et même quelques belles femmes, des salauds (riches ou non, au pouvoir ou non), une bonne intrigue (tout de même pas introuvable) et des scènes d'action en nombre et qualité suffisants.
Le héros est sympathique et présente une personnalité suffisamment consistante et complexe pour qu'on s'intéresse vraiment à lui. L'époque est prenante et nous vivons là une étonnante plongée dans la vie quotidienne.
Au cours de ses (més)aventures, Bernie rencontrera la femme de sa vie... et il la perdra. Il ne s'agira pas d'une amourette, il ne s'agira pas d'un top model, ni d'une agonie esthétique et émouvante dans ses bras, il s'agira d'un drame comme le sont le plus souvent les vrais: médiocre et incomplet, mais total.
Le titre original: «Les violettes de mars» était, sinon plus joli, du moins plus judicieux, . En effet, le titre français, l' «été de cristal» semble faire référence à la terrible «nuit de cristal» qui n'eut lieu que deux ans plus tard, alors que les «violettes de mars» sont les nazis qui surgirentsoudain de partout quand Hitler obtint les pleins pouvoirs en Mars 36.
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