dimanche 29 janvier 2012

j. Edgar de Clint Eastwood



 

La séquence ciné : J.Edgar par lesinrocks

Pour décrire l’action d’un homme révélant publiquement son homosexualité, la langue française dispose d’une expression : “sortir du placard” (calquée sur le out of the closet de langue anglaise).
L’hypothèse de J. Edgar consiste à prendre très au sérieux la métaphore. Le nouveau film de Clint Eastwood fait de l’ancien patron du FBI Hoover une folle cloîtrée dans un placard, qui voudrait du coup contenir l’Amérique tout entière dans ses tiroirs.

Les tiroirs d’Hoover, c’est ce lieu imprenable où auraient été consignés les secrets les plus sulfureux de cinquante ans d’histoire américaine et qui ont fait trembler huit présidents des Etats-Unis successifs. Des secrets obtenus en toute illégalité grâce à une pratique forcenée de la mise sur écoute.
Ce n’est pas tant la dimension politique de la chose qui intéresse le film, assez peu soucieux de dénoncer le totalitarisme des procédés. Ce qui l’occupe, c’est le ressort psychologique : comment un secret personnel (l’homosexualité), secret y compris pour le premier concerné – qui refuse d’accéder à son désir, de l’identifier et bien sûr de le nommer –, produit chez un homme la folie d’archiver tous les secrets des autres.
Le mécanisme de protection est limpide : je vous tiens avec vos secrets, donc je ne risque rien avec le mien. Il importe peu de savoir ensuite si l’homosexualité d’Hoover était effective, ou seulement sublimée, ou purement inventée.

Clyve Tolson et J Edgar Hoover
On sait que la Fondation Hoover s’est déclarée scandalisée par le film, réfutant avec fougue la passion amoureuse décrite par le film entre le patron du FBI et un de ses adjoints.
Il est assez drôle que l’homosexualité seule ait heurté les gardiens du temple dans un film qui fait par ailleurs du personnage un paranoïaque opportuniste, affabulateur et foncièrement malhonnête. Quelle que soit la vérité historique, ce sont les effets de discours qui intéressent. L’articulation faite entre le refoulement sexuel et les prises de position politiques doit d’ailleurs sûrement beaucoup au scénariste du film.
Dustin Lance Black avait auparavant obtenu un oscar pour le film de Gus Van Sant, Harvey Milk, avec lequel J. Edgar constitue une sorte de diptyque. D’un côté, le premier coming-out marquant d’un politique américain, de l’autre, son interdit. D’un côté, un souci d’égalité et d’émancipation, de l’autre une logique de la terreur. Quelle pratique du pouvoir produit le rapport des hommes politiques à leur sexualité, c’est la question au travail dans les deux films.
La beauté de J. Edgar est d’être plus ambivalent que sa thèse assez schématique (le refoulement comme germe de la répression). Cela tient pour beaucoup au regard troublant et en partie empathique qu’il porte sur un personnage au comportement que tout accable.
Son inaptitude à vivre un amour plus grand que ses préjugés, son impossibilité à enfreindre un interdit maternel (“Je préférais avoir un fils mort qu’un fils pédé”) en font une victime finalement assez aimable – même si cette souffrance qui le rend attachant comme personnage n’exonère en rien ses agissements.
Le pari de J. Edgar est de faire cohabiter le régime de la fresque historique et celui du film de chambre intimiste. D’un côté cinquante ans d’histoire américaine qui défilent à toute allure (au rythme des défilés d’investiture des successifs présidents qui passent tous sous la fenêtre d’Hoover), de l’autre une histoire aussi statique qu’une névrose, qui ne bouge pas d’un iota de 1924 à 1972 et se déroule presque exclusivement dans l’exiguïté de deux petits bureaux.
Cette histoire, c’est celle qui unit non pas deux mais trois personnages : Hoover, Clyde Tolson, son amant platonique, et Helen Gandy, sa secrétaire personnelle, qu’il avait demandée en mariage et qui a choisi plutôt d’être sa complice en renonçant elle aussi à toute vie conjugale au profit du bureau. J. Edgar dépeint l’histoire du FBI comme un plan à trois qui tourne mal, le mauvais délire en vase clos de trois grands frustrés.
Helen Gandy
Si le drame intimiste est d’une grande force, la fresque, bien qu’elliptique et au pas de course, ne manque pas non plus de panache. Beaucoup de people passent une tête dans le récit : Shirley Temple, Charles Lindbergh, Ginger Rogers, les Kennedy, possiblement Marilyn Monroe (mais on ne voit qu’une ombre). Car, bien que profondément puritain, l’Hoover d’Eastwood est un homme fasciné par le spectacle.

J. Edgar et John Fitzgerald Kennedy

D’une certaine façon, le personnage n’est pas sans rapport avec le Nelson Mandela d’Invictus (figure pourtant beaucoup plus sympathique). Dans ce film d’Eastwood, le président sud-africain utilisait à des fins politiques la victoire d’une équipe de rugby.
Dans J. Edgar, ce sont toutes les pratiques culturelles de masse que le patron du FBI veut instrumentaliser pour asseoir son pouvoir. Il initie des BD vantant ses exploits, promeut son image sur des boîtes de corn-flakes…
Il fulmine lorsque la mode est aux films de gangsters (scène très drôle où James Cagney est montré comme le Snoop Dogg des années 30) et n’a de cesse de réhabiliter l’image de la police au cinéma.
D’Invictus à J. Edgar, la communication, comment on construit ou retourne l’opinion populaire, intéresse désormais Eastwood au plus haut point.
Film sur la manipulation, J. Edgar manipule aussi le spectateur par un habile jeu de points de vue. Un dernier twist révèle que beaucoup d’images que nous avons vues n’étaient peut-être que celles, légendaires, qu’aurait voulu imprimer le personnage.
Le paranoïaque était peut-être aussi un mythomane ; tout ce pouvoir aurait peut-être été moins réel que déliré ; ce sont les conclusions ultimes d’un film qui n’a de cesse d’affaiblir son personnage – dans le réel – pour mieux le renforcer – dans sa dimension romanesque.
Un mot enfin pour dire tout ce que cette vitalité romanesque doit à son interprète principal, Leonardo DiCaprio. De Arrête-moi si tu peux (où, presque trentenaire, il jouait un garçon de 14 à 28 ans) à Aviator, on connaissait son extraordinaire aptitude à endosser tous les âges d’un personnage. Il incarne ici encore avec une aisance confondante la presque adolescence et la vieillesse déchue, pouvant comme personne représenter tous les états d’une vie.
Jean-Marc Lalanne.

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