A. S. Byatt est un écrivain rare. Universitaire, elle choisit de présenter l’imaginaire non comme une évasion, mais comme une alternative à la vie quotidienne, créant une sorte de genre en partie réaliste, en partie expérimental, souvent qualifié d’ « hybride ». Elle a publié plusieurs romans, dont le plus connu reste Possession, adapté au cinéma ainsi que Des Anges et des Insectes.
The Children’s Book débute au Victoria and Albert Museum en 1895 et se termine sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale, transportant le lecteur de la sécurité quasi maternelle de l’Angleterre victorienne au chaos dévastateur de la Grande Guerre. Il met en scène un groupe de familles anglaises adhérant aux idéaux progressistes de la Fabian Society et du mouvement Arts and Crafts. Le protagoniste est Olive Wellwood, auteur à succès de contes pour enfants, qui mène une vie agréable dans le sud de l’Angleterre avec son mari Humphry et leur progéniture qui ne cesse de croître : “Les enfants se mêlaient aux adultes, ils parlaient et on leur parlait… Mais, en même temps, ils avaient leur vie d’enfants […]. Ils exploraient les bois et les champs, aménageaient des cachettes et grimpaient aux arbres, chassaient, pêchaient, montaient à poney et à bicyclette, sans autre compagnie que celle d’autres enfants.” Fatalement, les idéaux des Wellwood ne leur sont pas d’une grande utilité dans les complexités de leur vie et de celle de leurs enfants – vies qui résultent souvent d’un autre dogme de l’idéal progressiste, la liberté sexuelle dans un monde d’avant la contraception.
Les personnages d’A. S. Byatt sont liés par leur engagement social, leur attachement à la liberté artistique et le fait qu’ils couchent les uns avec les autres. Le premier décor du roman contient un tableau du Songe d’une nuit d’été. Les constantes querelles de Titania et Obéron au sujet de l’infidélité, les identités confuses et les désirs étranges des jeunes amants, les caprices et la cruauté du monde des fées et l’intervention perturbante d’artisans ordinaires nous disent où A. S. Byatt veut en venir. Comme dans la pièce de Shakespeare, la magie et l’inventivité transfigurent et déforment la réalité. C’est tout à fait le genre de littérature hautement intellectuelle que l’on peut attendre de la part d’A. S. Byatt. Mais, cette fois, sa prose est mue par une contrariété nouvelle : l’actuel engouement pour le fantastique destiné à la jeunesse. Mme Byatt se débat avec les mêmes problèmes que J. K. Rowling : comment aborder la maltraitance des enfants, la question de la mort, en tant qu’enfant et en tant qu’adulte, et, plus profondément, que faire de la souffrance d’être parent. Il y a dans le roman une immense tristesse individuelle, qui devient une tristesse collective, historique, à mesure que le livre avance inéluctablement vers 1914. Mais la réponse d’A. S. Byatt à J. K. Rowling réside surtout dans le fait qu’elle conçoit Le livre des enfants comme un roman réservé aux adultes. L’enfance, pour Mme Byatt, n’est certes pas un pays paisible, mais c’est dans la vie adulte que les traumatismes rendent possibles les visions qui font le grand art. D’où vient la magie noire, le fantastique dangereux que réclamait A. S. Byatt ? De sous la terre. Ses personnages vivent en sous-sol, travaillent dans des mines, creusent la terre pour en extraire de l’argile et rêvent des richesses des mondes cachés, de métaux précieux et de trésors enterrés. Ce que l’on prend de prime abord pour un ensemble fortuit de décors souterrains se révèle être une vision du sous-sol comme lieu de magie et d’épouvante. Le motif atteint son point culminant à fin du roman, avec les tranchées de la Première Guerre mondiale. Sous terre, les humains deviennent inhumains. Le réel devient le fantastique, là où demeure le mal.
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