Longtemps j’ai cru la pratique de la photographie dangereuse et illicite. Dans une société où règne le soupçon et la paranoïa, photographier des scènes de rues en dehors des sites touristiques par excellence devenait risqué.
Il n’y a pas si longtemps de ça, musardant sur les traces de Willy Ronis à Belleville, découragé par les altercations et les menaces, j’ai rebroussé chemin vers des lieux plus cléments. Sur les bords du canal St Martin, une femme m’a accusé d’être dissimulé derrière un arbre pour la photographier. Il m’a fallu bien de la patience et de la salive pour la persuader du contraire. Que dire aussi de ces adolescents désœuvrés métro Abbesses, à deux pas du Sacré-Cœur, donc, attirés par mon attitude suspecte à tourner autour de mon sujet pour trouver le meilleur angle de prise de vue, qui m’interpellèrent croyant avoir affaire à un auxiliaire de police. Et les exemples pourraient se multiplier à foison.
Je ne crois pas les quartiers populaires plus mal famés qu’ils ne l’étaient dans les années d’avant ou d’après guerre, mais il me semble que les photographes humanistes auraient bien du mal aujourd’hui à pratiquer leur art avec sérénité et passion. Dans une société où l’image est devenue reine, alors que nombreux sont ceux prêt à toutes les bassesses et compromissions pour apparaître en vedette ne serais-ce que l’espace de quelques secondes sur internet ou le petit écran, la simple apparition d’un appareil photo surtout en des endroits où apparemment il n’est sensé rien y faire, attire vite les regards et exacerbe la méfiance vis-à-vis du photographe devenu soudain un voyeur et un gêneur.
Nous voilà donc contraint de photographier nos sujets de dos ou de nous abstenir tout un chacun y a allant de son droit à l’image.
Photos Copyright Papou
Toutefois, si le droit à l’image est une chose, le droit à la liberté d’expression artistique en est une autre, comme le signale l’article de Gérard Lefort dans Libération du 14 novembre 2008 à propos de la décision de justice lors du procès en appel entre une plaignante et le photographe François-Marie Banier.
« La France est le pays au monde où le droit à l’image (article 9 du code civil) est le plus développé, protégeant les anonymes comme les célébrités. Reste que s’il était strictement appliqué, il rendrait impossible tout travail artistique dans la rue, qu’il soit cinématographique ou photographique, documentaire ou fiction. Exit les Doisneau et autres Depardon. Le feuilleton judiciaire qui a opposé le photographe François-Marie Banier à Isabelle de Chastenet de Puységur est instructif dans ce registre conflictuel.
Suite à la parution de sa photographie dans le livre Perdre la tête, cette dame fit valoir que le cliché avait été pris sans son consentement et même malgré son opposition, que son image se trouvait par ailleurs dénaturée par la juxtaposition dans le même ouvrage de portraits de marginaux ou d’exclus, la transformant de ce fait «en caricature de bourgeoise». D’où plainte et demande de dommages et intérêts estimés à 200 000 euros.
Le 9 mai 2007, le tribunal de grande instance de Paris débouta la demanderesse. Mais Mme de Chastenet de Puységur interjeta appel. Le 5 novembre dernier, la cour d’appel de Paris l’a de nouveau déboutée. Très clairement sur la question de l’atteinte à la vie privée. Le tribunal a en effet estimé que cette photographie «présente un caractère anodin, ne révèle aucun élément d’ordre privé et ne peut dès lors relever de la sphère protégée à ce titre par l’article 9 du code civil».
Sur la question du droit à l’image, dont toute personne dispose, et son utilisation, lui permettant de s’opposer à sa reproduction sans son autorisation, l’arrêt du tribunal est plus subtil. Il avance que ce droit à l’image doit se concilier avec la liberté d’expression artistique (article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).
Et de conclure que le cliché litigieux n’est pas dégradant et ne porte pas atteinte à la dignité de l’appelante, puisque, outre des marginaux, des exclus et Mme de Chastenet de Puységur, le livre de François-Marie Banier propose un portrait de Claude Lévi-Strauss. Au contraire, l’arrêté dit que «sa photographie souligne la commune humanité des personnages».
Décision de justice encourageante qui certes n’empêchera pas les agressions verbales et physiques mais reconnaît au mois le droit aux photographes de pratiquer leur art, ce qui n’est déjà pas si mal.
Photos Copyright Papou
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