Il est vrai que le temps n’était pas au mieux, mais la route avait été bonne. Confortablement installé dans la bagnole, j’avais dormi une bonne part du trajet en écoutant la radio. J’ai ouvert un œil au péage et regardé défilé les arbres jusqu’à La Rochelle. La zone industrielle aux enseignes agressives m’a tiré de mon hébétude. Passé le pont, l’anse de Rivedoux a calmé mes pulsions meurtrières. Nimbée de gris acier, l’île était belle. Derrière le ciel laiteux le pâle soleil m’a obligé à chausser mes lunettes noires. On s’est laissé glissé jusqu’à La Flotte. Les restaurants quai de Sénac étaient blindés, heure du repas oblige.
La Flotte en Ré
La Flotte en Ré
La Flotte en Ré
Tel un judoka j’ai tenté sur la portière de la bagnole un premier mouvement d’épaule, « ipon sanage ». Un cri. Je suis resté accroché à la portière en poussant des petits gémissements de chiots. Isabelle, toujours aussi pragmatique, m’a demandée si je tenais à m’assurer de la solidité de la portière ou cherchait à l’arracher. Pour ne pas salir mes semelle, je suis parti sur les talons en direction du mur d’en face. Quatre mètres. J’étais en eau. – « Qu’est-ce que tu as ? » - « le dos ! » j’ai couiné. - « le dos ? » - « Ben, oui, oui, le dos !».
Pour ceux qui n’ont pas suivi les tribulations de Papou, je rappelle que je venais en partie de repeindre la façade de la maison jaune. Dernièrement, j’étais en haut de l’échelle télescopique avec toute la famille agenouillée implorant les Cieux afin qu’il ne m’arrive rien de fâcheux. J’ai donc derechef abandonné le pignon à mon tueur de beau frère. Après tout c’était lui qui avait eu l’ingénieuse idée de la repeindre. Je me suis contenté des deux couches sur les côtés et l’étage au-dessus du préau. Et comme il avait plu pratiquement toute la semaine, j’y avais laissé le moral et la santé. Saloperie de lumbago.
J’ai traîné ma misère et les bagages jusqu’à l’appartement. Epuisé par la douleur je me suis laissé tomber sur le lit. Une loque. Les vacances s’annonçaient bien.
Quand j’ai tenté une sortie, ce fut sur les talons avec le cul en arrière, déambulation estivale des plus discrètes donc.
Après avoir souffert le martyre tout le week-end j’ai consulté après quatre heures d’attente parmi une bande d’égrotants catarrheux. Le premier qui me refilait une rhinopharyngite, un flegmon voire les oreillons je lui torchais la gueule d’un bourre pif musclé. Bon, d’accord, le temps de me lever pour lui filer sa correction au bon Samaritain et il avait tout le temps de filer voire de m’en coller un aussi de bourre pif, mais bon, c’est juste pour dire combien je n’en menais pas large. Au final du repos et des anti-inflammatoires. – « Et le vélo ? » j’ai soufflé. » – « Vous rigolez ! » fut sa réponse. Bon d’accord.
La Flotte En Ré
St Martin de Ré
St Martin de Ré
Enfin, ne nous plaignons pas, ce fut la seule semaine d’Août à être resplendissante. Pas de vélo, certes, mais la plage tous les jours avec mon parasol et ma chaise de vieux. Ma naïade se faisait brunir sur le sable. Moi, je lisais. Avec ce curieux pincement de la moelle épinière, c’est peut-être pour cela que le tant attendu grand frisson le long de l’épine dorsale ne s’est pas produit à la lecture de Wilkie Collins. Depuis mon poste d’observation j’ai tiré aussi quelques clichetons et on a laissé couler paisiblement la semaine sans prendre trop de risques, si ce n’est me tremper dans l’eau froide sur les instances de ma Dulcinée. Double effet Gillette assurée. Les deux pieds dans l’eau, la bite comme un bigorneau, fallait bien finir par se jeter dans l’océan. What else? Sinon nager jusqu’à New York. Je gagnais rapidement le large, porté par les flots. Il me fallut quelques temps avant de m’habituer à cette opaque densité bourdonnante où je plongeais à chaque brasse. Je nageai, aveugle, les yeux brûlés et collés par le sel. Chaque immersion, noyée d’écume, cautérisait mes paupières sous l’ardeur du soleil. Je régulai mon souffle. L’assaut des éléments devint supportable. Je pus enfin ouvrir les yeux. Le parasol flottait à des dizaines d’encablures et les silhouettes figées des estivants veillaient comme des sentinelles. Arrivé aux bouées j’ai viré tel un régatier en direction de la plage rejoindre ma serviette. J’ai atteint la rive avec cette absence de classe qui caractérise le futur noyé du champion. J’entendais les voix, j’entendais les cris des enfants près de moi tout en pataugeant dans vingt centimètres d’eau. Un ultime vague me jeta sur le sable comme du bois flottais. Un sale mioche barbouillé de Choco BN me prenait pour une baleine. C’est ce qui m’a certainement poussé à lire Moby Dick, je crois. J’étais dans la peau du personnage.
La Flotte en Ré
Le Bois Plage en Ré
A la nuit tombée, nous sortions flâner le long de la plage de l'Arnerault regarder les estivants attablés. J'en profitais pour faire quelques "photos floues"
Bon, la semaine achevée, le ciel s’est couvert. Contraints de rentrer, nous avons repris la route vers Guéret pour y achever nos congés d’été. Nous avons donc abandonné nos voisines dont la plus mélomane me charmait par ses variations pianistiques.
A notre retour, la façade de la maison jaune était achevée. Moi aussi.
Photo Copyright Papou 2008
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