La mairie de Paris interdit aux moins de 18 ans l’expo du photographe américain par Gérard Lefort
Depuis quelques jours souffle sur Paris le vent d’une méchante polémique. L’exposition au Musée d’art moderne de la ville des œuvres du photographe et cinéaste Larry Clark, réputé pour son travail au long cours sur les heurts et malheurs d’une certaine jeunesse américaine, sera interdite au moins de 18 ans. Ce qui est, semble-t-il, sans précédent. On imagine a priori l’action et le triomphe de quelque lobby réactionnaire, des croassements antiques, au minimum le retour du Moyen âge. Or, non. C’est la mairie de Paris, autorité tutélaire du musée, qui a pris cette décision.
La dite mairie étant, sauf contre-ordre, de gauche, cette interdiction fait un tantinet débat. D’autant que les films de Larry Clark (Kids, Bully, Ken Park) ont été montrés en salles sans jamais avoir été classés X et que ses photographies ont déjà été montrées à plusieurs reprises à Paris. Notamment la série Tulsa, à la Maison européenne de la photographie (MEP), à l’hiver 2008-2009. Or la MEP dépend elle aussi de la mairie de Paris qui, à l’époque, n’avait décrété aucune autocensure. De même à l’étranger (dont Tokyo en 2003), où Clark a été souvent honoré sans précaution d’aucune sorte.
Matures. Quel est le problème aujourd’hui ? Quelques photographies, loin d’être majoritaires, mais qui, selon la formule consacrée, pourraient choquer. En l’espèce des nus de garçons et de filles que leur vie a rendu prématurément matures, photographiés en solo ou accouplés, s’adonnant à l’amour ou à la drogue. Pas de quoi fouetter un chat, ni d’ailleurs une chatte.
Pourquoi, dès lors, ne pas avoir préconisé le dispositif désormais classique de l’avertissement à l’entrée de l’exposition, comme ce fut le cas au centre Pompidou en octobre 2001 pour l’exposition des photographies de Nan Goldin ? L’argumentaire de la mairie de Paris (lire ci-contre) se veut à la fois juridique et idéologique. En gros, les temps ont changé et la loi aussi qui, en 2007, a renforcé le dispositif de protection de l’enfance. Au nom de la loi et des mœurs, Larry Clark ne devra donc pas être vu par ceux à qui il s’adresse : les filles et les garçons de moins de 18 ans. Comble du pataquès, Paris Musées, organisme municipal chargé d’imprimer le catalogue des expositions, a refusé de le faire. En lieu et place, un livre coédité par les galeries new-yorkaise et londoniennes de Larry Clark. Il sera en vente à la librairie du Musée d’art moderne, mais sous plastique et accompagné d’un avertissement.
On peut pour le moins déplorer le caractère maladroitement spectaculaire et disproportionné de ces initiatives. Car au cas statistiquement improbable où des ados seraient entrés au Musée d’art moderne, il est probable que les images «choquantes» ne les auraient pas plus troublés que ça et que question pornographie, ils pourraient nous recommander la vision fleuve de quelques sites internet où ça bouge beaucoup plus dans le hard, qui plus est en couleurs.
Autrement dit, il y aurait d’une part un monde sanctuarisé par l’interdiction au moins de 18 ans, un temple de la culture réservé à ceux et celles qui ont l’âge légal de le visiter, et un monde réel où les jeunes skateurs du Net gobent et - qui sait ? - digèrent des kilomètres d’images autrement «choquantes». Interdire au moins de 18 ans en devançant un appel à l’ordre moral qui, jusque plus ample informé, n’avait été lancé par personne, c’est ce qui s’appelle se tirer une balle dans le pied ou, en l’espèce, dans le slip. Les esprits de droite sont en droit de jubiler. Quant à la tartufferie de la décision, ce symptôme «cachez ce sein» est gros comme un plein camion de puritanisme.
Fabrice Hergott, commissaire général du Musée d’art moderne, déjà secoué au printemps par un vol rocambolesque de tableaux, se dit plus qu’ébranlé : «C’est dommage que la loi soit appliquée à Larry Clark qui n’a rien à voir avec une supposée pornographie ou pédophilie.» A l’unisson de Sébastien Gokalp, commissaire de l’exposition, il craint surtout le détournement d’attention. «Le public averti par cette publicité d’un genre particulier va peut-être venir en espérant le grand frisson du grand huit. Il va être déçu.»
Bouée. Car, en effet, ce pour quoi il faut aller au Musée d’art moderne de Paris, c’est le fond, l’exposition d’une rétrospective qui n’est ni voyeuse ni touristique et, pour tout dire, plus que bouleversante. Question de regard «monstre», comme un chaînon manquant entre Diane Arbus et Nan Goldin. Question de style, somnambulique, entre Botticelli, cité par Larry Clark, et les corps prolos du Caravage sanctifiés en personnages bibliques. Depuis plus de quarante ans, de Tulsa (Oklahoma), sa ville natale, à New York où il n’en finit pas de traîner, Clark ne se penche pas sur la jeunesse cabossée, il y plonge, s’y noie parfois, a failli y rester (drogues et prison), s’accroche à la bouée d’un visage, à l’espoir d’un corps, traverse le miroir des apparences misérabilistes et des clichés morbides, comme un «photonaute» (pour reprendre la trouvaille de Jim Lewis dans le livre-catalogue) qui explore à l’aventure, plus acteur que spectateur, les faces et fesses cachées de la planète jeune. Dans cet espace tout de failles sans fond, parfois plus sombre, noir et dangereux que les ténèbres d’Alien, personne ne vous entend crier.
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