C'est un junkie qui entre en studio à Los Angeles, en 1957, pour rencontrer la section rythmique la plus fulgurante de l'époque, celle de Miles Davis, Red Garland, Paul Chambers, Philly Joe Jones. Il n'a plus touché son saxophone alto depuis six mois, l'instrument est rouillé, rafistolé, le bec ne tient plus autour du liège, seule l'anche est neuve. Avant d'y aller, le bonhomme s'est fait un fix monstrueux. Et voilà ce Blanc pas net accueilli par ces trois Noirs qui jouent tous les soirs dans le groupe que le monde du jazz suit sur les scènes des meilleurs clubs. Ils le font avec gentillesse. Red Garland, le pianiste, ancien boxeur, voyant que ce joli garçon ruiné n'a aucune mélodie à proposer, lui en suggère. Les jazzmen peuvent être entre eux d'une incroyable douceur quand il s'agit de musique. Et le junkie, la musique, il la connaît des pieds à la tête.
Il s'appelle Art Pepper, il a été la star du grand orchestre de Stan Kenton où il jouait comme Marilyn Monroe caresse, Marlon Brando boxe, James Dean rêve. Il racontera sa vie dans un livre ironiquement titré Straight Life, émouvante, sidérante autobiographie de jazzman, « vie droite » qui est la version courbe comme un saxophone de celle de Chet Baker, le trompettiste, avec prisons aussi, disparitions, retours.
A écouter aujourd'hui le disque légendaire, cette simple session de thèmes rebattus (You'd be so nice to come home to, Imagination, Tin Tin Deo, Star Eyes, avec en bonus un The Man I love sur tempo qui roule), on comprend pourquoi Art Pepper a nourri plus qu'un autre le roman vrai du jazz drogue dure : le phrasé aérien, vibratile, délicatement arraché, accentué de façon prodigieusement excitante, cette sonorité de flèche d'or sont bien d'un styliste majeur du be-bop, juste un cran en dessous de Charlie Parker. Mais pour le Bird comme pour Art Pepper, sait-on à la fin des fins si la piquouse y était pour quelque chose ?
Michel ContatTelerama n° 3148 - 15 mai 2010
Un extrait du film "Straight Life" par Laurie Pepper adapté du livre éponyme de Art Pepper qui reprend pour l'essentiel le commentaire ci-dessus.
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