Je vous ai déjà parlé de Nassamou, non ? Mais si, pas plus tard que samedi dernier. Vous vous souvenez pas ? C’est bien la peine de vous fournir des informations de première bourre. Enfin bref, chers lecteurs, déjà que vous n’êtes guère nombreux, si je commence à vous accabler de reproches, je peux tirer le rideau et mettre la clé sous le clavier de mon ordinateur.
En fait, je ne vous ai pas tout dit sur la visite de Nassamou. Et comme je vous dois tout (faux cul, en plus). . Tout c’est passé si vite. Ca a commencé comme cela.
« Allo ! Papa ?
- oui.
- C’est Yann. »
Bon, jusque-là tout c’est passé comme dans le meilleur des mondes. Ceci-dit, je suis resté circonspect. Mon fils appelle rarement. Au téléphone il préfère le contact humain. Je ne peux l’en blâmer.
Inquiet de nature, chaque appel téléphonique me laisse augurer un drame. Pourtant la Gestapo n’existe plus officiellement et les camps de travail ou de rééducation pas encore ouverts sous Sarkosy. L’inquiétude, vous dis-je, on ne refait pas.
« Je voudrais savoir, reprit mon fils après un temps qui me parut un siècle, si tu pourrais recevoir un exposant à ta boîte ? »
En soi, la chose est d’un banal. Des exposants j’en accueille au moins deux à la semaine pour le compte de ma boite. La proposition émanant de mon fils est plus surprenante. D’emblée j’ai crains le pire et j’ai eu raison. Une fois n’est pas coutume. On a toujours raison de se méfier.
A onze heures donc, ce mercredi là, alors que je vaquais à mes occupations quotidiennes, tout en m’appliquant à exposer le « Circuit du document » en bibliothèque à une stagiaire, élève de seconde, le téléphone me vrilla les tympans tout comme la voix d’Abraham, le gardien.
« Allo ! Eh dépêche-toi, j’ai un enturbanné pas clair dans le hall avec une folle qui te réclame pour une expo !!!. » Et clac ! Raccroché à la gueule.
Une folle et un enturbanné pas clair. Franchement, je voyais pas. A part l’exposant de Yann, je voyais vraiment pas qui pourrait venir à cette heure. Bon, j’y vais quand même. Haut les cœurs. Pas le temps d’atteindre l’entrée de la médiathèque, qu’une femme vêtue de toile fauve, des Ingall touareg aux oreilles se jeta dans mes bras et m’embrassa.
« Ca fait un bail qu’on s’est pas vu, non ? » lâcha t-elle l’œil pétillant de malice. Je la remis, peu à peu. Ainsi la folle était Christine, la belle-mère de mon fils. Et en réfléchissant bien, vu que la dernière fois que je l’avais vu, c’était au mariage des enfants, que Totote et Nénette étaient encore de ce monde, que je vivais encore avec mon ex à l’époque et que je suis désormais avec Isabelle depuis dix ans, effectivement, ça faisait un bail qu’on ne s’était pas vu.
A première vue, je ne le regrettais pas.
Durant toutes mes tergiversations cérébrales, nous avions, Christine et moi, rejoins le hall où « l’enturbanné pas clair», pour reprendre l’expression d’ Abraham, restait un rien coincé dans la porte à tambour avec ses colifichets et autres babioles destinés à être exposés.
« Voici Nassamou ! » annonça Christine au tout venant le hall. Nassamou vient du Niger. Il est Artisan-éleveur, il fait partie d’une association « Baraka… » Abraham, tout transpirant avait allumé ses feux de détresse. « Il a bien de la chance, ce Nassamou, d’avoir la baraka, mais s’il pouvait se casser du hall d’entrée avec l’aut’ folle, ça m’arrangerait », semblait-t-il me lancer.
Philippe, l’agent de sécurité comptait troquer les mots fléchés contre un gun dans le tiroir face à lui. Nassamou, bordel, pensais-je, arrête de faire le con dans le tambour, après trois sommations d’usage, ils tirent. Et je voyais bien qu’en dépit des efforts certains de Nassamou, Abraham sentait poindre les emmerdements. Derechef j’emportais dans mon sillage, Nassamou en habit du pays et Christine toute auréolée par la magnificence du hall. « C’est beau ici, hein, Nassamou !
»
Arrivés sur le lieu d’exposition pas le temps de souffler, Christine pris l’initiative.
« Nassamou, tu vois tu as des tables. Tu vas pouvoir t’installer. C’est chouette, il y a de la place ici. Aurais-tu quelques linges colorées pour habiller les tables » Je n’avais pas eu le temps de passer au Marché St Pierre, ce matin. Je m’excusais donc. « C’est pas grave.» répondit Christine à mes balbutiements épileptiques de futur chômeur.
Ce qui serait bien quand-même, ce serait d’avoir des chaises pour les gens qui voudraient venir discuter avec Nassamou. Tu as des chaises, Christian ? qu’elle me demande.
Des chaises ! Des chaises dans le hall d’accès au restaurant d’entreprise ! Pourquoi pas une tente caïdale, des poufs et des peaux de bête, pendant qu’on y était. Des fois qu’on aurait envie de se vautrer en bouffant des loukoums avant de reprendre le collier. Et puis, sous les panneaux d’informations syndicales, une litière pour les bêtes de Nassamou et un petit abreuvoir. J’imaginais la scène. Certes touchante mais radicale pour qu’Abraham et Philippe aillent pointer illico aux Assedic, un peu avant moi, en court séjour à l’hôpital où n’auraient pas manqué de m’envoyer mes deux coreligionnaires à grands coups de bourre-pif.
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« Regarde, ces beaux bijoux touareg ! Regarde ! » S’émerveillait Christine. Soudain elle fit volte face et pointa un doigt sur moi. « Tu sais pas, on va déplacer cette table de là, à là, comme ça Nassamou fera le thé pour les visiteurs, comme au Niger. » Du thé ! Comme au Niger ! C’est sûr, on y perdrait pas au change, les distributeurs Selecta dans les étages servaient du Mir tiède en guise de thé au citron. Alors du thé à la menthe, pensez, et comme au Niger en plus, j’étais fou de joie. Nassamou et Christine ont déplacé la table. Nassamou a disposé quelques verres à thé, la menthe fraîche embaumait le hall. « Et pour l’eau ? » j’ai tendu un rien l’oreille. « Comment ! » C’est bizarre il y a des moments ou je deviens con et sourd, voire les deux en même temps. Va falloir que je consulte. « Pour l’eau, comment on va faire pour l’eau ? » Ah, oui, l’eau pour le thé comme au Niger. Comment expliquer à Christine et Nassamou que les bouilloires électriques étaient interdites. De plus, le hall ne disposait d’aucune prise électrique.
« Pour l’eau non plus, c’est pas grave, lâcha Christine. Nassamou à son Butagaz. » Un quoi ! Un Butagaz ! Nassamou je t’aime bien mais là on va avoir de gros, gros, gros, gros ennuis si tu sors la bouteille de Butagaz dans le hall. Putain de bordel de merde ! Si Abraham et Philippe apprennent qu’ils ont laissés passer une bouteille de Butagaz dans la boîte et que le chef de la sécurité rode dans le coin, Nassamou il est pas près de retourner faire le cow-boy au Niger. Car Nassamou est éleveur et cette année, à cause de la sécheresse, ses bêtes ont manqué de pâturages. Alors, Nassamou, écoute, chez toi il y a pas d’eau. Pas d’eau, pas de thé. Pas de thé, pas de Butagaz. Comprendo, mi amigo ?
« C’est dommage…. » ajouta Christine. Tout tremblant de fièvre, je l’aimais déjà. « C’est dommage, avec le thé c’aurait été bien plus convivial. »
Oui, mais bon, y a pas d’eau, alors y a pas de thé et pas de Butagaz. On va pas en mourir.
« Et la cantine ! On peut faire chauffer de l’eau, à la cantine ! » Ah Christine et la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité dans les entreprises privées, c’est que du bonheur. J’ai fait non de la tête. Nassamou, le farouche, n’esquissait pas l’ombre d’un sourire depuis son arrivée.
Restait la fontaine. En laissant couler un peu, ben, l’eau était brûlante. Je l’ai prouvé à Nassamou en me cloquant l’index mais pas du tout convaincu, mais alors pas du tout, vu qu’il a commencé à remballer la vaisselle. « C’est pas grave, Nassamou….. » fit Christine. Dans mon dos j’ai croisé les doigts des deux mains très fort question qu’elle n’ait pas une idée géniale genre méchoui et chant et danse berbère.
Il était onze vingt cinq. J’étais un rien mou du genou. C’est alors qu’est arrivée Joseph avec les casques pour le scotère. Ils étaient venus en bande. Joseph, c’est le compagnon de Christine, un ancien pompier. Tout de suite, ça m’a rassuré un brin. Je me suis dit que j’allais peut-être pouvoir bouffer tranquille avec Joseph le pompier dans le hall entre Nassamou, Christine et la bouteille de Butagaz. « T’as un endroit pour les casques ! a demandé Christine. C’est Joseph qui va ramener Nassamou en scooter. Moi, faut que j’aille au boulot. » Enfin une bonne nouvelle. L’appétit m’est revenu d’un coup. Je sais pas pourquoi.
J’ai stocké les casques et direct la « cantine » avec ma petite stagiaire.
A notre retour, Christine était toujours là à vanter les mérites des bijoux de Nassamou aux curieux. Nassamou, gardait la fontaine comme un puit du désert. Personne ne pouvait s’en approcher. Pourvu qu’il ne nous l’embarque pas. Avec des tandeurs sur le scotère, je voyais pas très bien comment Joseph et lui allaient arriver à bon port. De toutes les manières personne pouvait accéder à la machine. L’air farouche et déterminé de Nassamou tel Omar Shariff dans Lawrence d’Arabie en a dissuadé plus d’un de se désaltérer à la fontaine.
« Joseph et moi, on va manger à la cantine, on peut ? » - « Tiens, Christine, t’es encore là ? » j’ai failli répondre. Je m’en suis abstenu. Ils allaient descendre au restaurant d’entreprise lorsque je leur ai tendu ma carte d’accès. « Merciiiiii !!!!!!! »
C’est pas tout ça, mais il me fallait ouvrir la permanence médiathèque. Et laisser Nassamou devant le puit avec ses bijoux et toutes les gonzesses qui tournaient autour. Pas simple. Et comment confisquer le sac contenant la bouteille de Butagaz ? J’ai stressé un temps en attendant l’explosion. Ma petite stagiaire a été prendre une photo de Nassamou pour l’inclure dans son rapport de stage.
« Nassamou, m’a donné son numéro de téléphone. » a t-elle lancé. « Si je vais au Niger je n’ai qu’à l’appeler. » Ah il ne perdait la Nord, l’homme bleu. Carte de visite, téléphone portable. C’est le père de ma stagiaire qui allait être content. Il viendrait sûrement pour me casser la gueule, lui aussi. Il fallait que j’en parle à Abraham pour lui interdire tous les accès. Putain, je vivais aussi dangereusement que Jack Bauer depuis moins d’une heure. Sincèrement, je ne me sentais pas près. Et surtout je ne me sentais pas bien. J’ai laissé ma stagiaire assurer l’intérim et me suis enfermé seul dans un bureau pour pleurer à défaut de me pendre.
« Coucou ! C’est nous ! On te dérange pas au moins ? » Christine et Joseph avait mangé aussi vite que le temps avait passé.
« Nassamou est content. Il vend bien ses bijoux ! ». Sans Butagaz, sans thé, sans eau, sans rien on arrive encore à vivre. Il suffit d’y mettre un peu de bonne volonté, c’est tout. Les minutes s’étiraient lentement tel un chapelet de capucin. « Je crois que je vais y aller ! » finit par dire Christine. « Joseph ramènera Nassamou. » Oui, c’est le mieux qu’il ait à faire de ramener Nassamou en scotère car on allait pas se le garder en décoration dans le hall. «Je te raccompagne pas, tu connais la sortie ? »
Dans le lointain, Abraham me sembla nerveux. « Ca faisait un bail qu’on ne s’était pas vu. Au moins, avec Nassamou, saura été l’occasion, chao ! Chao ! A bientôt »
J’en croyais pas mes yeux, elle partait. Ce qu’elle fit. Abraham esquissa un sourire nerveux qui ressemblait étrangement à un rictus.
Juste aux vêpres, à quatorze heures, donc, j’ai senti comme un frémissement dans les draperies de Nassamou. Il pliait le bivouac. J’ai couru faire chauffer le scotère tandis qu’Abraham et Philippe en larmes ouvraient grands les portes de l’établissement pour que la sortie soit triomphale mais sans appel. Ce qui fut fait après les embrassades habituelles.
Quand tout fut fini, que s’affichaient calme et sérénité sur les visages des membres de la sécurité, Abraham me fit signe de m’approcher. « Plus jamais ça ! » vociféra-t-il à mes oreilles purpurines. « Surtout, la folle ! » Il avait pas tort sur tout, mais quand-même. « La folle, comme tu dis, c’est la belle-mère de Yann et Yann il vient demain. »
« Tu rigoles !!!!! » Alors son visage s’est éclairé d’un large sourire éclatant. Dans l’ombre il m’a semblé distinguer un rasoir scintillé. Rien n’était sûr. Soudain j’ai eu peur d’être privé de descendance. Et encore Abraham n’était pas au courant pour la bouteille de Butagaz. Ya des jours comme ça où la vie ne vaut pas d’être vécue. Vie de merde, quoi !
1 commentaire:
Au Niger, Ils n'ont pas finit de se fendre la poire en apprenant quelle panique une simple séance de thé est successible de déclencher dans notre hexagone.
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