jeudi 24 décembre 2015

Joyeux Noël, Monsieur Dickens !


Le Magasin d'antiquités.
Les Enfants du Paradis

 
Amis, petits et grands, munissez-vous d'un bon livre, jetez une bûche dans l'âtre, installez-vous bien confortablement dans un fauteuil douillet avec un thé chaud et commencez le grand voyage que vous propose l'Enchanteur Charles Dickens.
Car pour moi, la période de Noël est souvent propice à la lecture de contes ou d'un roman de Charles Dickens, déjà évoqué ici. Je répète encore une fois qu’il est dommage pour les non anglophiles de ne trouver en collection de poche que les romans les plus connus de ce romancier phare du XIXème siècle anglais. En 1979 les éditions 10/18 avaient pris l’excellente initiative de nous livrer en poche quelques romans dans la première traduction du XIXème siècle sous la direction de Pierre Lorain. Barnabe Rudge, Martin Chuzzlewitt, Nicholas Nickleby et Le magasin d’Antiquités furent de ceux-là. Depuis, hormis l’admirable collection de La Pléiade chez Gallimard, hélas toujours dénuée des illustrations originales, qui en offre de nouvelles traductions, on ne les trouve nulle part. Les extraits du "Magasin d’Antiquités" cités ici sont tirés de la traduction du XIXème siècle due à Alfred des Essarts.

La petite Nell

En 1840 Charles Dickens, âgé de 28 ans, est « un lion des salons littéraires et reçoit dans une vaste demeure de Regent’s Park dont les lumières effarouchaient le spectre de l’enfance misérable. » Son ascension il la doit à la parution en fascicules mensuels ou bimensuels de ses premiers romans : Monsieur Picwick, Oliver Twist et Nicolas Nickelby. « Il n’allait donc pas renoncer à un mode de publication inséparable de son glorieux apprentissage. »
« En des temps où il n'existait pour ainsi dire aucune autre source de distraction ou d'évasion, un succès d'édition prend des proportions qu'il est difficile d'imaginer de nos jours. D'une livraison à l'autre, Dickens tient littéralement ses lecteurs en haleine. Par l'intermédiaire de ses amis, par le courrier qu'il reçoit et les fluctuations du chiffre des ventes, il connaît les réactions populaires et se trouve ainsi en mesure de modifier le comportement ou le destin de ses héros au gré des manifestations d'accord ou de réprobation du public. Ce perpétuel : « Croyez-vous que cela puisse se faire sans irriter le lecteur ? », comme il le demande à son ami John Forster, conduit parfois aux pires incohérences de l'intrigue et nuit souvent à la vérité psychologique. Aucun de ces défauts n'échappe à Dickens. L'essentiel, pour le romancier, c'est que son œuvre atteigne tous les objectifs qu'il lui assigne. Faire rire, telle est bien la première manière de Dickens. »


Illustrations diverses tirées du Magasin d'Antiquités.

En 1840, donc, Dickens a alors comme projet de mettre à profit tous les événements de l’actualité et de varier la forme des textes en en faisant des esquisses, des essais, des histoires, des aventures où apparaîtraient de temps à autre les héros de ses précédents romans. Quant au titre « l’horloge de maître Honfroy » il le tirait d’un personnage assez falot, amoureux d’une vieille horloge dent il tirait des manuscrits successifs. Les histoires devaient s’enchainer pour former les « Mille et nuits de Londres.»
Bien entendu, le public se jeta comme un seul homme sur la première livraison de l’Horloge. 70.000 exemplaires furent vendus. Mais dans la mosaïque de textes des premiers numéros, le public ne trouva pas ne trouva pas ce qu’il attendait : un roman. Il fit donc grève.
Dickens ne s’entêta pas. L’Horloge continuerait à paraître en « implacables échéances hebdomadaires » mais les « Mille et une nuits de Londres » se débiterait désormais en ce que le public attendait de lui : un roman avec une histoire. Imaginez un peu. : Une publication hebdomadaire en cours, sur laquelle il n’est donc plus question de revenir, qui ne doit son salut qu’à l’imagination et au talent de son auteur. Pari risqué. Parmi toutes les idées que Dickens a en tête il se sait laquelle choisir, et que le résultat donne « Le Magasin d’Antiquités » tel que nous le connaissons aujourd’hui est proprement fabuleux. « Car Dickens se mit à l’ouvrage sans avance sur les échéances hebdomadaires. » Certes on lui devait déjà ce prodige d’imagination avec Les aventures de Monsieur Pickwick. Mais déjà en son temps, en cours de publication, Pickwick avait du se modeler aux exigences de son lectorat. Des « Mille et une nuits de Londres » naîtront les personnages du « Magasin d’antiquités». Ainsi l’innocente petite Nell et son infortuné grand-père, l’une guidant l’autre dans un pèlerinage sur les voies de Dieu et des hommes.

La petite Nell réconforte son grand-père

 
L’ouverture du roman telle que nous la connaissons aujourd’hui est en fait le début de la quatrième livraison hebdomadaire de "L’horloge de maître Onfroy". 

« La nuit est généralement le temps où je me plais à me promener. Souvent, dans l'été, je quitte mon logis dès l'aube du matin, et j'erre tout le long du jour par les champs et les ruelles écartées, ou même je m'échappe durant plusieurs journées ou plusieurs semaines de suite; mais, à moins que je ne sois à la campagne, je ne sors guère qu'après le soleil couché, bien que, grâce au ciel, j'aime autant que toute autre créature vivante ses rayons et la douce gaieté dent ils animent la terre. Cette habitude, je l'ai insensiblement contractée; d'abord, parce qu'elle est favorable à mon infirmité, (Maître Honfroy est boiteux) et ensuite parce qu'elle me fournit le meilleur moyen d'établir mes observations sur le caractère et les occupations des gens qui remplissent les rues. L'éblouissement de l'heure de midi, le va-et-vient confus qui règne alors, conviendraient mal à des investigations paresseuses comme les miennes à la clarté d'un réverbère, ou par l'ouverture d'une boutique: je saisis un trait des figures qui passent devant moi, et cela sert mieux mon dessein que de les contempler en pleine lumière pour dire vrai, la nuit est plus favorable à cet égard que le jour, qui, trop fréquemment, détruit, sans souci ni cérémonie, un château bâti en l'air, au moment où on va l'achever. N'est-ce pas un miracle que les habitants des rues étroites puissent supporter ces allées et venues continuelles, ce mouvement qui n'a jamais de halte, cet incessant frottement de pieds sur les dures pierres du pavé qui finissent par en devenir polies et luisantes Songez à un pauvre malade, sur une place telle que Saint-Martin's-Court, écoutant le bruit des pas, et, au sein de sa peine et de sa souffrance, obligé, malgré lui, comme si c'était une tâche qu'il dût remplir, de distinguer le pas d'un enfant de celui d'un homme, le mendiant en savates de l'élégant bien botté, le flâneur de l'affairé, la démarche pesante du pauvre paria qui erre à l'aventure, de l'allure rapide de l'homme qui court à la recherche du plaisir; songez au bourdonnement, au tumulte dent les sens du malade sont constamment accablés; songez à ce courant de vie sans aucun temps d'arrêt, et qui va, va, va, tombant à travers ses rêves troublés, comme s'il était condamné à se voir couché mort, mais ayant conscience de son état, dans un cimetière bruyant, sans pouvoir espérer de repos pour les siècles à venir Ainsi, quand la foule passe et repasse sans cesse sur les ponts, du moins sur ceux qui sont libres de tout droit de péage, dans les belles soirées. les uns s'arrêtent à regarder nonchalamment couler l'eau avec l'idée vague qu'elle coulera tout à l'heure entre de verts rivages qui s'élargiront de plus en plus, jusqu'à ce qu'ils se confondent avec la mer; les autres se soulagent du poids de leurs lourds fardeaux et pensent, en regardant par-dessus le parapet, que vivre, c'est fumer et goûter un plein farniente, et que le comble du bonheur consiste à dormir au soleil sur un morceau de voile goudronnée, au fond d'une barque étroite et immobile d'autres, enfin, et c'est une classe toute différente, déposent là des fardeaux bien autrement lourds, se rappelant avoir entendu dire, ou avoir quelque part lu dans le passé, que se noyer n'est pas une mort cruelle, mais, de tous les moyens de suicide, le plus facile et le meilleur. Le matin aussi, soit au printemps, soit dans l'été, il faut voir Covent-Garden-Market, lorsque le deux parfum des fleurs embaume l'air, effaçant jusqu'aux vapeurs malsaines des désordres de la nuit précédente, et rendant à moitié folle de joie la grive au sombre plumage, dent la cage avait été suspendue, durant toute la nuit, à une fenêtre du grenier. Pauvre oiseau le seul être du voisinage, peut-être, qui s'intéresse par sa nature au sort des autres petits captifs étalés là déjà, le long du chemin; les uns amateurs avinés qui les marchandent, les autres s'étouffants en se serrant, en se blottissant contre -leurs compagnons d'esclavage, attendant que quelque chaland plus sobre et plus humain réclame pour eux quelques gouttes d'eau fraîche qui puissent étancher leur soif et rafraîchir leur plumage. Cependant quelque vieux clerc, qui passe par là pour aller à son bureau, se demande, en jetant les yeux sur les tourterelles, qu'est-ce donc qui lui fait rêver bois, prairies et campagnes. Mais je n'ai pas ici pour objet de m'étendre au long sur mes promenades. L'histoire que je vais raconter tire son origine d'une de ces pérégrinations, dent j'ai été amené à parler d'abord en guise de préface. »



Londres vue par Gustave Doré

 
Cette description de Londres lors des pérégrinations de Maitre Honfroy tranche singulièrement avec la belle et lugubre ouverture de Bleak House pour laquelle je garde une préférence.
« Londres â la session judiciaire qui commence après la Saint-Michel vient de s'ouvrir, et le lord chancelier siège dans la grande salle de Lincoln'a Inn. Un affreux temps de novembre. Autant de boue dans les rues que si les eaux du déluge venaient seulement d'abandonner la surface de la terre et l'on ne serait pas surpris de rencontrer un mégalosaurus, gravissant, dans la vase, la colline de Holborn. La fumée tombe des tuyaux de cheminée, bruine molle et noire, traversée de petites pelotes de suie qu'on prendrait pour des flocons de neige portant le deuil du soleil. On ne reconnait plus les chiens sous la boue qui les couvre. Les chevaux crottés jusqu'aux oreilles ne sont guère mieux que les chiens. Les parapluies se heurtent, et les piétons, d'une humeur massacrante, perdent pied à chaque coin de rue, où des milliers de passants ont trébuché depuis le commencement du jour (si toutefois on peut dire que le jour ait commencé), ajoutant de nouveaux dépôts aux couches successives de cette boue tenace qui s'attache au pavé et s'y accumule à intérêts composés. Partout du brouillard (…) se déploie au milieu des navires qu'il enveloppe, et se souille au contact des ordures que déposent sur la rive les égouts d'une ville immense et fangeuse (...) Le temps humide et froid est plus glacial encore, les rues plus boueuses qu’ailleurs autour de Temple Bar ; et non loin de Temple Bar, au centre même du brouillard, siège à la haute cour de justice, le lord grand chancelier… »

 
Quilp


« Le personnage central du "Magasin d'Antiquités" est la petite Nell Trent. Elle demeure avec son grand-père dans une pauvre et triste boutique d'antiquaire où sa jeunesse contraste étrangement avec les vieilleries poussiéreuses qui l'entourent. Maître Onfroy nous la décrit ainsi : « L’endroit qu’il avait traversé à pas lents, était un de ces réceptacles d’objets anciens ou curieux qui semblent se tapir dans certains coins bizarres de cette ville… » Nell soigne son aïeul avec beaucoup de dévouement. « Il (m’) est toujours pénible (…) de voir des enfants initiés aux réalités de la vie alors qu’ils sont encore presque des bambins. C’est tarir leur confiance et leur simplicité (…) et les contraindre à partager nos chagrins avant qu’ils soient capables de connaître nos joies. »
Le vieil homme est réduit à la misère par l'un de ses gendres et par le propre frère de Nelly. Il emprunte de l'argent à Daniel Quilp, nain difforme et méchant. Mais, joueur invétéré, le grand père de Nell perd fortune sans pouvoir se refaire et pourvoir à l'avenir de sa petite-fille. Une passion dévorante et une cupidité maladive qui le quittera jamais et occasionnera bien des frayeurs à la petite Nell lors de leur séjour à l'auberge du Vaillant Soldat.
« Enfin le sommeil appesantit par degrés ses paupières; un sommeil brisé, agité, où, dans ses rêves, il lui semblait qu'elle tombait du haut de quelque tour et dont elle s'éveillait en sursaut avec de grandes terreurs. Un sommeil plus profond succéda au premier, et alors, qu'est-ce ? Quelqu'un dans la chambre. Oui, il y avait quelqu'un. Nelly avait entr'ouvert la persienne pour apercevoir le jour aussitôt que l'aube naîtrait. Entre le pied du mur et la croisée encore obscure, rampait et se glissait une sorte de fantôme, cheminant sans bruit sur les mains et décrivant un cercle autour du lit. L'enfant n'avait la force ni de crier pour appeler à son secours, ni de faire un mouvement elle restait immobile et attendait. Le fantôme s'approcha silencieusement et furtivement du chevet du lit. Il était tellement près de l'oreiller, que Nelly se renfonça, de peur que ces mains errantes ne rencontrassent son visage en tâtonnant. Il fit un mouvement du côté de la fenêtre, puis il tourna la tête vers Nelly. Cette masse noirâtre n'était qu'une tache sur le fond moins obscur de la chambre mais Nelly vit bien la tête se tourner, elle vit bien, à ne pouvoir s'y méprendre, que les yeux de l'homme regardaient et que ses oreilles écoutaient. Alors il s'arrêta, immobile comme Nelly. Enfin, le visage toujours fixé sur elle, il farfouilla dans quelque chose avec ses mains, et l'enfant entendit tinter de l'argent. Ensuite le fantôme revint sur ses pas, toujours silencieux: il replaça les vêtements qu'il avait pris à côté du lit, et se remit à non par courage, mais par nécessité; car il n'était guère moins dangereux pour elle de rentrer dans sa chambre que de les rendre. Au dehors, la pluie battait les murs avec. rage et tombait à flots du toit de chaume. Des moucherons et des cousins, faute de pouvoir s'aventurer en plein air, volaient çà et là dans l'obscurité, se heurtant contre la muraille et le plafond, et remplissaient de leurs bourdonnements ce lieu silencieux. Le fantôme remua de nouveau. Involontairement, l'enfant fit de même. Une fois dans la chambre de son grand-père, elle serait en sûreté. L'homme suivit le corridor jusqu'à ce qu'il eût gagné la porte même que Nelly souhaitait si ardemment d'atteindre. L'enfant, en se sentant si près de son refuge, allait s'élancer pour se jeter dans la chambre et s'y renfermer, quand le fantôme s'arrêta encore. Une affreuse idée la saisit si cet homme entrait là, s'il voulait attenter à la vie du vieillard ! Nelly se sentit défaillir. Cependant le fantôme entra dans la chambre A l'intérieur, il y avait une faible lumière; et Nelly, encore muette d'effroi, complètement muette, et presque inanimée, se hasarda à regarder. La porte était restée en partie ouverte. Ignorant ce qu'elle faisait, mais ne songeant qu'à sauver son grand-père ou à périr avec lui, Nelly s'inclina. Ah ! quel tableau frappa ses yeux ! Le lit n'avait pas été occupé; il n'était pas même défait. Devant une table était assis le vieillard, seul dans la chambre. Son pâle visage était tout illuminé par l'ardeur cupide qui brillait dans son regard, en comptant l'argent qu'il venait de voler à sa petite fille. De ses propres mains. »
Lorsque Daniel Quilp, qui avait toujours pensé avoir affaire à un riche avare, apprend de quoi il retourne, il fait mettre aussitôt le magasin sous séquestre. Le vieillard et la jeune fille doivent s'enfuir de Londres cette ville où « Le meurtre et le suicide sont blottis dans chacune de ces rues » ce qui nous vaut de la part de Dickens une magnifique description des faubourgs populaires de Londres :

Chassés. 


« Les deux pèlerins, se pressant souvent la main ou échangeant, soit un sourire, soit un regard amical, poursuivaient leur chemin en silence. Par cette matinée, si éclatante et si belle, il y avait quelque chose-de solennel à voir les rues, longues et désertes, véritables corps sans âmes, n'offrant plus que l'image d'un néant uniforme qui les rendait toutes semblables les unes aux autres. A cette heure matinale, tout était si calme et si tranquille, que le peu de pauvres gens qui se croisaient dans les rues semblaient perdus dans ce cadre brillant comme les lampes mourantes qu'on avait laissées brûler, çà et là, noyaient leur lueur impuissante dans les rayons glorieux du soleil. Nelly et le vieillard n'avaient pas pénétré bien avant dans le labyrinthe de rues qui s'étendaient entre eux et les faubourgs, quand la scène commença à se transformer et le bruit à revenir avec le mouvement. Quelques charrettes isolées, quelques fiacres rompirent le charme d'autres suivirent il en vint un plus grand nombre, et enfin ce fut à l'infini. D'abord, c'était une nouveauté de voir s'ouvrir la montre d'un marchand bientôt, ce fut une rareté d'en voir une seule fermée. La fumée commença à monter doucement du faîte des cheminées; les châssis des croisées furent levés et assujettis; les portes s'ouvrirent; les servantes, ne regardant que leur balai, firent voler d'épais nuages de poussière dans les yeux des passants sans crier gare, ou bien elles écoutaient d'un air mélancolique les laitières qui leur parlaient des foires de campagne, des charrettes remisées sur les places, avec des toiles et des rideaux, tous les attributs de la fête enfin; et, par-dessus le marché, de galants bergers, qu'elles allaient trouver en chemin pour la danse. Ayant traversé ce quartier, l'enfant et le vieillard entrèrent dans les rues de commerce et de grand trafic, fréquentées par une foule considérable, et où déjà régnait beaucoup d'activité. Le vieillard regarda autour de lui avec un tressaillement plein d'effroi, car c'était précisément l'endroit qu'il avait à cœur de fuir. Il posa un doigt sur sa bouche et entraîna Nelly par des cours étroites et des ruelles tortueuses; il ne parut recouvrer sa tranquillité que lorsqu'ils eurent laissé bien loin ce quartier souvent il se retournait pour regarder en arrière, disant à demi voix « Le meurtre et le suicide sont blottis dans chacune de ces rues. Ils nous suivront s'ils nous sentent. Nous ne saurions fuir trop vite !» De ce quartier ils arrivèrent, dans le voisinage, à des habitations éparses, misérables maisons qui, divisées en chambres étroites et ayant leurs croisées rapiécées avec des chiffons et du papier, indiquaient assez qu'elles servaient d'abri à la pauvreté populeuse. Dans les boutiques, on vendait des objets tels que la misère seule pouvait en acheter les vendeurs et les acheteurs ne valaient pas mieux les uns que les autres. II y avait d'humbles rues, où l'élégance ruinée essayait, sur un petit théâtre et avec des débris, de faire encore un reste de figure, mais le percepteur des contributions et le créancier savaient bien les déterrer là comme partout ailleurs; et la pauvreté, qui faisait encore un semblant de résistance, était à peine moins hideuse et moins manifeste que celle qui, depuis longtemps résignée, avait abandonné la partie. Venait ensuite une vaste, vaste étendue, offrant le même caractère, car les humbles goujats qui suivent le camp de l'opulence, viennent planter leurs tentes autour d'elle, de bien loin. à la ronde. Une vaste étendue, qui ne faisait guère meilleure mine; des maisons pourries d'humidité, la plupart à louer, beaucoup en construction, beaucoup à moitié déjà en ruine avant d'être construites; des logements de nature à faire hésiter la pitié entre ceux qui les louaient et ceux qui s'y établissaient comme locataires; des enfants mal nourris et à peine vêtus, pullulant dans chaque rue et se vautrant dans la poussière; des mères criardes, traînant avec bruit sur le pavé leurs savates des pères en haillons, courant avec l'air découragé vers le travail, qui leur donnera peut-être « le pain de la journée, » et peu de chose avec; des tourneuses de cylindre à lessive, des blanchisseuses, des savetiers, des tailleurs, des fabricants de chandelles, exerçant leur industrie dans les parloirs, les cuisines, les arrière-boutiques, jusque dans les galetas, et quelquefois se trouvant tous entassés sous le même toit; des briqueteries bordant des jardins palissadés avec des douves de vieilles barriques ou avec des charpentes qu'on a enlevées de maisons incendiées, et qui ont gardé l'empreinte noire et les cicatrices du feu; des monceaux d'herbes marécageuses arrachées des bassins; de l'ortie, du chiendent, des écailles d'huîtres, tout cela entassé en désordre; enfin, de petites chapelles dissidentes, où l'on prêche avec assez d'à-propos sur les misères de la terre, sans avoir besoin d'aller chercher bien loin des exemples, et quantité d'églises neuves du culte épiscopal, érigées avec un peu plus de somptuosité, pour montrer aux gens qui habitent cet enfer le chemin du paradis. Ces rues finirent par devenir plus disséminées, jusqu'au moment où elles aboutirent à de petits carrés de jardins bordant la route avec mainte habitation d'été, vierge de toute peinture et construite, soit avec de vieilles poutres, soit avec des débris de bateau aussi verts que les grosses tiges de chou qui croissaient en ce lieu les jointures de ces maisons servaient de couches à des champignons sauvages et elles étaient émaillées de clous Venaient ensuite, deux par deux, des cottages coquets, ayant par devant un terrain de côté des bordures serrées de buis, avec d étroites allées, où jamais un pied ne se hasardait à fouler le sable. Puis, ce fut le cabaret fraîchement peint de vert et blanc, avec les jardins où l'on prend le thé, et un boulingrin, fier de son auge devant laquelle s'arrêtaient les charrettes, puis ce furent des champs; puis quelques maisons isolées, bien situées, avec des pelouses, plusieurs même ayant une loge gardée par un portier et sa femme. A ce panorama succéda une barrière de péage les champs s'étendirent de nouveau avec leurs arbres et leurs meules de foin; une colline s'éleva, du haut de laquelle le voyageur pouvait, en se retournant, contempler, à travers la fumée, le mirage du vieux Saint-Paul, et voir la croix se découper sur les nuages, si par hasard le jour était pur, et briller au soleil; c'était là que le voyageur, fixant ses yeux sur cette Babel d'où s'élevait le dôme majestueux, jusqu'à ce que on regard eût embrassé l'extrémité de cet amas de briques et de pierres, maintenant à ses pieds, sentait enfin qu'il était délivré de Londres. »


Sur la longue route. 


A ce moment précis, le roman se scinde en deux parties : l’une narrant les pérégrinations de Nell et de son grand-père errant à travers l'Angleterre comme des miséreux, obsédés par la crainte d'être découverts par Quilp; l’autre les péripéties des différents personnages impliqués dans l’histoire. 


Quilp interromp la partie de thé.
Quilp effraie la pauvre Nell


« Grand lecteur des écrivains « sentimentalistes » du XVIIIe s., Dickens va devenir très vite un des maîtres du pathétique : le monde victorien n'est pas tendre aux malheureux, mais aucune époque ne s'est autant complu dans les « bons sentiments ». Une telle mentalité fait mieux comprendre la passion sans précédent soulevée par les aventures de la petite Nell et explique que la mort de la jeune héroïne du Magasin d'antiquités, aussi bien que celle de Paul Dombey, ait pu prendre l'allure d'un deuil national. Le lecteur moderne évolué rejette formellement ce genre de pathétique, considéré comme une atteinte à sa dignité intellectuelle. Pour Dickens, au contraire, l'exploitation systématique des mouvements de l'âme, associée au rire, va constituer l'arme de guerre la plus efficace pour s'attaquer à la misère, à la souffrance, à l'iniquité. Son pathos, générateur d'idées, de situations ou de sentiments rudimentaires, s'élève, se transcende jusqu'au symbolisme, et celui-ci, à son tour, devient une satire à laquelle n'échappe rien de ce qui constitue le fondement même de la société victorienne : administration, agent, justice. » 



Jerry le danseur de chiens.
Le théatre de Marionnettes.
Les personnages de cires de Miss Jarley.
                                                         Apprentissage de Nell par Miss Jarley. 

 
Les principaux personnages ne sont pas les mieux dessinés; plus réussies sont les figures épisodiques, ces portraits d'humbles gens dans lesquels Dickens excelle et où son imagination peut se donner libre cours en créant, avec une grande poésie, une réalité qui est plus touchante que la banale réalité, comme l’écrivait Dickens lui-même « a donner au personnage solitaire de l’enfant des compagnons qui sans être invraisemblables, fussent grotesques et extravagants, et d’entourer son innocent visage et ses intentions pures d’êtres aussi bizarres et aussi déplaisants que les sinistres objets qui se dressent près de son lit au moment où son histoire commence à se dessiner. » tels, par exemple, les montreurs de marionnettes Codlin et Short : 

Codlin & Short.
 
«C'étaient deux hommes installés commodément sur l'herbe et tellement occupés qu'ils n'aperçurent pas d'abord les nouveaux venus. Il n'était pas difficile de deviner qu'ils appartenaient à la classe de ces industriels ambulants qui montrent au public les fredaines de Polichinelle. En effet, à cheval sur une pierre sépulcrale, se trouvait derrière eux le héros lui-même, avec son nez et son menton aussi crochus et sa face aussi enluminée que d'ordinaire. Jamais peut-être il n'avait mieux témoigné de son aplomb imperturbable; car il conservait son sourire uniforme, bien que son corps fût renversé dans la position la plus incommode, tout disloqué, tout chiffonné, sans grâce et sans forme, tandis que son long chapeau pointu, se balançant en avant sur ses jambes grêles, menaçait à tout instant, faute d'équilibre de faire faire une culbute à maître Polichinelle. (…) Ils levèrent les yeux avec curiosité, s'interrompant dans leur besogne, au moment où le vieillard et sa jeune compagne arrivèrent près d'eux. Celui qui probablement était chargé de faire mouvoir et parler les acteurs était un petit homme à la face joviale, à l'œil brillant et au nez rouge; il paraissait s'être pénétré, sans s'en douter, de l'esprit et du caractère de son principal personnage. L'autre qui, sans doute, était chargé de percevoir la recette, avait un regard méfiant et dissimulé, qui peut-être aussi était une conséquence de son emploi. Le joyeux compère fat le premier à saluer les étrangers d'une inclination de tête, et, suivant la direction que prirent les yeux du vieillard, il fit la remarque que celui-ci n'avait peut-être jamais vu Polichinelle que sur la scène. Polichinelle, en ce moment, nous sommes fâché de le dire, semblait montrer avec la pointe de son chapeau une des plus pompeuses épitaphes et en rire de tout son cœur. -Pourquoi venez-vous ici pour une pareille besogne? Demanda le vieillard s'asseyant auprès d'eux et contemplant les marionnettes avec un sensible plaisir. -Mais, répondit le petit homme, c'est que nous donnons ce soir une représentation à l'auberge qui est là-bas, et il ne faudrait pas qu'on nous vît réparer nos personnages. Non? s'écria le vieillard faisant signe à Nelly d'écouter; et pourquoi pas ? hein? Pourquoi pas?-Parce que cela détruirait toute illusion et enlèverait tout intérêt. Je parie que vous ne donneriez pas un sou pour voir le lord chancelier, si on vous le montrait en robe de chambre et sans sa perruque? Non, certainement non. Très-bien 1. dit le vieillard se hasardant à toucher une des marionnettes 'puis retirant sa main avec un éclat de rire, il ajouta « C'est donc ce soir que vous devez les montrer? Oui, telle est notre intention, mon maître, et je me trompe fort, ou Tommy Codlin est en train de calculer ce que vous nous avez fait perdre en venant nous surprendre dans nos opérations. Rassurez-vous, Tommy, ça ne peut pas être grand'chose. » Le petit homme accompagna ces derniers mots d'un clignement d'yeux qui voulait dire qu'il n'avait pas grande idée de l'état des finances des deux voyageurs. M. Codlin, qui avait les manières brusques et moroses, répliqua eri enlevant Polichinelle du sommet de la tombe et le rejetant dans la botte: « Je m'inquiète peu que nous ayons perdu un liard. Mais vous êtes trop inconsidéré. Si vous étiez devant le rideau, et si comme moi vous voyiez le public en face, vous connaîtriez mieux la nature humaine. Ah ! Tommy, c'est bien ce qui vous a perdu, de vous attacher à cette branche d'industrie. Lorsque vous représentiez les revenants des drames réguliers dans les foires, vous croyiez à tout excepté aux revenants. Mais maintenant vous êtes un in crédule fini vous ne croyez plus à rien. Jamais je n'ai vu d'homme changé aussi radicalement. N'importe! dit M. Codlin de l'air d'un philosophe mécontent. Je ne suis plus si bête: après cela, c'est peut-être un mal. Tournant alors les figurines dans la botte, en homme qui les connaissait assez pour les mépriser, M. Codlin en retira une, et la soumettant à son associé « Voyez ça! Voilà la robe de Judy qui tombe encore en loques. je parie que vous n'avez apporté ni fil ni aiguille? »Le petit homme secoua et gratta tristement sa tête en présence de l'état déplorable où il voyait un de ses premiers rôles. Comprenant leur embarras, Nelly dit avec timidité « Monsieur, j'ai dans mon panier une aiguille et du fil. Voulez-vous que je vous raccommode cela? Je crois que j'y réussirai mieux que vous. M. Codlin lui-même n'avait rien à objecter contre une proposition si opportune. Nelly, s'agenouillant devant la boite, se mit activement à l'œuvre, et s'en acquitta merveilleusement. Pendant ce temps, le joyeux petit homme regardait Nelly avec un intérêt qui ne fit que s'accroître en jetant un coup d'oeil sur le pauvre vieillard. Il la remercia quand elle eut fini, et s'informa où ils se rendaient ainsi. « Je ne crois pas que nous allions plus loin ce soir, réponditl'enfant en tournant les yeux vers son grand-père. Si vous avez besoin de vous arrêter quelque part, dit l'homme, je vous conseille de vous loger à la même auberge que nous. C'est une longue et basse maison blanche que vous apercevez là-bas. Elle n'est pas chère. Malgré sa fatigue le vieillard fût volontiers resté toute la nuit dans le cimetière, si sa nouvelle connaissance eût dû lui tenir compagnie. Mais comme cela ne se pouvait pas, il accueillit immédiatement avec un vif plaisir la proposition d'aller coucher. »
Par le passé, Dickens avait excellé avec ses esquisses de personnages et de lieux qu’il avait recueillies dans un carnet depuis son plus jeune âge. En observateur original de la vie londonienne il décrivit les aspects pathétiques ou grotesques dans ces tableaux colorés et précis de la vie quotidienne dans « Les esquisses de Boz » 



l Inquiétudes de la petite Nell

 
Parmi les personnages du côté obscur de la force, la description des docks, où se trouve le bouge de Quilp, sont aussi parmi les puissantes du livre :
« Le kiosque dont M. Quilp avait parlé était une espèce d'échoppe en bois toute délabrée et d'une hideuse nudité qui dominait la vase de la rivière et semblait menacer sans cesse d'y tomber. La taverne à laquelle appartenait ce pavillon était un bâtiment détraqué, sapé et miné par les rats, soutenu seulement par de grandes pièces de charpente qui étaient dressées contre ses murailles et lui servaient d'appui depuis si longtemps qu'elles avaient vieilli et fléchi avec leur fardeau, et, par une nuit de vent, on entendait des craquements comme si tout l'établissement allait crouler. La maison était assise, si l'on peut parler ainsi d'une vieille masure plus près d'être renversée que d'être assise, sur une sorte de terrain vague, noirci par la fumée insalubre des cheminées de fabriques et répercutant à la fois le bruit combiné des roues de fer et de l'eau clapotante. Au dedans, ses agréments répondaient parfaitement aux promesses du dehors. Les chambres étaient basses et humides; les murailles toutes visqueuses percées de crevasses et de trous; les marches d'escalier pourries et ravalées; les solives mêmes, sorties de leur assiette, avaient un aspect menaçant qui tenait à distance le passant intimidé.»

Le bouge de Quilp.

 
«On eût eu peine à définir de quel commerce, de quelle profession s'acquittait M. Quilp en particulier, quoique ses occupations fussent nombreuses et variées. Il touchait les loyers de colonies entières, parquées dans des rues sales et des ruelles au bord de l'eau; il faisait des avances d'argent aux matelots et officiers subalternes de vaisseaux marchands il avait une part dans les pacotilles de divers contremaîtres de bâtiments des Indes, fumait ses cigares de contrebande sous le nez même des douaniers, et presque tous les jours avait des rendez-vous à la Bourse avec des individus à chapeau de toile cirée et jaquette de matelot. Sur le rivage de la Tamise, Comté de Surrey, il y avait un affreux chantier, infesté de rats, et nommé vulgairement « le quai de Quilp. » Là étaient un petit comptoir en bois, enfoncé tout de travers dans la poussière, comme s'il était entré dans le sol en tombant des nues, quelques débris d'ancres rouillées, plusieurs grands anneaux de fer, des piles de bois pourri, et deux ou trois monceaux de vieilles feuilles de cuivre, tortillées, fendues et avariées. Dans son quai Daniel Quilp était un déchireur de bateaux, quoiqu'à en juger par tout ce qu'on voyait on dût penser, ou qu'il déchirait les bateaux sur une fort petite échelle, ou qu'il les déchirait en morceaux si petits qu'on n'en voyait plus rien. Bien loin que ce lieu offrît une notable apparence de vie ou d'activité, la seule créature humaine qui l'occupait était un jeune garçon amphibie, vêtu de toile à voiles, dont l'unique travail consistait à rester assis au haut d'une des piles de bois pour jeter des pierres dans la houe à la marée basse, ou à se tenir les mains dans ses poches en regardant avec insouciance le mouvement et le choc des vagues a la marée haute. A Tower-Hill, l'appartement du nain comprenait, outre ce qui était nécessaire pour lui et Mme Quilp, un petit cabinet avec un lit pour la mère de cette dame, qui vivait dans le ménage et soutenait contre Daniel une guerre incessante; et pourtant la dame avait une terrible peur de son gendre. En effet, cet horrible personnage avait réussi de manière ou d'autre, soit par sa laideur, soit par sa férocité, soit enfin par sa malice naturelle, peu importe, à inspirer une crainte salutaire à la plupart de ceux qui se trouvaient chaque jour en rapport avec lui. Nul ne subissait plus complètement sa domination que Mme Quilp elle-même, une jolie petite femme au doux parler, aux yeux bleus, qui, s'étant unie au nain par les liens du mariage dans un de ces moments d'aberration dont les exemples sont loin d'être rares, faisait, tous les jours de la vie banne et solide pénitence de sa folie d'un jour. »

Madame Quilp et son seigneur et maître.

 
« Dickens a identifié « la petite Nelly » avec le souvenir de sa jeune belle-sœur, Mary Hogarth, morte en 1837. De même, certains autres personnages sont empruntés à la vie courante ; grâce à ses dons d'observation, et l'imagination aidant, il a su créer des types caractéristiques et d'une criante vérité : Dick Swiveller, un mauvais gredin ami de Fred Trent, le frère de Nell, que Quilp utilise à ses fins, en le plaçant chez son associé l'avoué Sampson Brass ; la « marquise », femme de ménage de la famille Brass ; entre Dick et la « marquise » se noue une idylle comme entre un chevalier errant et une captive arrachée à sa prison, idylle qui se terminera comme il se doit par un mariage; le tendre et généreux Kit, autre merveilleux personnage du monde de l'enfance cher à Dickens, enfin le monstrueux trio formé par Brass, sa sœur et leur complice Quilp, incarnation de la laideur morale, véritable démon qui sera condamné comme il se doit :
« Au milieu du bourdonnement qui se faisait dans ses oreilles, il put entendre les coups retentir encore à la porte du débarcadère, il put entendre un cri qui s'éleva ensuite, il put reconnaître la voix. Dans la lutte qu'il soutenait contre les vagues, il put comprendre que sa femme et Tom Scott, s'étant égarés, étaient revenus au point même de leur départ, qu'ils étaient tout près de l'endroit où il se noyait, mais sans pouvoir faire le moindre effort pour le sauver, puisqu'il avait lui-même fermé toute communication. Il répondit au cri d'appel par un hurlement qui sembla faire trembler et vaciller les centaines de feux qui voltigeaient devant ses yeux, comme si un coup de vent les eût agités. Vaines clameurs! La marée montait; l'eau pénétra dans la gorge du nain et emporta le corps dans son rapide courant. Il lutta en désespéré et remonta à la surface, frappant la vague avec ses mains, et suivant d'un regard sauvage et ardent des formes noires qui passaient près de lui. C'était la coque d'un vaisseau! Il put en toucher la surface lisse et glissante. Il jeta encore un cri retentissant, mais l'eau plus forte que lui l'entraîna sous la quille avant qu'il pût se faire entendre; cette fois elle n'emportait plus qu'un cadavre. Dans ses caprices elle se fit un jouet de cette horrible épave, tantôt la meurtrissant contre des pieux gluants, tantôt la cachant dans la vase ou les hautes herbes du rivage, tantôt la heurtant pesamment sur de grosses pierres, ou la couchant sur le sable, tantôt paraissant vouloir la reprendre, et par une aspiration puissante l'attirant en avant jusqu'à ce que, lasse de cet épouvantable jeu, elle rejeta le cadavre dans un endroit marécageux, juste à la place infâme où des pirates avaient été autrefois pendus avec des chaînes par une nuit d'hiver et laissés à la potence pour y laisser blanchir leurs os. Le voilà donc là, tout seul. L'horizon était embrasé, et l'eau qui avait porté le corps en ce lieu s'était colorée de cette subite lumière, tandis que le nain flottait à sa surface. La maison de bois qu'un homme vivant, à présent cadavre abandonné, venait de quitter tout à l'heure, n'était plus qu'une ruine flamboyante. Un reflet de l'incendie éclairait le visage de Quilp. Ses cheveux, qu'agitait la brise humide, se mouvaient sur sa tête comme par une ironie de la mort, une ironie qui eût réjoui le cœur de Quilp lui-même s'il eût encore été de ce monde, et le vent de la nuit soulevait ses habits en se jouant. »
La fin de Quilp.
Kit à la maison.
Kit est récompensé.
Visite surprise de Kit.
La publication du Magasin d’Antiquités s’acheva en janvier 1941 sur le jugement dernier habituel, c'est-à-dire sur l’apothéose des bons et les châtiments des méchants qu’on avait vu graviter autour de la petite Nell. Toute l’Angleterre pleurait avec Dickens la mort de l’héroïne.
On ne peut d’ailleurs vraiment se rendre compte du succès de ce roman de Dickens auprès de ses contemporains sans citer cette anecdote : Lors de la dernière livraison en fascicule tirée à 100.000 exemplaires, (soit un exemplaire par groupe de dix familles pour une lecture publique), l’acheminement des exemplaires pour les lecteurs d’outre-Atlantique se fit par bateau. Au débarcadère de New-York des centaines de lecteurs s’étaient massés dans l’attente de la livraison de l’épilogue. Tandis que le bateau s’amarrait, certains lecteurs impatients ne purent s’empêcher de crier : « Est-ce que la petite Nell est morte ? » Un ami de Dickens, qui ne le savait que trop, jeta son exemplaire du «Magasin d'antiquités» par la fenêtre d'un train en s'écriant: «Il n'aurait pas dû la tuer!»
Si grande est la célébrité de Dickens que les gens courent dans la rue, le dépassent et font demi-tour pour le croiser. Sa seconde tournée outre-Atlantique, en 1868, est un triomphe. Le Parlement et la vieille église de Boston sont repeints en rose, et les rues de la ville balayées deux fois en son honneur.
Merci et Joyeux Noël, Monsieur Dickens. 

L'ultime demeure.

Mort de la petite Nell.


Joyeux Noël et Bonnes fêtes de fin d’année à toutes et tous.

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