vendredi 27 juin 2008

William Saurin


Sténopé 004. Copyright Patrick Caloz.


« C’est un quoi ? » Je regarde le type. « C’est un quoi, quoi ? » Puis, je comprends qu’il parle de mon appareil photo. « Ah ça ! C’est un presse-purée ! » Je lorgne dans le viseur du presse-purée pour faire la mise au point sur un tubercule de pomme de terre. Il esquisse un sourire narquois. « Votre presse-purée comme vous dites : argentique ou numérique ? » J’étais là, tranquille, peinard dans mon coin à faire des panoramiques sans demandez rien à personne quand me voilà posé la question du siècle : Argentique ou Numérique ? En 1839 Daguerre s’était déjà fait rosser dans une ruelle sombre par une bande de marchands de crayons de couleurs et de papier à dessin. Son invention allait mettre en péril leur commerce. Idem pour Timonier et sa machine à coudre. J’ai vérifié l’histogramme du presse-purée. « Numérique », j’ai lâché. Le type à fait la moue. Il a subodoré in-petto le montage trucage sous photoshop qui dénature l’essence même de la création photographique. « Moi je préfère l’argentique » Le badaud se doit de bader et lui, non, Acte II scène 1 avec la fameuse tirade du c’était mieux avant et les vertus de la Kodakrome 25 totalement dépourvue de grain, le labo dans la salle de bain, la lumière rouge, les fragrances d’acide acétique, le rendu, le piqué, le tirage baryté, Anselm Adams, Koudelka, Cartier-Bresson, Dityvon, voire même son père qui avait connu le fils de la concierge du tireur de Doisneau…. Tout le toutim, quoi ! Une larme me perle. Les yeux brouillés je distingue à peine un paysage flou très tendance. J’ai comme une envie de lui tarter le groin avec une plaque héliographique, question de lui apprendre à vivre mais le moral n’y était pas. Une Tri-X 36 poses se négocie aux alentour de cinq euro. Pour le développement et un tirage de lecture on en remet dix de plus. Tout compte fait vous en avez pour vos quinze euro, soit cent balles. Et au jour d’aujourd’hui cent balles, c’est pas rien. Un voyage là-dessus, quinze pelloches dans le havresac ça vous fait au bas mot deux cent vingt-cinq euro. Les retirages en sus l’album et vas-y Nénesse ! Tu travailles plus pour photographier plus. La Kodaktome 25 n’existe plus et ceux qui pleurent dessus ont pas dû en acheter beaucoup pour la sauver du désastre….J’ai rien dit à l’esthète. D’ailleurs qu’est-ce qu’iI y connait en artiste pauvre. Ceux qui sniffent du pixels, avalent des cartes mémoires en comprimés, lèchent l’écran de leur ordinateur pour enlever les pétouilles regarde la vie sur un écran baryté. Parce que le petit Mussolini de l’émulsion y s’en fou des artistes pauvres et de mon exemple aux deux cent vingt cinq euro. Droit dans ses bottes en caoutchouc Aigle avec sa logique puriste et esthétique le petit Adolf de la photographie. De plus il est Nikon. Alors là, si en plus il est Nikon ! Il me regarde dégoûté, comme un looser avec un étron autour du cou. Je ferais mieux de faire des photos directement avec une lunette de cabinet, je gagnerais du temps. J’en ai presque honte, tiens. Je suis même à deux doigts de me foutre à l’eau avec le matos. D’abord une bonne cuite au Ténétal, un coma éthylique à l’acide acétique et hop! dans le port. Eh! puis non, ce serait trop bête, la susceptibilité n’est pas bonne conseillère. Autant profiter des recommandations des sages, des intelligents, des cultivés, de ceussent qui savent puisqu’ils ont un avis et que cet avis, ben c’est toujours le bon. Un avis riche comme les Lustucru avec cinq œufs frais au kilo. Tiens, ce soir, je me fais péter la ventrèche au cassoulet et demain je me fabrique un sténopé avec la boîte. La photographie à l’ancienne avec une Camera Obscura comme le grand Léonard. Ah ! On verra sa gueule à l’autre con quand il reviendra me voir demain : « C’est quoi, votre machin ? » « Un sténopé William Saurin » Sa femme le hèle : « Jean-Remy, viens prendre Pierre-François sur le cochon, il est d’un drôle ! » Il se précipite. Il sort un D3 (de Gibraltar) armé d’un 300mm. Je reste sans voix et retiens mon souffle. Il va lui exploser les narines au petit Pierre-François, sans compter le museau vinaigrette du porcinet qui va nous gicler de partout. Il mitraille en rafale gosse, cochon, couvée à raison de neuf images seconde. Le sniper revient vers moi. « Pour être aussi assidu, vous préparez une expo peut-être ? » Je me lâche. « Ouais » « Ah ! » Son œil soudain s’allume, le D3 encore fumant en dilettante sur le bide tel une kalachnikov. « Où ça ? » « Sur les grilles du Sénat » Il reste estomaqué. Le Sénat, c’est pas la Maison des Jeunes de Tirmoizidon ou la mairie de Pouzoulis. « Intéressant ! » Je veux, mon neveu aussi intéressant que Yann Plexus Rentrant au Luxembourg. « Et c’est quoi au juste votre expo ? » qu’il me lâche tel un pet sur une toile cirée la bouche en cul de poule. « Les cons vus du ciel ! »

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